XV - Famille
Yeleen avait décidé que nous resterions quelques temps dans ce petit village, afin que je me remette tranquillement de ma convalescence avant de repartir. Une vieille femme touareg très aimable avait accepté de nous prêter sa petite grange pour que nous y restions, nous pouvions donc dormir sur nos deux oreilles.
Il n'avait pas été si aisé qu'il y paraît de convaincre notre hôte de nous laisser rester, mais lorsqu'elle avait appris que mon père était touareg lui aussi, elle avait immédiatement accepté en échange de quelques services que lui rendrait mon amie. Avec son âge avancé, un peu d'aide n'était pas de refus.
Yeleen s'était donc absentée afin d'effectuer l'une des tâches que lui avait confié la vieille femme, et je restais seule dans mon lit de paille, ayant encore quelques difficultés à me mouvoir. De toutes façons, ma sauveuse m'avait bien fait promettre de ne pas bouger de ma place. J'obéissais donc sagement, consciente du bon sens de cette obligation.
Alors que j'étais en train de m'assoupir en m'amusant à compter le nombre de brins de paille qui s'étayaient sous mon fessier, notre hôte me fit la surprise de me rendre visite. Je reportais donc mon attention sur elle, étonnée qu'elle vienne me voir, ce qu'elle n'avait jamais fait au cours des quelques jours que j'avais déjà passé enfermée dans cette grange.
La vieille touareg vint prendre place à mes côtés, son odeur si particulière et pourtant agréable venant chatouiller mes narines. Je lui souris doucement, tout de même intriguée par la raison de sa venue. Les réponses à mes questions silencieuses ne tardèrent cependant pas à venir.
« _ Comment s'appelle ton père ? m'interrogea-t-elle.
_ Amestan, répondis-je calmement.
_ Le protecteur, n'est-ce pas ?
_ C'est cela.
_ Savais-tu d'où il était originaire ?
_ Il avait rencontré ma mère au nord du Mali, il était guide touristique.
_ Où est-il, à présent ?
_ Il vit à Bamako avec mes frères et sœurs.
_ A quoi ressemblait-il ? me demanda-t-elle, soudain intéressée. »
Lorsque je lui fis la description physique de mon géniteur, j'eus le loisir d'observer son visage blêmir au fur et à mesure de mon avancée. Une fois ma prise de parole terminée, je la fixais, intriguée. Son regard s'était perdu dans le vague, elle mordillait ses lèvres et se triturait les mains. Au bout de quelques minutes passées ainsi, je décidai d'essayer de la faire réagir :
« _ Madame... ? Qu'y a-t-il... ?
_ ... Ma petite-fille, souffla-t-elle doucement en tournant les yeux vers moi. »
Ce fut à mon tour de rester bloquée sur les paroles qu'elle venait de prononcer. Les informations se rassemblaient dans mon cerveau, se liaient progressivement pour n'en former qu'une : j'avais devant moi la mère de mon père, c'est à dire ma grand-mère paternelle. Je restais bouche bée face à cette soudaine réalisation, avant de prononcer lentement :
« _ ... Grand-mère ? »
~ ~ ~
« _ J'ai fini, Madame ! lança Yeleen en pénétrant dans la petite baraque. »
Elle se stoppa net en m'apercevant, attablée aux côtés de notre hôte, tenant entre mes mains une tasse de thé fumante. Elle pencha la tête d'incompréhension, dans une mimique tout à fait adorable. Ses fins sourcils étaient froncés, et elle avançait légèrement ses lèvres en avant de façon comique.
« _ Viens t'asseoir avec nous, Yeleen, l'invita chaleureusement ma grand-mère. »
Cette dernière hésita quelques instants, toujours dubitative, avant d'obtempérer. Elle se saisit de la chaise faisant face à la mienne, et se laissa tomber dessus, les coudes posés sur la table. Une fois la surprise passée, elle attendait des réponses à cette situation pour le moins surprenante. Il fallait dire que la vieille femme ne nous avait jamais invitées à pénétrer dans sa bâtisse, alors, pourquoi le faire aujourd'hui ?
« _ Yeleen, je te présente ma grand-mère, ne pus-je m'empêcher de lancer joyeusement. »
Mon amie me fixa avec des yeux incrédules, totalement abasourdie. Je faillis tendre la main pour empêcher sa mâchoire de rencontrer le bois de la table, mais me retins, tant la situation était drôle à voir. Ma grand-mère elle-même ne pouvait empêcher un petit sourire de naître à la commissure de ses lèvres.
« _ Que... Quoi... Tu... Vous... Hein ?! finit-elle par lâcher. »
Cette fois, j'explosai littéralement de rire devant son expression tellement mignonne, tandis que la mère de mon père entreprit calmement de lui résumer la situation. Le visage de Yeleen reprit finalement une forme à peu près normale, tandis que je tentais de calmer les secousses qui occupaient mon corps. Je riais tellement que c'en devenait presque douloureux.
« _ Mais c'est génial ! s'écria-t-elle finalement à notre grand étonnement. Je suis vraiment heureuse pour vous, sourit-elle chaleureusement. »
Grand-mère la remercia avec amusement, tandis que je lui lançai un petit regard pétillant, luttant encore avec mon envie de rire.
« _ Que diriez-vous de dîner avec moi ce soir ? proposa le nouveau membre de ma famille. »
Nous acceptâmes sans hésitation et avec grand joie, puis partîmes quelques temps à la grange nous préparer rapidement pour la soirée (le temps allait fortement se rafraîchir, et il fallait nourrir notre chameau, tout de même).
Pour la première fois depuis longtemps, j'étais heureuse. J'avais un toit sous lequel dormir. J'avais une amie précieuse à mes côtés. J'avais rencontré un nouveau membre de ma famille. J'avais rencontré quelqu'un qui connaissait mon passé et pourrait m'en parler. J'étais entourée de personnes qui ne me voulaient que du bien. Ces personnes existaient encore, et cela faisait un bien fou de le savoir.
Je souriais à nouveau.
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