17 - Le collier de perles
Le soir, nous étions glacés, et bienheureux de retrouver l'hôtel, aussi vieillot soit-il.
Je laissai Jungkook se doucher pendant que je rongeai mon frein, étendu sur le lit, ma brûlure devenue beaucoup trop douloureuse pour que je l'ignore.
En sortant de la salle de bains, il m'ignora, s'habilla et me lança sans même me regarder :
— Je sors. Je serai de retour pour le dîner.
— Fais ta vie.
J'avais cette constante habitude à l'envoyer paître alors qu'il se montrait au mieux gentil, au pire neutre. Il claqua la porte, et je serrai l'oreiller contre mon cœur lourd de cette situation. Dix jours ainsi allaient être invivables. Je pouvais vivre sans lui, mais ici, c'était trop. Trop de lui ou pas assez, mais ça ne me convenait pas.
Je sentis quelque chose me heurter. J'ouvris les yeux pour déceler une boîte de médicaments sur le lit. En levant les yeux, j'aperçus Jungkook, debout, au pied du lit.
— Prends-en un.
Je me redressai difficilement.
— Tu es allé chercher des médicaments pour moi ?
— Non, je suis passé chercher un truc perso à la pharmacie, et je les ai vu derrière la caisse. Ça devrait atténuer ta douleur.
— Merci d'avoir pensé à moi.
— Je n'ai pas pensé à toi, ils étaient là, je ne pouvais pas ne pas les voir.
— D'accord. Merci quand même de les avoir achetés.
— Hm.
Les mains tremblantes et la tête dans un étau, j'ouvris la boîte pour récupérer un comprimé. Jungkook me tendit un verre d'eau, mais je peinai à tendre le bras. Il fronça les sourcils et posa sa main sur mon front. Je grimaçai et me reculai.
— Dégage !
Mais son visage se décomposa si vite, qu'il m'effraya.
— Hyung, t'es brûlant !!
— Quoi ?
— T'as de la fièvre, ça ne va pas du tout !
— Attends, c'est rien, c'est p-
Il serra les poings et s'assit sur le lit.
— C'est ta blessure, elle s'infecte, triple andouille !
— Mais non, c'est rien, ça va passer avec les cachets, je v-
— Il te faut un bain !
— N'importe quoi ! Ça ira, arrête de t'exciter !
Il poussa sa langue contre sa joue, et son regard se durcit.
— Ça suffit maintenant ! Tu écoutes ce que j'te dis !
Je n'avais pas la force de me battre, alors j'avalai mon comprimé et je me rallongeai en frissonnant. J'étais gelé.
— Le radiateur est toujours éteint ?
Jungkook se pencha pour l'effleurer du bout des doigts.
— Non, il est chaud... tu as froid ?
— Un peu.
Il se leva et ouvrit la grande armoire aux doubles portes sur lesquelles était gravé un chardon, symbole de l'Écosse. Il en tira une grosse couverture de laine couleur moutarde, et me couvrit avec alors que je claquai des dents. Puis il se pencha vers moi, et glissa sa main dans mes cheveux. J'esquissai un début de grimace, comme si ce geste m'incommodait, alors qu'en réalité, j'aurais voulu, dans une autre réalité, être capable de l'attirer à moi et de l'embrasser. J'aurais voulu me blottir contre lui et respirer son odeur.
— Tae ! Tae, lève-toi !
— Hmm...
— Tae, il faut que tu te lèves, on change de chambre !
— Pourquoiiiii...
— On va dans celle au bout du couloir, il y a une baignoire, tu dois prendre un bain pour faire baisser ta fièvre !
Mes lèvres craquelaient et ma gorge était sèche. J'avais chaud, puis froid. Je sentis qu'on m'aidait à me lever. Jungkook soutint ma taille et m'aida à marcher le long du couloir au parquet grinçant. Tout tanguait devant moi, et sans son aide, je serais tombé au sol comme une poupée de chiffon. Je l'entendis marmonner que j'étais trop maigre, et que je devais manger. Je savais que mon corps le dégoûtait. Je savais que c'était une torture pour lui de me regarder.
