~[III/22]~
Livre III : Chapitre 22
Elles avaient beau être atterries dans un coin isolé, elles entendaient le bruit des voitures et des conversations dans l'avenue adjacente à leur ruelle. En entendant des passants se parler vivement en espagnol, elle se demanda pourquoi Ash ou Shay, qui maitrisaient parfaitement ce langage, ne les avaient pas accompagnées. Le soleil tapant de la mi-journée chauffait l'asphalte, mais derrière les immeubles étaient perceptibles de gros nuages gris et tumultueux qui avançaient inexorablement vers eux.
- Bon, commença Elyra, les yeux plissés et l'air concentré. On est un peu trop au centre de la ville, mais les quartiers qu'on cherche sont à deux pas. Pas la peine d'aller chercher un taxi.
- Est ce qu'on a seulement de quoi en payer un ? s'enquit Lym en portant une main à sa poche. Je n'ai pas de pesos.
- Peu importe, allons-y. Comme elle l'a dit, il se fait tard. Les cargaisons d'œufs pourraient partir à tout moment.
Elles emboîtèrent le pas d'Elyra, qui avait l'air très sûre d'elle. La videntis les conduisit aux tréfonds de Buenos Aires, s'éloignant des quartiers les plus touristiques pour s'aventurer dans les coins plus dangereux et paumés de la cité. Apparemment, elles n'avaient pas le même concept de "deux pas", puisqu'elles marchèrent pendant une éternité avant de parvenir à l'immeuble qui les intéressait.
Si Cave et Zale n'avaient pas fait d'erreurs, cet endroit était un entrepôt déniché par Drake pour y conserver des œufs de Skuro en attendant de les voir atteindre un âge acceptable pour pouvoir les déplacer jusqu'à Arcem, où ils les feraient éclore. Les œufs étaient donc leur priorité, suivis de peu par l'arrestation des fautifs qui s'occupaient de la contrebande. En aucun cas les dragonneaux devaient-ils parvenir à la tour d'améthyste. Les rejetons seraient dressés pour produire de la Toxine ou pour combattre sous les ordres de Drake, et ils ne pouvaient pas se permettre pareille chose.
Le bâtiment qu'ils étaient censés attaquer était en vérité une façade vieille et amochée devant lesquelles s'entassaient des tas de briques en morceaux. Elle était coincée entre deux maisons moins délabrées, aussi vides l'une que l'autre. À la place des fenêtres, il ne restait que des morceaux de verre et des trous béants qui donnaient sur une obscurité poussiéreuse. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient obstruées par des planches et des bris de briques de façon à les condamner correctement. Il ne semblait ainsi y avoir qu'une seule façon d'accéder à l'intérieur ; par la porte d'entrée, qui pendouillait misérablement sur ses gonds.
Elles n'avaient pas véritablement de stratégie, pour être honnêtes. S'il n'y avait pas eu urgence de récupérer les œufs au plus vite, elles auraient pu prendre le temps de visiter les lieux de loin avant de se consulter pour établir une marche à suivre. Seulement, le temps leur était compté.
Elyra et elle échangèrent un regard sérieux.
Entrons, lui transmit télépathiquement Elyra, avant de transmettre son message à Jen aussi. Il y a sans aucun doute des soldats à l'intérieur, alors on reste discrètes.
Jen hocha la tête, et Lym l'imita, impressionnée par les progrès de son amie qui n'avait même pas eu à fermer les yeux pour leur transmettre ces mots.
Elles se faufilèrent par la porte d'entrée et allèrent immédiatement se cacher derrière un tas de caisses en carton humides juste à côté de la porte. De là, elles prirent soin de regarder alentours un peu plus soigneusement.
Le bâtiment abritait sans doute un étage et un grenier autrefois, mais à présent il n'en restait pas grand-chose. Un gros trou avait percé le sol des deux étages pour qu'elles puissent sans problème voir le plafond de là où elles étaient. Le sol était couvert de plantes et de mousse, et de la poussière venait recouvrir les dalles que l'on voyait entre les fougères. Le plafond, loin au-dessus d'elles, laissait passer des rayons de soleil par certains trous probablement percés par la moisissure et les orages. Les tuiles qui avaient dû recouvrir le toit auparavant jonchaient à présent le sol, au milieu des mauvaises herbes, de la poussière et des morceaux de briques rouges.
Jusque-là, rien de surprenant. Mais l'endroit était loin d'être vide.
