Chapitre 153
« Yoongi... tu fais quoi encore ? demanda son infirmière d'une voix ensommeillée qui prouvait qu'elle s'était réveillée peu de temps auparavant.
- Je suis comptable, répliqua Yoongi face à son ordinateur en retirant un de ses écouteurs. Alors je compte.
- C'est une blague c'est ça ? En vrai tu mates un porno gay je suis sûr.
- Jinie... tu es une vraie dévergondée, grimaça Yoongi avec humour.
- Il n'y a que les blagues de ce genre qui te font rire...
- Tu es en train d'insinuer que j'ai un humour de merde axé sur ce qui se trouve en-dessous de la ceinture ?
- Exactement. Mais réponds à ma question : qu'est-ce que tu fais vraiment à quatre heures du mat' sur l'ordi ?
- Je te l'ai dit : je compte.
- Et t'as besoin d'un ordi pour ça ? demanda-t-elle avec un air suspicieux.
- Je vérifie des relevés de compte, tu veux savoir quoi de plus ?
- Ce sont les relevés que tu as demandé à ton père ? Ceux de ton entreprise ?
- Nope.
- Ah bon ? »
Un sourire mystérieux orna les lèvres du brun qui acquiesça avec malice.
« J'ai trouvé bien plus drôle.
- Bien plus drôle ? s'étonna encore Hyejin. Là il faut que tu m'expliques...
- Ce sont les relevés de compte de l'hôpital, et plus précisément de l'unité à laquelle Jimin et toi appartenez.
- Où t'as trouvé ça ? l'interrogea-t-elle en venant s'asseoir à ses côtés sur le canapé après avoir fermé la porte de la chambre d'ami dont elle sortait tout juste.
- Bah t'es con ou quoi ? L'entreprise de mon père fait dans la mécanique et bosse avec cet hôpital, tu crois que c'est pourquoi qu'il me cire les pompes ton patron ?
- Et ça explique pourquoi tu as les relevés de compte... ?
- Bah oui, on travaille pas avec des établissements en déficit : l'une des entreprises pour laquelle on fabriquait des carters faisait plus de dépenses que de bénéfices, du coup on l'a lâchée, sinon elle risquait de pas payer.
- C'est quoi des carters ?
- En gros, ça sert à sécuriser des machines. L'entreprise de mon père est une entreprise qui a pour rôle de s'assurer que toutes les machines sont aux normes, on intervient pour éviter les accidents. C'est notre activité principale, mais on fait aussi dans la mécanique plus globale. On bosse avec tout types d'entreprises, or depuis que la boîte est devenue si importante, on lie des relations avec de grands organismes pour s'assurer de leur fidélité. Ferrero, Nestlé, Pfizer [NDA : Pfizer est la plus grosse entreprise pharmaceutique mondiale, implantée notamment à Séoul], etc. On est même en lien avec le plus important fabriquant de jetons de casino du pays.
- Sérieux ?
- Ouais, confirma Yoongi d'un hochement de tête. On fait un tarif réduit à nos partenaires économiques, et pour lier un partenariat avec nous, il faut jouer la carte de la transparence. Quand les entreprises refusent, on se contente de faire le boulot puis de s'en aller en leur faisant payer plein tarif. Seuls mon père et moi, son comptable principal, avons accès à ces données confidentielles. L'hôpital nous demande souvent de vérifier ses machines, question de sécurité tu comprends, du coup on a leur relevé de compte et eux ont la certitude que peu importe quand ils nous appellent, on dépêchera un de nos employés, voire une équipe, sur place. C'est donnant-donnant, ils sont nos partenaires alors on se doit d'être toujours disponibles pour eux. Les autres peuvent parfois attendre deux ou trois mois avant d'avoir ne serait-ce que la confirmation qu'on accepte le job.
- Et du coup... tu cherches quoi sur son relevé à mon patron ?
