
~[III/30]~
Livre III : Chapitre 30
Larrow tira
Lym attendit la douleur les yeux fermés, même si elle s'était promis jusqu'au dernier instant de regarder Larrow droit dans les yeux lorsqu'il tirerait.
Le son de la balle avait été terriblement fort, impossible à rater, comme un coup de tonnerre. Elle n'aurait jamais imaginé mourir aux mains de l'un de ses amis, de l'une des personnes sur terre auxquelles elle tenait le plus, mais elle aurait peut-être dû. Elle n'avait jamais non plus pensé être aussi prête à mourir. Pourtant elle l'était. Après tout, on n'avait cessé de le lui répéter ces dernières heures ; elle n'était qu'un monstre, une menace.
Elle n'avait jamais cru au Paradis et à l'Enfer ; il fallait dire qu'elle avait déjà rencontré un Ange. Mais à cet instant, elle se dit tristement qu'une Irisa, s'il existait, ne passerait jamais les portes du Paradis.
Elle attendit donc la douleur, l'Enfer, le tunnel, enfin, quelque chose.
Rien ne vint.
Elle entrouvrit les yeux, les sourcils légèrement froncés, troublée. Avait-elle regagné ses pouvoirs au dernier moment et inconsciemment arrêté la balle ?
Mais non. La balle avait atteint une cible ; elle avait déchiré la chair ; elle avait tué. Elle regarda, les yeux grands comme des soucoupes et la bouche bée, les yeux de Cave s'écarquiller tandis qu'il comprenait ce qui venait de lui arriver. Un filet de sang coula de l'impact de balle sur son front, le long de son nez et jusqu'à ses lèvres, et il bascula en arrière, comme au ralenti ; il s'effondra par terre, les yeux devenus vitreux. Des taches de sang vinrent éclabousser le sol.
Lym aurait pu penser qu'il s'était agit d'un accident, que Larrow avait eu pour but de la tuer, elle, et avait raté sa cible. Mais ses mains n'avaient pas tremblé au moment du tir. Et la balle avait atteint très précisément le milieu de l'étoile à huit branches qui ornait le front de l'auctor. Lorsque son cerveau eut enfin réalisé que non, elle n'était pas morte, et que oui, c'était bien le cadavre de Cave qui gisait à ses pieds, elle leva lentement les yeux vers Larrow. Le garçon avait légèrement baissé son arme, mais il semblait trop abasourdi pour la lâcher. Ses grands yeux clairs étaient grands ouverts, et il semblait aussi choqué que Lym par ce qui venait de se passer.
- Je l'ai fais, balbutia-t-il, fixant le corps de Cave. Par Ladon, je l'ai fais.
Il avait l'air de ne pas en croire ses yeux, voire de vouloir pleurer. Après tout, Cave était son chef et son père de substitution depuis qu'il avait dix ans. Mais sous la stupeur, Lym put lire un certain soulagement. Et Lym elle-même, bien qu'elle ait été prête à recevoir la balle à la place de Cave, ne pouvait pas s'empêcher d'être immensément, égoïstement, peut-être, soulagée d'être en vie. Elle baissa les yeux vers le corps de Cave, puis les leva à nouveau vers Larrow. Larrow venait de tuer Cave. Larrow. Venait de tuer Cave. Pour elle. Tous ces mots n'allaient tout simplement pas ensemble. Comment une scène pareille était-elle possible ? Comment Larrow aurait-il pu jamais décider de tuer son supérieur, son mentor, Maryus Cave, et laisser la vie sauve à la petite Irisa rousse qui lui racontait des blagues nulles et se disputait avec lui pour définir quel était le meilleur personnage de Star Wars ?
Larrow et Lym se regardèrent encore un très long moment, se tournant de temps à autres vers le cadavre de Cave, et le fixaient, perplexes, comme s'ils s'attendaient à le voir se relever. Larrow finit enfin, lentement, par baisser son pistolet, comme s'il était à présent sûr de ne pas avoir à le réutiliser contre l'auctor.
- Je suis en vie, annonça Lym, un constat très utile et pertinent.
