18 - Amis pour la vie
— À la vôtre !
Nos verres s'entrechoquèrent dans un tintement joyeux. Il y avait longtemps que je n'avais pas ressenti ça, cette légèreté qui m'enveloppait, cette insouciance et même peut-être une délicate frivolité. Je ne savais pas si c'était dû aux deux verres d'alcool que j'avais déjà descendus, mais je préférais garder secrète la raison de cet état agréable dans lequel je flottais.
Jungkook avait les joues roses et le regard pétillant. Mon estomac se souleva dans une douce volupté, et la chose s'anima. Je grognai pour la faire taire. Ce n'était pas le moment.
— Ça vous dirait d'aller en boîte après ? proposa Hoseok, lui aussi grisé.
Jimin leva son verre en riant, et lança :
— Je suis !
— Moi aussi, ajouta Eun-Woo.
Le regard d'Hoseok se posa sur nous.
— Et vous ?
Jungkook avança le menton dans ma direction, l'air timide.
— Tu veux y aller ?
— Quoi, tu ne peux pas survivre à une soirée en boîte sans moi ?
Il baissa les yeux en souriant, ses mains entourant son verre de whisky.
— Je viens.
Les autres sifflèrent à l'annonce de ma venue, tandis que Jungkook garda le silence, son regard plongeant dans le mien sans retenue.
Nous restâmes une petite heure de plus à goûter d'autres whiskys typiquement écossais, puis vers une heure du matin, nous rejoignîmes un club du centre-ville. Ma brûlure me tirait un peu, alors je me rendis aux toilettes, esquivant les corps moites, pour prendre un comprimé et l'avaler avec de l'eau.
— Tout va bien ?
Je m'essuyai la bouche d'un revers de main, la sueur perlant dans mon dos et mon t-shirt collant à ma peau.
— Quoi, tu es mon nouveau garde du corps ?
— Tu ne peux pas t'en empêcher, hein ?
— Quoi ?
— D'être désagréable en toute circonstance.
Je haussai les épaules, car pour la première fois depuis le début du séjour, j'étais à court d'excuses ou de pique à lui lancer au visage.
Jungkook se détourna pour rejoindre la salle. Nous avions investi une banquette en velours bleu nuit entourant une table laquée noir. Des cadavres de bières laissaient des traces collantes sur la table, et le sol était poisseux. Je m'accoudai au bar pour commander une vodka sans glace, et l'avalai d'une traite.
— C'est pas sérieux après tout ce que tu as déjà bu... sans compter que les médicaments et l'alcool ne font pas bon ménage.
Je lui lançai un regard froid. Je détestai qu'il s'inquiète autant pour moi. J'aurais voulu qu'il m'oublie, et pouvoir crever dans mon vomi au fond d'un caniveau d'Édimbourg. Je ne méritais pas toute cette attention et cette bienveillance. Je voulais toujours ardemment mourir, même si je ne le criais plus à ma mère.
— Merci, je sais encore m'occuper de moi.
Je laissai mon verre sur le bar et me fondis dans la foule. Les corps s'enchevêtrèrent dans une chorégraphie sensuelle. J'avais envie d'une clope, fait chier.
— Tae, goûte ça, c'est incroyable !!! scanda Jimin en me tendant son verre.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Perfect Match ! Du scotch, du jus de citron vert et des cranberrys !
J'avalai le cocktail ultra sucré, et me léchai les lèvres. Il savait dénicher les pubs les moins regardants sur notre presque majorité, et tout le monde en profitait.
— C'est super bon !
— Ils font plein de cocktails au bar ! Je vais t'en chercher un ?
— D'accord... je vais fumer, je reviens.
Ici, la météo était si capricieuse qu'il y avait des sas pour fumer sa cigarette entre fumeurs sans pour autant être soumis aux intempéries. Je rejoignis le coin isolé du reste de la salle et m'allumai une cigarette. Ça faisait du bien, enfin je pus souffler. Je la savourais, inhalant chaque taffe et me galvanisant de la sensation qui me tournait la tête.