Une bonne dizaine de soldats marmonnaient entre eux, assis en cercle au centre du bâtiment délabré. Ils tenaient des bières, mais avaient encore l'air parfaitement lucides.
Une dizaine... C'était plus que prévu. Et de là où elles étaient, elles ne pouvaient pas voir les œufs, s'ils étaient vraiment là. Mais en soi, la situation pouvait encore être gérée ; elles disposaient de l'élément de surprise. Lym s'apprêtait à proposer à ses camarades de surgir de leur cachette pour aller menacer les soldats lorsqu'elle remarqua que leurs murmures s'étaient tus. Elle risqua un nouveau coup œil par-dessus le bord de sa cachette et dut retenir un grognement agacé. Quatre autres soldats venaient d'entrer.
- Alors, on s'amuse ? demanda l'un des nouveaux venus, agacé, et ceux qui étaient occupés à boire se levèrent au plus vite pour lui faire face.
- On s'accordait une pause, répondit l'un des fautifs en grimaçant, gêné.
- Je ne vous l'ai pas accordé, il me semble.
D'accord. Donc le nouveau venu autoritaire à la face de rat était clairement leur supérieur.
- Où est la cargaison ?
- Ici, s'empressa de lui répondre l'un des soldats, l'air soulagé de pouvoir lui offrir une réponse satisfaisante. Ils sont tous là. On n'en a pas perdu un seul.
- Je veux voir ça par moi-même.
Les trois videntis risquèrent un nouveau regard par-dessus la caisse en carton ; Face de Rat suivait l'un des soldats vers le fond de la pièce. Il lui indiqua un tas de caisses bien plus neuves et propres que les débris derrière lesquelles les trois intruses étaient cachées. Face de Rat ouvrit l'une des caisses et fit mine de compter des objets à l'intérieur. Puis il y plongea la main, et la ressortit en tenant un œuf noir moucheté de violet, un peu plus grand qu'un œuf d'autruche. Il était identique à ceux que Zale gardait dans la nursery.
Lym analysa rapidement la situation. Quatorze soldats. Elle pourrait aisément en venir à bout si seulement elle ne devait pas faire attention à ses pouvoirs au risque d'exploser. D'autant plus que Jen était là, et qu'il fallait être précautionneux pour ne pas briser les précieux œufs de Skuro. Elle pourrait faire venir à elle les objets télékinésiquement, mais pas sans attirer l'attention des gardes au passage. Et si elle faisait discrètement glisser les caisses vers elle et traçait ensuite un enchantement autour pour les téléporter à Eleuth ? Sauf que l'une d'entre elles devrait partir avec puisqu'un enchantement de téléportation ne pouvait pas déplacer de seuls objets inanimés. Ce n'était pas vraiment un problème, elles pourraient diviser la cargaison en trois parts et partir chacune avec la leur, puis revenir combattre les soldats. Seulement il y avait bien une dizaine de caisses. Une dizaine de caisses lourdes et fragiles.
Elle allait demander à Elyra son avis lorsqu'elle entendit l'un des soldats siffler un avertissement à ses collègues.
- Vous n'avez rien entendu ?
Il y eut un silence presque étouffant. Lym s'efforça de retenir sa respiration pour ne pas dévoiler leur position, mais son souffle était bien trop saccadé à son goût. Fermant les yeux, elle se remémora les exercices de Luis. Elle s'en voudrait plus tard de se référer aux connaissances d'un traître. Pour l'instant, ces exercices lui permettaient de réguler sa respiration selon son bon vouloir.
- Je n'entends rien, commenta l'un des hommes.
Elle jeta un regard à Elyra et Jen. Elles se faisaient toutes petites et essayaient elles aussi de contrôler leur respiration saccadée. Leurs mains étaient posées sur leurs armes, au cas où.
- Ballen, va voir, ordonna une voix autoritaire, probablement celle de Face de Rat, le leader.
- Pourquoi encore moi ?
- Vas-y, abruti. Vous autres, prenez vos armes. Restez pas à me fixer comme ça.
S'ils n'avaient pas leurs armes en main, alors c'était le moment idéal pour surgir et attaquer. En échangeant un regard avec ses deux camarades, elle sut qu'elles pensaient exactement la même chose. De toute façon, à quoi bon se cacher, s'ils les avaient déjà repérées...
