Chapitre 3
▪ Magnus ▪
Ces dernières semaines ont été chaotiques. Même pour moi, qui n'ai jamais été un modèle de stabilité. Lorenzo devait bien s'attendre à ce que ça arrive un jour, de toute façon. Il m'a toujours reproché d'être trop impulsif et exubérant. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai décidé de rejoindre sa troupe, il y a quatre ans : sur un coup de tête. Ils ont passé ces dernières années à me dire de me contrôler, de suivre les plannings sans broncher. Je ne sais pas comment les autres font pour tenir le rythme. Ah si, je sais ! Ils n'ont pas besoin de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas, en plus de tout le reste !
Le lendemain de la dernière représentation de notre spectacle, de retour à New York, j'ai annoncé à Lorenzo que je partais. C'était un mois après ma rencontre avec Tessa, un mois durant lequel on a discuté longuement, elle et moi, pour que je sois sûr de ma décision. J'avais peur qu'en remontant sur une scène de Broadway ma détermination vacille, mais ça n'a pas été le cas. Sûrement parce que Camille ne m'a pas une seule fois laissé le temps d'apprécier ma ville préférée. Et ça a été encore pire quand elle a appris que je partais. Elle m'a fait des scènes tous les jours, même après que je l'ai surprise en train d'embrasser le nouveau venu destiné à me remplacer. Franchement ? Je lui souhaite bien du courage, à ce gamin ! Ils vont lui prendre tout ce qu'il a. Sa passion. Son amour pour la danse. Ils vont tout aspirer avant de laisser son cadavre vide sur le bord de la route pour revenir de temps en temps s'il a le malheur de retrouver la flamme. Bon, je dramatise peut-être mais c'est comme ça que je l'ai vécu.
Je suis arrivé à Luray il y a deux jours, quelques heures avant les déménageurs. Ça m'a laissé le temps de visiter ma nouvelle demeure que j'ai achetée en ne voyant que des photos et avec les conseils de Tessa qui m'a assuré qu'elle était correcte. « Correcte ». J'imagine qu'elle pensait que mes attentes étaient déraisonnablement hautes, comme tout New Yorkais qui se respecte. Mais à l'instant où j'ai passé la porte de cette maison, je me suis senti chez moi. Elle est bien placée, dans une rue tranquille, un quartier résidentiel. Toute l'activité se trouve en centre-ville. J'ai l'impression d'être dans un autre monde.
En début d'après-midi, des livreurs sont arrivés avec une partie des meubles que j'ai achetés en ligne. Pour être parfaitement honnête, je n'avais pas tant d'affaires que ça à ramener de New York. Je vivais dans un appartement que je ne voyais que pour y dormir, la plupart du temps. Quand j'ai réalisé que j'y vivais depuis cinq ans et que je n'avais même pas pris la peine de décorer, ça m'a définitivement conforté dans ma décision. Je n'avais aucun meuble – puisqu'ils appartenaient au propriétaire –, je n'ai eu à déménager que mes effets personnels et, oui, ça a nécessité un camion. Peut-être parce que j'ai tendance à garder les choses même quand je sais qu'elles ne me seront plus utiles. Peut-être parce que j'ai beaucoup de vêtements. Genre, vraiment.
Mon salon est une pile de cartons. Je fais cette constatation aux alentours de dix-sept heures, appuyé contre le cadre de la porte, une tasse de café à la main, et je me mets à rire. J'ai commencé à dispatcher les boîtes dans les différentes pièces mais je n'ai pas encore trouvé le courage de les déballer.
Je me redresse en entendant le grincement du petit portail et, quelques instants plus tard, la sonnette retentit dans la maison. Je pose ma tasse sur le comptoir de la cuisine et vais ouvrir, surpris d'avoir de la visite.
— Bonjour mon chou, s'exclame Tessa en me poussant pour entrer. J'espère que tu es prêt, aujourd'hui c'est ton baptême de feu !
— Pardon, quoi ?
Elle pouffe de rire et me conseille de laisser la porte ouverte. J'obéis mais la regarde, attendant une explication à son comportement. Pas qu'elle entre chez moi sans que je l'y invite – elle sait qu'elle est déjà la bienvenue pour l'éternité –, mais qu'elle se montre si énigmatique. Un baptême de feu, de quoi parle-t-elle ?
— Tes voisins viennent te souhaiter la bienvenue !