Brusquement, j'eus encore plus froid. La couverture me fut substituée, et je fus conduit dans une salle de bains beaucoup plus spacieuse que dans notre chambre. Le chauffage était douillet, la chaleur presque agréable, et l'eau chaude coulait dans l'immense baignoire, fumante.
Tout bascula lorsque Jungkook posa sa main sur la boucle de ma ceinture. Tout à coup, je fus bien réveillé, les yeux rougis, la tête lourde et la nuque raide, mais je pus aisément reculer contre le mur et secouer la tête.
— Non !
— Taehyung, ne fais pas l'enfant ! On est à l'autre bout du monde et tu es malade, il faut te soigner !
Il s'approcha à nouveau avec la ferme intention de m'ôter mes vêtements. Je me rabougris dans l'angle de la pièce en suffoquant, sentant déjà ses mains comme des tisonniers brûlants sur mon corps affreusement laid.
— Recule ! Laisse-moi, ne me touche pas !!!
— Tae !
— Non !!! Non, recule !
Je me débattis avec ses mains, bien plus habilles et fortes que les miennes, beaucoup trop faibles. Il ôta ma ceinture les premiers boutons de mon jean, tandis que je lâchai un hurlement de douleur, un cri apeuré, la plainte d'un animal sauvage qui se meurt. Les larmes ravinaient mes joues, et mon visage était aussi blanc que la faïence du lavabo à ma droite.
— J't'en prie... j't'en prie... pas ça !
Jungkook plongea ses prunelles noires dans mon regard terrorisé, et les larmes bordèrent ses yeux.
— Bon Dieu, Taehyung... qu'est-ce qu'il t'est arrivé ??
Je ne tremblais plus, j'avais des spasmes nerveux incontrôlables. On aurait certainement dit un fou. J'étais bon pour l'asile et la camisole. Jungkook préviendrait les professeurs, et je serais enfermé jusqu'à la fin de mes jours parce que je n'étais pas né dans le bon corps.
— S'il te plait... s'il te plait, si je compte encore un peu pour toi, ne fais pas ça...
Je l'implorais comme une biche implore le chasseur. Il avait tous les pouvoirs de me malmener et de faire ce qu'il aurait décidé. Comme Woo-Sung et sa main calleuse contre mon entre-jambes dans les vestiaires. Ce souvenir me fila la nausée, et je m'accrochai à ses avant-bras, le regard suppliant.
— Tae... souffla-t-il en prenant mon visage entre ses mains.
Il passa sa langue sur ses lèvres, et attrapa une larme au passage. Puis il baissa la tête pour souffler, puis il m'attira à lui et me serra dans ses bras. Mon cœur se brisa une fois de plus, et j'explosai en sanglots. Bientôt, je ne pourrai plus en recoller les morceaux, la vie était trop douloureuse.
Jungkook m'entraîna jusqu'au lit, et m'enveloppa dans une couverture chaude, puis il s'allongea à mes côtés en caressant mes cheveux.
— Je reste avec toi, dors.
Un instant, je revis nos nuits enfantines. Lui contre moi, blottis, nos corps cherchant la chaleur de l'autre, et son nez enfoui dans mon cou. Je ne sais si c'était uniquement pour mon bien personnel, car il me sembla que ça lui fit du bien à lui aussi de retrouver ce contact oublié.
**
Lorsque je m'éveillai, je me sentis mieux, mais j'avais toujours de la fièvre, je le sentais à la douleur dans mes yeux, et à l'arrière de ma tête. Jungkook ne dormait pas, et je tombai sur son regard sombre et fatigué.
— Hey... souffla-t-il. Tu as meilleure mine.
Sa main frôla mon front.
— Mais tu as toujours de la fièvre... tu veux prendre un b-
— Non.
Il baissa les yeux et rentra le nez dans la couverture. Il avait l'air épuisé lui aussi.
— Taehyung, on doit parler.
Je m'appuyai sur mes coudes, et détournai le regard à travers la fenêtre. Il faisait nuit.
— Je sais, dis-je en me mordant la lèvre.
— J't'en prie...
— Je ne sais pas quoi te dire.
— Parle-moi... raconte-moi ce qui se passe pour que tu sois si apeuré à l'idée que j'te touche.
