2 : DYLAN + CŒUR = PLEURS
Le visage de Théa est apparu sur l'écran, pixelisé d'abord, puis de plus en plus précis. Les verres de lunettes reflétaient la lumière bleue. Elles ne s'étaient pas coupés les cheveux depuis un bon bout de temps, le violet recouvrait sa couleur brune naturel aux racines et ses boucles lui tombaient devant les yeux. Pardon, hein, mais il était 23 heures, en plein novembre, et elle était à craquer. Sans plus attendre, je me suis lancée :
─ Bon, t'es prête pour les dramas ?
Il y a eu un temps de latence. Elle avait une connexion pourrie dans son appartement d'étudiante.
─ Si je suis prête pour écouter les dramas de lycéens cis-hets et immatures ? Bien sûr que oui, Gina, pourquoi tu crois que je paie un abonnement Netflix ?
J'ai ri, avant de jeter un coup d'œil sur mes notes. J'avais griffonné une feuille entière recto et verso pour être sûre de ne rien oublier. Je suis raclée la gorge et ai pris un air solennel de journaliste en live :
─ Dylan Mercier, Dylan Arthur François Mercier de son nom complet, né le 3 avril 2002. Il passe une enfance paisible dans les contrées de...
─ OK, non, m'a interrompu Théa. Non, on va pas faire ça. Abrège.
─ Sérieux ? J'avais fait mes recherches et tout... D'accord. Dylan Mercier est un élève de mon lycée. Il est en terminale, il est beau et il fait du skate.
─ C'est important le fait qu'il fasse du skate ?
─ C'est super important. En seconde, il passait encore sous les radars. Il était considéré comme cool parce qu'il traînait au skatepark et qu'il fumait, mais rien de plus. Mais pendant l'été de la seconde à la première, il a couché avec la sœur d'un terminale. Elle était en Master, à ce moment-là ! Tu te rends compte ? Septembre, boum, tout le monde le sait. Le mec devient un Dieu.
─ Pause, pause, Gina. C'est ça l'histoire ? Ce type est devenu popu parce qu'une adulte a abusé de lui alors qu'il était mineur ?
J'ai bégayé. Je n'avais jamais considéré la chose sous cet angle. Perturbée, j'ai essayé de retrouver le fil de ma pensée dans mes notes. Théa m'a encouragée.
─ Pardon, vas-y continue.
─ Euh... Été seconde à la première, fille en master, ta ta ta. Ah, oui, ai-je continué, avec moins d'enthousiasme. Non seulement ça lui fait une réputation de séducteur auprès des autres gars, mais en plus, il était devenu franchement mignon. Comme il skatait, il fréquentait des gens plus âgés qui lui achetaient de l'alcool pour ses soirées, ce qui faisait grimper encore plus son coolomètre. Et de fil en aiguille, il est grimpé au sommet de la pyramide de la popularité au lycée. Les mecs faisaient courir des rumeurs comme quoi il embrassait super bien, et les filles mourraient d'envie de vérifier par elles-mêmes. C'était un cercle vertueux. Plus on l'idolâtrait, plus les gens voulaient traîner avec lui, plus on l'idolâtrait. Tu suis ?
─ Jusque là, c'est pas très compliqué. On reste dans les classiques.
Théa n'était pas emballée. Peut-être n'avait-elle pas envie d'entendre l'histoire d'un mec à l'ego plus haut que la Tour Eiffel, mais moi, j'avais besoin de vider mon sac.
─ En mars de l'année de première, Dylan a commencé à sortir avec Clémence Jourdain, une fille de sa classe, totalement l'inverse de lui. Genre, clarinette, équitation, tu vois le délire ?
Théa a ri, la lumière sur son visage m'a rassuré. Un temps, j'ai vraiment cru la faire chier.
─ Personne ne sait pourquoi ni comment. Toujours est-il qu'ils sortent ensemble depuis.
─ C'est une bonne chose, non ? On est contentes pour eux ou pas ?
─ Mmh, ai-je grinché. Non, pas trop. En fait, depuis qu'il est Clémence, Dylan a deux lignes édito : se taper des meufs dans le dos de sa copine et supplier sa copine de le récupérer quand elle découvre qu'il s'est tapé des meufs dans son dos. Honnêtement, j'en ai rien à foutre de ce qu'il fait dans son temps libre. S'il veut dresser le plus gros tableau de chasse du monde, c'est son problème. Mon souci avec Dylan Mercier, c'est que toutes les filles qu'il pécho, il les tej, il les bâche et il détruit leur réputation. Il raconte à tout le monde qui suce, qui a des poils et cetera. C'est un putain de connard, et pas manqué, toutes les filles qui tombent dans son jeu sont lapidées en place publique. En mode, ça devient une étiquette d'avoir passé une nuit avec Dylan Mercier. J'ai déjà entendu des mecs me dire : « Ah non, celle-là, j'y touche pas, Dylan est passé dessus. » Et maintenant, ma sœur est dans ce merdier !
