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Livre III : Chapitre 11
Larrow, Elyra, Lym, Shay et Kosh avaient développé une tactique assez fascinante vue de l'extérieur lorsqu'il s'agissait de préparer un petit-déjeuner.
Au début, ils se disputaient la salière, la distribution des tâches ou bien telle ou telle chaise qu'ils trouvaient plus confortable. Puis, lentement, sans qu'ils ne s'en rendent réellement compte, c'était installée une routine assez définie. À chaque fois, ils procédaient de la même façon, et parfois les parents de Kosh restaient sur le côté à les observer, fascinés par la mécanique si instinctive de leur groupe.
Lym prenait des œufs dans le frigo, puis attrapait au vol la poêle-à-frire que lui lançait Shay après l'avoir extirpée du placard sous l'évier. Des fois, elle ne regardait même pas ; elle tendait la main et attendait qu'elle arrive. Puis elle préparait les œufs, la seule chose qu'elle savait cuisiner sans faire exploser quelque chose. Elle connaissait déjà leurs préférences par cœur. Brouillés pour Larrow, à la coque pour Elyra, au plat pour Kosh et elle, et une omelette très épicée pour Shay. Pendant qu'elle s'en occupait, Kosh venait faire du bacon, qu'il parvenait toujours à griller à la perfection, sans jamais en brûler une seule tranche. Shay, en jonglant avec couverts et assiettes, allait mettre la table ; Lym et Kosh, en chœur, lui criaient qu'il était un idiot ; il leur lançait une réplique bien sentie, toujours différente, en posant les couverts sur la table. Larrow emmenait une véritable montagne de boîtes de céréales et cartons de jus d'orange qu'il allait poser auprès des couverts. Elyra, elle, faisait des litres de thé et de café, toujours accordés à la perfection aux goûts de chacun.
Lorsqu'ils avaient fini, ils s'asseyaient. Ils avaient déjà leurs chaises attitrées, une disposition précise des assiettes, et des verres bien à eux qu'ils considéraient comme leur propriété. Si quiconque volait le mug Star Wars de Kosh, il risquait de se prendre une assiette d'œufs au plat sur la tête. Lym s'amusait d'ailleurs à échanger sa propre tasse, marquée des lunettes d'Harry Potter, avec celle de Shay, rouge vif avec des lunettes de soleil dessinées dessus, rien que pour l'énerver.
C'est ce qu'ils firent ce jour-là, à une seule différence près ; cette fois, en plus de lancer les assiettes en l'air, Shay s'amusait à jongler également avec le bocal contenant le Fé. Lym et Elyra essayèrent de le lui prendre des mains, et Kosh sembla très vexé, étant lui-même en partie Fé, mais Shay ne voulait rien entendre. L'Être semblait quant à lui sur le point de sortir de ce bocal pour venir les étriper tous un par un et lançait une masse ininterrompue de gazouillement qui ne devaient pas se traduire par des marques de politesse. Ils petit-déjeunèrent en discutant joyeusement et chahutant à en attirer les voisins, si les voisins n'étaient pas exclusivement constitués du père de Shay.
Ils étaient tout de même particulièrement calmes pour une bande d'adolescents qui venait tout juste de découvrir que quelqu'un s'était infiltré chez eux pour les espionner, aurait songé un observateur peu attentif. Peu auraient remarqué les mains crispées de Kosh, les coups d'œil que jetait Elyra à la fenêtre pour vérifier qu'ils n'étaient pas observés, la façon monotone et fébrile qu'avait Shay de faire rouler le bocal comme s'il avait peur de voir s'en échapper le petit espion, la main que Larrow gardait sous la table et qui était agrippée à la crosse de son pistolet, ou encore les sens en alerte de Lym, qui était prête à se servir de ses pouvoirs à tout moment.
En principe, ils étaient, certes, censés retourner en cours ce matin-là. Mais pour être parfaitement honnêtes avec eux-mêmes, ils devaient avouer qu'ils n'en avaient pas la moindre envie – pas quand Larrow venait tout juste de revenir, et que la seule chose qu'il avait pu faire depuis qu'il était entré, c'était capturer un espion dans un bocal, que Shay faisait tourner comme une toupie sur la table. Finalement, Larrow le lui extirpa des mains et sortit dans le jardin. Il traça quelques symboles autour avec son enchanteur, et le bocal s'évapora dans les airs, réapparaissant instantanément sur le bureau de Cave à Eleuth, à des kilomètres de là.
- Le colis est envoyé, annonça Larrow en retournant à l'intérieur, fermant soigneusement la porte derrière lui.
- Comment OSES-TU appeler monsieur Confetti « le colis » ? s'indigna Shay.
