5. Melinn
DISCLAIMER: Les légendes présentes dans ce roman sont des textes que j'ai inventés ou réinterprétés, ce ne sont en aucun cas les mythes d'origine.
Bonne lecture !
Melinn était assise dans une salle vide. On venait de ranger toutes ses affaires et le seul objet qu'il lui restait était le kimono qu'elle portait. Elle serrait les poings jusqu'à s'en faire mal. Qu'est-ce qu'elle allait devenir ? La servante espérait pouvoir être transférée afin de servir un autre maître, mais savait que ce ne serait pas le cas puisqu'ils possédaient déjà tous leurs employés attitrés. Elle avait tout à perdre dans cette situation inconfortable face à laquelle elle était impuissante.
Tant d'autres l'avaient précédée, jetés dans les bras de la mort comme des jouets cassés. Pourtant, elle ne parvenait pas à croire qu'on allait se débarrasser d'elle sans même lui adresser le moindre mot, le moindre remerciement. Elle avait été leur servante pendant treize longues années, mais venait tout de même d'être mise de côté tel un torchon usé. Ils venaient de lui rappeler que sa vie ne signifiait rien, qu'elle n'avait aucune valeur.
Malgré la difficulté de ses tâches quotidiennes, Melinn ne s'était jamais plainte et elle ne s'y mettrait pas aujourd'hui. Sa minuscule chambre et son thé noir du matin lui manquaient autant que la vue des fleurs de Sayn. Cette émotion amère et tranchante perdurerait jusqu'à ce qu'on l'exécute un peu plus tard dans la journée.
Soudain, la porte coulissante de la pièce fut ouverte. De l'autre côté de la surface en bambou, se tenait un homme entièrement habillé de blanc. Son crâne chauve luisait sous la lumière du soleil et son regard sévère fusilla la domestique. Sa peau bronzée était différente de celle de Melinn, dévoilant qu'il n'était pas originaire de la contrée.
— Lèves-toi, ordonna-t-il.
Elle s'exécuta joignit ses mains sur son ventre en signe de passivité. Peut-être qu'en jouant le jeu, on la préserverait du cruel destin qui l'attendait. Cette pensée absurde était son dernier et seul espoir à présent.
— Avance.
Contrairement à son humeur, le pas de la jeune femme était assuré. Elle devait suivre les indications de son supérieur sans réfléchir si elle voulait le tenir à distance. Ainsi au moins, on lui laissait la possibilité de se mouvoir d'elle-même et de conserver ce qu'il lui restait de sa dignité. On ne la forcerait pas tant qu'elle obtempérait. Les seuls instants pendant lesquels elle n'était pas traitée tel un animal étaient ceux précédant sa mort.
Le maître chauve lui tourna le dos et se mit en marche vers leur destination. Il leur suffisait de se rendre dans le couloir de l'aile à accès restreint. C'était là-bas que la cérémonie aurait lieu, ou plutôt le sacrifice. Tant de domestiques y avaient disparus du jour au lendemain, destinés à un sort bien macabre. Tous savaient ce qu'il se tramait là-bas, mais aucun ne s'y opposait par peur pour sa propre vie.
Melinn manqua de trébucher à quelques reprises tant ses jambes tremblaient et sa tête tournait. Elle serra les dents en s'aventurant dans la cour intérieure. Le soleil avait déjà dépassé son zénith et la nuit ne tarderait plus à tomber. En temps normal, sa maîtresse se serait couchée au crépuscule après avoir pris un bain aux huiles essentielles d'orchidée et d'aloe vera. Le souvenir de ces senteurs fit grimacer la servante. Elle ne remplirait plus jamais la baignoire, elle ne préparerait plus jamais de thé, elle ne ferait plus grand-chose après ce soir-là. Elle eut un pincement au cœur en se remémorant ses tâches quotidiennes et avala difficilement sa salive en approchant du lieu de son exécution.
En entant dans le couloir à la peinture écarlate, elle remarqua qu'il ne possédait qu'une seule porte. Toute l'aile se résumait à une immense pièce.
Son guide chauve rejoignit deux autres maîtres présents dans le passage en bois. Ils souriaient, heureux de voir enfin leur victime arriver.
— Maîtresse Ghenshi sera heureuse de ton sacrifice, dit le premier à Melinn.
Le bonheur pouvant être lu sur ses traits était sincère. La femme n'était rien d'autre qu'un vulgaire bout de chair à leurs yeux.
— Ton âme aura l'honneur d'être consumée par l'esprit du dragon ! s'exclama le second.
Il leva les bras en l'air, comme pour atteindre le ciel. Les mots firent le tour de l'esprit de la jeune femme. L'esprit du dragon ? Elle connaissait ce nom.
— C'est déjà un grand privilège pour une mortelle comme toi de pouvoir le rencontrer !
