XVII - Adieu
Les sons que produisait le petit village qui commençait doucement à s'activer sous les premiers rayons du soleil m'éveillèrent. Les ballots de paille laissaient filtrer un peu de lumière dans la grange que nous habitions. Ma vue s'adaptait au fur et à mesure à la luminosité, me permettant d'observer la jeune fille étendue endormie à mes côtés.
Ses vêtements, tout comme les miens, l'avaient quittée depuis bien longtemps et jonchaient le sol ici et là. Elle était magnifique. Les minces traits de lumière qui se posaient sur elle mettaient en valeur ses courbes gracieuses. Son visage rêveur me faisait tourner la tête, ses longs cheveux châtains s'étalant tout autour de son crâne lui formant une crinière soyeuse.
Ses paupières finirent par trembler, et je détournai rapidement le regard, n'ayant pas envie d'être prise sur le fait. Je n'aimais pas exposer mes sentiments au grand jour. Je gardais tout pour moi. Il était trop dangereux de mettre son cœur à nu ainsi. Aussi, ma carapace se reforma bien rapidement, et je retrouvai ma sécheresse et mon indifférence habituelles.
« _ Salut, princesse, me lança doucement une voix que je connaissais bien à présent. »
Je daignai enfin la regarder, et plongeai immédiatement dans l'intensité de son regard pétillant. Comment lui résister ? Je me mordis la lèvre, avant d'essayer de répondre le plus froidement possible.
« _ Bonjour. Bien dormi ? »
Yeleen ne sembla pas étonnée par mon ton glacial mais tremblotant. Elle commençait à s'habituer à mon comportement lunatique. C'est donc sans changer d'humeur qu'elle enchaîna :
« _ Parfaitement bien, et toi ? Tu sais, ça ne sert à rien de faire ton insensible avec moi. Tes paroles sonnent beaucoup trop faux. »
Touchée. Je soupirai, vaincue. Cette fille me comprenait vraiment trop bien, c'en devenait à la fois terrifiant et insupportable. Je me penchai pour déposer un chaste baiser sur ses jolies lèvres.
« _ Ok, tu m'as eue. Mais ne crie pas victoire trop tôt, marmonnai-je. »
Un rire cristallin sortit de sa bouche tandis que je tentais vainement d'afficher une moue boudeuse, les bras croisés sur ma poitrine dans une position tout à fait crédible. Désireuse de changer de sujet, je proposai :
« _ Bon, on va manger un peu ? Il faut que je parle à ma grand-mère aujourd'hui. »
Elle se calma finalement et acquiesça, le visage plus grave cette fois. Elle savait que ce que je comptais annoncer à ma grand-mère n'avait rien d'agréable pour moi. Mais je n'avais pas vraiment d'autre choix. Mon voyage était loin d'être terminé. Nous nous levâmes donc pour nous rhabiller, un peu gênées toutefois, et sortîmes du bâtiment pour nous nourrir.
~ ~ ~
« _ Grand-mère ? »
Je m'approchais lentement de la vieille femme, assise dos à moi dans un fauteuil en osier abîmé par le temps. Il avait sûrement servi à de nombreuses autres personnes avant elle. Peut-être était-il dans ma famille depuis des années, sans que je n'en sache rien. Il était troublant de penser ainsi.
« _ Je sais, Esi. Je ne te retiendrai pas, ne t'en fais pas, prononça-t-elle calmement. »
Je me stoppai, surprise. Qu'avaient-ils donc tous à lire dans mes pensées de cette façon ? C'en devenait vraiment agaçant, je n'avais presque plus besoin de dire quoi que ce soit. Un léger rire me sortit de mon débat interne, pourtant très intéressant à mes yeux.
« _ Ne sois pas si étonnée. Il est évident que ton voyage est loin d'être terminé, tu dois retourner sur les traces de ta mère, et je le comprends parfaitement. »
Là, ma bouche faillit atteindre le sol poussiéreux. C'était la toute première personne qui osait énoncer à haute voix et avec autant d'assurance la raison de mon départ de Bamako.
« _ Comment as-tu... ? commençai-je.
_ Tu as découvert le passé de ton père. Maintenant, c'est au tour de celle qui t'a donné la vie. Cela me semble logique, me coupa-t-elle. »
La vieille touareg marquait un point. Je ne trouvais rien à ajouter, et me contentai de hocher la tête, consciente qu'elle devinerait mon geste bien qu'elle ne puisse pas me voir. Dans un dernier soupir, je la saluai et la remerciai pour tout ce qu'elle avait fait pour moi, avant de m'éloigner. Je retrouvai Yeleen devant la bâtisse et lui lançai un signe de tête, marquant notre départ. Elle obtempéra sans un mot ni aucune question, et je lui en fus reconnaissante.
L'histoire que l'on m'avait contée à propos de la mort de ma mère ne m'avait jamais réellement convaincue. Je savais qu'étant européenne, elle était plutôt bien protégée face aux maladies qui frappaient notre pays. Il était donc peu probable qu'un virus aie eu raison d'elle, c'est bien pour cela qu'elle ne craignait pas d'être atteinte elle aussi en soignant les gens du quartier.
C'était donc une toute autre chose, ou une autre personne, qui l'avait tuée. Pourquoi ? Comment ? C'était ce que je comptais découvrir en effectuant ce voyage. Et il me fallait commencer aux racines de cette histoire afin d'en découvrir le funeste dénouement. Qui pouvait en vouloir à ma mère au point de mettre fin à sa vie ? Était-ce la raison de son installation au Mali ?
Telles étaient les questions qui agitaient mon esprit tandis qu'avec Yeleen, nous rassemblions nos affaires sur le dos de notre chameau et dans la charrette qu'il tirait à présent derrière lui. L'œil attentif de ma grand-mère nous observait au coin d'une fenêtre. Je devinais qu'elle aimait aussi peu les adieux que ma personne.
« _ On est prêtes ! me lança ma compagne, me sortant de ma rêverie. Tu ne vas pas saluer ta grand-mère ?
_ C'est déjà fait, mentis-je à moitié.
_ Très bien, abdiqua-t-elle. Alors, c'est parti ! »
Nous nous lançâmes donc de nouveau à l'assaut du Sahara, revigorées par ces quelques jours passées enfin à un même endroit. Mon viol était déjà bien loin derrière moi, la rencontre que j'avais faite ici ayant pris toute la place dans mon esprit. Une page s'était tournée, et nous commencions à écrire la prochaine.
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