Chapitre 21
▪ Alec ▪
Je vois un sourire narquois apparaître sur le visage de mon bel asiatique. S'il savait ce que Maman a osé me demander, il ravalerait toute sa bonne humeur. J'hoche la tête pour confirmer que cela me fera plaisir de l'accompagner à New York sans laisser paraître la grande joie qui enserre mon cœur. Quelques jours avec Magnus, sans personne pour nous épier, ni besoin de se cacher, c'est presque trop parfait.
Magnus semble avoir trouvé un sujet plus qu'intéressant pour mon père. J'ai l'impression qu'il vient de gagner encore quelques points. Si Papa n'était pas si conservateur, aussi. Ce serait tellement plus simple. L'envie de crier au monde entier que je suis avec cet homme merveilleux est encore plus présente que jamais.
Si j'avais su que Papa accaparerait mon petit ami aussi longtemps, je n'aurais jamais proposé à Magnus de venir dans le musée. Il me semble que les minutes sont interminables. Je connais chacune des pièces de collection que nous avons sur le plancher, je ronge donc mon frein en attendant de récupérer mon bel asiatique qui semble aussi passionné que Papa.
Ce n'est que lorsque Magnus se couche sous l'un des véhicules que je prends conscience que ce n'est pas juste pour être dans les bonnes grâces de Papa, cette visite le rend heureux, vraiment heureux. Il n'hésite pas à proposer des voitures qui pourraient s'harmoniser à chacune des salles déjà bien remplies. Je souffle lorsque les deux hommes de ma vie se donnent une large poignée de main avant que nous quittions enfin.
— On dirait que tu as bien plus apprécié cette visite que celle de la grotte, murmuré-je en mettant un pied à l'extérieur.
— Oui, c'est du délire ! T'imagine pas ce que je viens de vivre.
— Ouais, j'en ai une vague idée, à voir comment tes yeux sont lumineux.
— Alexander ? Tu ne serais pas un peu jaloux ?
— Je viens de perdre deux heures dans le musée de mes parents alors que j'ai pris le reste de la matinée off pour toi. J'espérais qu'on la passerait ensemble, mais j'ai à peine pu dire trois mots tellement vous étiez dans un autre monde que le nôtre.
— Oh ! Que c'est charmant ! Monsieur ronchonne parce qu'il manque d'attention. Dis-moi comment je pourrais me faire pardonner.
— En fait, je ne comptais pas t'en parler puisque ça va te choquer, mais puisque tu insistes...
— Tu viens passer la nuit chez moi ? me répond-il aussitôt de son air enjoué.
— Non, pas vraiment. Mais tu me dois quelques heures en ta compagnie, alors...
— Oh ! Je sais ! Un film avec Anna ?
— Magnus, arrête de me couper. C'est déjà pas évident de te proposer ça. Non, en fait, ma mère m'a dit que Lydia voulait un double rancart. Elle veut te présenter sa manucure. Elle dit qu'elle serait parfaite pour toi.
J'ose le regarder en face et ce que j'aperçois me rend encore plus nerveux. Bien sûr Magnus est surpris, mais vient ensuite la haine. Est-ce que cet état m'est destiné ou bien sont-ce plutôt Maman ou Lydia qui sont sur le point d'être traitées de tous les noms ?
Mon petit ami passe une main lasse dans ses cheveux, puis il parle sans une once de sentiments.
— C'est on ne peut plus clair. Ta future femme me prend pour un cafard, indigne de l'une de ses amies. Elle préfère me présenter sa manucure.
— Mags, je ne me marierai jamais avec Lydia.
— C'est ce qui te préoccupe le plus dans tout ça ?
— Je... Laisse tomber, je voulais juste passer du temps avec toi. Je n'ai même pas idée de quand on pourra se revoir après aujourd'hui.
Il se raidit. Bien sûr que je comprends qu'il n'aime pas Lydia. C'est sa plus proche rivale, si on peut le dire ainsi. Il va tout faire pour rendre ce repas merdique. Je pense que c'est préférable de ne pas insister.
— Et tu penses t'en sortir aussi facilement, gronde-t-il en marchant vers sa voiture d'un pas rapide. C'est de la pure torture à chaque fois que je me retrouve en face de Lydia. Je me sens comme un moins que rien dès qu'elle ouvre la bouche. Tu as au moins remarqué comment elle me traite ?
À cette dernière phrase, Magnus se retourne brusquement. Des flammes de colère traversent ses yeux si beaux. Honteux, je penche la tête et tords mes doigts.
