20 - Lilium Lancifolium
— Tu es sûr, hyung ?
— Certain.
Jungkook se regarda encore devant le miroir, avant de passer une main nerveuse dans ses cheveux. Il portait un costume rouge sombre et des mocassins noirs. Je ne sais pas si je l'avais déjà vu plus beau que ce soir-là.
Nous étions prêts à dire au revoir à nos années de lycée. Le diplôme en poche, mon meilleur ami n'avait pas menti puisque nous avions tous les deux postulé dans une université de Séoul dans des cursus différents, mais incapables de nous séparer et d'envisager que nos chemins prennent des embranchements divergents.
Nous nous rendîmes ensemble au bal de fin d'année. Aucun de nous n'avait de cavalière, mais Jungkook ne sembla pas s'en formaliser. Pour moi, c'était plus qu'évident, aucune fille ne m'avait jamais invité ou ne s'était intéressée à moi depuis ma venue sur terre. En revanche, Jungkook avait refusé bon nombre de prétendantes, car il m'avait assuré vouloir « passer ce dernier moment avec son meilleur ami de tous les temps ». J'avais été touché, mais aussi embarrassé qu'il ne profite pas pleinement de cet évènement unique.
Je portai un pantalon de smoking noir, des mocassins vernis et une chemise à jabots vieux rose, ainsi que mon collier de perles. Jungkook m'avait convaincu de le porter ce soir. Il m'avait promis que si quelqu'un faisait une réflexion, il « s'en occuperait », et j'avais eu envie de me laisser tenter par l'insouciance de le croire.
J'étais un garçon, mais mes traits étaient féminins, comme si mon corps commençait à comprendre qu'il ne servait à rien de m'imposer des choix que je ne désirais pas. Mes mains étaient aussi fines que celles des filles de notre promo, ma taille plus encore que la reine du bal, et mes jambes, immenses et menues dans ce pantalon qui m'allait comme un gant.
Pour la première fois depuis longtemps, je me trouvai beau. Je ne savais pas si j'en avais le droit, mais je me vis sourire à mon reflet dans la vitre de la limousine que Jungkook avait réservée pour l'occasion.
— Je sais que ça ne se fait pas vraiment dans ce contexte... mais j'en avais envie.
La limousine nous conduisait jusqu'à la salle réservée par le lycée pour nous offrir la plus mémorable des soirées avant notre entrée à la fac. Mon cœur battait à toute allure.
— J'avais envie que tu puisses vivre ce moment comme il se doit.
Jungkook baissa les yeux et déglutit.
— Tu as beaucoup souffert ces dernières années. Alors tu le mérites. Ne dis rien, d'accord ?
Je le regardai avec de grands yeux brillants, lorsqu'il me présenta une fleur sur un bracelet élastique qu'il passa autour de mon poignet. Il s'agissait d'un lys orangé tigré, un lilium lancifolium.
Je n'avais jamais été aussi heureux que ce soir-là. Mon cœur menaçait d'exploser de joie. Je lui souris en retour, et il prit ma main dans la sienne durant le reste du trajet. Jungkook savait que cette soirée comptait pour moi. C'était comme s'il savait depuis tout ce temps que je rêvais d'être une princesse dans une robe de bal, et de danser avec mon prince. Je n'avais pas de robe, mais j'avais un prince. Le meilleur prince du monde. Et plus que tout, j'étais heureux.
**
— Une soirée d'Halloween ?
— Mais oui, hyung !!! Ça va être trop cool ! Avec des déguisements et tout !!
— Hmmm...
Jungkook s'accrocha à mon bras et fit la moue.
— S'il te plaiiiiiiiiiit !
Je ne répondis pas tout de suite, noyé dans le noir profond de ses yeux. Il poussa sa lèvre inférieure vers l'avant, et afficha une moue enfantine.
— Steuplait, steuplait, steuplaiiiiiit !!! insista-t-il en sautillant. Dis ouiiiii ! Taehyungie-hyungie-hyung.
Je ne pus réfréner le sourire qui naquit aux coins de mes lèvres. Il savait qu'avec ce surnom, il pouvait obtenir tout ce qu'il voulait. Lorsqu'il le remarqua, il enroula ses bras autour de mon cou pour me serrer contre lui.
— Ouiiiii ! Ça va être génial ! On ira acheter notre costume ensemble ce week-end, j'ai des tonnes d'idées, et en plus, on pourrait s'allier tous les deux pour former un duo, j'suis sûr que ça peut être dément ! Genre on peut être Jekyll et Hyde, o-
Mon index se posa sur ses lèvres, et il se figea.
— Tu parles trop, Jeon.