Elle porta tout de même une main à sa poitrine, juste au cas où, pour vérifier que son cœur battait toujours. Il était bien là, ce petit oiseau de sang et de veines qui palpitait comme pour échapper à la cage d'os qu'étaient les côtes. Lym sentit un son se former sur sa langue et éclater comme une bulle, et elle laissa échapper un petit rire.
- Je suis en vie.
- Apparemment, répondit Larrow qui semblait tout aussi ravi de l'entendre.
Soudain un sourire soulagé commença à se former sur ses lèvres. C'était la première fois que Lym le voyait sourire comme ça, comme s'il n'y avait plus rien pour l'en empêcher. Comme si Cave avait toujours été là, derrière lui, tirant les ficelles et lui interdisant de montrer son bonheur aussi ouvertement.
Puis son visage retomba, se durcit, son masque se refit. Son moment de liberté et de joie, fugace et pure, n'avait pas duré bien longtemps. Il semblait s'être souvenu de leur situation assez extrême, fallait-il avouer, et tout d'un coup, en voyant le regard hanté qui atteignit à nouveau les yeux de Larrow, Lym se souvint des avertissements de Lukas et Galleny. Drake et son armée attendaient à Arcem, et ses meilleurs Faucons étaient en train de prendre le Temple Sphinx au moment même où ils parlaient. Si le pouvoir des Sphinx venait à tomber entre les mains de leur ennemi, ils seraient tous perdus, et l'Empire l'emporterait sur eux.
Elle arracha son regard au cadavre de Cave sur lequel ses yeux s'étaient égarés. Il avait été le deuxième Dragomir qu'elle ait vu. Larrow l'avait menée à son bureau, et il lui avait aimablement expliqué comment fonctionnait leur monde. Lym avait écouté. Elle avait accepté de rejoindre l'Ordre.
Maintenant il était mort. Encore une vie de détruite, à mettre sur sa conscience. À rejoindre la longue liste de ceux dont elle avait causé la perte.
C'était peut-être horrible de penser ainsi d'un mort dont la peau était encore tiède, mais il ne lui manquerait pas.
La tête de l'Académie venait de tomber, mais l'Ordre était une hydre ; d'autres repousseraient. Meyer ou Zale reprendrait les rênes de forces Dragomires. Pour l'instant, l'important était de s'assurer qu'il y aurait encore des Dragomirs à commander.
Elle fit face à Larrow, qui semblait encore troublé et plongé dans ses pensées. Ce qui était une combinaison assez dangereuse. Elle savait que Larrow était incroyablement intelligent, mais il venait de mettre fin à la vie de Cave, et toutes ses convictions venaient de s'écrouler. Ce n'était pas rien. Il risquait de prendre de mauvaises décisions.
- Row, appela-t-elle avec empressement pour le sortir de sa transe. On doit partir vers le Temple, tout de suite.
- Le Temple ? répéta le videntis en levant les yeux vers elle, sourcils froncés.
- Oui, des Faucons sont en train de s'en saisir, tu t'en souviens ? On n'a qu'à aller chercher Lukas et il nous dira où il se trouve, on pourra aller les empêcher de se saisir du Temple.
- On ne doit pas aller au Temple. Les meilleurs soldats de Drake sont partis et ont laissé Arcem et Drake lui-même avec peu de défenses, c'est une occasion en or que l'on a là.
- Tu plaisantes, j'espère ! protesta Lym, abasourdie.
- Lym, si l'on tue Drake, il y a de fortes chances pour que l'emprise qu'a la Toxine sur les contaminés ne se dissipe. Joy... Joy et tous les autres, ils seront libres. Drake sera mort. Arcem à notre portée. Puis l'on n'aura qu'à se débarrasser de quelques Faucons !
- Qui auront en leur possession toute la puissance des Sphinx !
Une partie d'elle n'arrivait pas à croire qu'elle ait à nouveau cette conversation avec lui, alors qu'ils en avaient déjà parlé juste avant d'avoir à écouter les ordres de Cave. Même après avoir tué l'auctor, apparemment, son influence sur Larrow semblait cependant persister ; il continuait à poursuivre les idées entêtées du défunt. Cave n'était pas complètement mort, alors. Il avait laissé un peu de son esprit en son élève.
