La Souveraine (5)
Trois jours après la cérémonie officielle, quand la joie des festivités fut quelque peu retombée, la Reine convoqua le conseil des Provinces, profitant du fait que tous les représentants officiels soient encore présents à Ciel. Au moment de rejoindre l'une des grandes mais intimes salles de réunion du palais, qu'Eliane reconnut avec un frisson comme celle où elle avait conforté Karashei après son agression, elle remarqua qu'une majeure partie de la Cour s'était massée dans les couloirs environnants. Une fois que les lourds vantaux se furent refermés sur les vautours à l'affût de racontars, elle prit place aux côtés de Vilhelm au sommet de la table, leva la tête et, avec un sourire de façade, détailla un à un les visages.
À sa gauche, le nouvellement couronné Roi Vilhelm d'Helvethras, sobre et élégant dans son costume blanc et bleu, ses yeux noirs étincelants rivés sur le mur en face. Il ne paraissait pas vouloir parler à quiconque, et Eliane comprenait son trouble. Ils avaient passé la nuit à débattre – se disputer aurait même été plus exact – au sujet des thèmes du jour. À côté de Vilhelm, qui malgré sa colère latente paraissait grandi par sa couronne, Laurus, déchu de son titre et de ses pouvoirs, avait perdu de sa superbe. Il s'était enfoncé dans son fauteuil, tassé sur lui-même, rattrapé par le poids des hivers et des regrets. Pour peu, la souveraine aurait presque pu avoir pitié de lui... mais cela aurait été oublier les dommages qu'il avait causés.
Ensuite venaient Aymeric, héritier de Lumière, brun aux yeux bleus, droit et fier, vrillant Eliane d'un regard courroucé depuis qu'elle était entrée dans la pièce, et Dame Laetitia, le visage froissé par une vieillesse prématurée, les épaules tombantes et le dos voûté. À la colère d'Aymeric, le frère d'Imogen, Eliane retourna une œillade polaire qui sembla l'effrayer quelque peu, mais elle ne put esquiver l'aiguille de tristesse qui piqua son cœur quand elle vit la douleur de Dame Laetitia. À peine huit lunes plus tôt, c'était une femme rayonnante, qui de son âge tirait la beauté mature qui manquait encore à sa fille. Autrement, côte à côte, elles auraient presque pu paraître jumelles. Laetitia paraissait cependant avoir pris dix hivers entre temps, et Eliane connaissait pertinemment la cause de son déclin.
Prise d'une pointe de remords traîtresse, elle se secoua, poursuivit son inspection. Totalement à l'opposé de la table rectangulaire, en face de Vilhelm et elle, le trésorier de la Couronne et l'archiviste royal, présent pour l'occasion en tant que scribe, se partageaient la place d'honneur. Ensuite, du côté droit de la table venaient le Sire Dalethras de Terre, unique représentant de sa province, et le vieux Sire Vasilas d'Eau, accompagné pour la première fois de sa petite-fille Karashei. Enfin, totalement à la droite d'Eliane, Zerrhus et Uriel d'Ombre, pâles figures froides et composées. Uriel dardait sur tous son regard dédaigneux, méprisant tous ceux qui l'obligeaient à participer à cette mascarade. Zerrhus, lui, fixait directement son vis-à-vis, l'ancien souverain d'Helvethras, sans manifester plus d'émotion qu'une statue de glace.
Satisfaite de son tour de reconnaissance, consciente des enjeux, Eliane claqua des doigts, et un serviteur zélé lui apporta un parchemin qu'elle avait elle-même rédigé quelques heures plus tôt. Elle le tendit à Vilhelm, qui le déroula lentement devant lui, le fixa à l'aide de lourds presse-papiers sculptés en formes d'animaux miniatures. Il s'éclaircit la voix péniblement, entama :
— À l'ordre du jour...
Il y eut une vague de murmures dans les provinces d'Eau, de Terre et de Lumière, et Eliane dut réfréner son sourire. Habituellement, c'étaient les souverains qui écoutaient les demandes de leurs féaux, mais cette fois-ci, elle avait décidé de bouleverser les coutumes... et, à en croire le fin rictus de son père, ce n'était pas pour lui déplaire. C'est au dirigeant de discerner les enjeux, disait-il, pas aux courtisans de le tirer dans la bonne direction comme une vulgaire marionnette.