─ Titou ?
─ Titou ! Quand je te disais que j'avais du croustillant, je parlais pas de Cocopops. Ce matin, j'ai trouvé ma sœur dans le lit de Dylan. Elle m'assure qu'ils ne sont pas allés plus loin que du touche-pipi mais... j'en doute.
Théa souriait bêtement. Son air béat m'a interloquée :
─ Qu'est-ce qu'il y a ?
─ J'adore le fait que tu parles comme une femme des années 50 qui aurait débarqué à notre époque.
Dans un soupir, j'ai claqué des doigts.
─ On se concentre ! Qu'est-ce que ce je suis censée faire ?
─ Pour quoi ? m'a demandé Théa.
─ Pour empêcher ma sœur de tomber dans le piège DM.
─ Devoir maison ?
─ Dylan Mercier ! me suis-je écrié. Tu ne suis rien du tout ! Tu le fais exprès ?
Théa a soudain explosé de rire, et j'ai compris.
─ Oh... Tu le fais exprès pour de vrai. Ça fait combien de temps que tu te fous de ma gueule et que je passe au-dessus de l'ironie ?
─ Un bon bout de temps, m'a-t-elle confié. Écoute chaton, tu veux mon avis ? Ne t'en occupe pas. Fais confiance à Teresa et ne la surprotège pas. Non seulement, c'est une gamine intelligente, mais en plus, elle doit se faire sa propre expérience. Puis, qui sait ? C'est peut-être un good bad boy, genre Hardin.
─ Tu n'as même pas lu After.
─ Oui, mais je refuse de croire que quelque chose basé sur Harry Styles puisse être mauvais.
Je me suis exclamée :
─ Ah non, on va pas avoir de nouveau cette conversation à propos de Harry Styles !
─ Même en tant que lesbienne, c'est le seul mec au monde que je laisserai me...
Je me suis bouché les oreilles. S'il y a un truc que je déteste plus au monde que Dylan Mercier, c'est de savoir ce que ma copine laisserait une célébrité lui faire. Les lèvres de Théa bougeaient avec frénésie, il m'a fallu trente bonnes secondes avant de réaliser qu'elle ne parlait pas. Elle faisait semblant pour me faire tourner en bourrique. J'ai fait la moue, dépitée.
─ Arrête de m'embêter, ai-je râlé d'une voix de bébé.
─ Oh... s'est attendrie Théa. D'accord, j'arrête. Je dois aller me coucher, de toute manière, j'ai cours à 8 heures, demain matin.
Les adieux ont duré dix minutes de plus, jusqu'à ce que Théa coupe la vidéo. Le silence soudain de ma chambre m'a fait tourner la tête. J'ai lancé une vidéo sans plus attendre pour le combler. Si les blancs s'éternisaient, mes pensées devenaient suffocantes, je faisais de mon mieux pour être occupée à tout instant.
J'aurais dû me mettre au lit, moi aussi pour attaquer la nouvelle semaine en forme. Mais je n'étais pas fatiguée. La nuit avait des pouvoirs énergisants sur mon cerveau, je le déplorais. Le cercle devenait chaque fois plus vicieux : j'étais en forme à minuit, je me couchais tard, je devais malgré tout me lever à 7 heures, j'étais crevée toute la journée et me promettais de me coucher tôt. Puis devinez quoi ? Minuit sonne et me voilà à reproduire les chorégraphies de Just Dance dans ma chambre.
La faim m'a titillée. J'ai repensé aux biscuits animaux que ma mère avait achetés. On était tombé dessus pendant les courses, et des souvenirs d'enfance ont resurgi. En été, elle emmenait toujours une boîte à la plage. Dans la voiture, Teresa et moi négocions les formes que l'on mangerait : elle voulait les chiens et les vaches, je prenais obligatoirement les dinosaures. Le sort des chats se décidait à la courte-paille, c'était les meilleurs. On passait notre après-midi dans l'eau, quand l'heure du goûter arrivait enfin, le chocolat avait fondu. Qu'importe, on les dévorait et on s'en maculait la bouche et les cheveux. À la fin de la journée, nos tignasses sentaient le sel et le beurre des gâteaux. Le pied.