Ces mots la firent frissonner. Un privilège ? Un honneur ? La mort serait donc tout ça à leurs yeux ? Melinn se retenait de pleurer, elle ne donnerait pas la satisfaction à leurs âmes corrompues de la voir démunie. Si elle tentait de fuir, on l'arrêterait, on lui ferait vivre l'enfer avant qu'elle ne serve d'offrande à un prétendu Yōkai immortel. Elle acquiesça donc calmement d'un simple mouvement de tête et tenta de se rassurer comme elle le pouvait.
L'esprit du dragon était un mythe, une légende contée aux enfants afin de les effrayer. À l'orphelinat de Tyghi, la servante avait entendu maintes fois ce qu'elle avait cru être un récit comme les autres.
À la tombée de la nuit, un démon rôde dans les rues des villes. Il en choisit une nouvelle chaque soir qu'il terrorise jusqu'à l'aube avec sa puissance surnaturelle. Son corps recouvert d'écailles tranchantes couleur émeraude scintille alors sous la lumière de la lune et, sur son dos, se trouve une suite de points lumineux ressemblant à une traînée d'étoiles. Ses quatre pattes courtes possèdent chacune trois griffes en or massif réputées pour être plus tranchantes que n'importe quelle lame et ses yeux verts parviennent à voir les âmes tremblantes et sans défense piégées dans les enveloppes charnelles de chaque créature vivante. On nomme ce spectre cruel et dangereux l'esprit du dragon.
Doté du cœur le plus froid et antipathique qui n'ait jamais existé, il vagabonde à travers les allées les plus obscures et y assassine des proies en leur ôtant leur essence de vie dont il se nourrit afin de survivre. Ainsi, à chaque fois que le crépuscule pose son voile sur le pays, les habitants ferment leurs volets pour échapper à la cruauté du monstre.
La lumière lunaire donne la force nécessaire à son corps longiligne, similaire à celui d'un serpent, pour se mouvoir dans l'air telle une douce brise. Ce n'est donc que lors des nuits de nouvelle lune que le yōkai laisse le monde vivre en paix. Chaque mois, lorsque la nouvelle lune arrive, les villages organisent des fêtes nocturnes éblouissantes afin de fêter l'absence de l'esprit du dragon. L'espace d'une soirée, ils s'autorisent à vivre en paix.
Melinn s'était sentie désolé pour la créature. Personne ne voulait la côtoyer et sa prétendue cruauté était réputée à travers le pays entier. La domestique ne pouvait s'empêcher de se demander si la légende avait une part de vérité en elle, si un tel démon existait vraiment. Mais que ferait une telle entité dans ce temple ? Même dans une situation critique, elle ne pouvait s'empêcher de se poser des dizaines de questions inutiles.
— L'heure du sacrifice approche, lui chuchota-t-on.
La jeune femme fut conduite dans une salle encore plus majestueuse que celle qu'avait occupée sa maîtresse. De l'encens de vanille parfumait l'air et deux immenses piliers dorés, dans lesquels avaient été gravé des scènes surprenantes, reliaient le sol et le plafond. Une femme, un dragon et des fleurs de lys y prenaient place et semblaient observer la nouvelle venue.
Deux lignes de bougies noires formaient un chemin accédant à un bassin d'eau. Une grenouille sautillait sur le bord en céramique et des peintures rouges et noires recouvraient les murs en bambou. Au loin, dans un des coins, se trouvait une table basse de cérémonie. Une théière et des tasses avaient été posées dessus. Ce n'était pas exactement l'idée que la jeune femme s'était faite de la demeure d'un monstre. Tout était bien trop raffiné et délicat pour pouvoir l'être.
— L'esprit du dragon viendra bientôt vous saluer, murmura l'homme chauve avant de quitter la salle à une allure folle.
Il ne souhaitait visiblement pas se retrouver confronté à la puissance du yōkai qu'il vénérait tant. Face au semblant d'angoisse qui brillait dans le regard du maître, la tension ne cessait de s'accumuler dans l'organisme de Melinn. La porte coulissante fut refermée derrière elle, la piégeant dans l'entre de la bête. On venait de la laisser seule dans cet espace inconnu où son existence prendrait fin.
Elle resta immobile pendant ce qui lui parut être une éternité. Le silence régnant au sein du lieu n'était pas désagréable. Les mains poliment regroupées sur son ventre, elle attendait que son destin vienne la chercher.
Tout à coup, une forme s'éleva du bassin d'eau situé au centre de la pièce. La silhouette s'immobilisa dans l'air, comme suspendue dans le temps. Melinn se retint de reculer face à ce phénomène qu'elle savait de l'ordre du surnaturel. Ce qu'elle voyait était de la magie, de la sorcellerie, du divin ! Grâce à la cérémonie des fleurs de Sayn, elle savait qu'une telle chose existait, que le monde spirituel côtoyait celui des mortels, mais elle n'y avait encore jamais été confrontée.
La suivante avait envie de hurler de terreur, mais s'obstina à rester calme. Crier ne ferait qu'énerver la créature réputée pour sa grande soif de sang. Face à la mort, elle n'eut qu'une pensée en tête: l'esprit du dragon était réel.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro