Jimin donc s'occupa seul de l'appartement, seul quoiqu'accompagné par le son divin du piano.

Il n'était jamais seul quand Yoongi jouait si près de lui, quand Jimin pouvait profiter de ce concert offert par son petit-ami. Son petit-ami, c'était encore étrange de le considérer ainsi ; non pas que cela gênait le blondinet (du moins pas dans l'intimité, devant autrui c'était différent), mais c'était... irréel. C'était un peu comme si Yoongi avait commencé à changer peu à peu avant de prendre un vrai virage à cent quatre-vingts degrés quand Jimin lui avait avoué que les sentiments qu'il nourrissait pour lui étaient réciproques.

Ce moment avait changé beaucoup de choses, et pourtant ils continuaient de ponctuer régulièrement leurs discussions d'insultes, ils se chamaillaient pour un rien, se faisaient des crasses autant que possible. Mais ces insultes, ces chamailleries, ces crasses, elles n'avaient plus rien de violent. Les insultes elles-mêmes n'étaient plus insultantes.

Et pourtant ils mangèrent chacun de leur côté au déjeuner, simple question d'habitude. En vérité, l'un comme l'autre avait failli demander à son petit-ami s'il voulait manger avec lui, mais après des jours de bisous et de câlins, ils étaient finalement contents de pouvoir prendre leurs distances sans pour autant s'éloigner vraiment.

Dans l'après-midi néanmoins, alors que Jimin déposait quelques affaires dans l'armoire que Yoongi lui avait accordée, son regard tomba à nouveau sur le livre qu'il avait acheté exprès pour son patient. Il avait espéré lui redonner goût à la lecture, mais il savait d'avance que s'il allait demander à Yoongi de l'écouter lire ces lignes, l'aveugle refuserait et se braquerait ; c'était comme ça qu'était le brun, l'infirmier en était parfaitement conscient et même s'il pouvait comprendre les raisons qui le poussaient à se montrer plus têtu qu'une mule, il ne pouvait pas accepter de baisser les bras si facilement. Lui aussi était déterminé quand il s'y mettait, et plus encore depuis qu'ils sortaient ensemble.

Si Yoongi avait passionnément aimé lire, alors Jimin allait faire en sorte que cette passion renaisse. Il se jura d'être comme la clé des mondes que Yoongi avait perdus, il allait les lui rouvrir.

Le jeune garçon se planta devant la porte de la chambre dans laquelle Yoongi était en train de jouer. Il ne décrochait plus de son piano depuis le début de la matinée, et Jimin ignorait totalement pourquoi.

« Hyung... ? »

L'appel si doux de son cadet tira Yoongi de sa rêverie ; des heures déjà qu'il était plongé dans ses pensées et que ses doigts jouaient mécaniquement en boucle des airs qu'il connaissait par cœur. Plus besoin de ses yeux pour jouer, et de toute façon il était à ce point dans la lune que la nuit ne lui posait aucun problème. Il jouait, c'était tout.

Dans son esprit se mêlaient des milliers de choses, principalement axées sur la remise en question de lui-même. Il appréciait s'interroger, mais il n'aimait pas quand la réponse à ses interrogations étaient simplement qu'il avait tort. Et pourtant, depuis que ce matin il avait commencé à s'interroger, c'était cette même réponse qui revenait en boucle : il avait tort, tort, absolument tort, du début à la fin. Jimin le lui avait totalement fait comprendre. Il avait tort de se comporter comme un connard, tort de refuser jour après jour l'aide de son petit-ami l'infirmier, tort de s'enfermer dans son appartement. Il avait tort pour tout, il faisait complètement n'importe quoi de sa vie, et s'il ne se reprenait pas, il se foutrait en l'air.

Ça en revanche au moins, il l'avait toujours su. La seule différence désormais, c'était qu'il se rendait compte qu'il n'était peut-être pas foutu pour toujours. Il y avait Jimin, prêt à l'aider pour absolument tout et n'importe quoi, Hoseok, prêt à lui apporter ses courses à domicile tous les jours simplement pour rendre service, et bien sûr, il y avait Taehyung, Baekhyun et Namjoon, prêts à lui donner de bons conseils chaque fois qu'il en avait besoin.

C'était con d'ailleurs, parce que ces conseils, il avait beau les entendre, les écouter, il ne les suivait presque jamais. Ah si, quand Tae, au sujet de Jimin, lui avait balancé le message « MAIS BORDEL VA LUI DIRE QUE TU L'AIMES PUTAIN ! SINON C'EST MOI QUI M'EN CHARGE ! », il avait écouté son « conseil » et avait obéi.

Mais là c'était différent, il s'agissait d'avouer à Jimin les sentiments qu'il avait pour lui...

Et l'aveugle s'était trouvé stupide de songer qu'avouer son amour était plus simple que lancer une lessive. Il devait avoir un sérieux problème pour penser ça...

Alors il soupira et demanda à Jimin ce qu'il voulait. Et tout l'être de Yoongi se figea quand, après un long silence, les mots du blondinet s'élevèrent.

Il connaissait ces mots.