Lym fit gonfler le nœud compact que formaient ses pouvoirs, prête à instiller de la douleur dans le cerveau des soldats. Elle était tellement impatiente de relâcher toute cette puissance qu'elle avait l'impression d'être sur le point de s'imploser la cage thoracique. Ses doigts pressaient le cristal froid de Prysm.
Jen leva trois doigts, puis elle en baissa un. Les pas du dénommé Ballen s'approchaient inexorablement de leur cachette, craquant sur le sol irrégulier et froissant les fougères. Jen baissa un autre doigt, et Lym s'apprêta à bondir, l'adrénaline pulsant dans ses veines... À l'instant où elle allait se lever, l'un des soldats hurla.
- C'est lui ! Là !
- Attrape-le, bon sang !
Lym, troublée, regarda à nouveau par-dessus le rebord de la caisse. Le dénommé Ballen était invisible, mais toute son attention se focalisa sur le garçon que deux gardes venaient d'empoigner. Ils l'arrachèrent à une grosse poubelle tirée contre un coin, la renversant au passage. Le garçon s'y était vraisemblablement tapi pour pouvoir épier leur conversation, et avait froissé les sacs plastiques en bougeant trop.
Il avait l'air petit et effrayé, et se débattait de toutes ses forces, mais il devait en fait avoir presque la vingtaine. Son visage d'enfant lui donnait cependant l'air plus jeune.
- ¡Dejenme ir, idiotas! ¡Tengo un abogado!
Ils n'écoutèrent pas un mot de ce qu'il leur criait, le poussant contre l'une des colonnes et coinçant ses mains derrière. Ils attachèrent fermement ses poignets ensemble tandis que l'un des soldats, sachant apparemment quelques mots d'espagnol, lui criait des menaces pour qu'il se taise. Lorsqu'il eut arrêté de se débattre, les mains attachées derrière lui, les hommes formèrent un cercle autour de lui et commencèrent à se poser des questions.
- C'est un Dragomir ? demanda vivement l'un des soldats, méfiant.
- Un Dragomir serait plus expérimenté, lui répondit Face de Rat avec un air agacé. Ils ne se baladent jamais seuls et ils sont armés. Non, ce n'est certainement pas un Dragomir.
- Un quoi ? répliqua le garçon dans un anglais approximatif marqué d'un fort accent. Dragomir ? C'est pas un dessinateur de BD ?
- Comment tu t'appelles ?
Le jeune homme ouvrit et ferma la bouche, faisant une magnifique imitation d'un poisson, ne sachant apparemment pas s'il devait répondre ou pas.
- Réponds ! aboya Face de Rat, l'air énervé, en portant une main à sa taille où se trouvait sa xiphoskia.
En voyant l'arme, le garçon écarquilla les yeux et se mit à parler à toute vitesse.
- Kalheb ! Kalheb Federico Baker Fernandez. Je vous jure, c'est vrai. On dirait un nom inventé mais c'est vrai, je vous jure, lo juro, et j'ai dix-neuf ans, je vis pas loin, je pensais que vous étiez des vendeurs de drogue mais c'est œufs n'ont vraiment pas l'air de contenir du crack, et vous avez des épées, Dios mio mamá me va a matar, si vous me tuez pas je vous donne de l'argent je vous jure s'il vous plaît pitié...
- D'accord... Bâillonnez-le, il est insupportable.
L'un des onze soldats obéit, fourrant un morceau de chiffon dans la bouche du dénommé Kalheb qui continua à balbutier des mots vagues jusqu'à ne plus avoir de souffle.
Lym se figea tout net. Onze soldats. N'étaient-ils pas quatorze un instant plus tôt...?
Elle jeta un regard alentours et vit que deux d'entre eux s'étaient postés devant la porte pour empêcher quiconque d'entrer. Mais il en manquait toujours un. Ballen. Celui à qui Face de Rat avait ordonné de venir vérifier s'il y avait quelqu'un derrière les caisses en carton. Où était-il ? Lym sentit se bras se couvrir de chair de poule.
- IL Y A DES DRAGOMIRS ICI ! hurla soudain quelqu'un derrière elle.
- Formidable, marmonna Lym, furieuse, en se retournant.
Effectivement, le dénommé Ballen pointait un pistolet vers sa tempe. Elle eut à peine le temps de se redresser d'un bond, prête à lui donner un coup de pied pour le déstabiliser, qu'une boule de feu surgit des mains d'Elyra. Les flammes brûlèrent méchamment les mains du soldat, qui hurla et lâcha son arme. Lym attrapa Prysm et, sans la moindre hésitation, la planta fermement dans le ventre de l'homme. Elle s'en voudrait plus tard ; à cet instant, elle était transportée par l'adrénaline et une sorte de joie mauvaise à l'idée d'enfin pouvoir se battre.
