3. Melinn
DISCLAIMER: Les légendes présentes dans ce roman sont des textes que j'ai inventés ou réinterprétés, ce ne sont en aucun cas les mythes d'origine.
Bonne lecture !
La cérémonie des fleurs de Sayn avait été ensorcelante, tout comme elle l'avait été les années précédentes. Le souvenir des pétales écarlates, que Melinn aurait pu contempler pendant des heures, dansait encore dans son esprit revigoré. Malheureusement, les apparitions surnaturelles fanaient bien trop rapidement, en quelques heures pour être précis, et il lui faudrait attendre un an entier avant de pouvoir les revoir.
La servante leva le visage au ciel à cette pensée. Les étoiles étaient plus brillantes qu'à leur habitude. Ces petits points lumineux savaient toujours la réconforter, mais ce soir-là était différent. Après chaque rituel exécuté par l'ordre de Kashin, elle attendait avec appréhension le retour de sa maîtresse. Cette dernière aimait dormir jusqu'à la fin de la matinée après avoir vécu l'expérience surnaturelle qui séparait son âme et son corps et sa suivante devait être au pas de sa porte lorsqu'elle se réveillait. L'employée n'avait pas le droit à l'erreur. Sa supérieure était toujours plus exigeante après avoir voyagé sous la forme d'un esprit pendant une journée entière.
Ça faisait bientôt treize ans que Melinn la servait sans jamais protester. Elle n'avait pas d'autre choix et savait que pire corvée existait.
Une sensation désagréable grandissait dans sa poitrine alors qu'elle attrapa une poignée de cailloux. Elle les fit voltiger entre ses doigts en tentant de se remettre les idées en place. Tout se passerait bien si elle restait silencieuse et obéissante, comme à son habitude. Ce n'était pas exactement le destin rêvé, mais elle ne pouvait pas se permettre d'avoir un tempérament ou des états d'âme. Elle se devait de garder ses pensées pour elle afin de conserver son poste et de se sauver, au passage, la vie. Isolée du monde extérieur et de ses habitants, elle n'avait plus eu de conversation propre avec quiconque depuis une éternité.
L'employée traversa le jardin en parcourant les chemins de gravier. Ses sandales fines ne protégeaient pas ses pieds des petits éclats tranchants qui s'enfonçaient dans sa chair. Toutefois, elle en fit abstraction et poursuivit sa route.
Une fois arrivée à l'étang au centre de la cour, elle s'arrêta. Des poissons jouaient dans l'eau transparente, créant des mouvements à la surface du liquide. Leurs écailles argentées scintillaient sous les rayons de la lune. Melinn s'installa sous l'immense bonsaï qui surplombait ce spectacle. L'arbre devait sûrement être là depuis des centaines d'années et n'avait pas changé en l'espace des treize ans qu'elle avait déjà passés ici. Le dos posé contre le tronc, la femme leva de nouveau les yeux au ciel.
Les astres étaient fascinants. Elle avait appris certaines constellations grâce à des représentations accrochées aux murs de la chambre de sa maîtresse. Cette dernière les étudiait de temps à autre à des fins occultes.
« Le cygne », pensa la suivante en le cherchant du regard. Ensuite, elle repéra rapidement le poisson et le serpent. Finalement, elle trouva le dragon en forme de S inversé. Tous ces points lumineux, au sujet desquels elle aurait aimé posséder plus de connaissances, formaient des ensembles époustouflants. Malheureusement, à déjà vingt-trois ans, elle ne possédait quasiment aucun savoir. Entre son séjour à l'orphelinat et celui au sein du temple, ses expériences de vie avaient été très restreintes. De plus, les deux lieux se trouvaient du même côté de l'immense vallée avoisinante qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'explorer. Au fond, la servante savait qu'elle n'avait jamais eu aucun autre avenir que de servir l'ordre de Kashin.
Elle jeta un des cailloux qui lui servaient de jouets dans l'étang. Les habitants de ce dernier furent surpris et se réfugièrent dans les coins les plus reculés de leur espace de vie afin de fuir ce qu'ils croyaient être un danger imminent. Melinn sourit face à leur comportement craintif et précautionneux.
Quelques oiseaux chantaient leurs plus beaux hymnes dans l'air nocturne et frais tandis qu'une brise agita les feuilles de l'arbre centenaire planté au centre de la cour. Tout était si paisible. Cette tranquillité s'effacerait à l'arrivée de l'aube et des rayons du soleil. Une fois qu'ils se montreraient, Melinn serait de nouveau captive de son sort.
La jeune femme laissa glisser les bouts de pierre de ses mains. Elle n'avait pas le temps de contempler la nature si elle voulait être en forme le matin suivant. L'exigence de sa supérieure ne cessait de croître jusqu'à en devenir complètement absurde. Parfois, elle se demandait si elle serait à la hauteur, si c'était même humainement possible. Puis, elle se rappela qu'elle n'avait pas d'autre choix si elle voulait vivre.
