▪ Magnus ▪
J'avale un énième verre d'eau pour faire disparaître le goût de chocolat de ma bouche. Je ne compte pas le nombre de gâteaux que j'ai mangé. Ou plutôt le nombre de paquets. Mais le goût me reste en bouche et ça n'est clairement pas bon pour les efforts que je fais afin de ne pas me précipiter aux toilettes. L'angoisse viscérale provoquée par mon altercation avec Robert a laissé place à mon angoisse perpétuelle et je me surprends à y trouver une préférence.
Je reprends le déballage de sacs sur le comptoir de la cuisine. Je suis en train de sortir les guirlandes et boules de Noël, qui semblent fortement intéresser Freddie, quand ma porte d'entrée s'ouvre à la volée. Anna entre en courant et fait le tour du comptoir pour venir dans mes bras. D'abord je l'enlace, remarquant qu'elle est en larmes et essoufflée. Puis qu'elle est en chaussette et ne porte ni manteau ni pull.
— Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je aussitôt.
— Il est méchant, sanglote-t-elle. C'est un vilain, je l'aime plus !
— De qui tu parles, Princesse ?
— Papy !
Je me crispe mais resserre mon étreinte en la soulevant dans mes bras. C'est étrange qu'elle soit dans cet état à cause de lui, elle l'aime tellement. C'est pour ça que je n'arrive pas à imaginer une autre cause que ce qui s'est passé tout à l'heure. Mais comment est-elle au courant ?
D'autres bruits de pas précipités me viennent de l'extérieur et je vois Alexander arriver. En me voyant avec Anna, il s'arrête et s'appuie contre le chambranle de la porte. Il est essoufflé, lui aussi, et a les affaires de sa fille dans les mains.
— Vous venez de courir depuis la maison de tes parents ? deviné-je en m'approchant.
La petite fille serre ses bras autour de mon cou, comme pour être sûre que je ne la poserai pas par terre, et ne cesse de pleurer. Mon petit ami hoche la tête et reprend son souffle avant d'entrer en refermant la porte derrière lui.
— Anna, commence-t-il. Tu sais, Mamie, elle...
— Je veux plus les voir ! hurle Anna tout près de mon oreille. Ils sont méchants ! Ils aiment pas Magnus alors je les aime plus !
— Mamie n'est pas d'accord avec lui, explique Alexander. On le laissera pas dire ce genre de choses sans en subir les conséquences, je vous le promets. À tous les deux.
Seigneur... Je me retiens de lever les yeux au ciel, touché parce qu'ils veulent me défendre, et mal à l'aise en même temps. Je n'ai pas envie d'être source de discorde, ni d'une fracture dans cette si belle famille.
— Ce n'est pas si grave, m'entends-je dire un peu malgré moi. Il a juste un peu levé le ton pour expliquer son point de vue.
Je pars vers le salon, Freddie me suit de près pour ne pas être éloigné de sa copine. Je veux poser Anna sur le canapé mais elle continue de se tenir à moi, alors je m'assois et caresse doucement son dos.
— Allez du calme, lui soufflé-je. J'aime pas quand tu pleures, Princesse. Tu veux bien sécher tes larmes pour moi ?
Elle se redresse en reniflant et me fait un petit « oui » de la tête. Freddie s'approche pour quémander de l'attention et Alexander reste légèrement en retrait, dans la cuisine. Je reste concentré sur Anna qui passe et repasse ses mains sur son visage.
— T'es pas comme il a dit, hoquète-t-elle. Il a dit que ta danse c'est la danse de satan. Mais c'est pas vrai, hein ?
Je me mords la lèvre alors qu'elle me supplie des yeux de la rassurer. Je n'en reviens pas qu'il ait osé dire ce genre d'horreurs devant une petite fille. Vu qu'il l'a fait en pleine rue, je ne devrais peut-être pas être surpris, cela dit. Je caresse doucement les cheveux d'Anna.
— Non, c'est pas vrai. C'est seulement une danse comme celles que je vous apprends, sauf que celle-là, elle est pour les grands. Mais n'y pense plus, d'accord ?
— C'est tout ce qu'il a fait ? demande brusquement Alexander. Il a juste « levé le ton » ?
Je me tourne vers lui et c'est à mon tour de hocher la tête, ayant du mal à lui mentir directement. Mais je n'ai pas envie qu'il se dispute davantage avec son père, pas à cause de moi. Je sais que c'est délicat entre eux depuis son coming out et j'en ai assez de tout mettre en vrac dans sa vie... Visiblement, ma simple présence à ses côtés suffit pour ça. Inutile d'envenimer les choses en lui montrant à quel point cela a pu m'affecter. Cela passera, ce n'est pas si grave.
Je dépose un baiser sur le front d'Anna qui se raccroche à moi quelques instants avant de descendre de mes jambes pour aller jouer avec Freddie. J'esquisse un sourire puis me lève pour rejoindre mon petit ami qui est toujours à l'entrée de la cuisine. J'attrape sa main mais il la retire aussitôt. Tout à coup, je me dis que son père n'a peut-être pas été plus doux avec lui qu'avec moi.
— Sayan... Je suis désolé.
— Pourquoi t'excuses-tu ?
— Si j'avais été plus prudent, l'autre fois, il n'aurait pas...
— Ce n'est pas ta faute s'il est aussi fermé d'esprit.
— Il finira par...
— Arrête, me coupe-t-il. Ne dis pas qu'il finira par se faire une raison. Cette fois, il est allé trop loin.
Il pose enfin sa main sur mon épaule et il caresse doucement mon cou du bout des doigts. Je n'ai pas réussi à le rassurer comme je l'ai fait avec Anna, malheureusement.
— Il n'a fait que te crier dessus ? demande-t-il encore une fois.
— Oui, je te le promets.
— Et tu ne te demandes pas comment j'ai su ce qui s'est passé ?
Je me crispe un peu au ton plus froid qu'il emploie. Je n'ai pas vraiment l'habitude qu'il me parle de cette façon et je me demande ce que ça cache.
— Comment ça ? J'ai cru que c'est lui qui te l'avait dit.
— Non, c'est pas lui. C'est Clary qui est venu jusque chez moi pour me prévenir, juste au moment où tu as annulé notre soirée.
— Oh.
Je me détourne, les joues rouges de honte, en réalisant qu'il sait pertinemment que je viens de lui mentir à deux reprises. Non, je ne doute pas un seul instant que Clary lui a dit tout ce qu'elle a vu et probablement entendu. Je suis un idiot...
▪ Alec ▪
Je croyais que notre relation avait évolué et que Magnus me faisait assez confiance pour m'avouer ce que mon père lui a fait. Je viens de faire un pas irréversible en m'en prenant à Papa de cette manière. Je m'attendais donc à ce que mon petit ami soit franc envers moi.
— Alors ? Tu crois me mentir encore longtemps ? Depuis quand se faire frapper n'est « pas si grave » ?
— Il... Je l'ai provoqué ! me dit-il, paniqué que j'aie découvert son secret.
— Oui ! Certainement que ta « danse du diable » l'a provoqué. Vas-tu finir pas être honnête, Magnus ? J'ai franchement pas l'énergie pour faire semblant de croire à tes mensonges.
Je vois que mon petit ami se tortille les doigts tandis qu'il jette un œil en direction d'Anna qui lève un regard effaré vers lui. Bien sûr qu'elle a tout entendu et qu'elle est désemparée par le fait que son si gentil papy a frappé Magnus.
Je vois la lèvre de mon amoureux se mettre à trembler. Malgré tout, il ne répond pas à ma question. Plus qu'énervé, j'attrape le linge de table qui traîne sur le comptoir et commence à frotter la surface sans ménagement. Il n'est pas question que Magnus s'en sorte, cette fois. Je vais rester aussi longtemps qu'il le faudra. Ma patience a ses limites et quand cela arrive, le ménage devient une vraie obsession.
J'attrape un sachet de gâteau vide qui gît en plein sur le chemin de ma guenille et traverse la cuisine jusqu'à la corbeille. La rage que j'ai déversée sur mon père est toujours présente, alors mon pied écrase la pédale de la poubelle dont le couvert vient frapper le mur dans un fracas qui reflète ma fureur. Je jette le papier qui tombe à côté. Encore plus frustré, je pousse un rugissement sourd tout en le ramassant. C'est à ce moment que mon cœur s'arrête.
Debout, je ne distinguais rien, mais penché comme je le suis, je vois que la boîte de gâteau surplombe des tas d'autres papiers à l'effigie des friandises préférées d'Anna. Magnus les a achetées hier, en me précisant qu'elles étaient pour le dessert d'Anna lorsqu'elle viendrait manger chez lui. Incapable d'occulter toutes ces preuves dont mon petit ami s'est gavé, je reste figé pour compter de façon sommaire le nombre de papier. Ils sont tous là ! Nom de Dieu ! Je suis en train de m'en prendre à Magnus alors qu'il était probablement en pleine crise avant que nous arrivions.
Mon mutisme est révélateur de ma honte car Magnus accourt pour fermer la poubelle et me pousse hors de la cuisine pour nous rendre assez loin pour que ma fille ne nous entende pas.
— Tu... Tu as recommencé ? débuté-je de ma voix coupable.
— Je ne me suis pas fait vomir, si c'est ce qui t'inquiète.
— Bien sûr que je m'inquiète, Magnus. On avait dit que tu devais m'appeler si tu avais besoin. C'est... Tu as fait exactement le contraire, continué-je les yeux dans l'eau.
— Je ne pouvais pas ! Je suis désolé, Sayan. Tu m'aurais posé des questions auxquelles je n'aurais pas su quoi te répondre.
— C'est justement pour ça que tu dois m'appeler. J'ai dit que je ne t'en voudrais jamais pour ça et que je ferais tout pour t'éviter des situations stressantes. Au lieu de cela, je t'ai conforté dans ta peur de me parler. Je t'aime Magnus. Je veux que tu ailles mieux mais, pour ça, on doit communiquer un minimum. Maintenant, je me sens coupable d'avoir réagi avec autant de force. Je suis désolé, mon amour, je n'ai pas été à la hauteur.
Je renifle tout en évitant son regard. Quelle stupide idée j'ai eue de foncer chez Papa au lieu de venir voir comment Magnus allait. Clary a été clair avant notre discussion : j'aurais dû me rendre directement ici pour le rassurer.
Face à moi, Magnus entame un pas hésitant en ma direction. Il tend sa main vers mon visage et caresse ma joue.
— Ne t'en fais pas, réussit-il à articuler. J'ai l'habitude de faire face sans toi. Ce n'est pas ta faute, c'est la mienne.
— Mais non ! Tu ne comprends pas ! Nous ne sommes en rien responsables. C'est Papa ! Personne d'autre.
— Je suppose que tu as raison, murmure-t-il. Ton père m'a rappelé de très mauvais souvenirs de mon enfance. Je me suis revu, enfant, avec mon propre paternel qui me traitait de tous les noms jusqu'à ce qu'un jour il me frappe. J'étais prisonnier de ce souvenir. Il m'a littéralement bouffé toute la maîtrise dont j'ai fait preuve ces dernières semaines. C'était plus fort que moi, Sayan. Je suis désolé !
Mû par une force d'attraction irrépressible, je franchis le dernier rempart entre mon bel asiatique et moi pour l'enlacer le plus fort que je peux.
— Ça va aller Magnus. On va y arriver ensemble. Si tu veux, je peux écouter tout ce qui te chagrine depuis si longtemps. Il faut aussi que tu en parles à ton psychologue. Peut-être qu'il saura quoi faire pour t'aider. Tu es toute ma vie, Pacar. Et je veux que tu ailles bien. Ne laisse pas mon père nous séparer. Tu en vaux la peine à mes yeux. Si tu savais combien tu m'es précieux.
Je l'embrasse dans le cou et frotte mon oreille contre la sienne. De même, mes mains le serrent davantage pour lui montrer combien j'ai peur de le perdre.
— Je vais voir avec le docteur Wells. Je vais tout faire pour que tu sois fier de moi.
— Magnus, mon amour. Il n'est pas question de moi. C'est toi qui dois être fier de toi. C'est le premier pas vers la guérison.
— On croirait entendre mon psy ! rigole-t-il au creux de mon cou.
Je sais qu'il essaie tant bien que mal de détendre l'atmosphère mais, au fond de lui, je comprends qu'il est encore chamboulé. Je prends donc une décision que je n'aurais jamais faite avant aujourd'hui.
— Tu viens dormir chez moi ! Et ce n'est pas un choix. Je t'aime. Anna t'aime. Otis t'aime. Je veux que tu ressentes ce que c'est d'être dans une famille qui ne veut que ton bonheur.
Je me redresse et l'embrasse sur le front. Ses yeux sont luisants et bien trop rouges à mon goût. Il faut que je lui change les idées.
— Tu veux l'annoncer à Anna ? Elle attend déjà depuis trop longtemps que tu t'occupes d'elle le matin.
Même si nous nous sommes écartés l'un de l'autre, je sens son cœur revivre et ses yeux s'illuminer. Il ne sert plus à rien de nous cacher à présent.
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