En soi, il n'avait pas tort ; saisir Arcem serait un gigantesque atout. Mais elle n'était pas sûre que leur armée ait a sa disposition assez de puissance pour démanteler tout l'Empire, couper la tête de l'organisation, envahir une île et une forteresse gigantesques et se battre contre la puissance des trois Sphinx. Même s'ils n'étaient pas sûrs que les Faucons réussissent à obtenir cet atout, tout le reste était tout de même quasi-infaisable. Aller combattre Drake sur son propre terrain les mènerait tous à leurs perte.
Larrow écouta ses mots, qu'elle avait criés, et resta silencieux un moment, la regardant d'un air grave, avant d'enfin prendre la parole.
- Tu as peut-être raison, mais je ne laisserai pas échapper une occasion aussi rare. Je vais aller prévenir Meyer de ce qui se passe au Temple, et il y enverra ses troupes, et pendant ce temps, moi, je vais me rendre sur Arcem.
- J'espère que tu plaisantes, gronda Lym, poings serrés. Toi, tout seul contre toute leur armée ? C'est du suicide.
- Sans doute, mais je parviendrai peut-être à tuer Drake avant de me faire tuer. Après tout, Arcem est privé de ses meilleurs soldats.
- C'est possible. Tu es un excellent épéiste, après tout. Mais ça signifierait ta mort, Row.
- Et alors ? Si je tue Drake, que pourrais-je bien faire ensuite, de toute façon ?
Lym le regarda, abasourdie, pendant un très long moment en essayant de trouver sens à ces paroles, mais son visage restait fermé et impénétrable. Sérieux.
Elle réalisa alors que Larrow ne voyait pas d'avenir devant lui au-delà de la mort de Drake. Il n'imaginait pas de suite au meurtre de l'Empereur ; pour lui, son histoire s'arrêterait là. Elle avait entendu tous ses amis parler d'un futur potentiel qui les attendrait lorsque la guerre serait terminée. Kosh qui voulait devenir un Dragomir spécialisé en l'entraînement des dragons et en la guérison magique. Elyra qui trouvait les différents types de danses à l'aide d'enchantements passionnants, et avait commencé à inventer un style de combat associant armes, pouvoirs, enchantements et danse. Shay qui voulait capturer les dragons égarés et apprendre à voler avec ses ailes d'Ange. Joy qui voulait ouvrir un commerce d'enchanteurs à Pruinae, Lukas qui voulait utiliser ses pouvoirs de Selkie pour nettoyer les fonds marins et créer un centre d'aide aux Glacyés que la pollution empêchait de vivre correctement, Ash qui trouvait le vol de compétition et les figures aériennes à dos de dragon passionnantes, ils avaient tous des desseins, des projets, des idées pour leur avenir.
Tous sauf Larrow. Lorsqu'ils parlaient du futur, ce qu'il racontait se limitait à la mort de Drake. C'était comme s'il n'y avait rien au-delà pour lui.
Elle avait toujours supposé que c'était parce qu'il était trop concentré sur son but pour penser à autre chose, et prévoyait d'improviser le moment venu. Mais à présent, elle comprenait qu'il ne pensait pas se sortir vivant de cette guerre.
- Tu ne vas pas donner ta vie pour tuer Drake, protesta Lym. C'est ridicule. Il n'est pas question que tu meures pour mettre fin à cette stupide guerre !
- N'est-ce pas le but depuis le début ? demanda Larrow, l'air confus. Terminer les conflits et arrêter Drake ?
- Si, bien sûr, mais tu vas vivre après ça ! Tu as encore tellement à faire ; tu peux peut-être de devenir Conseiller, on professeur de Combat à Eleuth, ou simplement Dragomir. Tu vas t'occuper de Glass et rétablir l'Ordre, devenir auctor à l'Académie, je sais pas, moi, quelque chose !
- Lym, je vais aller sur Arcem aujourd'hui, et tu ne m'en empêcheras pas, l'avertit-il.
Il ne semblait pas avoir écouté un seul mot de la liste des éventuelles carrières qu'il pourrait poursuivre, comme si les paroles de son amie avaient simplement glissé sur lui sans laisser de traces. Lym n'en était qu'énervée davantage, car elle voyait bien, dans la conviction de ses yeux et ses mots inébranlables, qu'il n'allait pas changer d'avis.
