IX - Cicatrices
Lorsque Yeleen se fut calmée, elle ne chercha pas pour autant à se défaire de mon emprise, et, au contraire, posa doucement sa tête sur mes genoux. Sans vraiment réfléchir à ce que je faisais, je lui caressais machinalement les cheveux tout en rassemblant mon courage afin de commencer à lui raconter ma propre histoire.
« _ Ma mère était française et mon père était touareg, commençai-je. Elle était venue visiter le Mali et était tombée amoureuse de lui en le rencontrant lors d'une balade dans le désert. C'était le coup de foudre. Elle a insisté pour qu'ils s'installent à Bamako, et c'est là que je suis née. J'ai eu plusieurs petits frères et sœurs, après ça. Le taux de natalité est assez élevé dans ce pays,tu sais. »
Je marquais une légère pause, le plus dur restait à venir, et j'en tremblais d'avance rien que d'y penser. Je pris une grande inspiration avant de me lancer.
« On a vécu heureux quelques années, avant que tout ne s'effondre. Ma mère ne pouvait pas résister au fait de venir en aide à ceux qui en avaient besoin, alors qu'elle n'avait pas grand chose elle-même. Aussi, quand certaines personnes de notre quartier tombèrent gravement malades, elle s'est précipitée à leur chevet. Malheureusement, c'était contagieux. Elle est morte au bout de plusieurs semaines de souffrance, achevai-je les larmes aux yeux. »
Cette fois, ce fut au tour de Yeleen de m'enlacer fermement, protectrice. Je pouvais deviner ce qu'elle pensait sans même croiser son regard. Mon récit l'avait beaucoup touchée. Son cœur s'était serré, et sa poitrine avait explosé d'une affection sans pareille à mon égard en apprenant ce que j'avais subi.
Mais je ne voulais pas de sa pitié. J'étais forte, je m'étais relevée seule de ces événements, et je continuerai à tenir ainsi debout. Seule. Je n'avais besoin de personne. Aussi, je ravalai rapidement mes sanglots et me dégageai assez violemment de son étreinte. C'était méchant de ma part, mais je devais me protéger.
« _ Aller, on doit dormir un peu. Bonne nuit, lâchai-je. »
Elle leva ses magnifiques yeux vers mon visage, sans dire un mot. Elle me laissa lui tourner brusquement le dos pour m'allonger sans rien dire, et se laissa tomber au sol à son tour dans un énième soupir face à mon comportement. Nous nous endormîmes ainsi, moi, perdue quant à la façon dont je devais réagir, et elle, remplie de doutes par rapport à ma personne.
~ ~ ~
Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n'avais jamais aussi bien dormi. Il en était de même pour ma compagne de voyage, du moins, c'est ce qu'il me semblait. La tempête s'était calmée avec le lever du soleil et une calme journée s'annonçait. Nous allions pouvoir continuer notre chemin. Mais auparavant, Yeleen avait proposé d'explorer un peu ce qui avait été notre refuge pour la nuit.
Nous sortîmes donc de la petite grange pour nous diriger vers la minuscule bâtisse qui lui était accolée. Tout était fait d'une pierre beige/brune typique des habitations du désert. Les ouvertures servant de fenêtres n'étaient évidemment pas pourvues de carreaux, c'est une grande porte en bois terni qui nous avait protégées cette nuit-là.
Nous pénétrâmes dans la maisonnette. Il n'y restait pas grand chose, mis à part quelques constructions en bois servant de table, chaises ou lits. De vieilles tentures crasseuses s'étaient retrouvées étalées sur le sol, elles décoraient certainement les murs ternes, à l'origine. L'ensemble respirait la pauvreté caractéristique d'une grande partie des pays subsahariens.
Un bruit métallique strident nous fit soudain sursauter toutes les deux, comme un objet de vaisselle jeté violemment au sol. Nous nous retournâmes vivement pour en découvrir la source, paniquées. Le bruit venait de la petite pièce adjacente à la salle de vie, séparée de nous par un rideau troué de toutes parts. Nous nous avançâmes prudemment, tremblantes.
Ce fut Yeleen qui eut le courage de soulever le pan de toile d'un geste sec, comme d'habitude. Au passage, je l'admirais vraiment. Je l'entendis éclater d'un rire cristallin qui me ramena à la réalité. Devant nous se tenait un chat à l'air assez jeune, quatre ans tout au plus. Il nous dévisageait, figé sur place et l'air aussi étonné que nous. Un plat en métal gisait effectivement non-loin, vide. Il était certainement à la recherche de nourriture.
L'animal détala aussi vite qu'il s'était fait repérer, sans demander son reste. Nous mîmes encore quelques minutes à calmer notre rire avant de nous décider à finalement repartir, une fois avoir récupéré quelques écuelles et cuillères qui pourraient nous être utiles. Nous avions hissé les tentures dans le meilleur état sur le dos du chameau, pour nous couvrir lorsque la nuit tombait.
Cette découverte féline nous avait légèrement détendues, l'ambiance pesante régnant depuis la veille s'était légèrement effacée. Mais un voile obscurcissait encore nos visages, et de nombreuses questions restaient en suspend. Ni l'une ni l'autre ne comptait cependant relancer le sujet pour le moment, nous en avions bien assez dit en si peu de temps.
C'était comme si nous étions nues, l'une en face de l'autre, sans l'avoir véritablement voulu.
~ ~ ~
→ Point de vue de Yeleen.
Les questions se bousculaient dans mon esprit. Avais-je fait le bon choix, en révélant tout cela à Esi ? Aurais-je dû la laisser s'en aller loin de moi, et ce, dès le début ? Méritait-elle la confiance aveugle que je lui accordais ? Allait-elle m'abandonner, elle aussi... ?
J'avais tellement peur de la perdre, bien que je ne la connaisse que depuis peu de temps, que je m'étais enfermée dans un mutisme terrifié, dans l'attente du moindre geste de sa part me montrant qu'elle ne comptait pas me lâcher elle non-plus. Mais pour le moment, c'était plutôt le contraire. Elle était devenue tellement froide et distante, depuis nos révélations de la veille...
Mais je comptais bien découvrir les raisons de son comportement. Pourquoi accepter de me dire autant de choses, pour m'éloigner d'elle ensuite ? Ce n'était pas logique. Avait-elle peur de quelque chose ? Ou bien m'avait-elle menti, pour que ma vision d'elle ne change pas, ou je ne sais quoi ? Cette fille était vraiment mystérieuse, mais je la percerais à jour.
→ Fin du point de vue de Yeleen.
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