Parfois, elle enviait les maîtres et maîtresses. Ils pouvaient se rendre où ils voulaient à n'importe quel instant de la journée. Ils étaient libres et puissants. Elle ne leur ressemblerait jamais et elle le savait bien.
Après avoir longuement expiré, la suivante habillée de noir se leva. Il lui fallait se rendre à sa chambre afin de se reposer. La tête basse, elle obéit à son bon sens et rentra en traînant des pieds. Ses sandales se remplirent de gravier, mais elle n'y fit pas attention et prit simplement soin de ne pas trébucher. Son espace personnel se trouvait dans l'aile des employés et des cuisines. Elle ne tarda pas à atteindre le couloir avoisinant son couchage et le traversa à pas feutrés. Personne n'avait besoin de savoir qu'elle était sorti ce soir-là.
Les autres résidents du sanctuaire avaient une peur bleue de la nuit et des soit-disant Yōkai dont parlaient la plupart légendes. Ces démons redoutables étaient réputés pour leur cruauté et leurs ruses et les mythes les dépeignaient comme des monstres tout droit sortis des pires cauchemars de quiconque. Selon les récits, le plus redoutable d'entre eux chassait ses pauvres victimes sans défense une fois le crépuscule passé. On le nommait l'esprit du dragon et rien que son nom faisait trembler le commun des mortels. Melinn, elle, avait été fascinée par les créatures surnaturelles dès l'instant qu'elle avait posé les yeux sur un livre de la bibliothèque publique de Tyghi. En observer les illustrations à l'orphelinat du village avait été son passe-temps préféré tout au long de son enfance. Comme elle savait à peine lire, ce qui était toujours le cas, un de ses amis de l'époque lui avait conté les histoires des Yōkai avec entrain. Elle n'avait pas peur de leurs pouvoirs ou de leurs malédictions. Après tout, pourquoi s'occuperaient-ils d'une mortelle aussi insignifiante qu'elle ?
Une fois la porte coulissante en bambou de sa chambre fermée, elle expira longuement. Elle savait qu'elle était censé être endormi depuis des heures. N'importe qui aurait pu la dénoncer afin de la faire exécuter et de prendre sa place. Les servants devaient être entièrement dévoués à leurs maîtres et le sommeil était primordial pour qu'ils puissent accomplir correctement leurs tâches.
L'espace qui s'étendait devant Melinn ne faisait pas plus que quelques mètres carrés. le sol était fait de lamelles de bois et les murs étaient constitués de fines couches de bambou que le moindre petit son traverserait en un rien de temps. Il fallait donc être extrêmement discret afin de passer inaperçu.
Un porte manteau occupait le coin au fond à gauche. Il servait à suspendre les deux seules tenues que l'employée possédait. Le pantalon évasé et le haut ample noir qu'elle portait en faisaient partie, ainsi qu'un kimono simple de la même couleur. Elle enleva ses sandales usées après en avoir ôté les bouts de gravier qui s'étaient incrustés dans le cuir. Elle fit attention de les recueillir dans sa main pour ne faire aucun bruit.
Son futon beige, posé sur le plancher, était épais et confortable. Il lui fallait évidemment le laver elle-même, mais cela ne la dérangeait pas. Après tout, elle était une habituée des tâches ménagères et était déjà ravie d'avoir quelque part où dormir paisiblement.
La femme ôta ses vêtements et les déposa dans un coin de la pièce après les avoir soigneusement pliés. Lors de son arrivée, elle avait eu peur que quiconque l'observe à travers les nombreuses ouvertures des parois en bambou de la pièce. Puis, elle avait compris que son existence était loin d'être indispensable et que personne ne faisait attention à elle. À partir de cet instant-là, elle avait décidé de se mettre à l'aise et de dormir dénudée. Dans tous les cas, elle se levait bien avant les autres servants. Sa maîtresse était une des seules à se réveiller aux aurores. Le rituel matinal était toujours le même.
Pourtant, une fois allongée dans son couchage moelleux, la suivante ne pouvait s'empêcher de se poser des questions. Son cœur tambourinait fort contre ses tempes. Elle était nerveuse. Son instinct, qui avait été la seule chose sur laquelle elle s'était reposée pendant des années, n'avait jamais tort. Et, à présent, il lui indiquait qu'il y avait un problème. Melinn priait que tout se soit bien passé lors de la cérémonie des fleurs de Sayn, que sa vie ne changerait pas. Elle ne pouvait pas se permettre de fuir le temple ou d'être soit-disant renvoyée.
Malgré sa manie à se rassurer dans les situations délicates, elle avait un mauvais pressentiment...
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