En le croisant un instant son regard, qui avait brièvement dévié vers elle, elle réalisa à quel point, sans qu'elle ne s'en rende compte, il l'avait préparée dès son enfance à régner sur Helvethras. Petite, elle avait toujours assumé que son éducation serait pour qu'elle dirige Ombre un jour, mais aujourd'hui, elle comprenait quels avaient été ses enjeux à lui tout le long. Elle étouffa un sourire attendri.
— ... la sécheresse dans la province de Terre, les dettes envers Ombre qui seront recalculées pour les cinq prochains étés aux taux courants, un point sur la militarisation de la frontière est ainsi que sur les velléités de sécession d'Ombre.
Eliane dut batailler pour taire son bref éclat de rire, qu'elle transforma difficilement en discrète quinte de toux, quand Uriel roula des yeux avec un rictus narquois.
— Nous traiterons également toute demande particulière et toute revendication de chaque province.
La première heure s'écoula, morne et monotone. Dalethras présenta un bilan détaillé de l'économie de sa province, fortement touchée par la sécheresse, demanda un appui monétaire, auquel Zerrhus répondit favorablement. Aymeric, en tant que représentant de Lumière, qui était la province frontalière avec l'Empire d'Avalaën, parla de l'équipement qui commençait à s'user, nota cependant le moral positif aux postes de guet, puisque les incursions de l'Empire ennemi s'étaient faites plus rares ces derniers étés. Encore une fois, ce fut la province d'Ombre qui se proposa pour réparer et racheter de l'équipement, creusant encore davantage le gouffre financier. Depuis la guerre, depuis la victoire écrasante des Chauves-Souris, c'était Zerrhus qui était le véritable maître d'Helvethras. C'était vers lui que tous les regards se tournaient quand il s'agissait d'ouvrir les caisses et de payer le matériel ou les hommes. Et, quand Aymeric tenta de négocier les taux, il demeura inflexible, et le jeune Sire de Lumière dut finalement céder.
Quand, enfin, ils achevèrent la courte liste de sujets à l'ordre du jour, la dette de l'ensemble de la Couronne envers Zerrhus d'Ombre – et, par défaut, envers la province d'Ombre toute entière – était passée de soixante-sept à soixante-treize millions de pièces d'or... soit l'équivalent des taxes perçues par Ciel sur près de six étés. Et elle augmentait ainsi depuis dix-sept hivers maintenant, depuis que Laurus s'était réfugié à Ombre pendant la guerre et que les Chauves-Souris, sous le commandement d'Alia l'Aube-Rouge, avaient remporté victoire après victoire jusqu'à reconquérir tous les territoires perdus.
Vilhelm jeta à son épouse un regard en coin, puis roula le parchemin qui lui avait servi de support. Elle sourit, remercia tous ceux qui étaient présents d'avoir accepté de participer à ce conseil, puis lança un tour de table pour permettre à tous les dirigeants d'aborder des sujets qui n'avaient pas encore été traités et qu'ils estimaient importants. Zerrhus ne fit aucun commentaire, tout comme Uriel et Karashei, mais le Sire Vasilas, après une brève hésitation, il finit par passer une main légèrement nerveuse dans ses cheveux gris.
— Nous avons une heureuse nouvelle, annonça-t-il fermement même si une indicible anxiété se dégageait de sa posture raidie. Ma petite fille, Dame Karashei, se mariera au premier jour de printemps avec le Sire Uriel d'Ombre, ici-même, à Ciel.
Curieuse de voir les réactions des dirigeants des autres Provinces, pour qui ces fiançailles étaient de mauvais augure, Eliane détacha son regard de Vasilas une brève seconde avant qu'il finisse sa phrase, et elle sonda les occupants de la pièce. Dalethras serrait les dents, blême. Aymeric avait haussé un sourcil intéressé, mais ne paraissait pas extrêmement investi dans l'affaire, et Dame Laetitia ne semblait pas affectée. Quant à Laurus, il fixa d'abord Vilhelm avec stupeur, avant de reporter ses yeux sur Eliane et de grimacer discrètement.
— C'est une fantastique nouvelle ! s'exclama-t-il de mauvaise grâce, en forçant sur l'enthousiasme dans sa voix.
Les autres acclamèrent par politesse, tandis que Karashei baissait la tête, gênée, et Uriel fusillait de son regard méprisant tous ceux qui applaudissaient sans réellement le penser, soit l'ensemble de la salle. Pour l'occasion, il jeta même une œillade peu amène à Eliane, comme si l'idée de l'engagement l'horripilait. Cette dernière sourit, satisfaite de son inspection. Ce que Vasilas n'avait pas précisé, et que tous savaient, c'était que ce mariage élèverait Karashei au statut d'héritière officielle de la province d'Eau. Helvethras était fondée sur un système presque équitable, où seul un couple pouvait accéder au pouvoir à la tête d'une province ou du royaume. Néanmoins, dans une fratrie, c'était le garçon qui héritait, à moins que la fille soit mariée avant la naissance de son frère. Karashei s'assurait aujourd'hui son héritage, et par défaut écartait toutes les petites filles qui auraient pu espérer épouser un potentiel héritier d'Eau.