Jen avait déjà sauté par-dessus les caisses en carton et affrontait avec deux lames recourbées un homme qui lui lançait une série de vagues de feu. Lym et Elyra échangèrent un rapide regard avant de courir la rejoindre.
Tous les gardes avaient délaissé Kalheb pour se précipiter vers elles, tirant aveuglement dans leur direction. Lym arrêta une balle du plat de sa lame, puis se concentra du mieux qu'elle put et glissa une douleur sourde dans le cerveau de ses adversaires. Une paire de soldats tombèrent au sol, terrassés par une souffrance comparable à celle qu'aurait causé une myriade d'épines transperçant leurs têtes. Les autres parvinrent à garder leur sang froid et se jetèrent sur elles en hurlant de rage.
Lym s'efforça de maintenir la pluie de balles loin d'elle avec ses pouvoirs, tout en tirant elle-même vers les soldats, les pieds fermement plantés sur le sol pour garder son équilibre. Prysm était de nouveau à son cou, de façon à ce qu'elle puisse utiliser son arme à feu à la place. Elle repoussait tous ceux qui s'approchaient un peu trop près avec des balles, du feu et des vagues de douleur. Lorsqu'elle sentit elle-même une horrible migraine bourdonner dans son crâne en retour, elle faillit tomber à genoux. Cet instant de distraction fut suffisant pour qu'un soldat se précipite sur elle et la jette contre un mur où elle s'écrasa douloureusement.
Le soldat l'accula contre la paroi. Des oreilles de loup et un museau indiquaient qu'il avait entamé sa transformation en Neuri. Ses yeux luisaient dans le noir, et un grognement animal s'échappait de ses lèvres qui ressemblaient à se méprendre à des babines de loup retroussées.
Il acheva sa transformation, devenant un loup gigantesque à la fourrure brune et gonflée, crocs jaunes à découvert. Il adopta une posture menaçante et gronda méchamment à nouveau.
Lym se redressa tant bien que mal et rangea son pistolet. Les balles se perdaient dans le pelage épais et impénétrable d'un Neuri pleinement transformé. Prysm fleurit dans sa main, étincelant sous un rayon de soleil orangé.
- Approche-toi, toutou, le provoqua-t-elle avec un sourire.
Il se jeta sur elle, et elle fit un grand geste dans l'espoir de lui trancher la tête. Il l'évita habilement, détournant le coup, et n'eut qu'une légère entaille au flanc. Du sang se mêla à son pelage sale, mais ce n'était qu'une blessure superficielle. Il atterrit sur Lym, qui tomba à la renverse, étonnée par son poids. Le dos contre le sol et les fougères lui griffant les bras, elle donna des coups d'épée en essayant de chasser l'animal, mais elle lâcha Prysm avec un cri de douleur lorsque des crocs s'enfoncèrent dans son poignet.
Du sang poisseux vint recouvrir son bras et sa main. Lorsqu'un coup de griffes traça trois coupures sur sa joue, elle vit rouge. Sans même y penser, elle projeta télékinésiquement le loup loin d'elle et il s'écrasa contre un mur avec un jappement.
Les yeux étincelants comme des braises, sans même prendre la peine de ramasser Prysm, elle s'avança vers lui, furieuse, sourde et aveugle à tout le reste. Ses pouvoirs étaient à deux doigts de la submerger, et elle n'était pas sûre de pouvoir les retenir. Déjà le loup se tordait de douleur par terre, gémissant comme un chiot blessé, et elle sut qu'il lui suffirait d'un instant de plus pour réduire son cerveau en miettes. Elle était sur le point de le faire lorsqu'une balle s'enfonça dans son épaule.
Ramenée au présent, elle porta une main à son bras, et sa vision s'éclaircit. Un homme colla une épée contre sa gorge en la maintenant immobile, tandis qu'une femme à la lèvre barrée d'une cicatrice lui prenait son pistolet. Le loup se redressa, grondant de haine et de douleur. Lym voulut rejeter ses assaillants et les faire léviter loin d'elle, mais ses pouvoirs semblaient ne plus répondre. Elle remarqua enfin que l'épée qui était tenue contre son cou n'était autre qu'une xiphoskia. Elle grogna, énervée. Elle avait totalement oublié que ces épées étouffaient les pouvoirs.
