Chapitre 55
Le cœur de Yoongi se souleva dans sa poitrine, il resta un instant complètement hébété... avait-il rêvé ? Non, c'était pourtant bien réel, il en était certain, Jimin et lui s'étaient embrassés passionnément, chacun y avait mis toute son âme. Ses souvenirs étaient encore brumeux, il ne savait pas si c'était lui ou Jimin qui avait décidé d'approfondir le baiser, il se disait qu'au vu de son importante consommation, c'était probablement lui qui avait dû initier ça.
Et Jimin... il était sobre, non ? Alors pourquoi avait-il fait ça ? Qu'est-ce qui avait bien pu le pousser à accepter ce baiser ? À le lui rendre même ? C'était à n'y rien comprendre... D'après ses souvenirs, même s'ils étaient vagues, Jimin avait apprécié. Avait-il honte ? Ça expliquerait pourquoi il ne lui avait rien dit à propos de cette nuit, peut-être même était-il soulagé d'avoir constaté que Yoongi avait oublié.
Devait-il continuer de lui faire croire qu'il ne s'en souvenait plus ? Ça serait certainement le mieux pour leur relation, Jimin n'était probablement pas prêt à reconnaître ce que ce baiser avait pu faire naître en lui : Yoongi admettait sans mal qu'il avait aimé, mais le blondinet était sans doute en train de se remettre en question, c'était déjà assez compliqué sans qu'il vienne le narguer en lui demandant s'il avait aimé qu'il lui roule la pelle de sa vie...
« Yoongi ? »
L'aveugle sursauta brutalement alors que son infirmier justement venait à l'instant de le tirer de sa rêverie. D'après sa voix, il se tenait dans l'encadrement de la porte, immobile. Et l'aveugle ne l'avait même pas entendu ouvrir, bien trop songeur.
« Quoi qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu comptes la contempler longtemps cette tasse ou pas ?
- Parle pas de contemplation à un aveugle s'il te plaît, c'est vexant...
- Oh la la, fais pas ta mauvaise tête dès le matin...
- J'ai réussi à finir bourré avec à peine quelques verres, donc si, ça me fait chier, je pensais que je tenais mieux que ça.
- C'est pas non plus des verres de lait que t'as bus, répliqua Jimin, t'aurais dû faire attention.
- Bon et sinon tu venais faire quoi à part m'emmerder ? »
La méchanceté, la froideur et le mépris ; pathétique, mais c'était tout ce dont il savait faire preuve pour se protéger, lui et son égo surdimensionné, des assauts de son manque de confiance en lui et de ses trop nombreuses craintes.
« Bah putain ça te réussit pas de boire... je venais juste récupérer le petit-déjeuner.
- Bah récupère-le alors.
- Et le mug aussi par la même occasion.
- Pourquoi il était là ? demanda Yoongi, décidé à faire comme s'il avait véritablement tout oublié.
- Parce que t'avais envie de gerber, alors j'ai préparé ça en vitesse comme t'avais pas de médicament.
- Ah ok. Et du coup j'ai pas vomi ?
- Non. »
Il n'osa pas poser plus de question de peur que Jimin ne comprenne qu'il se souvenait de leurs baisers, alors il garda le silence et se contenta de soupirer avant de porter sa main à son front, une fois son cadet parti. Le brun se laissa retomber sur son matelas en soupirant.
Pourquoi est-ce qu'il prenait toujours les décisions les plus stupides ? À croire que dire et faire n'importe quoi, c'était inhérent à sa personnalité, il n'était pas capable de faire autrement. Ce n'était pourtant pas la volonté qui manquait, parce qu'à ce moment-là, il s'imaginait juste aller dans la cuisine, balancer une phrase quelconque qui ferait comprendre à Jimin qu'il se souvenait de tout et l'embrasser de nouveau, en plein état de conscience cette fois-ci. Et pourtant, il n'agissait pas, il restait là sur son lit. Était-il faible à ce point ?
Qu'était-ce que la faiblesse finalement ? Montrer ses sentiments ou préférer les cacher ? N'était-ce pas plus courageux d'oser avouer, d'oser se montrer tel qu'on était, plutôt que de se cacher derrière un bouclier aussi fragile que celui qu'il reconstruisait chaque fois qu'il se brisait ?