Sa mine se tarit, et il poussa ses lèvres vers l'avant, penaud. Je roulai des yeux en soupirant exagérément.
— On ira, on fera comme tu veux...
Ses lèvres s'ourlèrent d'un sourire victorieux, et il fronça le nez de satisfaction. Je l'aurais embrassé, là, tout de suite. Mais je me contentais de le regarder, de le manger du regard depuis toutes ces années. Je crois que personne ne nous connaissait depuis assez longtemps pour déceler cette étincelle qui faisait vibrer mon regard. Il aurait fallu nous observer pendant longtemps. Au départ, j'avais cette admiration pour Jungkook, une fascination pour le petit garçon qu'il était. Puis aux prémices de l'adolescence, elle s'est transformée en amour. J'étais un collégien amoureux, puis un lycéen tendrement passionné par tout ce qu'il pouvait représenter. Je le voyais comme mon prince, celui que j'aimerai chaque jour de ma vie et jusqu'à mon dernier souffle.
Aujourd'hui j'avais presque 18 ans, nous étions des adultes en devenir, et le désir pour son être tout entier avait pris le dessus. Mon regard changeait en fonction des moments. Il pouvait être tendre, amoureux, admiratif, et maintenant brûlant de désir pour lui.
— Merci, hyung...
Je lui ébouriffai les cheveux, et lui rendis son sourire uniquement pour voir le sien briller un peu plus longtemps.
**
Nous avions passé l'après-midi du samedi à faire les boutiques de costumes. Je n'étais pas encore accoutumé à Séoul, à sa grandeur et à son accent tellement différent de Busan. Jungkook avait insisté pour me faire enfiler tout un tas de trucs grotesques, et j'étais de mauvaise humeur. Je n'avais aucune envie de me retrouver affublé d'oreilles de chat, d'ailes d'ange ou d'une combinaison en latex pour assouvir les frasques de mon meilleur ami.
Nous nous étions arrêtés à un café pour retrouver Jimin, aussi excité que Jungkook à l'idée de se rendre à la soirée d'Halloween, ainsi qu'une fille de notre promotion. Mon menton était calé dans ma main, et je touillai mollement mon chocolat chaud aux effluves de cannelle, sans m'intéresser à la discussion qui allait bon train à notre table.
Jungkook me fila un coup de coude, et je revins à moi.
— Hyung, tu nous écoutes ?
— Absolument pas.
— Comment ne peux-tu pas être excité à l'idée d'aller à cette soirée ?!
Je haussai les épaules, nonchalant.
— J'en sais rien.
Puis je me levai en soupirant.
— Je vais me commander un truc, vous avez faim ?
— Non, je fais attention à ma ligne, répondit Gisèle.
Elle était Hollandaise, et dans la même filière que moi, en lettres option art. J'avais eu une révélation pendant l'été qui avait précédé notre entrée à la fac. Jungkook et moi étions restés à Busan, et j'avais dessiné de longues heures sur la plage, pendant qu'il faisait des allers et retours pour nager ou courir. Il entretenait son physique, et moi mon art. Je m'étais décidé à devenir auteur et illustrateur de bandes dessinées. Je voulais créer des personnages qui me ressemblaient, avec des problèmes de société. Je refusais que des enfants traversent les mêmes choses que moi, et s'imaginent être des monstres. J'en étais un, mais il n'y en aurait pas d'autres, parce que je serai là pour endurer ça avec eux. Je m'étais renseigné pendant longtemps, lorsque j'avais trouvé assez de force pour affronter en face le problème qui me rongeait.
Jungkook m'avait accompagné à la bibliothèque puisque je n'avais pas d'ordinateur, et que l'accès à la maison aux volets bleus m'était toujours refusé. J'avais compris, avec du temps et beaucoup de larmes, que j'étais transgenre, et que la transidentité n'était pas inconnue. En d'autres termes, d'autres monstres existaient. Je n'étais pas le seul, bien que je ressente la solitude de manière démentielle.
J'apprenais encore, car c'était un sujet tabou où les transgenres étaient rejetés et mal vus. Nous étions la pire vermine que la terre portait. Personne ne semblait comprendre que ce n'était pas un choix, mais une fatalité. J'étais né comme ça, de travers, esquinté, démoli, brisé avant même d'avoir l'âge de comprendre quoi que ce soit. C'était difficile à vivre, mais je dois dire que sans Jungkook, je ne serais certainement plus de ce monde. Il m'avait sauvé, d'une certaine façon. Son intervention en Écosse m'avait fait réaliser beaucoup de choses.