Par miracle, alors qu'elle se préparait à sentir la lame noire lui trancher la gorge, l'homme lâcha sa xiphoskia et elle roula au sol. Il cria de douleur et, en se retournant, Lym vit qu'Elyra venait de lancer un couteau dans son genou.
Avant que Lym n'ait pu la remercier, son amie se mit à courir vers le Neuri. Des oreilles de loup sortirent de ses épais cheveux frisés, son nez se transforma en museau, elle tomba à quatre pattes et, un instant plus tard, deux gigantesques loups au collier hérissé se faisaient face, grondant et aboyant. Elyra se jeta sur son adversaire, qui la griffa méchamment, mais elle y répondit par un coup de crocs.
Lym profita de cette attaque pour donner un coup de pied à la xiphoskia, l'éloignant d'elle, pouvant ainsi désarmer la femme à la cicatrice d'un geste. La projetant loin d'elle, elle fouilla le bâtiment délabré des yeux.
Jen lui était invisible dans la mêlée, Kalheb était toujours attaché, et des soldats couraient déjà vers elle. Elle était persuadée qu'il y en avait plus qu'au départ. Des renforts avaient dû arriver.
La créature qu'était devenue Elyra se redressa, le museau et les crocs barbouillés de sang. Le corps du Neuri, toujours transformé, gisait à ses pieds (ou à ses pattes ?), la gorge ouverte et entourée d'une flaque de sang. Elyra reprit forme humaine, son épaisse fourrure ensanglantée semblant se rétracter jusqu'à disparaître, les vêtements déchirés et le visage couvert de poix rouge. Elle cracha un filet de sang par terre et s'essuya le visage, l'air dégoûté.
- T'as un air très punk, commenta Lym avec un sourire.
- Oh, la ferme, je suis magnifique.
Elles échangèrent un regard complice et Lym allait la remercier de l'avoir secourue lorsqu'elle remarqua le silence. Plus de bruits de combats. Elle leva le nez ; Jen était à genoux, une épée sous le cou, Face de Rat la maintenant immobile. Deux soldats étaient debout à ses côtés, mais les autres étaient trop blessés - ou trop morts - pour lui venir en aide. Jen leur adressa un regard désolé, les lèvres tremblantes. Un filet de sang coulait de sa gorge.
- Ne bougez pas ! rugit Face de Rat, celui qui devait être le chef. Lâchez vos armes ou elle est morte.
Lym hésita, mais elle ne serait jamais assez rapide pour lui arracher son épée sans risquer de blesser Jen au passage. Fulminante et terrassée par un sentiment de défaite, elle leva les bras, et Elyra laissa tomber ses couteaux.
Les soldats commencèrent à reprendre leurs esprits. Il n'en restait plus beaucoup capables de tenir sur leurs pieds. Quatre seulement purent rejoindre leur leader sans s'effondrer.
Les trois Dragomires durent se plier à un enchantement pour neutraliser leurs pouvoirs. Puis elles se retrouvèrent à leur tour attachées, à côté de Kalheb, qui semblait sur le point de faire une crise cardiaque ; ce n'était pas un videntis, Lym en était sûre car elle s'était entraînée à les reconnaître après avoir amené Ash sur Eleuth, mais il était assez imaginatif pour voir les œufs et avait donc sans doute perçu les loups et les épées.
Lym était assise entre Khaleb et Elyra, elle-même à côté de Jen. Les bras coincés derrière une poutre et les poignets liés par des menottes, elles fulminaient de rage. Si seulement ils n'avaient pas capturé Jen... La sœur de Cléandra leur avait balbutié une série d'excuses désespérées, mais elles savaient bien que ce n'était pas de sa faute. Ce qui leur était insupportable, c'était d'être aussi impuissantes.
Les soldats allèrent se poster dans la salle, formant un cercle autour d'elles, et Face de Rat leur fit face, l'air ravi.
- Des Dragomires ! Trois ! Voilà qui est fantastique. Sérieusement, vous pensiez vraiment nous vaincre aussi facilement ? Cave faiblit vraiment, s'il envoie trois gamines s'occuper de nous.
Il n'avait pas totalement tort ; avec la guerre et les Sphinx, Cave avait été trop débordé pour préparer correctement les équipes s'occupant de ces missions.
