Chapitre 7
▪ Alec ▪
Je viens de croiser Catarina qui me fait savoir que le cours de danse s'est terminé plus tôt. J'accélère le pas en tirant Otis qui renifle le derrière de Madame Rouse. La dame est apeurée et son mari lui donne une tape sur le museau pour que mon chien s'écarte.
— Toujours aussi mal élevé, gronde l'octogénaire. Otis va finir par être porté disparu s'il ne garde pas ses distances avec ma femme.
— Désolé, Monsieur Rouse. Il veut seulement se faire une amie. C'est sa manière de faire connaissance.
— Je n'ai pas l'intention de devenir amie avec ton chien, rouspète la dame. J'ai bien assez d'Imogen et Adèle.
— Bien sûr, je comprends. Veuillez nous excuser.
Je repars aussi vite, étant donné que Anna doit attendre mon retour. J'espère qu'elle a compris qu'il ne faut pas qu'elle retourne à la maison sans moi.
En passant devant le studio, je vois mon père discuter avec Magnus tandis qu'Anna fait un pas de danse. J'ouvre le plus discrètement possible mais suis accueilli par le tintement de la clochette. Pour la discrétion, c'est raté. Les hommes cessent aussitôt de parler et se retournent d'un même mouvement vers moi.
— Ah ! Alec, je disais à Magnus que ce n'était pas professionnel de disputer Anna. Dis-lui que tu n'as pas aimé. Franchement, qui peut s'en prendre à ma petite-fille comme ça ? C'est insensé !
— Quoi ? Mais je suis le premier à approuver ce qu'il a dit. Anna s'est comportée de façon irresponsable. Et puis d'ailleurs, ce n'était pas si horrible que ça. Magnus a vraiment bien géré. N'est-ce pas Anna ? Tu ne recommenceras plus ?
La petite penche la tête et acquiesce. Elle sait que ce n'était pas une façon d'agir.
— Je reste sceptique, Fiston. Jonathan semblait très en colère.
— Il s'est présenté ici sur ses heures de travail en s'imaginant peut-être que je ne viendrais pas. Il croyait probablement que j'avais encore refusé l'inscription d'Anna.
— Enfin, je vais te croire pour cette fois, mais Magnus reste sous surveillance. On en reparlera plus tard. Tu n'oublies pas ton rendez-vous galant avec Lydia, demain soir ? Quand elle a vu ta photo, il paraît qu'elle s'est exclamée. Tu lui as fait une excellente impression.
— P'pa ! C'est au moins la dixième femme que vous vous entêtez à me présenter. Avec Anna, je n'ai vraiment pas le goût de tout chambouler à nouveau.
— Mais voyons, cette enfant a besoin d'une mère ! Fais donc un effort pour ta nièce. Je me demande encore pourquoi Max t'a laissé la garde. Nous l'aurions élevé comme notre propre fille.
— Je l'élève comme ma propre fille. Qu'est-ce que vous croyez ?
— Il manque une femme...
— Bon ça suffit, je vais voir cette Lydia de malheur et, surtout, ne recommencez pas. N'oublie pas de le dire à Maman.
Mon père s'agenouille et fait un gros câlin à Anna. Elle passe ses petits bras autour de son cou et lui fait la bise sur la joue gauche. Peut-être est-il peu ouvert d'esprit en général mais je dois l'admettre, il aime énormément sa petite-fille, tout autant que ses propres enfants. Il est un papy gâteau qui ne lui refuse jamais rien. Et quand je dis rien, c'est absolument rien. Il se relève en jetant un œil soupçonneux vers Magnus puis il quitte en me saluant uniquement.
— Désolé Magnus, je croyais que j'avais un peu plus de temps, alors j'allais sortir Otis au parc quand Catarina m'a avisé que le cours était terminé. Heureusement qu'elle m'a avisé.
L'asiatique a l'air décontenancé. C'est vrai que mon père n'a pas été tendre envers lui. Il faudrait que je lui fasse oublier. Et puisque Maman a insisté pour que je sois son guide pour visiter notre ville, pourquoi pas le faire tout de suite.
— Tu es disponible pour nous accompagner au parc ? Cela pourrait te changer un peu les idées.
Il semble surpris par ma demande impromptue. Il se reprend rapidement et esquisse un sourire des plus fabuleux. J'ai misé juste, je crois.
— Cela serait très apprécié. Tessa m'a parlé de cet endroit. Ça semble être un espace hors du temps, à l'entendre.
— Tessa a une imagination débordante. Elle a sans doute exagéré un peu.
— Tu m'en diras tant ! En arrivant ici, je m'attendais à une communauté tissée serrée, mais je t'assure que ses paroles bienveillantes commencent à me faire regretter mon ancien emploi. Il faut me croire, Alexander, je ne pensais pas que ce serait un jour possible.