Ici il faisait aussi plus frais, et je frissonnai légèrement, la chair de poule s'accumulant sur mes avant-bras. En rejoignant la salle, Jimin me tendit mon verre et je le remerciai d'un signe de tête. La musique était forte, et ma vision se troubla. Jungkook était à quelques mètres, et semblait discuter avec Eun-Woo sans me lâcher des yeux.
— Tae, viens danser !!! me cria Hoseok.
Je le suivis à contrecœur. L'alcool désinhibe, disait-on. C'était plutôt vrai quand je remarquais mon corps, celui que je détestais tant, se mouvoir sur la piste face à Hoseok qui souriait, simplement heureux de passer une soirée avec ses potes. Moi je souriais d'avoir quelques instants de répit dans mon existence sans me détester au plus haut point. Une fille m'approcha en souriant, mais je me fermai et me décalai pour l'éviter. Les vipères étaient de sortie. Mon regard s'accrocha immédiatement à Jungkook, entouré de deux jolies blondes. Mes pas furent moins réguliers et mes jambes vacillèrent. Ma vue se flouta de plus en plus, mais je me sentis comme dans un bain chaud, détendu.
— Hey ! Foutez le camp de là !
C'est ma voix qui était si grave et si assurée ?
Je m'entendis comme à travers mon propre corps. Les deux filles me toisèrent puis s'éloignèrent en me jetant des regards de travers. Je rigolai niaisement. Je crois que j'avais perdu pied, et je ne parvins plus à me contenir. Jungkook ne sembla pas apprécier mon intervention, et m'attrapa le bras pour me tirer dehors. J'avalai mon verre cul sec et le déposai au passage sur le bar, puis nous récupérâmes nos vestes et quittâmes le club.
— Je peux savoir ce qui te prend ?!
Sa voix était étouffée par la pluie battante, mais aussi par l'alcool qui engourdissait mes sens. Je souris bêtement en regardant son visage. Il était si beau que ça me foutait en l'air. Je sentis les larmes poindre, et de joyeux, mes traits se crispèrent et j'étouffai un sanglot.
— Attends, Taehyung !
Je marchai à grandes enjambées, mais j'ignorai où j'allais. Je ne reconnu pas les rues par lesquelles nous étions passées ni les magasins et encore moins les panneaux qui étaient flous face à mes yeux fatigués.
Lorsqu'il saisit mon coude, je m'arrêtai, épuisé.
— Viens...
Son ton était doux comme du miel. Je me laissais entraîner jusqu'à un parc doté d'une petite cathédrale. Il poussa la porte qui grinça dans l'obscurité. Les cierges inondèrent l'espace sacré, et je me sentis tout petit. Je grelottai. Jungkook m'attira jusqu'à un banc, et je m'assis à ses côtés. Il ôta sa capuche, puis la mienne, révélant mes traits tirés et mes larmes.
— Taehyung, il faut qu'on discute, j't'en prie... je ne veux pas rentrer à Busan fâché avec toi.
— Tu es fâché avec moi ? Je croyais que j'étais le seul salaud de l'histoire...
Il haussa le ton dans l'espace désert.
— Évidemment que je t'en veux !!! Heather est partie, et tu m'avais promis d'être mon meilleur ami pour la vie, Taehyung !!! Tu m'as menti et tu m'as laissé tout seul !
J'ignorais qu'il m'en voulait autant.
— Heather... je l'avais... oublié.
— Pas moi, rétorqua-t-il d'un ton acerbe.
Je baissai les yeux. Je n'avais pensé qu'à moi, sans me soucier de lui, alors qu'il était ma personne la plus importante au monde.
— Je pensais te protéger en t'évitant...
— Tu aurais dû me parler ce jour-là chez ton oncle, je t'aurais rassuré.
