Prunelle grandit et appris à parler, mais elle ne croyait toujours pas aux animaux. Son adulte lui disait toujours qu'ils étaient en train de devenir rares et que c'était une chose triste. Elle avait du mal à se sentir triste, car elle ne croyait pas que les animaux géants puissent vraiment exister. Quant à ses doudous en peluche, ils n'étaient absolument pas rares vu qu'elle en avait chaque jour un nouveau et commençait même à manquer de place pour tous les accueillir dans son lit.

Plus son adulte parlait des animaux, et plus Prunelle se disait qu'elle détenait une vérité qu'il n'avait pas. Maintenant qu'elle savait parler, elle tentait de lui expliquer que c'était le Lutin Lionel qui inventait et cousait les animaux, mais l'adulte ne voulait pas y croire : « Je t'assure, Prunelle, les animaux existent ! Le Lutin Lionel reproduit des êtres vivants qui existaient vraiment ; même si peut-être plus pour longtemps.

– Je ne vois pas pourquoi ils devraient exister. Le Lutin peut très bien inventer. On peut inventer quelque chose qui n'existe pas. Tu n'arrives pas à croire qu'on puisse inventer ?

– Je sais très bien qu'on peut inventer, mais ça ne veut pas dire que tout ce qu'on ne voit pas est inventé.

– Je suis petite mais je ne suis pas bête. Je ne crois pas que tout ce que je ne vois pas est inventé. Par exemple, le Lutin Lionel, je ne le vois pas et je pense qu'il est réel.

– Ca, c'est très intéressant, Prunelle. Pourquoi crois-tu que le Lutin Lionel existe, mais pas les animaux ?

– Parce que ça me semble logique. Il faut bien que ces doudous viennent de quelque part. Mais ils peuvent très bien venir de l'imagination du Lutin. C'est une explication suffisante ; pas la peine d'aller inventer tout un monde incroyable d'êtres fabuleux. »

Prunelle était sûre d'elle et fière de la façon dont elle était maintenant capable d'argumenter, mais son adulte continuait de la taquiner : « D'après toi, le lutin aurait le droit d'inventer tout ça, mais pas moi ?

– Donc, tu avoues que tu inventes ?

– Bien sûr que non ! Prunelle, voyons ! Jamais je ne te mentirais !

– Je ne crois pas que tu me mentes, mais je pense que tu te trompes.

– Et si je te disais que j'ai déjà vu des animaux ?

– Tu pourrais quand même te tromper ; confondre avec un rêve, ou avoir déformé tes souvenirs. »

A ce stade, Prunelle semblait avoir gagné, car son adulte choisit de changer d'angle pour retourner la conversation à son avantage :

« – Pourquoi tiens-tu donc tant à ce que les animaux n'existent pas, Prunelle ? Est-ce pour ne pas avoir à pleurer leur disparition ?

– Tu dis n'importe quoi ! Je voudrais bien que les animaux existent ! J'adorerais ! Je ne crois juste pas que ce soit la vérité. Ça me semble trop incroyable.

– C'est peut-être ça le plus triste au final ; que ça te semble tellement incroyable. Mais, vraiment, je ne vois pas pourquoi je mentirais.

– Je pense que tu te trompes. Ça doit être car tu n'arrives pas à t'imaginer un Lutin Lionel avec autant de créativité ; je ne vois pas d'autre explication.

– Mais ton explication n'a pas de sens. Si tu as raison, j'ai moi-même beaucoup de créativité, car j'ai décidé que le castanémone construit des barrages et que le chiat aime jouer à attraper des pelotes de laine qu'on lui jette. Dans ton raisonnement, j'ai beaucoup plus d'imagination que le Lutin Lionel, qui ne fait qu'inventer la forme physique de ces doudous. »

Prunelle dut bien céder, et elle finit par lui répondre : « Tu as raison, mon explication n'a pas de sens. Mais il doit y avoir une explication qui a du sens, et je finirais par la trouver. »

Pourtant, c'était tellement ridicule, cet adulte qui s'obstinait dans son erreur ! Il y avait quelque chose qui clochait dans cette histoire, et ça perturbait beaucoup Prunelle. Elle n'arrivait pas à comprendre ; alors qu'elle avait très envie de comprendre. Pourtant, pas un instant elle ne doutait que se puisse être elle qui avait tort. Et, quand on a envie de comprendre quelque chose, c'est une erreur à ne pas faire. Si on veut vraiment découvrir la vérité, il faut être prêt à se poser toutes les question, prêt à envisager toutes les possibilités, et surtout à imaginer qu'on puisse s'être trompé.