- Très bien, dans ce cas, je viens avec toi. Tu auras besoin des pouvoirs d'une Irisa ; à nous deux, on peut réussir.
- Alors là, gronda Larrow, il n'en est pas question.
- Réfléchis, je te serai bien plus utile sur Arcem qu'au Temple.
- Toi, tu ne vas aller nulle part, ni à Arcem ni au Temple ! rétorqua-t-il avec conviction.
- Comment ça ?
- Galleny m'a dit que Drake n'a plus pour projet de te rallier à sa cause. À présent, il veut tout simplement te capturer et t'enfermer dans ses laboratoires à Arcem. Tu es en danger, et à l'instant où il se saisira de toi, tu seras un danger pour Eleuth aussi.
Lym entrouvrit les lèvres, puis les referma, comprenant qu'elle n'avait rien à répondre à cela. Elle s'attendait bien à ce que cela arrive. En réalité, elle trouvait la conviction de Drake d'attendre qu'elle le rejoigne de son plein gré assez insolite. Mais elle se sentait à présent beaucoup plus menacée que quelques instants plus tôt. Si elle finissait derrière les barreaux des sections d'expériences de Drake, elle ne savait pas ce qu'elle deviendrait. Il était possible que Galleny ait menti, mais elle avait bien dit la vérité à Lukas sur Joy au lieu d'inventer un mensonge...
- Et tu crois Galleny ? demanda-t-elle malgré tout, essayant de dissuader Larrow de suivre ses idées insensées. Elle n'aimait pas le regard qui hantait ses yeux lorsqu'il avait dit qu'elle serait un danger ; de la peur. De la peur pour elle... Ou d'elle ?
- Figure-toi que oui. On a pu voir avec les Bishop que parfois les vérités douloureuses font bien plus mal que les mensonges.
- Larrow, tu ne m'empêcheras pas de me battre.
Le soir avait fini de tomber, et il faisait noir comme dans un four dehors. Le seul élément qui empêchait le bureau de Cave d'être plongé dans l'obscurité était les bulles de lumière qui flottaient près du plafond. Le visage de Larrow était parcouru d'ombres que les petites lueurs volantes ne pouvaient pas chasser, et il avait l'air beaucoup plus âgé qu'il ne l'était réellement.
- Je viens de tuer Cave pour que toi, tu vives. Je ne vais pas te laisser mourir ou te faire capturer. Je ne vais pas laisser Drake te transformer en arme et te torturer jusqu'à ce que Lymerya Alley n'existe plus.
- Je ne vais pas me laisser attraper.
- Il finira par se saisir de toi à un moment ou à un autre. Ou il attrapera Shay, Kosh ou Elyra et te proposera d'échanger ta vie contre la leur. Il trouvera un moyen. Alors tu restes ici, et je vais envoyer nos troupes au Temple et aller sur Arcem.
Il avait déjà mis une main sur la poignée de la porte lorsque Lym lui cria, énervée ;
- Je ne vais pas te laisser faire, Larrow ! Je vais me battre quoi que tu dises, tu ne peux pas me faire changer d'avis.
Il se figea, debout dans l'entrebâillement de la porte ouverte, et se tourna vers elle, l'air peiné. Elle n'avait jamais vu autant de souffrance sur le visage de quelqu'un d'aussi jeune lorsqu'il prononça les mots suivants.
- Je ne voulais pas en arriver là, mais... si. Je peux.
Le videntis tapa dans ses mains, et toutes les lumières flottantes sortirent à toute vitesse de la salle par la porte ouverte, comme une nuée de lucioles effrayées. Lym les regarda sortir, confuse. Larrow allait-il l'enfermer dans le bureau, dans le noir ? Elle se souvint alors qu'elle n'avait pas encore retrouvé ses pouvoirs, et que c'était lui qui avait l'enchanteur et le pistolet. Le combattre serait donc parfaitement inutile. Mais elle pourrait tout de même s'enfuir – ces enchantements ne duraient pas si longtemps lorsque l'on ne les renouvelait pas souvent, et ils finiraient par se dissiper.
