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Chapitre 105

Quand la porte de l'appartement se referma, Yoongi eut l'impression qu'on le sortait d'une longue torpeur ; il cligna des yeux, se rendit compte que s'y trouvaient des larmes, et il s'assit de nouveau sur son lit, muet de stupeur.

Tout ce temps, Jimin avait fait semblant d'aimer son travail et d'avoir toujours voulu devenir infirmier, tout ce temps il avait fait croire à Yoongi que sa famille vivait hors du besoin, tout ce temps il lui avait fait croire qu'il était heureux, débordant de courage et de ténacité, et tout ce temps il lui avait fait croire qu'il n'y avait aucune tache sur le tableau de sa vie parfaite.

Et pourtant, ce tableau désormais semblait s'apparenter à de l'art abstrait tant les taches de couleurs sombres qui y figuraient étaient nombreuses. Tout ce temps, il lui avait caché toutes ces choses dans l'espoir que lui, le fils de riche méprisant à qui tout réussissait tout le temps, ne le prenne pas de haut.

Il se souvenait des quelques fois où Jimin avait tiqué quand il lui avait dit qu'il était con, lorsqu'ils s'étaient rencontrés ; il n'imaginait pas que le blondinet portait sur lui-même cet avis, il ne pensait pas sérieusement que lui, ce gosse tout sourire et plein de malice, pourrait prendre mal ses remarques.

Et là, simplement parce que tous les deux avaient été des abrutis finis, Jimin allait probablement revenir d'une minute à l'autre et lui annoncer qu'il voulait que leur si magnifique histoire s'arrête là, parce qu'une histoire d'amour ne valait pas un salaire perçu tous les mois. Non... Yoongi ne pouvait pas le laisser s'en aller, pas lui, pas celui qui lui permettait enfin d'ouvrir les yeux sur le monde. Il s'était beaucoup trop emporté contre Jimin qui avait toujours été profondément bienveillant envers lui, il avait été infect, il avait toujours été infect, et ce gamin avait quand même réussi à tomber amoureux de lui.

L'aveugle avait beau estimer qu'il avait raison quant au fait que c'était irrationnel de ne pas parler à leurs amis de cette relation, il préférait encore céder à Jimin plutôt que de ne plus pouvoir jamais l'avoir dans ses bras. Il n'abandonnerait pas sa volonté d'en parler à ses amis, mais il attendrait, s'il le fallait, que Jimin l'accepte.

Yoongi se trouvait stupide d'avoir posé un tel ultimatum à son infirmier et en vérité, il ne voulait pas de réponse ; si Jimin privilégiait son travail à son couple, il ne pourrait pas le supporter. Il ne voulait pas risquer d'entendre qu'il passait en second.

Il attrapa son téléphone et appela son amant qui ne décrocha qu'après deux sonneries. Son téléphone était toujours sur vibreur – ou bien sonnait quand c'était un appel et non un message qu'il recevait – et son contrat l'obligeait à répondre, une chance.

« Jimin ? »

À l'autre bout du fil, aucun son ne se fit entendre.

« Je suis désolé, j'ai dit de la merde, reviens s'il te plaît, t'as raison, tu le diras aux autres quand tu te sentiras prêt, je veux pas te bousculer.

- C'est moi qui m'excuse, souffla la voix fatiguée du blondinet. Et c'est toi qui as raison.

- Non, non, je veux pas que tu choisisses Jimin, reviens.

- Pour une fois je voudrais être un peu seul s'il te plaît.

- Non j't'en prie, raccroche pas, p'tit ange, je... »

Il avait raccroché. La panique envahit le brun alors que déjà un premier sanglot secouait son corps maigre. Jimin allait l'abandonner, le rendre à l'ombre, et lui il ne pouvait rien faire, comme d'habitude il était impuissant, comme d'habitude il se sentait faible.

Alors même que depuis des mois il était habitué à dissimuler ses émotions, son cœur le faisait souffrir au point que des larmes lui échappèrent sans qu'il ne puisse rien contrôler. Si Jimin partait, jamais il ne pourrait s'en sortir ; il avait ce sentiment profondément ancré en lui que seul ce gamin aux airs d'ange avait une chance de lui faire voir la lumière.

Il passa une main rageuse dans sa tignasse en se maudissant d'avoir été si peu patient et d'avoir proposé lui-même à Jimin de garder leur couple secret. S'il avait su que ça le mènerait là, jamais il n'aurait proposé ça, il aurait préféré attendre que Jimin veuille se mettre en couple avec lui sans en avoir honte.

