La suite du voyage s'était faite dans un silence des plus complets. Elyas, concentré sur la route chaotique que nous avions emprunté, ne m'adressait pas plus la parole qu'à son habitude. Abel, de son côté, avait fini par s'endormir malgré les soubresauts réguliers du véhicule. Pour ma part, j'étais totalement perdue dans mes pensées.

Les événements de ce midi m'avaient totalement bouleversée. Je remettais enfin tout en cause. Depuis mon départ de Tombouctou, qui me semblait si loin à présent, je ne m'étais jamais réellement posé de questions sur le comportement que j'avais par rapport aux autres. Pour moi, il s'agissait de survivre et d'atteindre le but que je m'étais fixé, voilà tout.

Seulement, les réflexions d'Abel avaient provoqué un réel déclic en moi. J'agissais en pure égoïste, et je ne m'en rendais compte que maintenant. La mort mystérieuse de ma mère, mon combat pour la vie mené aux côtés de ma famille, la trahison de celui qui s'était finalement révélé être mon oncle... Chacun de ces faits m'avaient amenée à devenir cette fille renfermée, ne laissant transparaître aucune émotion, faisant juste ce qu'elle avait à faire sans poser aucune question...

Ce n'était pas moi, et cette idée suffisait à me faire frissonner de terreur. Je m'étais totalement transformée suite à ce voyage. Je n'étais plus la même, j'étais devenue quelqu'un d'autre. Et, visiblement, ce n'était pas que pour le meilleur. L'Esi d'auparavant, prête à tout pour aider sa famille, s'était perdue en chemin.

J'avais lâchement abandonné l'être auquel je tenais le plus au monde, au moment où elle avait besoin de moi. Je m'étais enfuie, ne lui laissant comme souvenir de moi qu'une lettre trempée de larmes. Que devait-elle penser de moi à l'heure actuelle ? Quand bien même elle se serait sortie de ce coma qui la retenait prisonnière...

Avais-je fait le bon choix ? Cette question hantait mes pensées depuis des heures, sans que je ne parvienne à y trouver la moindre réponse. Sur le moment, j'étais persuadée de faire ce qu'il fallait, d'épargner sa vie que ma présence aurait rendue misérable. Mais, n'aurais-je pas mieux fait d'abandonner cette quête vaine que je menais, pour me concentrer sur l'essentiel ? De rester auprès des vivants, sans chercher à percer les secrets des morts ?

Je revins à la réalité en sentant la voiture s'arrêter. Ce n'est qu'à ce moment-là que je réalisai que ma lèvre inférieure était en sang, suite aux morsures que je lui avait infligées, et que les jointures de mes doigts avaient totalement viré au blanc sous la pression. Je lâchai un soupir discret en tentant de dissimuler mon état à mes compagnons. Il ne manquait plus qu'ils me prennent pour une personne mentalement instable. Ce que j'étais peut-être, après tout.

Je me laissai tomber dans le sable et me dirigeai lentement vers l'arrière du véhicule, sans lancer un seul regard au père et à son fils. De toutes façons, ils ne devaient pas réellement s'inquiéter de mon état. Après tout, je n'étais que la jeune fille à tout faire. Pas de quoi se préoccuper.

Alors que je m'affairais à tout préparer pour la nuit à venir sans prononcer un seul mot, je me surpris à lancer un regard triste à Abel, qui me le rendis, à mon grand étonnement. Je me mordis les lèvres une énième fois, sentant mes pommettes rougir en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je pris alors une décision.

Si je devais changer, autant commencer à le faire maintenant. J'irais m'excuser auprès du jeune homme après le dîner. En espérant qu'il accepte de m'adresser la parole...

~ ~ ~

Je m'approchai timidement d'Abel, assis paisiblement devant le feu de camp que nous avions allumé peu de temps avant. Son père était parti je ne sais où, mais cela m'arrangeait bien. J'eus tout le loisir de l'observer avant de me décider à lui indiquer ma présence.

La lumière chaleureuse émanant des flammes éclairait son beau visage, paraissant encore plus bronzé que d'habitude. Sa mâchoire saillante était mise en valeur, et ses cheveux ébouriffés lui donnaient un aspect sauvage tout simplement craquant. Il était réellement magnifique.

Je me tirai enfin de ma contemplation pour oser m'éclaircir la gorge, afin qu'il remarque que je me tenais derrière lui. Il tourna la tête vers moi, un air interrogateur froissant son beau visage. Je rassemblai tout mon courage et lançai timidement :

« _ On peut parler... ? »

Contrairement à ce à quoi je m'attendais, il ne paru pas surpris le moins du monde et m'invita à m'asseoir à ses côtés en hochant la tête. Je crus même apercevoir un sourire discret se dessiner sur ses lèvres charnues. Je pris place doucement, prenant garde tout de même à ne pas être trop proche de lui. J'inspirai un bon coup, et me lançai.

« _ Je... Je tenais à m'excuser, pour mon comportement de tout à l'heure, commençai-je. Tu m'as sauvé la mise, je n'aurais pas dû réagir comme ça... Seulement, je ne suis pas habituée, tu comprends ? Je me suis toujours débrouillée seule, et j'ai souvent été trahie, alors... Je me méfie, maintenant. Mais je n'aurais pas dû te répondre comme ça, j'en suis consciente. Alors voilà, je suis désolée, Abel... »

Je repris mon souffle, fatiguée par mon monologue. Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant parlé à quelqu'un. C'était étrange, mais, d'un autre côté, ça me faisait du bien. Maintenant, j'attendais la réponse du jeune homme, emplie d'appréhension. Je tentais de décrypter chacune de ses réactions, mais c'était peine perdue. Je me résignai donc à attendre, fixant mes pieds pour me détendre.

« _ Ce n'est pas grave, finit-il par prononcer. Je comprends ta réaction, mais je ne te veux aucun mal, Esi, crois-moi. Je te connais à peine, je n'ai aucune raison de te nuire. Je voulais juste être sympa. Alors, s'il-te-plaît, fais-moi confiance à présent, d'accord ? »

J'opinai lentement de la tête, les lèvres pincées. Ça me faisait tout drôle de m'ouvrir à quelqu'un de cette façon. Depuis Yeleen, je n'avais plus vraiment parlé de moi à qui que ce soit. Certes, quelques-unes de mes rencontres connaissaient des brides de ma vie, mais j'étais pratiquement sûre qu'elles seraient incapables de parler de moi si on le leur demandait.

Nous restâmes dans un silence confortable de longues minutes, jugeant inutile de rajouter quoi que ce soit. L'essentiel avait été dit. Nous finîmes par partir nous coucher, lui dans sa tente, moi à l'arrière du quatre-quatre, après s'être souhaité une bonne nuit. Cette fois, je m'endormirais paisiblement. En espérant que mes vieux démons ne reviennent pas me hanter dans mon sommeil.

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Bonjour à tous !

Voilà enfin le 37ème chapitre de "Dunes" ! Je suis réellement désolée pour l'attente, le bac m'a pris tout mon temps. Mais à présent, j'ai tout l'été devant moi pour finir ce roman !

Alors, qu'avez-vous pensé d'Esi dans ce chapitre ? Pensez-vous qu'elle aie pris la bonne décision en quittant Yeleen ?

Et quelles sont vos impressions concernant Abel ? Une possible relation entre lui et Esi... ?

Je vous laisse à vos claviers, la suite arrivera aussi vite que possible ! Gros bisous !