Il avait aimé ces mots.

Il avait rêvé ces mots.

Puis il les avait perdus, ces mots.

Il n'en voulait plus, c'était trop dur, trop de souvenirs revenaient. Heureux et tristes ; mais la joie de jadis soulignait plus encore la férocité de la douleur qu'il éprouvait désormais.

« P'tit ange, ferme-la, » marmonna-t-il.

Mais Jimin n'en fit rien, il continuait. Yoongi savait qu'il l'avait entendu, car le blondinet avait buté sur le mot qu'il prononçait au moment où il lui avait donné l'ordre de se taire.

C'était comme une moquerie aux oreilles de Yoongi, car il avait beau savoir que son amant ne faisait ça que dans l'espoir de redonner le sourire, il ne pouvait pas accepter son aide. Tout lui revenaient en mémoire, car lui aussi avait ce livre, perdu au fond de sa bibliothèque ; pourquoi avait-il fallu que Jimin choisisse un recueil qu'il connaissait déjà ? Oh il s'en souvenait parfaitement, ça oui : il avait lu le début de ce livre dès qu'il était sorti du magasin, trop pressé pour attendre d'être chez lui pour tourner les premières pages. La première histoire avait été terriblement poignante, si bien qu'il en avait versé des larmes. Il était toujours si envoûté par l'action qu'il avait le sentiment qu'elle se passait réellement sous ses yeux, c'était magique, comme s'il regardait un film tout en vivant dans leur plus pure exactitude les sentiments de chacun des personnages.

Les premières larmes lui échappèrent, mais pas à cause de la douceur de ces souvenirs, ni à cause de la brillante lecture que faisait Jimin alors que son patient ne l'écoutait pas, non. Il pleurait de se dire que tout cela, ce n'était qu'un souvenir. Un putain de souvenir périmé, un putain de souvenir aussi sombre que ce qu'il voyait aujourd'hui, car ce souvenir mettait encore plus en évidence sa détresse.

Il était totalement désemparé, entendre ces mots le répugnait et alors que les larmes avaient commencé à couler seules, il sentit sa gorge se tordre de façon explicite : il allait fondre en larmes si l'idiot derrière la porte ne se taisait pas.

« Putain Jimin ferme-la ! »

Sa voix resta très sombre, par chance le blondinet n'entendit pas qu'il pleurait.

Mais Jimin poursuivit encore sa lecture ; sa voix tremblait, Yoongi sentait qu'il l'avait réellement vexé, probablement même l'avait-il blessé. Il ne voulait pas ça, mais c'était ce foutu bouquin ! C'était de sa faute à lui ! Pourquoi Jimin continuait alors qu'il lui avait demandé de s'arrêter ! Qu'il se taise !

Yoongi tremblait, il n'était pas capable d'expliquer lui-même la raison pour laquelle il était dans un tel état : toute la rage qu'il accumulait encore et toujours contre sa cécité lui revenait en pleine face à mesure que le cadet lisait. Il ne s'était plus senti aveugle depuis si longtemps, comment Jimin pouvait-il lui faire ça ? Chaque mot était une étincelle de plus susceptible de déclencher l'incendie.

Jimin ignorait à quel point ce jeu était dangereux : il lisait, il lisait pour montrer à Yoongi à quel point il voulait lui venir en aide par tous les moyens, à quel point il était prêt à tout pour lui. Parce que comme un con, il l'aimait comme un fou.

Mais pour Yoongi, c'était si douloureux ; déjà son visage se teintait d'un très léger rouge et les larmes s'échappaient de ses yeux en abondance. Cet état était étrangement proche de l'état dans lequel il était quand il paniquait, à cette seule exception que quand il paniquait, il voulait fuir et se cacher dans les draps de son lit. Or là, il avait juste envie de tout détruire, comme quand la folie l'avait pris lorsqu'il avait détruit ses partitions.

Il voulait tout détruire ; il voulait hurler, envoyer tout et tout le monde se faire foutre. Ses muscles étaient crispés, sa mâchoire contractée au point qu'elle en était douloureuse, et il avait cette irrémédiable envie de frapper quelque chose.

Ce furent ses paroles qui furent frappantes.

« Park ferme ta gueule sinon je dénonce notre putain de relation à ton boss ! »

Tout ne fut dès lors plus que silence.

Jimin laissa de longues secondes s'écouler, de longues secondes pendant lesquelles Yoongi se rendit compte de ce qu'il venait de dire, de ce qu'il venait de faire. Il ne sortait pas avec ce gosse depuis trois jours et la veille ils étaient en train de s'offrir un plaisir fou, alors que maintenant il lui balançait ça dans la figure.

Jamais on ne devrait parler de cette façon à quelqu'un qu'on aimait ; qu'est-ce qui lui prenait tout à coup... Tout ça pour un livre... non, pas un simple livre. C'était un livre qui symbolisait toute une passion oubliée. Du moins, une passion volée plus qu'oubliée.

Le silence semblait lui remettre les idées en place, et après la fureur, ce fut le désespoir qui l'envahit.

Comme avec ses partitions.