Yoongi était faible, il avait peur, il l'avait bien compris : chaque fois qu'il avait le courage de mettre son cœur à nu, c'était sous le coup de la colère ou de la peine, jamais il n'avait la hardiesse de retirer le masque quand ses émotions trop violentes ne le faisaient pas elles-mêmes voler en éclat. C'était probablement ça être faible...
Le brun se redressa après quelques minutes à rêvasser et à passer différents scénarios dans sa tête. Tous étaient niais à en mourir, il n'aurait jamais le courage d'aller voir Jimin pour discuter de ce qui venait de se passer. Et puis, de cette façon, Jimin en parlerait sûrement à son ami, ce Jung... machin chose, mais sûrement pas à Taehyung ou à Baekhyun, qui risqueraient ensuite de tout déballer devant l'aveugle. Park n'était pas stupide, il ne prendrait pas ce risque, il voulait visiblement que ça reste « secret », et Yoongi était bien d'accord sur ce point : si un tout petit bisou sur la bouche avait déjà fait s'enflammer aussi bien les voisins que Namjoon, qu'est-ce que ça serait avec des baisers comme ils en avaient échangés cette nuit ?
On courrait droit à la catastrophe, c'était certain, un véritable incident diplomatique.
Il se posta devant ce qui était jadis le meuble qu'il préférait dans cette chambre qui n'était pas la sienne : sa bibliothèque. Six rayonnages gorgés de livres au point qu'il avait fallu les ranger ailleurs alors même que derrière chaque première rangée il y en avait une de plus. De fait, le meuble avait beau ne pas être très large, sa hauteur et sa profondeur compensaient largement, permettant d'entasser là un nombre astronomique de bouquins.
Ses doigts coururent sur une ribambelle de tranches, toutes différentes aussi bien en ce qui concernait leur largeur que leur profondeur : les livres les plus petits étaient plus enfoncés dans l'étagère, un peu comme s'ils s'y cachaient, effrayés par la taille des bouquins autour d'eux. Ils se dissimulaient, ils existaient à peine, et pourtant sous ces doigts, ils étaient ceux qu'il sentait le plus, ceux qui formaient des irrégularités chaotiques dans ce meuble si consciencieusement ordonné.
Pourtant, il pouvait à peine identifier la matière de ces couvertures : était-ce du papier plastifié, du cuir ou bien une reliure de tissu comme quelques uns de ses livres les plus anciens en avaient ? Les ouvrages les plus épais, c'était facile à déterminer, alors même que les plus petits, ceux qui étaient en retrait, il fallait les sortir de leur rayon pour en savoir la fabrication.
Un maigre sourire vint orner le visage de Yoongi : alors c'était comme ça ? Il était comme un tout petit livre perdu au milieu des plus gros ? Il créait une anomalie ? Il était ce livre qu'on devait arracher à son étagère pour le voir véritablement ?
Peut-être bien, après tout, lui-même n'en avait pas la moindre idée.
Alors avec un soupir, il délaissa ses trésors et retourna à sa chambre jouer quelques notes de piano. Ses doigts trainaient sur le clavier, son manque de motivation et son ennui étaient une évidence, pas seulement pour lui, mais aussi pour les oreilles attentives de Jimin qui se trouvait à la cuisine à faire la vaisselle. Quand il avait vu Yoongi en possession de la tasse, il avait bien cru que l'aveugle était en train de retrouver les souvenirs que l'alcool avait effacés, par chance ce ne fut pas le cas, Yoongi n'avait fait aucune mention de cet échange des plus inhabituels entre un infirmier et son patient.
La conscience professionnelle du petit blond lui faisait bien des misères : depuis le début c'était uniquement parce qu'il était doué de morale qu'il se refusait à se venger plus brutalement de Yoongi, et désormais, de nouveau cette satanée conscience lui répétait que ce qu'il avait fait cette nuit-là était mal, très mal. Yoongi n'était pas vraiment consentant d'une part, car même si c'était lui qui s'était approché de Jimin, il était bourré. D'autre part, qu'un infirmier développe une telle relation avec son patient - et du même sexe en plus - serait à coup sûr si mal vu qu'il pourrait là s'agir d'une bonne raison pour l'hôpital de le renvoyer et de l'empêcher de retrouver du travail avant plusieurs siècles.
Alors il était soulagé que l'aveugle ne se souvienne de rien. Ce moment avait certes été agréable - très agréable même - néanmoins ça ne signifiait pas qu'il s'agissait là de quelque chose de bien. C'était quelque chose de grave.