Dalethras pour sa part ne mentionna rien de particulier. Aymeric et Laetitia, quêtant l'approbation de leur nouveau souverain, demandèrent des corps expéditionnaires pour sillonner le royaume à la recherche de l'oiseau de lumière qu'était devenu Imogen, mais Vilhelm leur signifia qu'ils devraient s'en occuper eux-mêmes. Sa froideur distante à l'égard de celle qu'il avait aimée encore quelques décades auparavant fut accueillie avec consternation, mais il ne parut pas en être affecté outre mesure.
Quand, enfin, vint le tour de Laurus, Eliane échangea un bref regard avec son père, puis avec son époux. La tension de ce dernier, à l'exact opposé de l'indifférence qu'il avait manifestée envers son ancienne favorite, effraya un instant Eliane, qui se demanda s'il n'allait pas opposer de véhémentes protestations. La veille, il avait été plus que virulent. Cependant, quand son père prit une inspiration anxieuse, Vilhelm parut se mordre la langue et étouffer ses premières velléités de rébellion.
— Il y a quelques jours, entama Laurus avec un léger tremblement dans la voix, nous avons célébré l'avènement d'un règne qui, prions les arcanes, sera long et prospère pour Helvethras.
Tous hochèrent la tête en signe d'assentiment.
— À l'aube de ce qui s'annonce une nouvelle ère, je vais me retirer de la sphère politique, et quitter Ciel.
Vilhelm serra le poing, manqua de renverser un encrier rempli en frappant la table.
— Père !
Comme si le mouvement d'humeur de son fils avait eu le don de le calmer, Laurus s'apaisa quelque peu. Il sourit doucement, leva les yeux pour regarder un bref instant Zerrhus, puis avoua lentement :
— En tant que roi, j'ai commis nombre d'erreurs, certaines irréparables. Je souhaite employer mes derniers étés à comprendre les conséquences de ces erreurs. J'espère que, quand je reviendrai, Vos Majestés sauront apprécier mon effort et ma nouvelle perspective sur la situation.
Les iris sombres de Laurus témoignaient sa résignation, mais aussi une volonté nouvelle. La peur qui lui avait enserré les entrailles à l'idée de formuler à haute voix ce qu'Eliane attendait de lui l'avait désormais quitté. Quelque part au fond de lui-même, il sentait que ce pèlerinage au cœur de son propre royaume, qu'il n'avait jamais pu connaître depuis la prison de son château, lui apporterait la paix.
En levant la tête, il croisa le regard azurin d'Eliane et, dans la pointe de respect qui illuminait ses yeux, il eut la brève impression de voir Alia. La mère et la fille se mélangèrent un instant devant lui, il frémit.
— En outre, j'aurais une ultime requête pour Vos Majestés.
La souveraine haussa un sourcil, l'invitant à poursuivre.
— On m'a signalé peu avant votre mariage que le pont au sud de la cité devrait être reconstruit. Quand ce sera le cas, j'aimerais qu'on le renomme le Pont de l'Aube Rouge.
Dans la posture de Laurus, Eliane devina un profond regret, et une amère tristesse. Le Pont de l'Aube Rouge. Le Pont d'Alia. Elle consulta Vilhelm, qui ne formula aucune opposition. Dans ses yeux sombres primaient l'incompréhension, le doute et la colère. Il n'avait aucune idée de la symbolique du nom, il ne savait pas ce qu'Alia avait représenté pour son père, ni ce qu'elle représentait pour Eliane.
— Ce sera la première construction que nous lancerons, approuva-t-il néanmoins en voyant le regard insistant de son épouse.
Le conseil se clôtura dans le calme, par les traditions d'usage, de nombreuses félicitations à Uriel et Karashei, et un bref échange de regards entre Eliane et Dalethras, qui gardait désormais la tête basse, vaincu. Puis, les dirigeants se retirèrent un à un, et Eliane et Vilhelm demeurèrent avec le trésorier et l'archiviste royal, qui finissaient de retranscrire les nouvelles décisions et préparaient les ordres à envoyer. Les portes se refermèrent, et le Roi se tourna vivement vers sa Reine :
— Je vous avais pourtant dit que je refusais cette dernière décision !