- Jimin m'a expliqué pourquoi son patron voulait une bonne image : pour les subventions que lui fournirait l'hôpital afin de l'aider à faire évoluer et progresser son service. Mais il m'a aussi dit que son boss s'en mettait plein les poches avec ces subventions. »
Yoongi se tourna, l'air sérieux, vers l'endroit d'où provenait la voix de la jeune femme et il poursuivit :
« C'est formellement interdit de profiter à titre personnel de ces subventions, et je suis convaincu que si je trouve le moyen de prouver que cet abruti s'enrichit de cet argent, j'aurais un moyen de faire pression.
- Je vois...
- Bah t'en as de la chance, ronchonna l'aveugle.
- Oups, ricana Hyejin. Tu veux que je te fasse du café pour te soutenir ?
- J'ai du café ?
- Je m'en suis acheté, je peux t'en faire un.
- Non merci, je préfère un bon coca bien frais.
- Ça marche. »
Il replaça son écouteur pour entendre chaque ligne de compte que son logiciel lisait pour lui. C'était un travail extrêmement complexe qui nécessité une concentration que tout le monde n'avait pas : des chiffres, des chiffres, encore des chiffres. Cependant, il était si habitué à lire des lignes de compte et si doué pour les retenir que dans son esprit se formait peu à peu la liste lue par son ordinateur ; les éléments les moins importants, il n'en tenait pas compte, ne les retenait pas, quant aux autres il les collait sur un document qu'il étudierait ensuite plus en profondeur lorsqu'il l'imprimerait en braille – encore un avantage à être haut placé dans une si importante entreprise, il pouvait imprimer tout et n'importe quoi en braille sans que son père ne s'y oppose.
Le menton calé entre le pouce et l'index, Yoongi avait les yeux clos et l'attention entièrement dirigée sur ses lignes de compte qui défilaient. Même Hyejin qui lui apportait son verre de coca ne le détourna pas de son objectif : il devait faire payer le patron de Jimin pour la pression qu'il avait exercée sur le blondinet.
Les yeux rivés sur le vide, il mordillait régulièrement sa lèvre inférieure – étonnamment ça l'aidait à se concentrer – et encore une fois, Hyejin ne le dérangea pas en faisant du bruit pour retourner se coucher. Désormais seul dans le plus absolu des silences, il poussa un soupir et passa ses mains sur son visage fatigué. Dans tous les cas, il savait qu'il ne trouverait pas le sommeil, alors autant éplucher les comptes de celui qui abusait de la faiblesse de son petit-ami...
Les heures passaient et il remontait de plus en plus loin dans les comptes du chef de service de son infirmier, mais rien de bien intéressant ne lui sautait aux yeux.
« Yoongi, il est neuf heures du matin, ça fait au moins quatre ou cinq heures que tu bosses là-dessus, tu devrais te coucher, lui dit la jeune femme à peine réveillée.
- J'ai fini la bouteille de coca.
- Mais... c'était une bouteille de deux litres que je venais d'ouvrir.
- Je sais.
- Tu m'étonnes que tu dors pas... Bouge pas. »
L'aveugle s'apprêtait à lui demander la raison de cet ordre quand il sentit son infirmière prendre place à côté de lui sur le canapé et poser la main sur son pectoral, au niveau de son cœur. Il la regarda avec étonnement et après une poignée de secondes, elle se recula en faisant claquer sa langue contre son palais.
« Tu ferais mieux de te reposer : entre le manque de sommeil, de nourriture, ton apport important en caféine et ton stress, je préfère pas imaginer l'état de ton cœur si tu travailles toute la journée...
- Laisse-moi rire, c'est pas ça qui va m'atteindre.
- Si tu vas pas te coucher maintenant j'appelle Jimin pour lui dire que tu sombres pour lui dans la dépendance au coca.
- Putain t'es chiante...
- Je sais. »
Vaincu – ce blondinet était décidément sa faiblesse la plus évidente –, il alla se coucher sans rien ajouter sous le regard fier quoique tendre de la jolie brune soulagée de le voir si docile. Il sauvegarda ses fichiers, les mit sur une clé USB (simple sécurité), puis éteignit tout et se dirigea mollement jusqu'à sa chambre. La caféine avait eu raison de son sommeil jusque là, mais maintenant qu'il songeait à son lit, il devait bien admettre qu'il avait hâte de pouvoir s'endormir.