La lumière était allumée dans le séjour. Je croyais pourtant que ma mère était couchée. Mais en y pénétrant, je suis tombée nez-à-nez avec Teresa, apprêtée. Elle avait revêtu une belle jupe et des collants en résille, une veste en cuir et un rouge à lèvres sombre. Il était presque minuit, je ne savais pas que c'était l'heure où ma sœur se transformait en gothique. Elle laçait ses chaussures quand je l'ai surprise. Nos deux regards se sont accrochés, j'ai demandé :
─ Qu'est-ce que tu fais ?
Teresa a mis son index devant sa bouche.
─ Chut, ne réveille pas maman.
─ Tu vas où ? Titou, t'as vu l'heure ? Y a cours, demain.
─ Je serais de retour bientôt, promis. Je vais au skatepark.
Une sirène s'est déclenché dans mon esprit. Les voyants ont viré au rouge, mayday, mayday, capitaine, on ne s'en sortira pas vivante.
─ Le skatepark ? ai-je feint l'ignorance. Qu'est-ce que tu vas faire au skatepark ?
À minuit, un dimanche soir, qui plus est. Un sourire lumineux est né sur les lèvres de Teresa, j'ai craint le pire. Pour seule réponse, elle m'a montré son téléphone et le message reçu cinq minutes plus tôt. J'ai dû m'appuyer contre le mur pour ne pas m'évanouir.
« skatepark avec les potos vien stv »
Pire, le contact avait été nommé, sans ironie, Dylan 💕😍✨💍. Du haut de mes dix-huit ans, j'ai bien cru que mon cœur allait lâcher.
─ Est-ce que tu peux me couvrir si maman se réveille ?
Les mots m'ont abandonnée. Non seulement ma sœur comptait rejoindre cette enflure en pleine nuit, mais en plus, elle avait confiance en moi pour lui trouver une excuse. Teresa avait peur de maman, mais ne comprenait pas que j'étais la plus stricte de la famille. J'allais lui passer le savon de sa vie, hurler à en réveiller les voisins, lui interdire de voir ce garçon du démon.
Puis, la voix de Théa m'est revenue : laisse Teresa tranquille, m'avait-elle dit. Elle a besoin d'être responsable, tu faisais la même chose à son âge. Il y a deux ans, quand j'étais célibataire et que mon avenir ne m'inquiétait pas, je passais des semaines entières sans rentrer un soir à la maison. J'avais repoussé bien des limites, pourquoi Teresa n'aurait-elle pas le droit ? Dans un soupir, j'ai accordé ce point à Théa, et j'ai laissé ma sœur s'évader dans la nuit.
─ Appelle moi s'il t'arrive une merde. Et fais attention, protège toi.
Elle a levé les yeux au ciel avec l'insolence des gamines de seize ans. Quand elle a refermé la porte sans un bruit, j'ai eu un pincement au cœur. J'aurais aimé qu'elle reste un bébé.
Le contretemps ne m'avait pas fait oublié ma mission principale. L'eau à la bouche, j'ai foncé vers le placard sous l'évier, celui qui refermait les trésors de la cuisine.
─ Ah la connasse ! ai-je murmuré.
Teresa avait pris les biscuits animaux avec elle.
**
Rongée par les regrets d'avoir laissé Teresa partir et par la crainte de ce qui pouvait lui arriver, j'ai fait une insomnie. L'heure avançait sur mon radio-réveil, je guettais le moindre son dans le salon. Un cliquetis de serrure, le frottement d'une veste, un toussotement, n'importe quoi qui m'aurait assuré le bon retour de ma sœur. J'étais prête à me lever et aller au skatepark. Quelle idée stupide ! Ma sœur avait besoin de liberté, mais pas avec des garçons plus âgés qu'elle en plein milieu de la nuit... Ce n'était pas être cool, c'était être inconscient. Ma mère allait me trucider.
La fatigue m'emportait, mes paupières devenaient lourdes, mais la vibration sous mon oreiller m'a ranimé sur-le-champ. Teresa m'appelait, j'ai sauté sur mon téléphone.
─ Allô ?
J'ai perçu du vent et des éclats de rires, et enfin, la voix tremblante de ma sœur.
─ Viens me chercher. Dès que tu peux, s'il te plaît.
