13 - Le Professeur
Gazelle n'avait pas ralenti une seule fois depuis qu'elle, Alexandre et Léopard avaient eu cette altercation avec les irradiés. Elle affichait toujours un air serein et rassurant devant Fleur, mais au fond d'elle, elle était terrifiée. Elle n'avait jamais vu autant d'irradiés en une seule fois, et si même Léopard affirmait ça aussi, c'est que c'était tout sauf rassurant. Elle se demanda si tout ce cirque en valait bien la peine.
Elle regarda le niveau de carburant. Il en restait encore beaucoup.
« Gazelle, on est encore loin ? demanda Léopard d'une voix ensommeillée
— Bientôt boss, bientôt.
— À ton avis, pourquoi il y avait autant d'irradiés ?
— Je n'en sais rien. Je ne savais qu'ils pouvaient être autant à la fois.
— Et si ils évoluaient ?
— Pour faire quoi ?
— Réfléchis un peu ; imagine si sous cadavre léthargiques, une part d'eux avaient acquis une conscience et qu'ils s'en servaient pour se déplacer en groupe, afin d'être plus efficace.
Gazelle ne répondit rien, elle regarda longuement la route.
— C'est peut-être probable. Mais si ce n'était pas ça ? Si quelqu'un avait trouvé comment les contrôler ?
— C'est impossible, il n'avait rien sur eux ; je veux dire, pas de collier, de bracelet...
— Et des puces électriques ? C'est possible, ça ? demanda Gazelle
— Merde, répondit Léopard, oui, c'est possible, ça...
— On est arrivés, murmura Gazelle. »
Devant eux se trouvait un champs désert, à l'exception d'une petite trappe qui surmontait la plaine. Le petit groupe s'avança jusqu'à la trappe.
« Oh, un bunker... »
Léopard frappa la trappe de son pied, émettant une série de sons. Ils attendirent quelques minutes, puis ils entendirent la trappe s'ouvrir.
« Boss ? C'est vous ? demanda une voix.
— C'est moi. Je suis avec Gazelle. Et deux personnes qui voudraient rencontrer le Professeur.
— Vous avez été suivi ?
— Plus maintenant.
— Rentrez, vite. Installez-vous, je m'occupe de la voiture !
— Je viens avec toi ! dit Gazelle »
Luciole sortit de la trappe. C'était un homme d'une trentaine d'année, que l'Apocalypse n'avait pas oublié. Son visage, et probablement d'autres endroits de son corps, était couvert de cicatrices, grossières et épaisses. Celle sur sa joue était la plus voyante de toutes, commençant à la commissure de sa lèvre et remontant jusqu'à son front. Alexandre pensa qu'il devait faire deux fois sa taille et qu'il était encore plus impressionnant que Léopard. Ce n'était pas le gros bras des Activistes pour rien. Cependant, le regard que lui portait Gazelle était rempli de tendresse.
« Mademoiselle, dit Léopard à Fleur, après vous.
Fleur rentra dans le bunker, descendant l'échelle prudemment. Léopard regarda Alexandre.
— Monsieur, après vous également...
Alexandre le salua d'un bref petit coup de tête, avant de suivre Fleur dans le bunker. Léopard rentra après Alexandre, refermant la trappe. Une fois arrivés en bas, ils regardèrent autour d'eux.
Le bunker était étonnement bien aménagé. Il comportait de nombreux meubles, et - Alexandre le pariait - plusieurs étages. C'était un vrai hôtel de luxe souterrain.
« Professeur Koskinen ? demanda Léopard, vous êtes là ?
— Léopard ? C'est bien vous ?
Une porte s'ouvrit et une homme d'une cinquantaine d'année en sortit. Il avait la barbe mal rasée, des cernes, les cheveux gris. Son visage semblait très fatigué, mais il y avait dans son regard quelque chose de vif, qui démontrait une intelligence à toute épreuve.
— Léopard ! Ça alors, mais qu'est-ce que vous faites ici ?! demanda le professeur, je ne pensais pas vous revoir avant fort longtemps... Il s'est passé quelque chose ?
— Beaucoup de choses, en fait. Mais il y a quelqu'un qui voulait vous voir.
Léopard pressa doucement le dos de Fleur pour qu'elle s'avance. Le professeur la regarda en plissant les yeux.
— Qui es-tu ?
— Je m'appelle Fleur, vous ne devez pas vous souvenir de moi, mais...
— Fleur ?... demanda le professeur, ému.
— Euh, oui...
Le professeur mit sa main devant la bouche.