Peut-être n'allait-il pas cauchemarder cette nuit, peut-être le fait d'avoir compris qui était réellement Jimin allait faire disparaître ces visions terrifiantes...
Mais alors que les « bips » se succédaient, une froideur bien connue avait pris possession du corps de Yoongi, une froideur dont il ne pouvait pas se débarrasser, une froideur qui lui collait à la peau comme une effroyable couverture. Un frisson traversa son corps lorsqu'il entendit Taehyung retenir un sanglot à côté de lui.
« Chut chéri, murmura tendrement la voix de Baekhyun, le médecin a dit qu'il lui arrivait d'avoir des moments de conscience, tu ne voudrais quand même pas qu'il t'entende te lamenter, hein ?
- J-j'y p-peux rien, pleura doucement Taehyung, Hyung j-j'ai tellement peur.
- Viens là mon amour, viens dans mes bras.
- Tu crois q-qu'il va se réveiller ?
- Ils ont arrêté l'assistance respiratoire il y a deux jours et il est toujours en vie, tu vois qu'il va mieux.
- M-mais, il pourrait quand même n-ne jamais se réveiller...
- Je suis certain du contraire, rien ne l'emportera, ni le coma ni quoi que ce soit d'autre. C'est Yoongi : tu peux être sûr qu'actuellement il est en train de faire un doigt d'honneur à la mort, alors elle va sûrement pas le garder avec elle. »
Un pleur mêlé à un léger éclat de rire retentit adorablement, puis un baiser se fit entendre, délicat. Yoongi sentit son cadet lui prendre la main et lui souhaiter une bonne nuit, lui promettant qu'il reviendrait le lendemain, puis la porte s'ouvrit et se ferma ; mais il n'était pas seul.
Ce fut la voix de Baekhyun qui s'éleva :
« Je sais même plus comment faire pour consoler Taehyung, probablement parce que j'arrive pas... à me consoler moi-même. »
Il ne retint pas un sanglot qui le fit hoqueter, déchirant le cœur du brun dans le coma.
« Yoongi par pitié, ouvre les yeux, on a besoin de toi... J'ai besoin de toi. T'es celui qui nous permet de nous sentir forts même face aux regards des autres, et nous on a jamais rien pu faire pour toi. Yoongi je t'en supplie, ouvre les yeux. »
Sa voix se brisa comme un verre tombé au sol et les sanglots redoublèrent, bruyants, enfin libérés – car Baekhyun ne s'autorisait jamais à pleurer devant Taehyung, de peur que ce dernier croie qu'il n'y avait plus d'espoir.
« On tient tous à toi Yoongi, on sait que tu vas t'en sortir, alors accroche-toi. »
Un baiser fut déposé sur son front et de nouveau le bruit de la porte se fit entendre.
Cette fois-ci Yoongi était seul. Il pleurait intérieurement de tout l'amour que ses amis lui portaient ; les mots de Taehyung surtout le touchaient profondément. Ce petit bout d'homme qui venait si souvent à son chevet, c'était si émouvant pour Yoongi qui jusque là ignorait à quel point il pouvait être apprécié...
Le noir succédait au noir, le silence au silence, l'effroi à la peur. Il voulait se réveiller, il voulait que le cauchemar cesse, pourquoi devait-il avoir si peur ? Son cœur lui faisait mal, son sommeil était exécrable – comme le serait probablement son humeur – et il sentait que ce repos ne serait en rien réparateur.
« Bonjour Yoongi, lança joyeusement une voix presque enfantine tandis que sa porte de chambre s'ouvrait. Aujourd'hui ma tutrice me laisse m'occuper seul des patients les moins critiques, et comme tu ne fais plus partie de ceux sous assistance respiratoire ou branchés à des milliers de machines flippantes, me voilà. »
Qui es-tu ?
« J'ai amené mon téléphone, ça te dérange pas si je mets un peu de musique ? Bon c'est de la musique classique, mais c'est bien la musique classique aussi. Moi je joue du piano, alors j'aime bien. J'espère que tu aimeras aussi. En fait j'ai jamais pris de cours de piano du coup j'en joue pas ultra bien : celle qui m'a tout appris, c'est ma maman. »
Jimin...
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