Je m'assis, ramenant mes genoux sous mon menton, avant de grimacer. Ma brûlure ne voulait pas se faire oublier, et en passant la main à l'arrière de mon genou, je remarquai que l'endroit était gonflé et brûlant.
Je déglutis.
— Je crois que je vais avoir besoin d'aide pour me soigner.
Jungkook acquiesça et récupéra ma trousse de toilette dans la salle de bains.
— Tu as déménagé nos affaires ?
— Oui, j'ai vu avec la réception.
— Cette chambre est plus grande... ça m'étonnerait que l'école paye un supplément uniquement pour tes beaux yeux !
— J'ai de beaux yeux ? plaisanta-t-il en affichant un sourire en coin.
Je laissai un rire nerveux m'échapper.
— Taehyung... j'ai payé cette chambre, comme le petit-déjeuner ce matin.
— J'avais compris. Du moins pour le petit-déjeuner... je te rembourserai, affirmai-je.
Il roula des yeux.
— Ne dis pas de sottises ! Je ne te demande rien ! Je veux simplement que tu ailles mieux.
— Pour le petit-déj aussi ? Pourtant, je n'étais pas malade.
Il claqua sa langue contre son palais, et s'agenouilla sur le lit, face à moi.
— Taehyung, il va falloir que tu comprennes que tout ça n'a rien à voir avec ton état. Il faut qu'on discute de ce qui se passe, de notre amitié, de nous !
Je me rembrunis et me détournai de lui.
— Il n'y a rien. Parfois la vie est ainsi faite, on s'éloigne des gens, et on continue notre chemin sans eux.
— Foutaises ! hurla-t-il si fort que je sursautai.
— Jungko-
— Non ! Tu vas m'écouter !! Je sais tout, Taehyung !!! Tout !
— Qu... Quoi ?
Il se leva, la mâchoire serrée et les épaules tendues.
— Je sais tout ce qui s'est passé pour toi, ce repas chez ton oncle, et la façon dont il t'a traité !
Je me sentis trembler.
— Ne parle pas de ça, comment est-ce que tu es au courant ?! fulminai-je.
— J'ai appelé ta mère, figure-toi ! Parce que je voulais comprendre ce qui se passait ! Pourquoi tu m'évitais, pourquoi tout a basculé du jour au lendemain !
— Jungkook... tais-toi... murmurai-je en tentant de me contrôler.
— Non je ne vais pas me taire, Taehyung ! Je sais que ce jour-là, tout a basculé, que tu as fait cette crise de nerfs affreuse qui a anéanti ta mère, que tu as dit toutes ces cho-
— Ferme-là, ferme-là, ferme-làààà !!!!! hurlai-je en me couvrant les oreilles.
Je me recroquevillai dans un coin du lit, et le silence tomba comme une chape de plomb sur nous. J'entendis mon cœur battre dans mes tempes, et ma respiration hachurée. Puis le matelas s'enfonça, et les mains chaudes de Jungkook se posèrent sur les miennes. Son odeur me chatouilla les narines, mais je gardai les yeux puissamment fermés.
— Hyung...
— Laisse-moi, tu ne comprends pas !
— Non, en effet. Mais je ne peux pas comprendre si tu ne me parles pas.
J'enfouis ma tête entre mes bras, et sanglotai. Puis je le sentis reculer, et quitter la chambre.
**
J'étais mortifié. Depuis quatre jours, je ressassai dans ma tête le fait que Jungkook savait tout ce qui s'était tramé durant deux ans. Quand nos regards se croisaient dans les couloirs du lycée, et que je me sentais si coupable de l'évincer, lui connaissait mon plus grand et mon plus honteux secret.
Pourquoi ma mère avait ressenti le besoin de lui parler ? De tout dévoiler ?
Je ne parvenais pas à me concentrer sur les visites, et chaque nuit, je me ratatinai de mon côté du lit, prenant soin de ne pas frôler le moindre centimètre carré de son corps.
Nous arpentions les allées du musée national, lorsque mon téléphone sonna dans ma poche.
— Joo ?
— TaeTae !
— Salut...