Au moment où cette pensée terminait de se former dans son esprit, elle remarqua que Larrow n'avait toujours pas quitté la salle et se tenait sur l'entrebâillement, comme s'il réfléchissait.
- Larrow, je sais que tu essaies de me protéger, mais tu es aussi en train de faire une erreur monumentale. Je vais bien finir par m'échapper.
- Non, répondit-il d'une voix étrange qu'elle ne lui reconnut pas. Tu vas rester ici, en sécurité, et tu ne vas pas essayer de t'enfuir.
Elle laissa échapper un rire et s'avança vers lui, déterminée à lui montrer qu'elle ne le laisserait pas l'enfermer docilement.
- Tu plaisantes, j'espère ? Tu crois vraiment que je ne vais pas...
Elle se figea à un mètre de la porte et fronça les sourcils, confuse. Ses jambes refusaient catégoriquement de la porter plus loin. Larrow se servait-il se Télékinésie ? Mais dans ce cas, elle fuirait dès qu'il serait parti, il devait bien s'y attendre.
Lym leva les yeux pour voir si ses iris étaient colorés de rouge et resta bouche bée lorsque la réalisation la frappa. Ses yeux n'étaient pas rouges, mais d'un argent bleuté étrange et brillant dans l'obscurité qu'avaient laissé les bulles brillantes. Deux crocs blancs luisaient entre ses lèvres. Il avait profité des ténèbres pour prendre sa forme de Stryge. Le sang de Lym sembla se glacer dans ses veines lorsqu'elle comprit que, les paroles des Stryges ayant des pouvoirs d'hypnose, elle serait incapable d'aller contre la volonté de Larrow ; et, dans cette situation, il lui avait ordonné de rester dans le bureau de Cave et de ne pas se mêler au combat.
Le visage de Lym se durcit et devint froid comme celui d'une statue. Son regard se fit acéré. Elle pardonnait beaucoup de choses, mais que l'on essaie de la contrôler, que l'on l'empêche de faire ce qu'elle voulait et d'aller où bon lui semblait, cela lui était insupportable.
Et par Larrow, en plus. Larrow. En qui elle avait toujours eu une confiance aveugle jusqu'à ce jour-ci. Par qui elle ne pensait pas pouvoir être trahie davantage. Elle regarda le garçon un long moment de son regard de fer et de glace, perçant et implacable. Il frissonna. Elle savait qu'elle pouvait faire peur, lorsqu'elle le voulait vraiment.
- Larrow. Retire ce que tu as dit.
- Non, répondit-il, buté.
- Larrow. Je t'ai pardonné ce qui s'est passé un peu plus tôt, parce que c'était la volonté de Cave et pas la tienne. Ce que tu fais maintenant, c'est ta décision et ta décision seule. C'est la première fois que tu prends une décision par toi-même, sans les avis de Cave pour t'influencer, et tu t'apprêtes à choisir de m'enfermer. Je ne vais pas l'oublier aussi facilement.
Il ferma les yeux, comme s'il s'y était attendu mais avait tout de même du mal à digérer sa colère. Lym avait cédé sous les mots de Cave plus tôt, avait fini par lui donner raison et avait attendu son sort, brisé. Mais elle n'avait plus rien de brisé à présent. Ses poings étaient serrés, et sa colère si évidente que si l'enchantement ne l'avait pas privée de ses capacités, ses yeux et ses mains brilleraient de rouge.
- Je... Je sais, murmura Larrow en rouvrant les yeux. Je comprends. Mais tu peux m'en vouloir autant que tu le veux, je ne reviendrai pas sur ma décision. Je...
Il s'interrompit un long moment, et la regarda avec un mélange douloureux de tendresse et de souffrance, avant d'avouer dans ce qui était presque un chuchotement ;
- Je préfère encore que tu me détestes de tout ton cœur, mais que tu sois en vie, plutôt que de savoir que tu es morte par ma faute. Même si tu es morte en étant toujours mon amie.
Puis il fit signe aux bulles de lumière de retourner à l'intérieur du bureau, l'illuminant de mille feux.
- Larrow, gronda Lym. Libère-moi. Tu te comportes comme un enfant. Tu te comportes comme Drake ! M'empêcher de me battre, c'est comme lorsqu'il a forcé Abel à combattre pour lui ! Lui aussi veut me contrôler – ne fais pas la même chose !