Elle leva le menton, affronta sans crainte son regard furieux.
— C'est le choix de votre père.
— Que vous avez suggéré !
— Certes. Et il aurait pu se réfugier dans ses droits et ses privilèges, éviter de partir, échapper à ce que j'escomptais de lui. Mais il ne l'a pas fait. Savez-vous pourquoi ?
Les deux hommes, affairés dans leurs papiers, n'osaient pas relever la tête. L'un souffla à l'autre quelques mots, que ce dernier inscrivit au bas d'une page, puis ils se redressèrent, rassemblèrent hâtivement les parchemins, et s'éclipsèrent aussi discrètement que possible. Eliane les regarda partir du coin de l'œil, puis se tourna à nouveau vers Vilhelm, qui semblait lutter pour trouver une réponse correcte à sa question.
— Parce que vous avez insisté, lâcha-t-il finalement d'un ton accusateur.
Eliane n'étouffa pas un sourire dur.
— Parce qu'il a compris que j'avais raison, Altesse. Il est inutile d'essayer de nier ses propres erreurs, cela fait de vous un souverain inconscient, qui mène son peuple à la destruction. Apprenez à vous questionner, apprenez à questionner l'image parfaite que vous avez de votre père, et peut-être que vous comprendrez pourquoi il a choisi de partir.
Elle se détourna, il la rattrapa par le poignet, sembla vouloir lever la main sur elle. Elle intercepta son geste, riva ses yeux de glace dans les siens, et il frissonna.
— Lâchez-moi, siffla-t-elle. Ne faites pas ce que vous pourriez regretter.
Son arcane de glace pulsait dans ses doigts, mais elle la maintint sous contrôle, et Vilhelm parut brusquement se rappeler à qui il avait affaire. Il la libéra sèchement, recula. Ses yeux luisaient de colère et de crainte, mais, étrangement, quand il releva la tête, Eliane lui sourit.
— Je ne suis pas votre poupée de chiffons. Rappelez-vous-en je vous prie, et tout se passera bien entre nous.
Cette fois-ci, il la laissa partir.
Elle fendit les couloirs, un sourire de convenance aux lèvres, retourna quelques salutations polies, mais ne s'attarda jamais pour plus de trois phrases avec les courtisans, peu nombreux, qui cherchaient à l'aborder. Pour le moment, sa place au palais était étrangement fragile et instable, personne ne savait réellement comment la traiter. Tous savaient qu'elle préférait la simplicité et méprisait, à peine moins ouvertement qu'Uriel, les lèche-bottes, mais tous voulaient se mettre dans ses bonnes grâces. Ainsi, ils trépignaient, enfermés dans leurs carcans de maniérismes, incapables de se décider à l'aborder franchement.
Louvoyant entre les courtisans incertains avec l'impression de se faufiler dans un nid de serpents qui avaient encore faim, elle finit néanmoins par atteindre une petite pièce sombre située dans la tour ouest du château. Elle alluma une à une les chandelles, chassant l'obscurité afin de dévoiler une office sobrement meublée, puis tapa trois coups secs sur l'une des parois de la haute bibliothèque encore faiblement garnie. Cette dernière coulissa sans un bruit le long de profondes rayures en arc de cercle qui striaient le dallage, et Eliane songea en s'écartant qu'elle devrait mettre là un tapis si elle voulait dissimuler l'entrée secrète. Deux silhouettes apparurent : l'une familière, l'autre dissimulée par une épaisse cape noire qui la couvrait intégralement.
— Enfin ! s'exclama Astryd en soufflant la bougie qui les avait éclairées dans les ténèbres du corridor caché.
Eliane s'effaça pour les laisser passer, alla elle-même s'asseoir sur la chaise de bureau. La silhouette prit place en face d'elle, rejeta en arrière la lourde capuche. Ses yeux verts étincelèrent dans la lueur des flammes, qui nimbaient sa peau sombre d'un halo orangé.
— Dame Tyrha.
— Votre Altesse.
— Comment allez-vous ? Que vous est-il arrivé ?
Une massive ecchymose violette avait enflé sur la tempe gauche de la Demoiselle de Terre.
— Ce n'est rien, souffla-t-elle, les yeux baissés. Un simple incident... mais je vous remercie de votre solli...
— Est-ce votre père ? interrogea Eliane crûment.
— Non, pas du tout ! Je...
— Quelqu'un de votre famille ?