Ça me faisait du bien d'avoir ma sœur au téléphone. Elle était partie étudier en France durant un an, et j'avais peu de nouvelles d'elle, à part par mail ou par kakaotalk, mais j'entendais peu la douceur de sa voix.
— Tout va bien ?
— Oui, oui, pourquoi ?
— Parce que maman n'a pas de nouvelles de toi. Je crois qu'elle s'inquiète que son grand bébé soit loin d'elle.
Je l'entendis ricaner, et je souris.
— La ferme...
— C'est chouette l'Écosse ?
— C'est... mouillé. Et venteux.
— Aïe... et Jimin ? Il t'a emmené faire la tournée des bars ?
— Non... enfin c'est moi, je ne me suis pas encore décidé à sortir.
— Quoi ?! Taehyung, il le faut, tu vas regretter si tu ne fais pas cette expérience.
— Je sais.
— Bon, le plus important, c'est que tu t'amuses, et que tu n'oublies jamais ce moment passé avec tes amis d'accord ?
— Oui...
— Oh, et euh, Tae ?
— Oui ?
— J'ai... je... j'ai vu un truc en France pour toi... mais j'hésite à te le rapporter.
— Quoi c'est trop cher ? Espèce de rat !
Elle rit doucement. Ma sœur était douce, encore plus qu'à l'adolescence.
— Non, c'est euh... un... un collier de perles.
Un silence s'installa entre nous, pendant lequel j'entendis les pas des visiteurs claquer contre le carrelage du grand hall.
— C'était une mauvaise idée, désolé, j-
— Non. Non, non... dis-moi, il est comment ce collier ?
— Avec de petites perles blanches et fines... et un fermoir en or. Un ras-de-cou... j'ai immédiatement pensé à toi...
Je pinçai les lèvres pour éviter de céder à l'émotion d'une telle révélation.
— Merci d'avoir pensé à moi... ça me fait plaisir.
— C'est normal. Tu es mon f-... enfin, tu es toi. Et je t'aime tel que tu es.
Mon Dieu, j'aimais ma sœur plus que tout.
— C'est... Joo, vraiment, merci.
— Ce collier est à toi.
— T'es la meilleure.
— Je sais ! lâcha-t-elle avec arrogance. À bientôt !
Ma brûlure avait séché et me faisait moins souffrir. Je pouvais marcher correctement et suivre la classe sans boiter. Toutefois, je devais rester vigilant et me soigner. Je refusai de laisser Jungkook poser à nouveau les yeux dessus, ou sur la moindre partie de mon corps.
Je remarquai Jungkook qui se promenait dans les allées, tout seul, l'air penaud. J'avais refusé de poursuivre notre discussion malgré ses tentatives. Je crois que je n'étais pas prêt à me mettre à nu devant lui.
Je rejoignis la classe, Jungkook m'imitant, et Jimin et Hoseok accoururent jusqu'à moi.
— Tae !! Ce soir, on va dans un bar pour goûter des whiskys, tu dois venir avec nous !
Je lançai un regard à ma droite.
— Si Jungkook vient, alors je viens.
Mon meilleur ami haussa les sourcils de stupéfaction. Jimin attendit, trépignant comme un gamin, qu'il cède à ma demande.
— D'accord.
— Ouuaiiiiiiiis ! hurla-t-il.
Sa voix résonna dans le musée, et les professeurs nous sermonnèrent. Jimin et Hoseok pouffèrent de rire dans leurs cols roulés. Ces deux-là s'étaient bien trouvés.
— Ça va être génial, les gars ! Eun-Woo, tu viens ?
— Pourquoi pas.
— Super ! Rendez-vous devant l'hôtel à 22heures !
Je souris de voir Jimin aussi heureux. J'aurais aimé avoir une vie aussi légère moi aussi, jalonnée de petits soucis d'adolescent. Mais j'étais né dans le mauvais corps, il était là, le plus grand dilemme de ma vie à moi. Jungkook laissa son regard glisser sur moi. Mon sourire avait disparu pour laisser place à l'inquiétude qui gangrénait mon âme.
****
Hey, mes kiwis ! 🥝
J'espère que vous allez bien, et que ce chapitre vous a plu. 🥰
Je vous dis à vendredi pour la suite ! 😏
bisous 🤸🏻♀️
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