— Nous ne sommes pas tous aussi dramatiques, tenté-je pour alléger la situation. Je crois qu'on devrait y aller avant que ma fille ne dévaste ton studio.
Je pointe le menton en direction d'Anna qui joue avec la chaîne stéréo tout en sautant sur la chaise qui est juste devant. Au même moment, Otis met ses deux pattes avant sur les épaules de Magnus et le lèche en plein visage.
À nouveau, je vois l'expression réticente du professeur. Il n'a pas du tout l'air à l'aise avec mon gros bêta qui ne cherche que quelques câlins.
— Oui... Oui... On devrait y aller, répond-il en repoussant du mieux qu'il peut mon chien.
— Anna, ma chérie, on y va. Magnus, nous allons t'attendre à l'extérieur, le temps que tu te changes.
Sans un mot, la petite revient vers nous en sautillant. Elle semble avoir pris du plaisir aujourd'hui. Dès que nous avons un peu d'intimité, elle et moi, je m'enquiers de ses leçons.
— C'était génial ! Magnus est vraiment bon ! Tu sais qu'il peut faire le grand écart dans les airs ?
— C'est vrai ? Crois-tu qu'un jour tu réussiras à faire pareil ?
— Je sais pas... Je vais devoir travailler fort.
— Au lieu de mettre le désordre partout à la maison, je te propose que tu pratiques. Ce serait plus productif pour tout le monde.
— Rhooo ! Alec, je le fais pas exprès...
Je n'ai pas le temps de répliquer que Magnus revient dans un superbe jean moulant troué et une camisole lilas bordée de dorures. Il n'y a que sur lui que ce genre de vêtements peut paraître fabuleux. On dirait même qu'il a ajouté un peu de fard à paupière doré pour s'agencer à sa tenue.
Cela me prend quelques secondes à détacher mon regard de son corps athlétique puis je reprends mes esprits pour nous diriger vers le parc. Otis a compris où nous allons et, dès cet instant, il tire avec force sur sa laisse. Je suis habitué à son enthousiasme mais, aujourd'hui, j'ai dû changer en hâte ma chemise et je dois avouer qu'il fait vraiment chaud en manches longues. Le soleil est à son zénith et sa chaleur, combinée à mes efforts pour garder Otis près de nous, me donne un coup de chaud.
— Alors Magnus, comment as-tu trouvé les filles ? Elles n'ont pas trop chahutées ?
— Oh ! Non, non, du tout, elles ont été adorables ! Je ne peux pas en dire autant de leurs parents, mais j'imagine que ce sera moins pire la prochaine fois.
— Par l'ange ! Si tu crois avoir vu le pire, c'est que Tessa t'a vraiment décrit la ville comme un conte de fée. Aujourd'hui, il y avait une réunion pour le match de foot annuel organisé par Raphaël. La plupart des parents y étaient. Je t'assure que la semaine prochaine tu auras le double de spectateurs.
— Quoi ? Mais ce n'est pas possible ! Comment puis-je donner un cours si on ne cesse de critiquer chacune de mes actions ?
Il passe une main lasse sur son front et pince sa camisole entre ses deux pectoraux pour la secouer un peu. Lui aussi a chaud. Son biceps qui se bombe est superbe avec cette fine sueur qui le recouvre. Il me semble d'ailleurs que le simple fait de le regarder faire me donne encore plus chaud. Est-ce le fruit du soleil ou juste que sa vue me rend dingue ? J'opte pour la première option qui est la plus plausible si on ajoute le fait que les enfants pataugent avec joie dans la fontaine qui borde l'entrée du parc.
Anna court vers ses amis et fait de même. Nous nous arrêtons quelques minutes pour qu'elle en profite un peu avant que nous entrions sur le terrain vallonné rempli d'arbres fruitiers qui offrent de grandes places ombragées pour les adultes qui regardent leur marmaille s'ébrouer dans le champ verdoyant.
— Magnus, tu voudrais bien tenir la laisse d'Otis ? Je vais enlever une épaisseur de vêtements. C'est une journée étouffante aujourd'hui.
— Oh ! Bien sûr, ça ne doit pas être sorcier, répond-il en attrapant la poignée.
▪ Magnus ▪
Il est vrai que je n'ai pas une grande habitude des chiens. Ou même des animaux en général. Dès qu'Alec me donne la laisse, celle-ci semble se tendre encore davantage. Mais c'est pas un chien, c'est un bœuf ! Je le regarde faire, étendre le museau vers la fontaine, couiner pour avoir le droit d'y aller. Avec la masse de poils qu'il a sur le corps et la chaleur qu'il fait, il doit avoir envie de se baigner aussi, pauvre bougre. Je le tire un peu plus vers moi et me penche légèrement pour le flatter. Il relève la tête et agite la queue un peu plus fort. Je ne comprends pas que tout le monde râle après lui, même s'il est un peu maladroit, il est assez mignon.