J'écarquille les yeux et dois sans doute avoir l'air paniqué parce qu'elle vient gentiment m'enlacer. Je jette de nouveau un œil à mon salon qui est à peine praticable, à ma cuisine vide et au jardin, par la baie vitrée, qui a été laissé à l'abandon depuis des années. Mon cœur s'accélère brusquement alors que l'angoisse monte.
— Mais je peux pas recevoir qui que ce soit ici ! lancé-je. Et dans cet état !
Ma voix tremble – la honte. Mais la seule chose sur laquelle j'arrive à me concentrer c'est que ma première rencontre avec mes nouveaux voisins, et potentiels futurs clients, va être catastrophique. Tessa m'adresse un sourire chaleureux et pose ses mains sur mes épaules pour me diriger vers les escaliers.
— Va te changer, je m'occupe de faire de la place dans le salon.
— Non, je ne vais pas te laisser...
— Ne discute pas, jeune homme ! me coupe-t-elle, autoritaire.
— Bien M'dame !
Cette femme est un ange. Je monte en vitesse dans ma chambre pour, au moins, enfiler une tenue décente – plus qu'un legging et un sweat trois tailles trop grand. Quelques minutes plus tard, je la rejoins, vêtu d'un jean noir et d'un t-shirt pailleté. J'ai tout juste pris le temps de me maquiller et de mettre un peu de gel dans mes cheveux.
Quand Tessa me voit, elle lâche le carton qu'elle avait dans les mains. Aussitôt, je me remets à paniquer.
— Quoi ? Ça va pas ? demandé-je en pointant ma tenue.
— Mais comment as-tu fait pour ressembler à ça alors qu'il y a cinq minutes tu avais l'air d'un ado qui ne veut plus sortir de chez lui ?
Je souffle, soulagé. Je l'adore mais elle va finir par me tuer. Je l'aide à mettre une partie des cartons sous l'escalier et, le reste, derrière une étagère. Elle me rassure et m'explique, de nouveau, qui s'est chargé de lancer le projet de reprise de l'école. Elle m'a déjà donné les noms mais je ne leur ai pas parlé, c'est même elle qui m'a fait signer mon contrat, la semaine dernière. Ils lui font une confiance aveugle, apparemment.
— Bonjour, bonjour !
Une voix féminine nous interpelle depuis l'entrée, je me retourne et vois deux femmes. Une brune, qui tient un plat dans ses mains, et une rousse, elles sont clairement mère et fille.
— Jocelyne, Clary ! s'exclame Tessa en allant à leur rencontre.
Elle les enlace, l'une après l'autre, et la dénommée Jocelyne s'approche de moi.
— Vous devez être Magnus, enchantée ! Ça fait du bien de voir un nouveau visage !
— Tout le plaisir est pour moi.
Elle pose sa main sur mon bras en me souriant et m'explique qu'elle a apporté des lasagnes, sachant parfaitement que tout le monde va venir. J'adore être le dernier au courant. Mais, bizarrement, je ne me sens plus aussi angoissé.
▪ Alec ▪
Ma mère me tire par le bras et tient Anna par l'autre main. Mon père traîne de la patte sachant qu'il doit parler à l'homme qui a remplacé Tessa. Pour ma part, je reste sur mes gardes car dès que l'ancienne prof de danse nous a communiqué le nom du nouveau, j'ai associé le fait qu'il soit un homme avec Max. Pourquoi ai-je accepté que ma fille prenne des cours de danse ? Comme Maman est au courant, il n'est pas question de faire machine arrière.
Ainsi donc, nous nous retrouvons derrière ma propre maison à enjamber les mauvaises herbes qui jonchent le terrain de mon voisin, un certain Magnus Bane. Ce nom ne m'est pas inconnu, mais je ne me souviens pas comment il est déjà parvenu à mes oreilles. Il a peut-être fait ses études avec mon frère. Cela ne serait pas surprenant étant donné le métier qu'il fait.
— Dépêchez-vous ! se plaint Maman. Tout le monde est arrivé.
Par la grande baie vitrée, j'aperçois la crinière rousse de Clary, la meilleure amie de ma sœur. Je repère aussi Tessa ainsi que Jocelyne, la mère de Clary. Évidemment que Jocelyne est là. Son activité favorite est d'énerver Maman. Elle n'aurait jamais manqué l'occasion de le faire encore aujourd'hui. Ce qui rend les choses encore plus compliquées, c'est qu'Izzy, ma sœur cadette, est l'amie d'enfance de sa fille chérie.
