VI - Un ange
L'eau serpentait entre mes orteils, revigorant tout mon être resté si longtemps exposé au dur soleil du désert. Son bruit régulier apaisait mon esprit, tandis que je tâchais d'assimiler le grand nombre d'informations que j'avais apprises peu de temps auparavant.
Nous avions cheminé quelques heures encore avant d'atteindre ce fleuve. Nous étions à mi-chemin entre Tombouctou et Agadez. Ces longues minutes de balade m'avaient permis de poser la plupart des questions qui se bousculaient dans ma tête. Yeleen y avait répondu patiemment, compréhensive.
« _ Qui es-tu ? avais-je tout d'abord demandé bêtement, bouche bée. Et comment connais-tu mon nom ?
_ Je suis Yeleen, je viens de te le dire, railla-t-elle. Je t'ai suivie depuis ton départ de Tombouctou. Je sais ce que t'as fait cet homme, et je l'ai vu rejoindre le convoi qui t'avait embauchée. Je n'ai pas voulu te laisser seule face à lui, mais au final, tu t'es plutôt bien débrouillée.
_ Mais, pourquoi m'avoir suivie ?
_ Question suivante, je t'en prie, rougit-elle.
_ Qui nous a attaqués ?
_ Des ennemis du Soudan. Ils voulaient empêcher les armes que vous transportiez d'arriver à bon port.
_ ... Quelles armes ?
_ Tu n'étais donc pas au courant ? Votre cargaison allait servir à fournir les soldats du Soudan.
_ Je n'en savais rien, avouai-je.
_ Comment as-tu pu me suivre sans te faire repérer par l'équipage ?
_ Les dunes sont mes meilleures alliées.
_ Pourquoi les hommes du village ne t'ont pas repérée ?
_ Ils sont très nombreux et tous habillés de la même façon. C'était un jeu d'enfant de les leurrer.
_ Que comptaient-ils faire de moi ?
_ Demander une rançon contre ta capture, puisque tu ressembles à une européenne. Te poser quelques questions aussi. Mais essentiellement prendre leur pied, assena-t-elle sans me ménager. »
Je n'avais alors rien trouvé d'autre à lui répondre qu'un petit « Merci ». J'avais passé le reste du trajet à l'observer. Ses cheveux me semblaient ne jamais avoir été coupés. Ils étaient magnifiques. Son visage fin était parfaitement proportionné, et bien que ses yeux soient relativement sombres, ils l'éclairaient d'une façon magnifique. Ses lèvres roses et pulpeuses sans l'être dans l'excès appelaient au baiser. Aucun doute, Yeleen était d'une beauté naturelle à en couper le souffle. J'avais d'ailleurs moi-même du mal à rester de marbre face à elle.
J'étais donc en train de laisser tremper mes pieds dans l'eau avec délice lorsque ma compagne prit place à mes côtés. Je ne pus empêcher mon cœur de faire un bon lorsque son odeur parvint jusqu'à mes narines. Délicieuse. C'était le mot. Je tâchais de garder un visage impassible en fixant obstinément la surface du fleuve.
« _ Et maintenant ?
_ Hein ? Quoi ? m'exclamai-je un peu trop brusquement, tirée de ma rêverie.
_ Et maintenant, que comptes-tu faire ? réitéra-t-elle.
_ Oh. Eh bien, continuer mon voyage, répondis-je sans plus de précisions.
_ Où te rends-tu ?
_ Au Nord, lançai-je évasive.
_ Très bien. Je t'accompagnerai. »
Mon cœur rata un battement. Avais-je bien entendu ? Sans plus me poser de questions, Yeleen avait décidé de m'accompagner. Mon cerveau hésitait actuellement entre se réjouir et se poser d'énièmes questions existentielles. Je me fis violence pour ne rien ajouter, et hochai la tête. La discussion était close.
~ ~ ~
Je me tournais et me retournais dans mon sommeil. J'étais trempée de sueur. Les sourcils froncés, je gémissais tristement. Les images que m'imposait mon subconscient me troublaient au plus haut point. Je retournais sans cesse dans cette ruelle sombre de Tombouctou. Les odeurs et les sensations étaient les mêmes. Mon cauchemar était loin d'être terminé.
Quelqu'un s'évertuait à me secouer dans tous les sens. Ce n'est que lorsqu'une gifle claqua sur ma joue que mon esprit se décida enfin à me laisser me réveiller. J'ouvrais les yeux sur une Yeleen à l'air inquiète et énervée en même temps. Je lui adressai un air contrit.
« _ Tu y penses encore, n'est-ce pas ? m'interrogea-t-elle doucement. »
Je ne daignai pas répondre. Je haïssais le fait d'afficher mes faiblesses au grand jour. Je me contentais donc de marmonner, avant de me retourner pour tenter de me rendormir. Un soupir fit écho à mon geste. Je l'entendis finalement se rallonger et une respiration régulière vint bientôt combler le silence de la nuit. Pour ma part, je n'arrivais plus à dormir.
Je me levai donc discrètement, rejoignant le bord du fleuve. Je m'asseyais sur la berge, laissant tremper mes jambes dans l'eau malgré le froid glacial de la nuit désertique. Mes pensées tournaient à plein régime. Ma décision était prise. Je retournai à notre petit campement, rassemblai mes affaires et m'éloignai sans bruit. Je partirais seule.
Je levai la tête afin de regarder les étoiles pour savoir quelle direction prendre, et partais vers le Nord. Si les dunes étaient les meilleures amies de Yeleen, la solitude était ma propre alliée.
~ ~ ~
→ Point de vue de Yeleen.
Il était tellement aisé de mimer une respiration de personne endormie. J'avais suivi tranquillement le petit manège d'Esi. Je me doutais qu'elle réagirait de cette façon, peut-être pas aussi tôt, mais il était évident qu'elle était une personne de nature plutôt solitaire. Cependant, je ne la laisserai pas partir seule ainsi et s'exposer à tous les dangers du désert.
Je savais quelle direction elle allait prendre. Elle me l'avait dit elle-même, et ne s'en était certainement pas rappelée lors de son départ. Seule et à pieds, elle n'irait pas bien loin. Je la rattraperai le lendemain. On ne m'échappait pas aussi facilement.
Cette fille m'avait fascinée dès le premier jour. Comment pouvait-elle se montrer si insensible, si déterminée, si courageuse et téméraire... ? De plus, son physique était bien loin d'être repoussant. Des cheveux bruns coupés au-dessus des épaules, ondulant légèrement. Des yeux mélangeant différentes teintes de vert et de brun. Une bouche fine souriant rarement. Esi me fascinait. Et je ne comptais pas la lâcher de si tôt.
→ Fin du point de vue de Yeleen.
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--> En média : Yeleen
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