- Vous êtes sous-entraînées et inexpérimentées... Non, vraiment, à quoi pensait Cave en vous envoyant ici ? Pitoyable...
- Sous-entraînées et inexpérimentées ? répéta Lym en indiquant les cadavres jonchant le sol. Ouais, dites ça à vos potes, là...
Elyra ricana, et Jen prit la parole à son tour.
- C'est vous qui êtes pitoyables. Vous étiez à deux doigts d'être vaincus par quelques adolescentes. Vous êtes clairement peu à avoir vraiment été entraînés. Drake ne sait plus qui employer.
Tandis que Face de Rat répondait à cela par une série d'insultes, Lym tordait ses mains dans tous les sens, tirant à s'en écorcher les poignets ou se déboîtant le pouce pour essayer de se libérer. Rien ne pouvait faire céder les menottes. Prysm, ses couteaux et son pistolet lui avaient été retirés, ainsi que son téléphone ; il y avait bien l'arme cachée dans sa botte, mais elle était hors de portée. Elyra et Jen se démenaient tout autant, mais elles n'étaient pas arrivées au moindre résultat.
Il devait bien y avoir quelque chose qu'elles pouvaient faire. Les clefs des menottes étaient dans la poche de Face de Rat. Inaccessibles, donc. Mais peut-être qu'Elyra, si douée pour crocheter des serrures, pouvait faire la même chose avec les menottes...
- Lyra, souffla Lym. Dit à Jen de le distraire.
Elyra obtempéra, et tandis que Jen commençait à insulter Face de Rat de tous les noms, Lym glissa vite quelques mots à sa voisine ;
- Tu peux ouvrir les menottes ?
- Si j'avais un fil de fer, peut-être...
Un fil de fer... Lym n'avait rien de la sorte... Elle passa en revue son arsenal. Ses armes que l'on lui avait prises. Son pistolet qu'Elyra ne pourrait attraper en aucun cas... Elle allait se décourager lorsque son visage s'illumina.
- L'un des épingles à cheveux que tu m'as données en me coiffant, ça pourrait marcher ?
- Sans doute ! répondit-elle, son visage s'éclairant à son tour, et elle hocha la tête avec un air enthousiaste. Mais comment tu veux me la passer ?
- Si j'arrive à défaire les tresses que tu m'as faites, il y en a une qui devrait tomber par terre assez près de ta main pour que tu l'attrapes.
Elyra allait ajouter quelque chose, mais Jen ne trouvait plus la moindre insulte à crier à Face de Rat, et il détourna son attention vers les autres prisonniers. Il indiqua Lym et Elyra d'un geste, l'air sérieux.
- Si je ne vous tue pas pour votre insolence, c'est parce que je crois reconnaître ces deux-là. Elyra Djaili et Lymerya Alley, je me trompe ? Vous êtes celles qui vous êtes infiltrées à Arcem lors de l'explosion du volcan. L'Irisa et la videntis aux couteaux, hmm ?
Lym vit du coin de l'œil Jen se tourner vers elle, éberluée, mais elle ne fit aucun commentaire.
- Si j'ai bien compris, vous et vos petits acolytes êtes dans la liste des plus recherchés par Drake. Ce qui veut dire que je n'ai pas le droit de vous tuer. D'autant plus qu'à Arcem on apprécie les prisonniers. Mais si j'étais vous, je ne me réjouirai pas trop. Votre amie ici présente, elle, n'a rien d'intéressant, et si je la tue, Drake n'en saura jamais rien ni n'y verra d'inconvénient... Au moindre geste, je m'occupe d'elle.
Il pointa son arme vers Jen, qui serra les lèvres, l'air inquiet. Ricanant, il se tourna vers les soldats pour leur aboyer des ordres.
- Toi, viens avec moi. On va chercher des renforts pour emmener les œufs et nos nouveaux camarades à Arcem. Je suis sûr qu'ils apprécieront leurs cellules... Vous trois, restez ici, et ne les laissez surtout pas s'échapper !
Face de Rat et l'un de ses acolytes sortirent du bâtiment, s'éloignant dans les rues où il faisait presque noir, à présent. Les trois autres, anxieux, se postèrent autour d'eux et se mirent à murmurer à voix basse. De toute évidence, ils n'étaient que des nouveaux, n'étant pas habitués à ce genre de situations.
Lym en profita pour se tourner vers Kalheb. Le début d'un plan avait commencé à se former dans son esprit, et même s'il n'était pas brillant, c'était déjà pas trop mal.
