I - Tombouctou
Le soleil pointait ses premiers rayons lorsque je levai la tête en sortant du baraquement qui me servait de foyer. Je réajustai mon vieux sac à dos sur mon épaule droite, tout en commençant à marcher d'un pas déterminé dans les ruelles terreuses de la ville. C'est en me remémorant la discussion de la veille que je pris la direction de la route principale.
« _ Papa, je dois te parler, avais-je débuté en m'avançant doucement vers lui.
_ Qu'est-ce qu'il y a, Esi ? m'interrogea-t-il, étonné du ton que j'avais employé.
_ Je vais partir. Prends soin des petits, je t'en prie, assenai-je sans plus d'explications. »
J'avais pu lire dans son regard qu'il avait compris, et ce avant même qu'il n'ouvre la bouche. Il ne chercha pas à me retenir, bien au contraire. Il savait que ce moment viendrait. Alors, il me fit simplement, d'un ton calme et sûr de lui :
« _ Très bien. Sois prudente, ma fille. Je m'occuperai de tes frères et sœurs. »
Et je rentrai dans le pauvre tas de tôle qui nous servait d'habitation, afin de rassembler le peu d'affaires que je possédais avant mon départ. Je n'avais pas fait mes adieux aux enfants, ils auraient tenté de me retenir et m'auraient posé trop de questions. Il ne savaient presque rien encore, ils étaient bien trop jeunes lorsque c'est arrivé. Je partis donc au lever du soleil, tandis que leurs petits yeux pâles étaient encore fermés sur des rêves emplis de contrées lointaines.
~ ~ ~
J'avais déjà mis plusieurs jours à rejoindre Tombouctou, une étape cruciale de mon voyage. Tous les départs vers le vaste désert du Sahara passaient par cette ville. C'était donc en suivant le fleuve partant de ma ville natale, Bamako, que je m'étais rendue à destination. Je me lavais dans le courant en plein jour, sachant que je n'aurais que très rarement ce luxe une fois ma traversée commencée. Il faisait beaucoup trop froid la nuit pour risquer de se baigner.
Je passais donc mes heures sombres à voler dans les rares fermes que je trouvais sur mon passage, afin de me vêtir et de me nourrir un minimum convenablement. Ma famille était très pauvre, je n'avais pas emporté grand chose avec moi, ayant préféré leur laisser de quoi subsister. Je n'étais pas très fière de ces actes, mais je savais pertinemment que je n'avais pas d'autre choix.
C'est donc au bout de plusieurs jours laborieux que je parvins enfin à rejoindre la civilisation. En pénétrant dans la ville, je m'attelais tout d'abord à la tâche de vendre quelques objets que j'avais fabriqués ou volés durant mon voyage. Tout était bon pour récolter un peu d'argent avant de me lancer.
Puis, je tentai tant bien que mal de dégotter ce qui me serait nécessaire. Il me fallut encore voler la plupart de ce que j'emporterais dans mon sac décrépi. Après toutes ces emplettes et un repas plus que sommaire, je dus me rendre à l'évidence : je ne partirais que le lendemain, la nuit commençait déjà à tomber. Si je voulais tenter ma chance dans un convoi, il me faudrait attendre le petit matin. Je me laissai donc tomber lourdement dans un recoin sombre d'une petite ruelle et sombrai rapidement dans le sommeil.
~ ~ ~
Quelque chose effleura mes cheveux, puis ma joue. Ma hanche et ma cuisse droite commencèrent à me démanger. Je remuai vaguement dans un demi-sommeil, tentant d'échapper à ces sensations dérangeantes et de me rendormir. Mais les frottements persistèrent, je sentis quelque chose passer sur mes lèvres, se balader sur ma poitrine, allant jusqu'à mon entrecuisses.
Cela acheva de me réveiller. J'ouvris les yeux dans un sursaut de lucidité, parfaitement éveillée cette fois. Il me fallut encore quelques secondes pour comprendre ce qu'il m'arrivait. J'étais tétanisée. Une horrible odeur d'alcool, mélangée à celle du sable et des excréments me monta aux narines. Les fourmillements incessants inondaient mon corps.
Une silhouette imposante se dessina dans mon angle de vision. Un homme, vêtu d'un vieux jean et de baskets bon marché, un pull troué lui couvrant tant bien que mal le haut du corps, était agenouillé auprès de mon corps frêle. « Répugnant », fut la première idée qui me vint à l'esprit. Il devait avoir plus du double de mon âge, la quarantaine tout au plus. Il tirait de temps en temps une latte sur sa cigarette cabossée, n'arrêtant cependant jamais ses caresses.
« Bon sang, Esi, réveille-toi, fais quelque chose ! » me hélai-je moi-même. Si je ne réagissais pas, j'allais certainement passer un très mauvais quart d'heure. Mais j'étais bien incapable d'effectuer le moindre mouvement. Et je n'avais aucun doute sur le fait qu'il n'hésiterait pas à m'écraser sa cigarette entre les deux yeux si je tentais quelque chose.
Je restais donc là, allongée en chien de fusil à même le sol, tremblante d'appréhension quant à ce qui allait m'arriver. « Ferme les yeux, pense à autre chose, ça va passer, ne t'en fais pas. » ne cessai-je de me dire. Cet inconnu me ferait la peau si je bougeais, et j'étais bien incapable de me défendre actuellement. On ne m'avait jamais rien appris de telle sorte, et je savais combien certains hommes de ce pays pouvaient être violents.
Sa main devint plus entreprenante entre mes jambes. Je fermai les yeux, serrai les dents. « Courage, Esi. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. »
Puis ce fut le cauchemar.
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Média : Tombouctou
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