— La dernière fois que je t'ai vue, tu n'étais qu'un bébé et tu tenais dans mes bras... Mais qu'est-ce que tu fais ici, aussi loin de la Capitale ?...
— C'est mes parents qui m'envoient, il veulent que je vous remette ça...
Fleur fouilla dans son sac pour en sortir une petite boîte complexe, qui semblait être sans ouverture. Le professeur fronça les sourcils tout en prenant la boîte dans ses mains.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Je ne sais pas. Il n'y a que mes parents qui savent ce qu'il y a à l'intérieur. Ils ne m'ont rien dit... Et aussi, seul vous êtes capable d'ouvrir cette boîte.
Le professeur soupira.
— Eh bien, je vais m'y atteler dès maintenant ! Et vous, jeune homme, qui êtes vous ? demanda le professeur à Alexandre
— Je m'appelle Alexandre, j'ai escorté Fleur durant un bon bout du trajet.
— Merci, Alexandre. Venez tous par là, je vais vous montrer vos chambres, car j'imagine que vous allez rester ici au moins cette nuit... »
Le petit groupe suivit le professeur. Fleur se retrouva dans une chambre à côté de celle du professeur, Léopard avait une chambre à côté de celle de Luciole, quand à Alexandre, sa chambre se trouvait un peu plus loin. Il laissa tomber son sac par terre, posa sa carabine contre son lit et il observa sa chambre. Son lit comprenait un matelas peu épais ainsi qu'un sommier en fer qui grinçait au moindre mouvement. Il n'y avait bien sûr pas de fenêtre, mais des néons (qui fonctionnaient à merveille) imitaient la lumière du jour. Les briques des murs étaient encore apparentes, de même que le ciment qui avait coulé lors de la construction. Il y avait également une étagère en aluminium, semblable à celles qui se trouvaient dans son bunker, recouvertes de poussières. Un carton posé au font de la pièce attira le regard d'Alexandre. Quand il l'ouvrit, il tomba sur des vieux poster de propagande de la Capitale, abimés par le temps et rongés par l'usure à certains endroits.
« Rejoignez la Capitale pour un monde meilleur ! »
« Sauvez la planète, devenez Milicien ! »
« Croyez en la Navette avec la Capitale ! »
« Protection et soutien : le devoir des Miliciens ! »
Alexandre ne put s'empêcher de ricaner un peu plus chaque fois qu'il découvrait un nouveau poster. Au bout d'un moment, lassé, il les fit tomber dans le carton qu'il repoussa d'un coup de pied dans un coin de sa chambre.
Quelqu'un toqua à sa porte.
« Entrez !
C'était Fleur.
— C'était pour te dire qu'on allait manger un peu, tu viens ?
— J'arrive, gamine ! »
Il sortit de sa chambre et suivit Fleur jusqu'à une pièce commune qui comportait des canapés (qui avaient certainement connu un meilleur jour), ainsi qu'une table en bois, sertie d'une nappe rose à pois blancs. Tout le monde était présent. Luciole, Gazelle et le Professeur finissaient de mettre la table (des vraies assiettes en grès, des vrais couverts en acier inoxydable et des vrais verres) tandis que Fleur aidait Léopard à faire cuire des conserves dans une casserole. Alexandre humecta l'air. Ça sentait bon.
« Quel luxe... »
« Ah, Alexandre, dit le Professeur en le voyant arriver, pouvez-vous nous apporter un dessous de plat, s'il vous plait ?
— Oui, bien sûr.
— Deuxième tiroir à gauche de l'évier, souffla Gazelle.
Alexandre lui répondit par un signe de tête, avant d'aller chercher le dessous de plat. Il fouilla un peu dans le tiroir, remua ses mains entre les spatules et les cuillères en bois en dénicha un petit morceau de bois de devait faire office de dessous de plat. Satisfait, il le plaça au centre de la table.
— Assez-vous, Alexandre, lui dit le Professeur »
C'était la première fois depuis bien longtemps qu'il voyait autant de chaises occupées autour d'une table. Il s'était assit en bout de table, à droite. En face de lui s'était installé Léopard. Fleur, sur sa gauche, était en face du Professeur. Enfin, Gazelle se trouvait en face de Luciole. Le Professeur servit tout le monde, et une fois l'assiette pleine, ils entamèrent le repas, constitué entièrement de légumes recomposés.
« Alors, Professeur, cette boîte ? demanda Léopard
— Ça avance, mon ami ! Je n'ai jamais vu un système aussi complexe depuis longtemps. Vois-tu, on dirait un Cryptex, mais avec plus de combinaisons possible.