Parce que même si le cadet le niait, l'aîné savait que Jimin ne serait jamais aussi heureux avec lui qu'avec quelqu'un de normal. Lui, il était trop froid et distant pour ce petit cœur qui ne demandait que des torrents d'amour pour battre, il ne savait pas montrer ses émotions avec la même puissance que Jimin, il ne savait pas comment faire.

Quand il était avec Namjoon au moins, il savait qu'il était avec quelqu'un qui n'avait pas besoin d'autant d'affection, d'autant plus qu'il y voyait encore à l'époque, il avait un travail et une vie aisée. Il était détruit, et Jimin avait récolté son cœur morceau par morceau, courageusement, si bien qu'il était complètement tombé amoureux de lui ; mais s'il aimait vraiment son petit blondinet, pouvait-il continuer de lui faire subir tout ce qu'il lui faisait subir ?

S'il ne voulait pas le perdre, il fallait qu'il change... mais la volonté suffisait-elle à lui permettre de récupérer Jimin ?

L'infirmier quant à lui était en train de vagabonder dans la rue, sans savoir réellement où il dirigeait ses pas. Il avait un temps songé à prendre la moto de Yoongi pour aller se promener, mais les larmes qui ne cessaient de se régénérer dans ses yeux lui obstruaient la vue à intervalles réguliers, alors la marche lui avait semblé être une alternative convenable.

Le choix de la prudence, comme d'habitude.

Il aimait Yoongi plus que tout au monde, et il savait pertinemment que son amant lui offrirait le luxe s'ils devaient poursuivre leur vie ensemble. Mais ce n'était pas ce que Jimin voulait, lui il voulait mériter ce qu'il gagnait, et même s'il n'aimait pas son travail, il voulait le garder, ça lui permettait d'être encore vaguement fier de lui : le garçonnet en effet n'avait jamais rien réussi de ce qu'il avait entrepris, à part ce diplôme qu'il avait obtenu. Autour de lui, tout le monde réussissait tout, tout le monde sauf lui, ce qui l'avait poussé à se sentir plus complexé encore dans cette société si compétitive. Il fallait être le meilleur, mais ce n'était jamais lui, alors il se haïssait d'être aussi bête.

Seul son diplôme avait su lui décrocher ce sourire immense et cette chaleur dans le cœur, ce sentiment de la chose parfaitement accomplie.

Yoongi chamboulait tout sur son passage sans même s'en rendre compte.

Il avait retourné son estomac d'un baiser et fait fondre son cœur de la même manière. Jimin voulait l'aider de tout son être, mais entre son travail et son couple, il ne pouvait pas – il ne voulait pas – choisir. Yoongi le considérait avec le même amour qu'on accordait à quelque chose d'immensément précieux, et Jimin voulait que ça continue car pour la seconde fois de sa vie il se sentait fier, fier d'être si important pour quelqu'un qui l'était tout autant pour lui. Le regard – si on pouvait parler ainsi – que portait l'aveugle sur lui soulevait son cœur de bonheur, il se sentait exister quand il était au creux de ses bras, et il s'y sentait plus heureux et serein que jamais.

Il ne voulait pas choisir, il voulait Yoongi et son travail, les deux, pas l'un d'eux. Or il savait sans hésiter que si les deux venaient à se rencontrer, ça allait faire des étincelles : il était interdit pour un infirmier de sortir avec une patiente, alors avec un patient, c'était encore pire... Qu'il soit homosexuel ou non, il se ferait virer si une telle histoire s'apprenait, l'hôpital était extrêmement strict sur les règles, et à plus d'une reprise Jimin les avait enfreintes, car il ne respectait pas le protocole. Il l'avait même complètement modifié pour plutôt axer les soins pour Yoongi sur l'apaisement de ses peurs et de son manque de confiance en lui, et non sur ses capacités à retrouver une habileté normale.

Il avait rayé la feuille d'objectifs pour les remplacer : réapprendre à aimer la lecture, le piano, l'extérieur et la moto. Pour ce qui était de la moto et du piano, Jimin avait la sensation d'avoir accompli ses objectifs... mais pas pour le reste.

Une nouvelle fois son portable sonna, il décrocha sans entrain.

« Allô ?

- Jimin ? demanda la voix de Jungkook. T'avais l'air bizarre quand on est partis, je voulais juste être sûr que ça allait. Tu... tu vas bien ?

- Jungkookie... »

Sa voix craqua et il fondit en larmes, au milieu de la rue dans laquelle il marchait, au milieu de quelques passants qui ne lui accordèrent pas la moindre attention. Ses larmes coulaient à flot, il se trouvait pathétique, mais il ne pouvait plus les retenir et il en avait marre de se sentir à ce point mal pour une dispute dans laquelle c'était lui qui était en tort, du moins en grande partie.