— Je n'ai pas remarqué parce que quand tu es près de moi, je ne pense qu'à toi. J'en oublie tout ce qui se passe en dehors de nous. Je vais y aller seul, c'est pas grave. Je comprends ton point de vue, mais sache que peu importe ce qu'elle a pu te dire, je n'en pense pas un mot. Tu es formidable et elle, c'est tout le contraire. Maintenant que je sais, je la déteste encore plus qu'avant.
Je me retiens pour ne pas pleurer. Ce n'est pas dans mes habitudes d'être aussi mal. Magnus me plaît et j'aimerais cent fois mieux être avec lui demain qu'avec cette vipère. Ma lèvre inférieure tremble légèrement et je serre les dents pour tenter de ne pas laisser paraître mon trouble. Je ne suis qu'un opportuniste qui n'a pensé qu'à lui. J'espère juste qu'il ne va pas m'en vouloir trop longtemps. Magnus se rapproche et soupire tout en prenant mes mains entre les siennes.
— Par l'ange Alec, ne fais pas cette tête !
J'ose le regarder et je sais que j'ai l'air pire encore que ce que je m'imaginais quand je le vois relâcher les épaules.
— D'accord, je viendrai mais, par pitié, ne me fais plus cet air de chien battu sans que je ne puisse te prendre dans mes bras. Ce ne sera pas si horrible que ça. J'aime bien discuter manucure. En fait, je serais dû pour un bon traitement.
Je ne suis pas certain s'il est sérieux ou pas. Un coup d'œil à ses doigts et j'y vois du vernis noir. C'est fort probable qu'il sera plus à l'aise que moi à ce foutu rendez-vous. Il n'a pas du tout de préjugés face à cette demoiselle qui sera la quatrième roue du carrosse, il déteste tout simplement Lydia. Ce qui est un « plaisir partagé ».
— Merci, Pacar ! Je te promets de faire des efforts pour qu'on se voit plus souvent. Je n'aime pas te voir aussi fâché contre moi.
— Ce n'est pas dirigé contre toi, loin de là, mais j'avoue que je m'attendais à te voir plus souvent. Tu penses qu'on pourrait se le faire ce film avec Anna ?
— Oui, ce serait sympa. Je vais lui en parler pour samedi. Surtout, n'oublie pas Freddie sinon on va l'entendre râler pendant toute la soirée.
Magnus rit bruyamment, avant de me tirer hors de la vue de tous les yeux qui pourraient nous observer. Rendus derrière la voiture, nous nous penchons pour nous embrasser pendant quelques secondes.
▪ Magnus ▪
Parce que le parking est beaucoup moins vide que j'aimerais qu'il le soit, je me maîtrise et m'empêche de continuer à embrasser Alexander. Pourtant j'en ai envie. Je m'appuie contre ma voiture en soupirant. Un double rencard... Mais pourquoi a-t-elle ressenti le besoin de me présenter quelqu'un ? C'est ridicule. Je n'ai pas envie d'y aller ni de la voir et encore moins de lui faire plaisir en participant à je ne sais quelle mise en scène. Si ce n'était pas pour Alexander, j'aurais refusé et lui aurais expliqué ma façon de penser, à cette pétasse.
Mon petit ami s'appuie à côté de moi, pas trop près, juste assez pour que nos mains se frôlent discrètement.
— Je crois que, tout à l'heure, c'était pas loin d'être la première fois que je t'entendais parler de ton père. Tout comme j'ignorais que tu avais une telle passion pour les voitures anciennes.
— La danse est une passion plus envahissante, réponds-je en regardant les arbres, sur le bord du parking. Et les gens ont tendance à penser que ces deux intérêts sont incompatibles alors j'ai pris l'habitude de ne pas trop en parler.
— Tout comme tu essaies d'éviter de parler de tes parents, maintenant ?
Ses doigts s'accrochent aux miens un peu plus franchement et je ne peux m'empêcher de sourire. Il est bien trop perspicace et il fait trop attention à ce que je peux dire. Voilà pourquoi il a découvert mon secret aussi facilement. Ou bien c'est moi qui fais moins attention parce que je me sens bien avec lui.
— C'est juste qu'il n'y a pas grand-chose à dire à leur propos... Je ne les ai pas vus depuis dix-sept ans.
Il y a quelques mois j'ai même fêté le fait que j'ai passé plus longtemps de ma vie loin d'eux plutôt qu'avec eux. Ma réponse semble choquer Alexander.
— Dix-sept ans ? Mais quel âge tu avais quand...
— Seize ans. Je suis parti à seize ans.
— C'est très jeune...
Incapable de soutenir son regard alors qu'une boule se forme dans ma gorge à la simple évocation de mes parents, je regarde nos mains.