Elles n'ont pas eu le choix de se côtoyer depuis leur naissance à une journée d'intervalle. Déjà, Jocelyne en a fait toute une histoire lorsqu'elle a dû laisser le seul lit de la maternité pour que Maman accouche. Le lot des petites villes, c'est exactement ça : se voir dès le matin en sortant prendre le journal tout comme à l'épicerie ou au restaurant. Partout, on aperçoit des visages connus. Alors aujourd'hui est extrêmement important. Faire la connaissance d'un nouveau résident est devenu la fête que personne ne veut manquer. Absolument personne.
Enfin, peut-être que je suis l'exception. Des inconnus, j'en rencontre tous les jours, avec mon travail à la grotte. Celle-ci représente la plus grande attraction de Luray avec le musée de voitures que mes parents gèrent tout juste à côté. Notre famille est très respectée dans notre petite ville alors, que Jocelyne tienne tête à Maman sans arrêt a fini par devenir une autre attraction très importante, pour les résidents cette fois. Les seules personnes à ne pas s'en rendre compte sont, bien entendu, les deux femmes. Les paris sont toujours ouverts à savoir laquelle partira en premier de l'endroit où elles se retrouvent inévitablement.
— Dépêchez-vous ! Jocelyne est déjà là, se plaint à nouveau Maman.
Pour arriver plus vite, Maman utilise la porte arrière au lieu de contourner la maison. Cela lui permet de faire une entrée plus fracassante et d'attirer ainsi les regards sur elle.
En ouvrant la porte, ma mère s'aperçoit finalement que ce n'était pas une si bonne idée. Un canapé bloque en partie l'entrée et des boîtes sont entassées derrière. En voulant passer un pied par-dessus un carton, elle perd l'équilibre et se retrouve à demi couchée dans les bras d'un asiatique.
— Je vous ai sauvée, on dirait, s'exclame la voix grave de l'homme aux yeux soulignés d'un trait de khôl.
— Oh que c'est charmant, murmure ma mère en admiration devant le futur professeur d'Anna.
Il a un magnifique sourire, magnétique et coquin à la fois. Je dois l'avouer, l'homme gay que je suis a un instant de pur contentement en le voyant aussi athlétique et souple. Il se redresse, remontant du même coup le corps de Maman qui n'a d'yeux que pour son sauveur. Je l'avoue, personne de sensé ne peut rester indifférent à un charme aussi explosif.
— Cela suffit, Maryse ! Laisse donc ce... ce, enfin le voisin d'Alec tranquille, glapit mon père en arrachant ma mère aux bras protecteurs de l'asiatique.
— Toujours la première à tourner de l'œil, hein ! Franchement ! Comment oses-tu faire honte ainsi à ton mari ? s'indigne Jocelyne. Tu n'as même pas la décence de sembler honteuse de ta fausse maladresse.
— Et toi, tu t'es précipitée ici dès que tu as su que nous nous y rendions. Parlons-en de celle qui fait de l'œil à chaque nouveau citoyen.
— Mais pardon ! Je n'oserais jamais regarder un autre homme que mon Luke chéri.
Les deux femmes continuent à s'insulter de façon tout à fait civilisée. Du coin de l'œil, je vois Aldertree, l'homme qui prend toujours les paris, accepter un billet de dix provenant de la main discrète de Raphaël. Je roule des yeux en comprenant que les mises ont déjà débutées, à savoir, qui quittera la maison la première.
— Je ne suis pas certain si je dois être heureux d'avoir sauvé cette dame ou si j'aurais dû la laisser se fendre le crâne sur le coin de la table d'appoint.
Tout juste à mes côtés se trouve mon voisin à la mine amusée face à un tel spectacle.
— D'ici quelques mois vous n'y porterez même plus attention, réponds-je, séduit par son sens de l'humour.
— D'accord, je suis rassuré. En passant, moi, c'est Magnus.
— Enchanté, je m'appelle Alec et voici mes parents Maryse et Robert Lightwood. Et ici, ma fille Anna qui ne tient plus en place depuis qu'elle sait que les cours de danse auront bien lieu.
— Ah ! Une admiratrice, répond l'asiatique en tendant la main vers Anna. Ton papa est un homme avisé de t'avoir inscrite.
— Alec voulait pas. Il te déteste, répond spontanément ma nièce.
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