- Eh ! Psst ! Toi !
Il se tourna vers elle, les yeux écarquillés, marmonnant quelque chose qui fut étouffer par son bâillon.
- Tu... Euh, ça va ? Tu as l'air sur le point de t'évanouir.
- Je crois qu'il va faire une crise cardiaque, commenta Elyra.
- Parfait !
Kalheb lui adressa un regard scandalisé, et Elyra aussi.
- Pardon ?!
- Non, je voulais dire... Toi, Kalheb, fais semblant d'en faire une, justement. Une crise cardiaque. Ou quelque chose, je sais pas.
Aucun d'entre eux ne comprenait vraiment pourquoi elle lui demandait une chose pareille, mais lorsqu'elle ajouta un "vite !" énervé, Kalheb commença à bouger et gémir à travers son bâillon. Il se mit à secouer la tête et les jambes, faisant entendre un souffle saccadé. L'un des gardes hésita un instant avant de retirer le chiffon de sa bouche, l'air de ne pas trop savoir quoi faire.
- Pourquoi tu t'agites, comme ça ?
Kalheb se mit à respirer de plus en plus vite, des larmes roulant sur ses joues et des gémissements s'échappant à ses lèvres.
- Ataque... asma... ayuda...
- Je comprends rien à ce qu'il dit ! s'écria le garde en se tournant vers ses collègues, l'air effrayé. Pourquoi il parle plus anglais ?
- Asma ! Por favor ! gémit de plus belle Kalheb sans cesser de pleurer.
- Il faut l'aider ! cria Elyra en prenant un air dramatique.
- Il fait une crise d'asthme, devina l'un des gardes, sans doute un peu plus malin que ses collègues. Il faut lui trouver de la ventoline.
- Mais on n'en a pas ici ! protesta un autre, qui semblait lui-même au bord de la crise tant il semblait paniqué. Tu crois pas que Pete va être furieux s'il meurt ?
- !Ayuda! cria Kalheb.
Il y avait tellement de larmes sur ses joues que ses vêtements étaient trempés. Soit il était un excellent acteur, soit il était sur le point de se faire dessus et n'avait même pas à faire semblant. Lym, pendant que les gardes se disputaient pour savoir s'il fallait, oui ou non, aller trouver une pharmacie, agita la tête le plus possible, la secouant contre la poutre, faisant tout ce qui était dans son pouvoir pour défaire ses tresses. Elle pesta contre les talents de coiffeuse d'Elyra.
- Bon, finit par décider le garde le plus calme. Coin, tu le détaches et tu l'emmènes à une pharmacie ou quelque chose comme ça. Dépêche, avant que Pete revienne. Allez !
Le garde paniqué, Coin, détacha Kalheb qui criait et gémissait toujours, semblant à deux doigts de s'étouffer. Il se débattait tellement, donnant coups de pieds et de poings dans tous les sens, que Coin faillit le faire tomber plusieurs fois. Finalement, il se tourna vers le garde qui lui avait donné l'ordre, l'air désespéré.
- Il va me péter le nez ! J'arrive pas à le maintenir immobile !
- Oh, par Ladon, quel abruti ! Je viens avec toi, espèce d'incapable.
- Mais... Vous allez pas me laisser seul avec les trois prisonnières ? protesta le troisième garde, paniqué.
- Tu te débrouilleras, Marler !
Enfin, les deux tresses se défirent et les cheveux de Lym tombèrent en cascade sur ses épaules. Quelques épingles à cheveux y restèrent coincées, mais l'une d'entre elles tomba à deux doigts de la colonne où était attachée Elyra. Tant bien que mal, se tordant dans tous les sens, elle parvint à l'attraper du bout des doigts et commença à s'occuper de ses menottes le plus discrètement possible. Lym, ravie, sourit brillamment.
Les deux gardes sortirent en traînant un Kalheb gémissant hors du bâtiment, et le seul garde restant, Marler, se mit à faire les cents pas, nerveux. Il faisait tourner son arme entre ses doigts, jetant des regards inquiets aux prisonnières. Lym fit vite disparaître son sourire et prit un air découragé pour ne pas trop attirer son attention.
- Tu y arrives ? siffla Jen, impatiente.
- Une minute, j'y suis presque ! répliqua Elyra. Quand j'aurais fini, je fais comment pour le neutraliser, de toute façon ? Il a une arme et je n'ai plus assez de forces pour me transformer en loup à nouveau...
