XXVI - Exclue
Mon sommeil avait été bref et hanté de cauchemars plus horribles les uns que les autres, mais je n'eus d'autre choix au réveil que de sortir rapidement de mon état de léthargie pour m'activer. Mes compagnes ne comptaient visiblement pas attendre que je me remette de ma nuit mouvementée. Je me pressai donc pour préparer un petit déjeuner rapide et ranger les tentes.
En une vingtaine de minutes, tout était bouclé et nous étions prêtes à partir. Je pris ma place habituelle, à savoir au milieu de l'unique banquette avant, et laissais les mouvements du véhicule me bercer dans une vaine tentative de rattraper le sommeil que j'avais raté. Bel espoir. Aïcha, qui habituellement ne parlait jamais, prit la parole pour me poser une question.
« _ Pourquoi as-tu pleuré la nuit dernière ? Je t'ai entendue t'agiter pendant des heures. »
Je tournai la tête vers elle, les joues virant au rouge et mes lèvres formant un ''o'' parfait. Je me grattai l'arrière de la nuque pour me donner une contenance, cherchant ce que j'allais bien pouvoir répondre à ce qui me semblait presque être une accusation.
« _ Euh... Le mal du pays, je suppose, inventai-je du tac au tac.
_ Et la vraie raison ? »
Coincée. Quelle que soit la chose que je tenterais de lui faire croire, il me semblait à présent évident qu'elle devinerait le mensonge caché derrière mes belles paroles, malgré le meilleur jeu d'acteur possible que je pourrais adopter. J'optais donc pour la sincérité. Après tout, qu'avais-je à y perdre ? Je ne la reverrais plus jamais, une fois arrivée à destination.
« _ Ma petite amie est plongée dans le coma suite à une blessure grave. Je ne sais pas si elle s'en sortira un jour, expliquai-je.
_ Et pourquoi n'es-tu pas à ses côtés en ce moment même ?
_ C'est mieux ainsi, soupira-je. »
Aïcha se tourna légèrement vers moi, gardant tout de même la route en ligne de mire. Elle me lança un regard autoritaire, que je crus même voir outré, avant qu'elle ne camoufle à nouveau ses émotions comme elle avait l'habitude de le faire.
« _ Tu crois sincèrement qu'abandonner la femme de ta vie alors qu'elle se bat entre la vie et la mort était une bonne idée ? Tu crois vraiment qu'elle n'avait pas besoin de toi dans cette épreuve ? Tu crois que, si elle parvient à se réveiller un jour, elle aura envie de continuer à vivre en remarquant que tu n'es plus là lorsqu'elle ouvrira les yeux ? »
Je restais muette quelques instants, étonnée que mon interlocutrice soit capable d'aligner plus de trois mots en l'espace de quelques minutes. Je pouvais à présent ajouter ''franche'' aux traits de caractère que je lui avais déjà remarqué auparavant. Je ne me départis cependant pas de mon calme et lui répondais, achevant là notre petite conversation.
« _ Elle est forte. Elle s'en sortira, elle n'a pas besoin de moi. Je ne faisais que lui apporter du malheur. Elle sera bien mieux sans moi. »
Était-ce bien la conductrice que je tentais de convaincre avec autant de certitude, ou bien ma propre personne ? Je laissais de côté cette question idiote de mon subconscient. Au moins, ça avait eu le pouvoir de lui clouer le bec, bien qu'elle aie poussé un long soupir indéfinissable afin de reporter son attention sur son volant. Je ne souhaitais pas m'étendre plus sur le sujet Yeleen.
~ ~ ~
Lors de notre repas du midi, je me demandais si Ines avait eu le loisir d'entendre notre conversation de ce matin. Elle semblait être très concentrée dans l'étude de sa pauvre carte délavée, mais était tout à fait le genre de fille qui feignait d'être occupée tandis qu'elle laissait son oreille traîner. Je lui lançai un regard discret.
La petite blonde était beaucoup plus distante qu'à l'accoutumée. Elle ne me parlait que lorsque c'était nécessaire, et me regardait à peine. Elle ne souriait plus, et semblait perdue dans ses pensées. J'hésitais quelques instants avant de prendre l'initiative d'aller lui parler.
« _ Quelque chose ne va pas ? »
Celle à qui je m'adressais de cette voix innocente leva enfin les yeux vers moi. Un éclat d'amertume sembla les traverser, mais ce fut si bref que je crus avoir rêvé. Jusqu'à ce que sa voix s'élève, beaucoup plus grave que ce à quoi je m'étais habituée.
« _ Comment as-tu pu agir de cette façon ? Je ne connais pas les raisons qui t'y ont poussée, et je ne souhaite pas en savoir plus. Mais une chose est sûre, c'est un comportement que les Gazelles ne toléreraient pas. Tu n'as pas ta place parmi nous. Aussi, ce repas est le dernier que tu partageras avec Aïcha et moi-même. Tu n'as plus qu'à vider ton écuelle et partir. »
Je n'avais jamais vu celle que je pensais être ma nouvelle amie dans cet état-là. Aussi, je crus au début à une mauvaise blague. Mais l'obscurité dans laquelle s'étaient plongés ses si doux yeux marrons ne laissaient pas la place au doute.
Je me relevais donc sans aucun commentaire, blessée. Je jetai le reste de mon repas dans le récipient qui m'avait permis de le préparer, me dirigeai vers le quatre-quatre pour récupérer mon sac à l'arrière et me stoppai pour lancer un dernier regard aux deux femmes.
Aucune d'elle ne me porta attention. Elles faisaient déjà comme si je n'existais pas. Dans un soupir, je réajustai donc mon chargement sur ma pauvre épaule, et pris la direction du chemin qui menait à Adrar. J'étais de nouveau seule.
Je ne comprenais pas leur réaction. Elles n'avaient pas à juger les décisions que j'avais pu prendre, et ne connaissaient en aucun cas les raisons qui m'avaient poussée à le faire. Mais visiblement, je n'avais pas mon mot à dire.
Je m'engageai donc sur la route avec lassitude, m'éloignant au fur et à mesure du campement improvisé que je ne reverrais plus jamais. Au bout de quelques minutes, leur véhicule passa devant moi dans un nuage de poussière, sans qu'elles ne m'adressent un seul regard.
Je me stoppai et frappai du pied le sol dans un élan de rage. Je criai un bon coup avant de reprendre ma marche. Je ne pouvais plus faire marche arrière. Je devais avancer, quoi qu'il se passe. Et je me promis de ne plus jamais offrir ma confiance à qui que ce soit.
Si c'était pour être rangée dans une case sans même avoir eu le temps de me défendre, à quoi bon m'ouvrir aux gens ? Les autres étaient des hypocrites, dont seul leur propre petit monde les intéressait. À présent, je ne serais plus jamais la même petite fille innocente pensant pouvoir se raccrocher au premier venu.
Une nouvelle Esi voyait le jour.
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