— Mes parents sont invivables, finis-je par dire. Je ne les ai jamais entendu se parler autrement qu'en criant ou en se faisant des reproches. À la maison, c'était soit le calme plat, soit les cris sans aucun entre-deux. Et quand mon père ne criait pas sur ma mère, il me criait dessus. Tout était prétexte à m'engueuler ou à se moquer de moi : mes notes, la musique que j'écoutais, la danse, mon...
Mon poids. Mais le mot ne sort pas.
— Enfin bref... J'en suis arrivé à un point où c'était impossible de continuer à vivre avec eux. Je voulais aller à Juilliard, mes parents torpillaient mes efforts en me répétant à quel point j'étais ridicule, que je n'étais pas à la hauteur. Je ne me suis pas laissé faire, je suis parti et je suis presque certain qu'ils ne m'ont pas cherché un seul instant. Après six mois, je me suis fait émanciper, c'est mon avocat qui les a contactés, ils ont accepté de signer les papiers sans rechigner. C'était mieux pour tout le monde.
Mes parents font partie de ces gens qui ne sont pas faits pour avoir des enfants. Je soupçonne que ma mère ait appris sa grossesse trop tard pour avorter et qu'ils n'aient pas osé me faire adopter à ma naissance. Ma grand-mère ne les aurait sans doute pas laissé faire, de toute façon.
— Pourquoi ne voulaient-ils pas que tu ailles à Juilliard ? demande Alexander. Ils t'ont pourtant fait faire de la danse.
— C'est ma grand-mère maternelle qui m'a inscrit à un cours de danse classique quand j'avais sept ans, réponds-je en essuyant ma joue. Elle est décédée quand j'avais douze ans et j'ai pu continuer à me payer les cours avec l'argent qu'elle m'a laissé.
— Donc la famille... c'est pas vraiment ton truc.
— Pas la mienne, en tout cas. Mais je sais que c'est parce que ce n'étaient pas des relations normales, elles étaient même carrément toxiques. Pour les autres c'est différent, pour toi ça l'est... Et j'en suis heureux.
Ce serait sûrement un mensonge de dire que je n'aimerais pas avoir une famille aimante même si, jusqu'à présent, cette pensée ne m'avait pas traversé l'esprit. Je m'appuie un peu contre Alexander, j'espère qu'il ne me repoussera pas parce qu'on risque d'être surpris.
— Je suis désolé que tu aies eu à vivre ça, me dit-il simplement. Et que tu passes encore par des choses difficiles. Si tu as besoin d'en parler ou de quoi que ce soit... je suis là, d'accord ?
— Merci, Sayan...
Il se penche légèrement pour que ses lèvres effleurent ma tempe puis nous entendons sa mère l'appeler en criant. Comme nous sommes à l'autre bout du parking, elle n'a pas pu nous voir mais mon petit ami se redresse et s'écarte de moi avant de lui faire signe qu'il arrive.
— Qu'est-ce que tu vas faire du reste de ta journée ?
— Aller au studio, accrocher le planning des cours, m'entraîner. Dis, tu crois que le conseil verrait un inconvénient à ce que je change la décoration ?
— Tu ne l'as pas déjà fait ?
Un peu offusqué, je me remets plus solidement sur mes pieds et pose une main sur mon torse.
— Tu crois que ce carnage de rose est de mon fait ? Seigneur, j'ai meilleur goût que ça !
— Excuse-moi, Mags, rétorque-t-il en se mettant à rire. Ne le prends pas mal, s'il te plaît.
— Je ne le prends pas mal mais tu as pensé que j'avais de mauvais goûts !
— Pardonne-moi, je vais en parler à mon père.
— J'espère bien !
Ses rires redoublent devant ma mauvaise humeur feinte. Je fais le tour de ma voiture pour m'installer derrière le volant. Au moins, il a retrouvé le sourire, j'avais peur que parler de mes parents ait jeté un froid. Je préfère être le seul affecté. Je lui envoie un baiser à travers la vitre et démarre pour rentrer à la maison.
En réalité, je n'avais pas prévu d'aller au studio aujourd'hui mais je crois que je vais avoir besoin de m'occuper l'esprit. J'ai encore la gorge nouée et mes mains sont crispées sur le volant pour que je ne les voie pas trembler. J'ai envie de manger, de m'empiffrer. C'est souvent le cas quand je parle de mes parents et que, immanquablement, je repense aux pires années de ma vie. L'adolescence est toujours difficile, c'est une période horrible, mais au moins quand des personnes tiennent à nous c'est plus simple à passer. Je n'ai pas eu ça. Tout ce que j'ai eu ce sont les remarques acerbes de ma mère et les humiliations de mon père. Et après on se demande pourquoi je les ai fuis toute ma vie.
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