« Jimin ! Qu'est-ce qui se passe ! T'es chez Yoongi ?

- Je suis dehors Kook, lâcha Jimin d'une voix désespérée, mais je crois qu'il m'en veut.

- Hyung dis-moi où t'es !

- Je veux rester seul, laisse-moi.

- Jimin, non, reste pas seul. C'est quoi le problème ?

- C'est soit lui, soit mon travail, mais je peux pas choisir...

- Hein ? Soit lui soit ton boulot ? Mais comment ça ? »

Jimin lui résuma les derniers évènements et la dispute ; finalement il avait beau vouloir être seul, il avait besoin de parler. Au fur et à mesure qu'il racontait les arguments de chacun, il se rendait compte de ce qu'avait pu ressentir Yoongi, des blessures de son cœur, et il parvint à calmer ses sanglots lorsqu'il acheva sa tirade.

« Pourquoi t'as peur que le dire à vos potes puisse te coûter ton job ? demanda alors Jungkook qui tentait d'aider au mieux le petit couple.

- Mais Kook, tu comprends pas : il suffit parfois de rien, et tu me connais, je m'angoisse souvent pour pas grand-chose, mais cette fois j'ai vraiment un mauvais pressentiment, je flippe totalement, et ça il le comprend pas. Moi je ne le force pas à redevenir celui qu'il était avant, je lui pose encore moins un ultimatum, alors pourquoi lui il pourrait se permettre de me brusquer de cette façon ?

- Écoute Hyung, c'est normal de flipper, ça montre que t'as peur de le perdre, mais à trop vouloir le garder pour toi seul, il va vraiment finir par fuir. S'il croit que tu l'ignores, c'est sûr que tôt ou tard il va préférer quelqu'un capable d'assumer une relation. Tu l'aimes comme un malade, ça se voit quand vous êtes ensemble, alors tu vas me faire le plaisir d'aller le reconquérir, ton Yoongi.

- Je ne sais pas s'il me pardonnera d'avoir fait ça...

- Non mais... tu te fous de ma gueule ? Limite il a des cœurs dans les yeux quand il se tourne vers toi, et toi tu doutes ?

- J'ai surtout peur de devoir en parler...

- Si moi j'ai rien dit, c'est pas tes voisins qui vont aller cafter, répliqua Jungkook, en plus ils sont homosexuels, ils savent ce que c'est d'être rejetés pour des conneries, Tae m'a raconté son histoire, je sais que lui et Baek n'iront jamais en parler à quiconque.

- T'as raison, je sais que je dois me faire pardonner, mais je flippe...

- Écoute, montre à Yoongi que tu l'aimes, ce mec le cache mais je suis sûr qu'il est super mal en ce moment de savoir que tu t'es cassé comme ça et que tu réponds à peine au téléphone. Jimin, c'est normal de flipper, mais vous avez tous les deux à la fois raison et tort. Essaie de parler avec lui, je suis sûr que ça va s'arranger.

- Oui c'est juste...

- Décidément, je suis la voix de la raison.

- Je sais pas pourquoi j'ai décroché quand j'ai vu ton nom, se moqua gentiment Jimin.

- Parce que tu savais que la voix de la raison allait t'éclairer.

- Bah la voix de la raison elle devrait me lâcher la grappe et aller gémir le prénom de Jalang pendant que tu te masturbes en pensant à elle, tu crois pas ?

- Jimin... que tu es sale.

- Attends t'es sérieux, c'est toi qui dit ça ?

- T'es gay et t'es en train de m'imaginer me toucher, avoue que c'est sale !

- Kook, qu'est-ce que tu racontes ? lança une voix féminine lointaine.

- Rien putain ! râla Jungkook.

- Oh, t'es avec elle ? s'enquit Jimin.

- Ouais. Elle va m'achever cette fille : elle veut passer la nuit avec moi... dans mon lit cette fois.

- Oh, j'en connais un qui doit être heureux, se moqua le jeune infirmier en essuyant une dernière larme.

- La connaissant, il sera hors de question ne serait-ce que de l'effleurer, alors je sais que je vais très mal dormir...

- Je vais reconquérir l'amour de ma vie, ricana Jimin, je te laisse à tes galères, à plus ! Et encore merci pour ton aide !

- Je t'en prie, heureux de t'avoir aidé mon Jiminie ! »

L'aîné raccrocha et fila en direction de l'appartement de son patient, passant une dernière fois sa manche sur son regard brun tandis qu'il s'époumonait dans l'espoir insensé que ça lui permettrait d'arriver plus vite.


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