Or cette fois-ci, c'était probablement le cœur de Jimin qu'il avait laissé en morceaux.

Bordel mais pourquoi il avait hurlé ça ! En plus si Tae et Baek étaient dans leur chambre, ils l'auraient probablement entendu, et Jimin avait insisté pour leur dire lui-même pour leur relation et... et pourquoi s'inquiétait-il de ça maintenant au juste ! Il s'en battait les couilles des voisins !

Yoongi était horriblement tendu, il attendait que le jeune homme derrière la porte parle, lui dise quelque chose, n'importe quoi ! Qu'il parle ! Yoongi l'écouterait cette fois-ci ! Mais qu'il ne le laisse pas seul dans le silence ! Plus maintenant !

« Je suis désolé, souffla alors Yoongi tout bas d'une voix cassée. J'ai connu ce livre. Je l'ai aimé. Ne m'oblige pas à t'écouter alors que ça me fait atrocement mal de... »

Il déglutit difficilement avant de reprendre.

« Ça me fait mal de penser à cette vie d'avant. »

Non, ça ne suffisait pas, l'aveugle avait besoin, pour une fois, de vider son sac, de tout dire, tout, de tout déballer de ses pires craintes, de ses songes les plus noirs. Après la fureur et le désespoir, désormais il se sentait horriblement faible. Il vint s'asseoir en tailleur, adossé à la porte, et peu importait s'il parlait dans le vide, si Jimin refusait de l'écouter ; il avait besoin de dire pour comprendre, et il voulait se comprendre.

« Jimin, quand je revois ces souvenirs – si je peux parler ainsi –, c'est comme si la lumière que tu m'apportais enfin s'assombrissait de nouveau. Ça me rappelle encore et encore, à chaque mot, ma cécité que je réussissais enfin à oublier. Alors s'il te plaît, ne dis plus rien, ne lis plus ce livre. Joue un morceau avec moi, viens dans le lit te blottir contre moi, apprends-moi à cuisiner ou fais-moi faire du n'importe quelle tâche, mais n'ouvre plus ce bouquin. C'est la relique d'un passé que je veux oublier, un passé qui ne me rendra jamais heureux parce qu'il me rappellera sans arrêt les insatisfactions du présent. J'ai l'impression d'être encore plus minable. Les mots ne s'animent plus, les mondes ne s'ouvrent plus, et je reste prisonnier de cette putain de cécité, loin des cieux de la littérature. Moi je reste sur terre, mon accident m'a privé de mes ailes, et je suis coincé là. Que tu essaies de m'aider est vain, c'est encore plus humiliant pour moi. Même quand j'essaie de lever les yeux vers les beautés de la littérature, je dois faire face à d'épais nuages. Ne lis plus... »

Toujours assis dos à la porte, il avait ramené ses jambes contre son torse et les avait enroulées de ses bras, comme pour se protéger de quelque danger qui n'existait qu'à ses yeux invalides.

S'il perdait Jimin, il s'en voudrait un bon bout de temps, c'était certain. Ce gosse lui apportait enfin le sourire, et voilà qu'il l'envoyait se faire foutre d'une manière magistrale.

Étonnamment, ce fut le rire de son amant qui parvint aux oreilles de l'aîné ; Jimin riait ?

« Tu peux vraiment te montrer infecte quand tu dérailles, mais il faudrait vraiment que je sois con pour croire une seule seconde que tes menaces étaient vraies Hyung, t'en fais pas. Je sais bien que t'es un peu impulsif sur les bords.

- Un peu beaucoup, ricana l'aveugle soulagé.

- En effet.

- Alors tu m'en veux pas ?

- Toi, tu t'en veux ?

- Oui.

- Alors c'est suffisant, je vais pas en rajouter. Je sais que t'as pas réfléchi une seule seconde, je ne t'en veux pas. Je suis juste triste pour toi, je savais pas que tu avais déjà lu ce livre...

- C'est rien, on oublie.

- Hum. »

Jimin ne voulait pas abandonner si facilement.

Yoongi, au fond de lui, ne voulait pas non plus qu'il laisse tomber maintenant.

Il voulait redécouvrir les mondes de l'imaginaire.

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L'importance de l'onomastique dans ce chapitre : plus Yoongi s'énerve, plus la façon dont il qualifie Jimin revient à celle qu'il utilisait dans les premiers chapitres. D'abord il l'appelle « p'tit ange », typique de ces derniers chapitres, puis « Jimin », qui apparaît au milieu du livre, quand Yoongi et lui commencent vraiment à s'apprécier, pour finir avec un superbe « Park, ferme ta gueule ». Il l'appelle toujours « Park » quand il est énervé, ça met une distance entre eux. :3

Hier j'essayais d'imprimer mon dossier de linguistique mais ça marchait pas, alors pour tester l'imprimante, j'ai imprimé la première image qui venait. Du coup je me retrouve avec une version A4 de la couverture de ce livre... sérieux, j'aurais pas pu réfléchir un peu avant d'agir ? -_- Au moins, je pourrai écrire au dos, ça sera la plus belle feuille de brouillon que j'aie jamais eue. XD