Larrow sembla frappé par ces mots comme par une rafale de balles, et regarda Lym avec des yeux écarquillés, mais il finit par secouer la tête et reculer dans le couloir. Les pas de l'Irisa refusaient de la porter plus loin qu'à quelques mètres de la porte. Elle commençait sérieusement à s'énerver, à présent, et sa voix était loin d'être maîtrisée lorsqu'elle lui cria après.
- Ne me laisse pas ici ! Tu n'as pas le droit de m'empêcher de me battre ! Tu n'as pas le droit !
- Je suis désolé, balbutia-t-il en commençant à refermer la porte.
Il semblait frémir à chaque mot qu'elle lui criait, lui montrant qu'il n'était pas insensible à ses reproches. Pourtant il continuait imperturbablement de refermer la porte. Comment pouvait-il assez l'aimer pour ne pas vouloir la voir combattre alors qu'elle était le meilleur atout de leur camp, et pourtant lui refuser de faire son propre choix ?
- LARROW ! Relâche-moi ! C'est mon dernier avertissement ! Sinon, je te jure, je te jure, Larrow, que...
Il referma la porte, et Lym poussa un rugissement de rage qui aurait retenti dans toute l'Académie si elle n'avait pas été enfermée.
Elle se débattit contre l'emprise des mots de Larrow, essayant d'atteindre la poignée et de partir, mais son corps refusait tout simplement d'aller jusqu'à la porte. Dès qu'elle s'en approchait, elle faisait, comme par instinct, un ou plusieurs pas en arrière. Elle cria, lança des objets contre le battant de toutes ses forces, mais elle ne pouvait ni briser la porte ni l'ouvrir.
Si seulement elle avait ses pouvoirs... Mais non, même avec eux, elle serait incapable d'agir. Si seulement Larrow avait pu avoir un peu plus de bon sens. N'était-ce pas lui qui était toujours le plus froid et déterminé ? Mettant ses sentiments de côté en toute situation ? Voilà qu'il tuait Cave au lieu de mettre fin à sa vie d'Irisa, et qu'il l'empêchait de sauver l'Ordre avec ses immenses pouvoirs. Il se montrait irrationnel, et c'était effrayant, chez lui. Elle aurait compris chez Kosh ou Mar, par exemple, qui voulaient toujours la garder en sécurité envers et contre tout. Mais Larrow ? Qui voulait plus que tout gagner cette guerre ? Qui savait qu'elle était leur meilleure chance pour gagner cette guerre ?
Comme tout ce qu'elle faisait était inutile, qu'elle n'avait plus aucun objet à jeter et qu'elle était trop fatiguée pour s'époumoner davantage, elle se laissa tomber dans un coin du bureau et ferma les yeux. Il devait forcément y avoir une solution. Il y avait toujours une solution. Elle devait juste y réfléchir assez, et elle trouverait. Lorsqu'elle se fut assez calmée pour enfin y penser, elle tira son téléphone de sa poche et essaya d'appeler Shay. Mais ses mains refusaient tout net d'appuyer sur le bouton « appeler ». Jusqu'où allaient donc les pouvoirs d'un Stryge ? Avec un rugissement de colère et d'impuissance, elle lança le téléphone contre la porte à son tour, et le regarda s'écraser contre le panneau de bois. Juste à ce moment, elle sentit l'enchantement de Cave se dissiper, et ses pouvoirs revinrent à elle. Une brûlure étrange et délicieuse, comme si l'on avait fait couler de la lave en fusion dans ses veines, la fit frémir. Elle se sentait enfin complète ; comme si elle venait de retrouver une main ou un œil que l'on lui aurait retiré. Mais même avec ses capacités, les paroles de Larrow, telles des menottes faites de mots, l'empêchaient de faire quoi que ce soit pour s'enfuir. Si elle avait pu se transformer en Nyx, puisque les Nyx avaient aussi certains pouvoirs de persuasion, elle pourrait peut-être briser le sort. Mais les lumières qui virevoltaient au plafond l'empêchaient de prendre sa forme élémentaire sans se changer en cendres. Et elle n'était même pas sûre de pouvoir se servir de ses propres mots pour se libérer.