Cette fois-ci, elle ne nia pas. Eliane sentit un frisson de colère et de pitié la parcourir, mais elle se garda bien de le montrer.
— Très bien, reprit-elle. Allons droit au but, si vous le voulez bien. Vous comprendrez qu'il va falloir trouver une solution politiquement correcte à votre situation.
Tyrha pâlit légèrement, porta la main à son ventre. Pour le moment, aucun signe ne trahissait sa grossesse, mais cela n'allait pas tarder.
— Et vous comprendrez également que, même si l'on parvient à donner à votre enfant un nom de la noblesse, cela ne pourra le préserver de la colère évidente de votre famille.
— Je... murmura Tyrha avec une grimace peinée qui était pour Eliane une réponse suffisante. Je ne sais pas si je saurai assumer mon rôle de mère... C'est une situation qui me dépasse totalement, sans même parler de ma famille qui voudrait pouvoir tout faire...
Elle hésita.
— Disparaître ?
Un soupir, une esquisse de sourire attristé.
— En y repensant, je ne sais pas exactement pourquoi je me suis aussi rapidement attachée à Melvin, pourquoi... pourquoi tout est allé si vite. Mais n'allez pas croire que je ne désire pas cet enfant. Seulement, avec les conditions de sa naissance, il risque d'avoir une enfance infernale.
Elle laissa échapper une larme, qui traça un sillon brillant sur sa peau mate. La jeune reine, se sachant à moitié coupable de ce qui était en train de se passer, s'affala contre le dossier de sa chaise. Elle était responsable du devenir de cet enfant. En lui vivrait la mémoire de Melvin d'Ombre, de son sacrifice et de sa loyauté. Et, au-delà de cela, elle ne pouvait pas laisser sciemment un nouveau-né dans une famille qui le haïrait. Mais son idée, qu'elle avait soumise à Elliott quelques jours plus tôt, était aussi fonctionnelle que cruelle, préservant certes l'enfant, mais ne ménageant absolument pas sa mère.
Cependant, Tyrha la fixait avec un mélange d'espoir et de tristesse, comme si Eliane était la seule personne qui pouvait la sortir de cette terrible situation, sans se douter que c'était elle qui avait causé ces troubles en premier lieu.
— Si vous ne pouvez rien faire...
— Au contraire, soupira Eliane, j'avais déjà une suggestion... mais je n'ose trop m'avancer, au vu des contraintes que cela vous imposerait.
— Et ces contraintes seraient ?
— Vivre quelques temps avec la pire personne que cette Cour connaisse.
— Vous ? releva Tyrha avec ce qui semblait être un sourire sincèrement amusé.
Eliane pouffa.
— Gaxier.
Tyrha pâlit, se replia sur sa chaise, comme si la reine venait de la gifler.
— Non. Ce n'est pas...
— Ce ne serait que temporaire, ceci dit. Un mariage, deux ou trois lunes... je ne prétends pas vous imposer quoi que ce soit. Néanmoins, je ne connais aucun homme de la Noblesse d'ici qui accepterait d'épouser une femme qui a déjà eu une relation avec un autre homme.
La concernée se ratatina dans son siège, livide, et Eliane sut instinctivement qu'elle avait eu raison de croire que Gaxier s'en était déjà pris à d'autres femmes que Karashei. Le gris qui décolorait la peau d'ébène de Tyrha était suffisamment parlant. La rage, qui la hantait depuis qu'elle avait surpris Karashei aux mains de ce porc, revint telle une brûlure soudaine, aussi froide que vive.
— Et ensuite ?
— Gaxier possède un manoir au sud de la cité. Vous vous retirerez tous deux là-bas pour un temps. Ensuite, il ne sera plus un problème, suggéra la Dame d'Ombre, une once de venin dans sa voix.
La Demoiselle de Terre mit un temps à comprendre le sous-entendu. Quand elle assimila le sens caché des mots d'Eliane, elle écarquilla les yeux.
— Mais...
— Votre enfant sera pris en charge à la Cour en tant que pupille royal, ainsi que d'autres enfants de milieux plus défavorisés. Cela le placera par défaut hors d'atteinte de votre famille. Quant à vous...
Elle ne dit rien, mais le regard était éloquent. Tyrha serait une veuve riche et puissante, libérée de l'emprise des siens, affiliée directement à la famille royale. Mais pour cela, elle devrait supporter Gaxier.
— Je vous laisse y réfléchir.
◊~◊~◊
Vous y croyiez encore ? Moi j'avais des doutes... mais je suis de retour ! :D (Pour Eliane en tout cas, ne nous emballons pas trop.)
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