- Confettis ? répéta Lym.
- Oui, parce que c'est ce que deviendront ses ailes s'il recommence à nous espionner.
- Et maintenant ? reprit Larrow sans lui faire trop attention, habitué aux surnoms qu'il donnait à tout et n'importe quoi. On devrait aller en cours...
- Pas question, répliqua Elyra en attrapant son manteau jeté nonchalamment sur un fauteuil. Tu viens tout juste de rentrer. Je parie que tu as des masses d'aventures à nous raconter ! On va faire un tour.
- Où ça ? s'enquit Kosh avec un air sceptique, mais en prenant à son tour sa veste.
- Le village du coin n'est pas forcément le meilleur endroit à visiter, on le connait par cœur.
Lym et Shay échangèrent un coup d'œil entendu, auquel ils ajoutèrent un léger sourire.
- Le village du coin ? Les gars, on peut se téléporter, par Ladon. On va à Madrid, ou à Shanghai, n'importe où !
- Je vote pour Las Vegas ! hurla presque Shay en sautant sur le canapé comme un kangourou hyperactif.
Kosh sauta sur le canapé pour lui arracher un coussin des mains.
- On n'ira pas à Las Vegas. Pas avec Lym et Shay avec nous, pas question ! Ce serait la fin de la Terre, que dis-je, de l'univers tout entier. On va aller dans un coin tranquille et sympathique avec des fermiers et des vaches ennuyeuses et on va s'acheter un café.
- Et si on allait à Moscou ? s'enthousiasma Elyra. Je rêve d'y aller...
- Bon sang, la dernière fois qu'on a étés en Russie, ça ne s'est pas forcément très bien passé, tu te souviens ? On est probablement recherchés dans tout le pays.
Il n'avait pas tort. Ils avaient effectivement passé l'intégralité de leur voyage à St Petersburg à libérer des dragons, menacer le manager d'une entreprise de poisson et aller interroger des Anges.
- J'avais oublié à quel point vous étiez nuls pour prendre des décisions cohérentes, soupira Larrow en levant les yeux au ciel. Comment avez-vous survécu des semaines sans moi ? On va à Paris, contents ? Prenez vous manteaux, il fait froid en France, en ce moment.
Après avoir laissé Shay protester, seulement pour la forme, ils s'habillèrent chaudement et sortirent dans le jardin. Kosh alla faire un tour sur Internet pour trouver les coordonnées adéquates, puis Larrow les traça dans un coin dénudé d'herbe en y joignant les bons symboles.
En un éclat d'or flamboyant, ils se retrouvèrent dans une ruelle, sous une enseigne clignotante. Par-ci par-là, Lym put saisir quelques phrases de français, mais ses compétences assez limitées en la matière se résumant à « bonjour », « baguette » et « fromage », elle n'en comprit pas une seule parole. La rue ne sentait pas vraiment non plus la baguette, et les passants ne se baladaient pas en arborant moustaches et bérets ; la tour Eiffel ne fendait pas les nuages comme un rai de lumière, et la Seine sentait plus les ordures que la magie ou l'amour. Malgré tout, elle comprenait l'aura enchanteresse que l'on attribuait à cette ville. Même en voyant les foules pressées pour descendre dans les métros bondés et le ciel couvert, elle trouvait l'endroit magnifique.
Ici, il y avait plusieurs heures de décalage horaire, et il était déjà plus tard. Le soleil entamait déjà sa descente vers l'horizon dentelé par les immeubles.
Ils allèrent s'acheter des crêpes dans une petite boutique du coin. Ils auraient probablement passé trois heures à décider ce que voulait dire « jambon » si Shay, dont ils oubliaient en permanence la connaissance des langues, n'avait pas pris la tête du groupe. Lym était quasiment sûre de l'avoir entendu flirter avec la serveuse en français, et Elyra, Kosh et elle levèrent les yeux au ciel en même temps, avant de donner de petits coups dans les côtes de leur ami pour qu'il se dépêche de leur obtenir leurs crêpes.
Ils allèrent s'asseoir dans un parc décoré d'affiches représentant une licorne sur une tapisserie. Des enfants jouaient dans des toboggans et des touristes étaient occupés à lire des annonces sur un certain musée. Tout en nourrissant les agglutinements de pigeons qui venaient les entourer en roucoulant, ils finirent leurs crêpes tout en discutant, essayant de ne pas parler trop fort pour ne pas attirer l'attention des touristes caecus.
- Ok, Larrow ! Explique ce qui s'est passé. Vous êtes allés où ?
Larrow prit une bouchée de sa crêpe, qu'il prit soin de mâcher avec une lenteur exaspérante avant de déglutir.