— Vous nous ferez part de votre découverte ? demanda Gazelle.
— Bien sûr ! Laissez-moi un peu de temps, et je vous montre ce qu'il y a dans la boîte !
— Merci, Professeur ! »
Le repas se termina par un récit du Professeur, qui raconta à Fleur comment il vivait autrefois, avant l'Apocalypse. Alexandre se leva en même temps que les autres, et il lava les couverts. Une fois sa tâche terminée, il souhaita une bonne nuit au Professeur et à Fleur, toujours plongée dans ses récits, et prit la direction de sa chambre.
Il se lava rapidement, enfila des vêtements un peu propre (un débardeur blanc et un bas de jogging), puis son regard se posa à nouveau sur les vieux posters de propagande. Il avait vraiment hésité à les montrer à Fleur, mais il changea d'avis. Il savait que le tact n'était pas vraiment son fort.
Quelqu'un frappa à sa porte.
« Entrez !
— C'est moi...
Léopard se tenait sur le seuil de la porte.
— Tu frappes, maintenant ?
— Ce n'est pas vraiment chez moi. Et puis, je sais que tu détestes quand on ne frappe pas aux portes.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Il entra entièrement dans la chambre d'Alexandre et referma sa porte derrière lui.
— Je voulais m'excuser.
Alexandre s'apprêtait à l'interrompre, mais Léopard l'interrompit d'un mouvement de main.
— Je voulais m'excuser pour notre discussion avant-hier. Je sais que j'ai été un peu brusque, mais j'ai toujours été comme ça, alors...
Un silence s'installa. Ils se regardaient.
— C'est tout ? demanda Alexandre
— Oui. Enfin non. J'ai un... Un truc pour toi ; tiens.
Léopard lui tendit un livre.
— « Le Petit Prince » ? Pourquoi ?
— Tu n'as pas pu le finir l'autre jour, et il avait de te plaire, donc je me suis dit que tu serais content de savoir la fin de l'histoire.
— Merci Léopard.
Alexandre n'osa pas lui dire qu'il connaissait le livre presque par cœur.
— De rien. Je peux te demander quelque chose ?
— Quoi ?
— Je peux dormir ici cette nuit ?
— Pardon ? demanda Alexandre, le ton froid.
— C'est que... Gazelle et Luciole sont bruyants.
— Ils se disputent ? C'est grave ?
— Non, ils se réconcilient, c'est pire.
— Oh. Euh, mais il n'y a pas d'autres chambres ?
— Si, mais il n'y a pas de lit dedans.
— Et les canapés ?...
— Ils sont à côté de leur chambre.
— Oh. Euh, bah, je... Oui, d'accord...
— Merci beaucoup ! T'imagine pas à quel point je suis crevé !
— Moi aussi...
Léopard soupira, s'assit sur le matelas qui grinça avec toute la grâce qu'il pouvait. Il enleva d'un coup sec son cache-œil. Alexandre pu enfin voir l'état de son œil gauche. Il était d'un blanc laiteux sans pupille. Une large cicatrice traversait son œil, partant de sous la paupière pour remonter jusqu'au dessus de son sourcil.
— C'est moche, hein ? dit Léopard, tirant Alexandre de sa contemplation.
Il baissa la tête.
— Ils m'ont coupé l'œil pour que je parle. Comme ça n'a pas marché, ils m'ont écrasé une cigarette sur l'œil. Ils ont gaspillé une cigarette pour mon œil.
Léopard se massa doucement l'œil.
— Tu as parlé ?
— Non, Luciole est arrivé à temps, heureusement. De temps en temps, ça me fait mal, c'est tout.
Alexandre hocha la tête.
— Bon, tu comptes dormir debout ? Je vais pas te manger, ça va ! »
Alexandre soupira, attrapa un plaid de son sac qu'il lança sur Léopard, avant de s'allonger à côté de lui. Le lit grinçait chaque fois qu'ils essayaient de bouger. Au bout de quelques minutes, ils réussirent à trouver une position confortable pour chacun d'eux. Léopard s'endormi sur le ventre et Alexandre sur le dos. Le plaid glissait souvent, si bien qu'Alexandre se demanda s'il ne devait pas aller voler celui de Fleur discrètement. Mais il se ravisa quand il vit que Léopard avait les yeux fermés.
« Bonne nuit, souffla-t-il. »
Seule la respiration régulière de Léopard lui répondit. Il ne tarda pas à rejoindre Léopard dans le sommeil.
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