À peu près aussi grave que les notes sombres que Yoongi jouait au piano. C'était traînant, le pianiste exprimait sans aucun doute une forme de lassitude que Jimin n'eut aucun mal à déceler derrière ce rythme lent et ces notes basses. Parfois quelques aigus venaient relancer la mélodie, pourtant ils étaient alors suivis de retombées dans les graves. Le tempo et les notes variaient peu, c'était la monotonie que le jeune homme exprimait ainsi.
Alors un air joyeux prit place sur les lèvres de Jimin : il essuya rapidement le mug, fila à travers le couloir et toqua avec douceur à la porte de l'aveugle.
« Quoi ?
- Je peux entrer ?
- Non. »
Jimin entra.
« C'est quoi que tu comprends pas dans « non » ?
- Fais pas le gars bourru, ça te réussit mal. »
Son ton avait quelque chose de rieur, entre le simple amusement et la moquerie. Le brun ne se vexa pas mais exprima son désaccord à travers un long soupir qu'il voulu aussi bruyant que possible. Les pas Jimin se rapprochèrent, tranquilles et presque totalement silencieux - très différents de la plupart de ses infirmières donc. Il se posta juste derrière lui et lui demanda de bien vouloir lui laisser une place ; Yoongi obtempéra sans que son air grincheux ne quitte son visage. Le blondinet, après avoir pris place, fit rapidement craquer ses doigts avant de jeter un œil sur la partition devant lui. Avec cette éternelle pointe d'hésitation dont il faisait preuve chaque fois que Yoongi était son auditeur, il commença à jouer, d'abord les deux lignes que le brun connaissait désormais par cœur, puis les deux lignes suivantes dont il chanta les notes avec douceur et justesse.
Yoongi l'écoutait en silence, admiratif, et au bout de quelques secondes la musique se stoppa.
« Tu penses pouvoir y arriver ?
- Mouais, je sais pas. »
Il rejoua d'abord les notes dont il se souvenait parfaitement puis arriva aux nouvelles. Les premières notes, il s'en souvenait, mais il n'avait pas entendu la mélodie avec laquelle il devait les accompagner de l'autre main.
« Je recommence, » indiqua Jimin.
Il ne fit cette fois-ci que les notes graves que devait jouer la main gauche, chantonnant comme à son habitude chaque note qu'il touchait. Les notes étaient répétitives, celles-là il les avait retenues et les rejoua sans mal.
« On passe à la mélodie principale. »
Le blondinet semblait heureux, même si sa voix posée ne trahissait aucun autre sentiment. Et pourtant c'était bel et bien le cas, il était heureux de savoir que quand Yoongi était sur son piano avec lui, ils s'entendaient plutôt bien.
Le brun justement débutait la mélodie principale ; encore plusieurs erreurs se glissèrent dedans, mais Jimin comprenait que Yoongi n'aurait probablement pas de mal à connaître la partition dans son intégralité, il suffirait d'y aller tranquillement, à son rythme. Deux lignes étaient plutôt faciles pour lui à apprendre, et s'il mettait son talent à profit, il pourrait aisément retenir une page de plus chaque jour, autrement dit en moins d'un mois la partition serait sue.
« C'est parfait, » dit Jimin.
Yoongi ne put réprimer un sourire à cette remarque : après une dizaine de minutes, il était désormais en mesure de jouer les quatre premières lignes de notes.
« Merci, je dois avouer que je suis fier de moi, ricana Yoongi.
- Toujours aussi bête... »
Avec néanmoins un rictus amusé, Jimin se redressa et s'en alla de la pièce, laissant Yoongi seul à son piano. Il n'y avait pas le moindre bruit, du moins en dehors des palpitations folles de son cœur. Il était heureux de pouvoir rejouer et même si ça prendrait du temps, il voulait retrouver les plaisirs de la musique tels qu'il les avait connus. Apprendre une partition par cœur était loin d'être aisé, certes, c'était même assez ennuyeux, mais ce fut avec bonheur qu'il se dit qu'avec des efforts il pourrait y arriver. Avec des efforts, et avec Park Jimin.
Une idée traversa son esprit, une fulgurance. Ses poings se serrèrent au-dessus des touches avant qu'il ne les pose sur ses genoux, le cœur battant, comme énervé contre lui-même. Il n'avait pas voulu y croire, il s'était battu pour que ça n'arrive pas... et pourtant le voilà qui tombait peu à peu amoureux de son infirmier...
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