Je me levai d'un bond, incapable d'aborder ce sujet, et filai à l'extérieur. Mais Jungkook me rattrapa sous la pluie battante et les bourrasques violentes.
— Taehyung, arrête de fuir !
— Je ne fuis pas ! Je refuse de parler de ça avec toi !
— Tu n'es pas une fille ! C'est comme ça !
— Tais-toi !!!
— Je sais que tu ne supportes pas l'idée d'être né dans ce corps, mais je t'assure qu-
— Ne parle pas de choses que tu ignores et de sentiments que tu ne ressens pas !
Il attrapa ma main et entrelaça nos doigts.
— Je sais que tu tiens toujours à moi.
Je gémis en tentant de me défaire de sa prise, sans succès.
— Arrête ça !
Je tirai sur ma main pour la récupérer, mais il la garda dans la sienne, ses doigts s'accrochant aux miens avec force.
— Je peux t'aider !
— Laisse-moi !!!
Je me reculai, mais il me retint par la nuque pour coller son front contre le mien, nos cheveux trempés et les gouttes de pluie se mélangeant à nos larmes.
— Je t'aime, Taehyung ! Je t'ai toujours aimé, tu es mon meilleur ami de tous les temps, ne brise pas ce qu'il y a entre nous, s'il te plaît !
Je repoussai son torse de ma main libre, luttant de toutes mes forces en gémissant.
— Dis-moi ce qui se passe dans ta tête ! Parle-moi, raconte-moi ! Je saurais t'écouter !
Il me retint contre lui, ses lèvres frôlant mon oreille. Je sanglotai si fort que je m'étouffai, ma respiration hachée et mon cœur martelant ma poitrine. J'avais mal au crâne, tout était flou et mes pensées tanguaient autant que mon corps, incapable de raisonner correctement avec tout l'alcool que j'avais ingurgité. J'avais chaud, puis froid. Je voulais mourir, je voulais m'écrouler au sol et hurler ma douleur d'être vivant dans un monde qui n'était pas fait pour moi.
Je sentis le cœur de Jungkook battre à l'unisson avec le mien, et son souffle chaud dans mon cou. Puis tout à coup, il lâcha ma main, et attrapa mon visage en coupe entre ses mains et pressa ses lèvres contre les miennes.
Je me sentis chanceler. J'étais sur le pont d'un bateau au milieu d'une mer déchaînée. Je manquai d'oxygène, mais je n'avais jamais rien vécu d'aussi chaotique. C'était chaud, doux, et je m'accrochai à ses poignets pour ne pas tomber sous la fougue de son baiser. Je ne parvins plus à réfléchir, seulement à ressentir, et c'était divin. C'était la meilleure sensation du monde, la plus belle.
Alors que j'aurais dû profiter de l'instant, les sensations qui m'accablaient furent trop intenses pour moi, et je m'évanouis dans ses bras.
**
Je papillonnai. Le soleil entrait dans la chambre, et je me pelotonnai sous la couverture. Seul mes yeux dépassaient, et j'essayai de remettre dans l'ordre, les évènements de la veille, lorsque je tombai sur deux billes noires. Je sursautai presque.
— Tu es réveillé ?
— Je n'ai pas dormi.
— Ah non ?
— Non. Tu t'es évanoui près de la chapelle, tu te souviens ?
Je cherchai dans ma mémoire, mais la dernière chose dont je me souvins, c'était lui qui attrapait mon bras pour me tirer hors du club.
— Je me souviens qu'on a quitté la boîte... mais après, non. Jimin et Hoseok vont bien ?
— J'imagine qu'ils cuvent tous les verres qu'ils ont avalés...
— Heureusement qu'on a la journée de libre, aujourd'hui.
— Oui.
Il se redressa sur ses coudes, et la chose se réveilla. Je claquai ma langue contre mon palais.
— Quoi ?