Machinalement, je tourne la tête vers mon voisin qui est en train d'attacher les manches de sa chemise autour de sa taille. Mes yeux se posent sur son torse et je me fige, le tissu de son t-shirt lui colle à la peau, dévoilant des muscles que je n'avais fait qu'imaginer jusqu'à présent. Je ne m'attendais pas à cette magnifique vision, si bien qu'Otis en profite pour se faire la malle.
Je m'arrache à ma contemplation que – heureusement – le sujet principal n'a pas l'air d'avoir remarquée et essaie de récupérer la laisse avant qu'elle ne me glisse complètement des doigts, mais c'est trop tard. Le chien a déjà bondi dans la fontaine en éclaboussant tout autour de lui. Alors que les vieux râlent, les enfants hurlent de rire. Visiblement, les adultes sont les seuls à trouver ce pauvre animal gênant. Je m'approche par-dessus le bord de la fontaine pour rattraper le bout de la laisse qui y flotte tranquillement.
— Otis, viens-là !
Je tire doucement sur la laisse pour l'inciter à me rejoindre mais il ne semble pas vouloir m'obéir. Je parviens, néanmoins, à lui faire faire quelques pas dans ma direction pour que je puisse attraper son collier. Sauf que c'est Alec, qui s'est approché sans que je m'en rende compte, qui le saisit et sort le chien de la fontaine.
— Je suis désolé, lui dis-je en lui rendant la laisse. Elle m'a glissé des mains.
Je ne vais quand même pas lui dire que j'ai été déconcentré par son corps de rêve ! Je l'aurais peut-être fait si je ne l'avais pas entendu discuter avec son père du fait qu'il a un rendez-vous avec une femme, demain soir. Ce serait gênant de continuer à chahuter un hétéro. Jusque là, il n'a pas eu l'air d'être autrement que gêné par mes boutades un peu directes.
— Ce n'est r-
Il est interrompu par Otis qui s'ébroue soudainement en nous éclaboussant tous les deux. Il lui pose la main sur la tête pour qu'il s'arrête et j'éclate de rire. Ce chien est un désastre sur pattes. Exactement comme moi.
— C'est rafraichissant, lancé-je alors qu'Alec a l'air de vouloir s'excuser.
Il rit à son tour et j'essaie d'essuyer mon visage, ce qui n'est pas évident avec mes mains trempées. Tant pis, ça ne tardera certainement pas à sécher.
Quelques parents viennent demander à leurs enfants de sortir de la fontaine, ce qui n'a pas l'air de leur plaire mais ils obéissent néanmoins.
— Quelle plaie ce chien !
Je me tourne vers un groupe de vieux qui s'approche, ils ont sans doute assisté à la scène et ressentent le besoin pressant de faire savoir leur mécontentement.
— Alec, tu sais bien qu'il n'a pas le droit d'aller dans la fontaine.
— Oui, je sais ! répond-il d'un ton agacé. Ce n'était qu'un accident, ça n'arrivera plus.
— Bin voyons !
— C'est de ma faute, interviens-je. C'est moi qui le tenais, je suis désolé !
Je voulais apaiser un peu la tension mais dès que j'ouvre la bouche, ils se mettent à lever les yeux au ciel et secouer la tête d'un air découragé. Je ne suis pas certain de les avoir tous déjà rencontrés mais, clairement, eux semblent me connaître. Même les vieux sont des concierges...
— Peu importe ! continue l'un d'eux. Il est toujours comme ça, intenable !
— Pire que des orties, râle un autre. Tu as bien choisi son nom, Alec.
Cette fois, c'est mon voisin qui lève les yeux au ciel et a l'air découragé. Je gage que ce n'est pas la première fois qu'ils lui disent ça.
— Oh les orties sont une plante bien trop sous-estimée, dis-je en haussant les épaules. C'est un excellent remède contre les rhumatismes !
— Comme si on allait suivre les conseils d'un... d'un...
Parce qu'ils se mettent tous à bougonner en même temps, je n'arrive pas à savoir si cette phrase était destinée à être homophobe, raciste, ou si c'est juste ma personne qui ne leur revient pas. Bizarrement, je ne me sens pas aussi offusqué que je croirais l'être de ressentir à nouveau le rejet clair des habitants de cette ville.
— Il paraît que c'est aussi très bon pour les problèmes de prostate.
Les vieux me regardent, visiblement un peu plus intéressés, et Alec cache un rire en le faisant passer pour une légère toux. Ils s'éloignent en recommençant à râler, avec un peu moins de conviction. Quand je me tourne vers le beau brun à côté de moi, il me regarde avec une expression amusée.
— Quoi ? soufflé-je. Mon ancienne voisine, à New York, était herboriste. C'est grâce à elle que j'ai une peau aussi parfaite !
Il rit à nouveau et Otis se remet à tirer sur la laisse, nous incitant à reprendre la promenade.
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