Elle a aussitôt raccroché et il ne m'en a pas fallu plus. J'ai sauté dans mes chaussures, ai passé une veste par-dessus mon pyjama, écharpe, gants, bonnets pour affronter le froid et j'ai filé. En trois minutes, j'étais au volant de la voiture, en dix, j'apercevais les lampadaires autour du skatepark. Je n'ai même pas eu besoin de descendre, Teresa patientait assise sur le bord de trottoir, le menton entre les mains. Ses yeux auraient pulvérisé une civilisation si on les avait dotés de lasers.
Teresa est montée sur le siège passager, je n'ai pas redémarré immédiatement pour lui laisser le temps de souffler. La colère sur son visage s'est lentement muée en un sanglot. J'ai ouvert mes bras, la seconde d'après, Teresa s'y effondrait en larmes. J'aurais voulu trouver les bons mots pour la réconforter mais rien ne me venait en tête. Plutôt, je l'ai serrée fort.
Le moteur tournait toujours, en face moi, le skatepark s'illuminait sous des projecteurs puissants. Parfois, j'apercevais des silhouettes voler au-dessus du mur d'enceinte, trottinette à la main ou skateboard sous les pieds. Le tableau de bord affichait 2 heures 21 et 7°C. J'aurais tout donné pour avoir un iota de la motivation de ces mecs.
Teresa m'a lâchée et a séché ses joues d'un revers de la main.
─ Il a embrassé une autre fille.
Mon cœur s'est fendu de la voir si émue. Je n'avais même pas envie de lui dire : « Je te l'avais bien dit. » Il ne servait à rien de la faire souffrir davantage, j'ai fait demi-tour. Sur le chemin, les yeux de Teresa se sont perdus sur la route. La ville était vide, éclairée par la lumière jaune des lampadaires. Ils ne les éteignaient jamais.
Arrivées à la maison, ma sœur est restée sur son siège. J'ai capté le message : et si on restait un peu ici ? Teresa a attrapé son sac, et en a extirpé le paquet de gâteaux volé. Elle me l'a tendu, j'ai souri en voyant ceux qui restaient : les dinosaures et les chats.
─ Je me sens conne, a dit Teresa.
─ Mais non, lui ai-je assuré. C'est Dylan Mercier, il est connu pour ça. Pense à sa copine, la pauvre.
─ Il m'avait dit que j'étais différente... Il a dit qu'il voulait me revoir, et il m'envoie un message. Mais quand je l'ai rejoins, il ne m'a même pas calculée. Et... et il a embrassé cette fille juste devant moi.
J'avais envie de manger un gâteau, mais je me suis retenue, par respect.
─ Aucun garçon ne voudra jamais de moi, a chuchoté Teresa.
L'idée qu'elle croit une telle absurdité me révoltait. Je me suis exclamée :
─ Non ! Chérie, non, tu es la fille la plus incroyable du monde et je suis sûre qu'il y a des gars qui rêveraient que tu leur donnes l'heure. Dylan Mercier est un connard, ça n'a rien à voir avec toi, c'est lui le problème.
─ Il était tellement gentil, hier soir, pourtant.
─ Ils le sont toujours, au début.
─ J'étais tombée amoureuse, Gina...
J'ai fait la moue, dubitative. Mais... il n'aurait pas servi à grand-chose d'argumenter ou de lui faire une leçon sur l'amour. Teresa avait mal.
─ Il y en aura d'autres, ai-je cherché à la réconforter.
Teresa est restée atone. Cette histoire l'avait secouée. De mémoire, c'était sa première peine de cœur. Ça n'avait peut-être duré que deux jours, mais c'était assez pour lui donner de l'espoir. Je lui ai attrapé la main, ses doigts étaient gelés. Une autre larme a coulé le long de son nez.
En voyant ma sœur dans cet état, je me suis fait une promesse : plus personne ne jouerait avec les sentiments de ma petite sœur. Mieux encore, dès maintenant, l'ère diabolique de Dylan Mercier devait cesser. Il avait brisé trop de filles, il avait batifolé avec trop de proies faciles. Il n'y avait aucun mérite à user de sa popularité pour obtenir ce que l'on voulait des plus fragiles. C'était un coup d'amateur, Dylan n'avait rien d'un beau gosse. Il n'était qu'un gros poisson dans un petit étang.
J'ai mangé un gâteau et ai manqué de m'étouffer. La quinte de toux passée, j'avais les larmes aux yeux et une décision arrêtée en tête.
C'était terminé. Dylan Mercier allait payer.
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