Je ne me mutilais plus, et j'avais profité de l'été avant la fac pour arrêter de fumer. Je ne me le permettais que lors de rares soirées entre amis. Personne d'autre que lui, Joo et mes parents, n'était au courant. J'aimais beaucoup Jimin et Hoseok, mais je n'étais pas prêt à en parler librement. Pas encore.
Gisèle avait de longs cheveux châtains qu'elle nouait en tresse savamment élaborée, et arborait de fines taches de rousseurs qui rehaussaient son regard vert. Elle était vraiment belle, mais c'est Jimin qu'elle dévorait des yeux, alors j'étais tranquille. Du moins pour l'instant. Car les filles de Séoul, si elles ne m'avaient pas encore donné trop de fil à retordre, m'effrayaient. Elles étaient sûr d'elles, jolies, élégantes. Où était-ce moi qui refusais de voir qu'elles aussi avaient grandi.
Si au lycée de Busan je ne semblais intéresser personne, c'en était autrement à Séoul. J'intriguais et je piquais la curiosité.
Je m'avançai vers le comptoir, lorsqu'une épaule frôla la mienne. Mon regard figé sur les pâtisseries derrière la vitrine remonta le long d'une silhouette. Des bottines de cuir à talons, des jambes galbées dans un collant, une minijupe à carreaux, et un trench beige. Lorsque mon regard atteignit le visage de l'inconnue, je me figeai. Son regard noisette bifurqua jusqu'à moi, et j'entrouvris la bouche de stupeur.
Il me sourit, et me contourna pour s'adresser à la serveuse d'une voix grave.
— Un café crème, et un croissant.
Il paya et rangea sa carte dans son sac à main. Je le suivis des yeux, stupéfait. Il était magnifique. Incroyable. Divin. Il était tout ce que je rêvais d'incarner. C'était un homme dans la vingtaine, vêtue d'une tenue si féminine que sa sensualité débordait par tous les pores de sa peau. Mon seul acte de rébellion se résumait à porter les cheveux un peu trop longs, en une petite queue de cheval basse.
— Enchanté, mon chou... souffla-t-il à mon oreille en attrapant son plateau.
J'esquissai un sourire stupéfait de fascination. Il s'éloigna pour s'installer ailleurs, et je restai immobile, complètement abasourdi par son apparition enchanteresse. C'était comme si le destin m'interpellait pour me dire que je n'étais pas seul. Et subitement, je sus quel costume je souhaitais endosser pour la soirée d'Halloween.
**
Je serai moi.
Moi dans toute ma splendeur. Pour la première fois de ma vie, je n'avais aucun interdit, aucune limite. J'étais excité comme jamais je ne l'avais été de ma vie. Jungkook ne comprenait pas pourquoi, et inévitablement, je ne pouvais pas lui en parler. Je voulais qu'il voie de ses yeux, qu'il prenne conscience de qui j'étais.
J'avais fait les boutiques chaque soir après les cours, sans rien dire à personne, et j'avais enfin ma tenue. Dans ma petite chambre universitaire, je terminai de me préparer, mon téléphone posé sur mon lit, et jetai des œillades perplexes au tuto que je suivais afin de me maquiller. J'avais découvert ces vidéos lors de mon entrée à la fac, et c'était un monde vraiment fascinant.
Enfin, je pris un peu de recul pour me contempler. Mon cœur battait à tout rompre à l'idée de m'afficher dans cette tenue. Mais cette fête était de loin la meilleure couverture pour tester les réactions de mon entourage.
J'enfilai mes bottes à plateformes, et fis glisser la fermeture éclair jusqu'en haut de mon mollet. Mes bas résille étaient troués et donnaient un air « trash » à ma tenue. Ma minijupe était si minuscule que l'on devinait le galbe de ma fesse en dépasser. Pour le haut, je portais un corset de cuir qui moulait mon torse fin. Mes épaules étaient dénudées, et la courbe fine de mon cou était soulignée par le collier de perles que Joo m'avait offert. Même sous les pulls ou de façon discrète, je m'en séparais rarement. J'enfilai une veste de cuir très courte, et glissai mon téléphone dans la mini poche de ma veste, puis quittai ma chambre.
J'avais refusé de me rendre à la soirée avec Jungkook, Jimin et Gisèle. Je voulais que la surprise soit totale. Mais maintenant que j'attendais mon taxi sur le bord du trottoir, je tremblai d'appréhension. J'espérais ne pas avoir d'ennui avant d'arriver, et que mon « costume » serait bien accueilli.
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Hey mes kiwiiiiis ! 🥝
Les choses s'accélèrent pour Taehyung. Enfin il dévoile au monde qui il est vraiment. 🤗
Comment croyez-vous que ça va se passer? 🤔
J'ai hâte de vous partager la suite ! 🥰
À bientôt ! 🤸🏻♀️
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