- Il y a un pistolet dans ma botte, répondit Lym. Oh, tiens, je suis dans Toy Story...
- Je vois absolument pas le rapport.
Lym allait s'expliquer à Jen, lorsqu'un léger cliquetis lui indiqua qu'Elyra était libre. Le garde, dont elle avait déjà oublié le nom - Miller ? Malheur ? - se tourna vers elles, entendant lui aussi le bruit.
- C'était quoi, ça ?
L'air tendu, il s'approcha d'elles et contourna les colonnes pour vérifier que Lym était bien attachée. Celle-ci en profita pour approcher son pied d'Elyra, et à l'instant où il allait vérifier les menottes de cette dernière, elle attrapa la crosse de l'arme qui dépassait de la botte de Lym. Le garde eut à peine le temps de réagir qu'il se prenait une balle au milieu du front.
Elyra bondit sur ses pieds et se précipita vers le garde, qu'elle se mit à fouiller. Jen lui jeta un regard éberlué.
- Tu fous quoi ? Libère-nous ! C'est pas le moment de lui faire les poches !
- Tais-toi ! lui cria Elyra de derrière les poutres, où elles ne pouvaient pas voir ce qu'elle faisait. Les renforts arrivent...
En tendant l'oreille, Lym entendit effectivement un bruit de pas s'approchant de la maison délabrée et sentit son sang se glacer dans ses veines. Il y avait assez de pas pour une vingtaine de soldats. Ils étaient beaucoup trop nombreux.
Lorsqu'Elyra réapparut, elle brandissait l'enchanteur du garde, et les yeux de Lym s'agrandirent de surprise lorsqu'elle comprit ce qu'elle voulait faire. Elyra se mit à tracer autour de Lym l'enchantement qui devait annuler celui qui bloquait ses pouvoirs. Lym se mit à secouer vigoureusement la tête.
- Non ! Attends, je peux pas utiliser mes pouvoirs, je risque d'exploser...
- Je te fais confiance pour te maîtriser, lui répondit Elyra, à deux doigts de finaliser l'enchantement. Sinon je t'assommerai.
- Elyra... Jen est juste là...
- Il a déjà dit ce que tu étais devant elle. C'est la seule façon pour sauver et notre peau, et les œufs. Si tu as un meilleur plan...
Elle aurait aimé protester vivement, mais, honnêtement, elle avait raison. Malgré les protestations de Jen, elle laissa donc Elyra achever son enchantement, et une vague dorée traversa son corps, lui rendant ses pouvoirs.
À cet instant précis, les soldats arrivèrent devant la porte, menés par Face de Rat. Dès qu'ils virent Elyra, debout et un enchanteur dans une main et un pistolet dans l'autre, avec des corps éparpillés dans la salle et un enchantement s'estompant autour de Lym, ils levèrent leurs armes. Il y en avait effectivement une bonne vingtaine. De toute évidence, ils s'imaginaient pouvoir maîtriser trois adolescentes sans avoir à les tuer, car ils ne tirèrent pas. Ils pouvaient sans doute les neutraliser sans problème, effectivement. Résignée, Lym se mit donc à accumuler ses pouvoirs en un petit nœud compact, prête à les laisser la submerger à tout moment.
- Libère-moi, supplia Jen en regardant Elyra d'un air perdu et apeuré. Ils vont nous tuer...
Elle avait l'air terrifié, le désespoir peint partout sur son visage, de ses lèvres tremblantes à ses yeux humides. Avec ce regard implorant, elle ressemblant déjà moins à Cléandra. Elyra se dépêcha de crocheter la serrure de ses menottes et l'attira à l'abri derrière un tas de cartons.
Face de Rat leur cria de ne pas bouger, mais Lym se redressa dès que ses menottes furent parties en poussière. Après avoir hurlé un dernier avertissement, il donna l'ordre à ses soldats de tirer. Ils levèrent leurs armes, prêts à obtempérer.
- On est foutues, gémis Jen.
Elyra observa Lym. Elle avait entièrement confiance en son amie. Et effectivement, avant que les soldats n'aient eu le temps de tirer, ses yeux s'illuminèrent d'un éclat rouge sombre étincelant. Les sortes de rubans rouges et translucides commencèrent à s'enrouler autour de ses mains, de ses poignets.
Un sourire s'épanouit lentement sur le visage d'Elyra.
- Ils sont foutus, corrigea-t-elle sans cesser de sourire.
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