Elle resta donc immobile, contrainte à conjurer des lambeaux de brume et de les regarder s'enrouler autour de ses doigts, impuissante.
Larrow était-il déjà parti vers Arcem ? Les forces d'Eleuth avaient-elles déjà atteint le Temple Sphinx ? Ses amis et camarades étaient-ils en train de se faire massacrer quelque part sur le champ de bataille ? Et si Larrow était déjà mort ?
Elle avait beau lui en vouloir, elle ne pouvait pas l'imaginer transpercé par une xiphoskia sans avoir envie de hurler à s'en brûler les poumons. Et Shay, était-il parti vers le Temple en se disant qu'elle devait déjà y être ? Était-il en train d'affronter les plus puissants soldats de Drake, sans elle à ses côtés pour l'épauler et l'aider ? Pour intercepter les flèches qu'il ne pouvait pas arrêter, l'avertir des dangers qu'il ne voyait pas, et échanger avec lui des plaisanteries et défis ? Elle ne s'inquiétait pas vraiment pour Elyra et Kosh. Ils seraient toujours là l'un pour l'autre, à se soutenir et se compléter au cœur du combat. Mais Shay et Larrow, eux, qui étaient probablement partis dans deux directions complètement différentes et prenaient des risques complètement différents, eux... Elle pouvait beaucoup trop facilement les imaginer morts parce qu'elle n'était pas là.
Et si... Et si la bataille tournait mal ? Et si quelque chose de terrible arrivait ? Et si tous ceux qu'elle aimait – Elyra, Kosh, Ash, Lukas, Joy, Larrow, Shay – mourraient alors qu'elle aurait pu les protéger si elle avait été là ? Et s'ils étaient déjà morts ? Et si – elle avait du mal à réfléchir, du mal à respirer.
Elle se souvint des paroles de Cave qui lui disait que ses amis risquaient de mourir à cause d'elle. Son souffle se fit plus court, une étreinte se resserrant autour de son cœur comme s'il était entouré de chaînes.
Et si Shay se faisait tuer sur le champ de bataille à cause du stupide sort de Larrow ?
Si Shay mourait... Lym ferma les yeux. Non.
Aidez-moi... aidez-les.
Elle ne pouvait plus respirer. Elle faisait une crise de panique, et tous ses efforts pour reprendre son souffle étaient vains. Elle ne pouvait plus respirer...
Elle avait envie d'étrangler Larrow pour l'avoir enfermée, mais aussi de voler à son secours. Elle voulait être auprès de Shay pour qu'ils puissent s'aider l'un l'autre comme ils le faisaient toujours. Elle voulait s'assurer qu'Ash et Lukas iraient bien après tout ce qu'ils avaient vécu. Elle voulait s'assurer que Kosh et Elyra étaient ensemble pour prendre soin l'un de l'autre. Elle voulait être n'importe où sauf dans ce stupide bureau, inutile et impuissante, privée de ses pouvoirs. Perdue, furieuse, et faisant une crise de panique seule dans le bureau du directeur qui l'avait traitée de monstre. Et elle était tellement énervée qu'elle n'avait même pas le sang-froid de profiter de l'endroit où elle se trouvait pour fouiller les archives de Cave. De toute façon, qu'y trouverait-elle d'utile ? Probablement rien. Elle fourra son visage dans ses mains, le cœur battant à cent à l'heure, son souffle toujours irrégulier. Être impuissante était un véritable cauchemar. Elle aurait préféré endurer toute la douleur du monde plutôt que d'avoir à rester ici, incapable de venir en aide à ses amis, condamnée à ressasser ses noires pensées.
Elle se leva d'un bond et, avec un cri furieux, lança une table contre la porte, qui ne broncha pas. Puis elle retomba à terre, vaincue, et essaya de respirer.
Ok alors je crois que je dois m'excuser auprès d'à peu près tout le monde, mais en particulier :
- Les shippeurs de Lymarrow
- Ceux qui pensaient que tout se passerait bien si Larrow ne tuait pas Lym
- Ceux qui pensaient que ce chapitre parlerait de Koshyra ou de Lukash
Et surtout
- Tessa 😂😭❤ (me tue pas)
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