— Rien.
Il fallait qu'elle se taise, ce n'était pas le moment. J'avais mal au crâne et la tête encore brûlante. Jungkook me tendit un verre d'eau et un cachet.
— Je n'ai plus mal au genou.
— C'est pour ta tête, tu as beaucoup bu, hier soir, toi aussi.
— Oh.
Je me calai contre mon oreiller, et avalai mon comprimé.
— Comment tu t'es brûlé derrière le genou ?
J'avalai avec parcimonie en réfléchissant à une excuse plausible.
— Taehyung ?
— Je... je suis tombé sur le lisseur de Joo-Eun, elle le laisse toujours traîner sur le sol de sa chambre.
— Elle n'est pas en France ?
Fuck.
— Ma mère lui emprunte.
— Et elle le laisse traîner sur le sol de la chambre de Joo ?
Je claquai de nouveau ma langue contre mon palais.
— C'est un interrogatoire ?
— Non, un constat.
Je croisai les bras sur ma poitrine.
— Lequel ?
— Tu t'es fait ça tout seul.
Son regard fouilla le mien, et je me mordis la lèvre en détournant les yeux.
— C'est ridicule ! Tu es ridicule ! Qui ferai ça ?!
Jungkook mit le temps avant de répondre. Il me regarda un moment, comme pour me rassurer. Puis il déclara :
— Quelqu'un qui souffre et qui cherche à se punir de ne pas être né dans le bon corps.
Mes traits se déformèrent sous l'effroi de sa constatation, et je rabattis la couverture sur ma tête. Il ne m'en empêcha pas et poursuivit :
— Tu ne te souviens de rien, hein ?
Sous mon silence, il continua :
— Hier soir, on a discuté, et tu m'as avoué d'une certaine façon que j'avais raison. Je sais que tu souffres, Taehyungie.
Ce surnom me fendit le cœur en deux.
— Je le sais depuis longtemps... je pensais quand on était petits, que ce n'était qu'une passade de gamin, puis lorsque tu as mis cette robe bleu et blanc, j'ai compris que c'était important pour toi sans pour autant savoir ce que ça impliquait. Je ne comprenais pas que tu souffrais autant... et je m'excuse d'avoir minimisé ta souffrance. Je suis là, tu sais... je t'aime qui que tu sois. Fille, garçon, garçon avec des robes ou du maquillage, je m'en fiche. Tu es mon ami de toute la vie, et je te soutiendrai.
Mes sanglots firent tressauter mon corps et la couverture. Sa main se posa sur mon épaule.
— Je sais que tu as certainement dû te faire cette brûlure pour te punir... pour rejeter ce corps que tu n'assumes pas. Je sais que rien ne changera ça, pas même le fait que je te dise que je te trouve très beau, moi... hein ?
Je repoussai la couverture d'un geste vif, et me jetai dans ses bras en pleurant.
Malgré tout ce que je lui avais fait subir, Jungkook ne m'avait pas abandonné. Il était resté près de moi, jusqu'à ce que je sois en mesure d'accepter sa présence et ses mots.
Il caressa mon dos, et chuchota près de mon oreille.
— On va rattraper le temps perdu, et tu vas me raconter tout ce qui te passe par la tête, je ne veux plus que tu me caches quoi que ce soit, d'accord ?
Il me repoussa, pris mon visage en coupe entre ses mains et me regarda dans les yeux en essuyant mes larmes de ses pouces.
— Ami pour la vie ?
J'acquiesçai en silence, incapable de parler, mais le remerciant silencieusement d'être là. Dieu que je l'aimais.
****
Hey, mes kiwis 🥝
J'espère que vous allez bien ! 😌
J'espère que ce chapitre vous a plu, bon, Tae n'a pas de souvenir du baiser, ça ne pouvait pas être aussi facile, hein? 🤭
À mardi pour la suite ! 🫠
Bisous 😘
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