- Eh bien, rien de très intéressant. On est allés faire un tour aux endroits que Cave suspectait d'abriter le Temple, par exemple en Espagne, en Australie, et on a même été en Chine un moment. On a dû combattre de nombreux monstres, se débarrasser de groupes de soldats envoyés par Drake, et semer la police un milliard de fois. Mais on n'a rien trouvé. Anita et Joyce étaient très déçues, mais elles étaient tout de même soulagées de revenir. Voilà, c'est tout.
- Attends, sérieusement ? Approfondis un peu ! Vous êtes allés où, en Espagne ? Et en Chine ?
- Vous avez vu Sydney lorsque vous étiez en Australie – des kangourous ! Vous avez vu des kangourous ? Des wombats ? Des dingos ?
- Par Ladon...
Il leur raconta les petits détails qu'ils exigeaient de connaître, parlant d'un steak de kangourou que l'on avait voulu lui servir, ce qui dégoûta profondément Elyra, d'une série de courses-poursuites lorsqu'ils se faisaient repérer par la police, et d'un Neuri égaré qui avait essayé de les égorger. Mais il persistait à dire qu'ils n'avaient pas vu le Temple. Apparemment, Cave trouvait les endroits ayant une aura magique plus forte et y envoyait des éclaireurs pour chercher l'emplacement du Temple. Seulement, cette aura était repérable par tous. Ce qui voulait dire qu'elle l'était par Drake aussi.
Apparemment, les différentes alertes qu'avait reçues Cave n'avaient mené qu'à des découvertes anodines. Nids d'œufs de Vandors, agglutinements de Stryges dans des bouches de métro abandonnées, sections illégales de stockage d'armes enchantées. Rien qu'ils n'aient pu percer à jour ou qui ait d'une quelconque manière éclairci leurs questions concernant le Temple Sphinx. Finalement, après avoir passé plus d'un mois à éliminer une par une les pistes que leur envoyait Cave, celui-ci avait mit fin à leur mission de manière assez abrupte et les avait renvoyés sur Eleuth.
- Beaucoup de tapage pour pas grand-chose, quoi, en déduisit Shay.
- Disons ça. Notre meilleure réussite fut de disperser quelques groupes de Drake.
Il jeta un coup d'œil fugace à Lym, avant de détourner immédiatement le regard, mais elle l'avait vu. Elle était adossée à un chêne face au banc où il était assis, et elle croisait les bras, les sourcils froncés. Elle n'avait pas prononcé un seul mot durant toute la durée de ses explications.
- Tout va bien, Lymie ? demanda Kosh en lui adressant un regard troublé.
- C'est vrai que tu es particulièrement silencieuse, et ce n'est jamais bon signe avec toi.
- Je vais parfaitement bien. Eh, le soir tombe déjà, vous avez vu ? On va s'acheter un truc à manger ?
Ils dénichèrent un petit café coincé entre deux librairies, et commandèrent des boissons et des sandwiches. Après avoir prit leurs repas, ils remontèrent dans la rue en bavardant, et arrivèrent enfin face à une longue avenue dont les bâtiments se résumaient à un tas de boutiques. Elle était submergée par les touristes. Il fallait dire qu'ils avaient atterri à l'embouchure d'une assez coquette rue qui devait déborder de touristes en été. Des lumières brillaient partout, aux portes et aux fenêtres, aux vitrines et aux affiches publicitaires.
La première réaction d'Elyra, ô surprise, fut de s'engouffrer dans un magasin proposant plusieurs variétés de vêtements derrière ses vitrines. Comme Lym refusait catégoriquement de lui emboîter le pas, sachant parfaitement qu'elle lui ferait noter sur dix les différentes tenues qu'elle voudrait s'acheter, Kosh fut contraint de la suivre, et Elyra commençait déjà à le tirer dans la boutique quand il l'arrêta.
- Pourquoi seulement moi ? Pourquoi... Je sais pas, Larrow, par exemple, ne peut-il pas venir ?
Les yeux de Larrow s'élargirent et il secoua énergiquement la tête avec un air paniqué, ce qui fit sourire Lym.
- Pourquoi pas Shay ? proposa Lym d'un ton mesquin en donnant un coup de coude au garçon blond.
Larrow sembla profondément soulagé, et son air affolé fut repris par Shay, qui protesta aussitôt ;
- Quoi ? Mais...
- Tu voulais flirter avec de jolies françaises, rétorqua-t-elle d'un ton partagé entre l'amusement et le profond agacement. Il doit y en avoir des tas dans ces boutiques.
- Pourquoi tu t'acharnes sur moi, Lymie ? gémit Shay, et elle sourit de plus belle, ravie de l'avoir eu à son propre jeu.
- Tu n'avais qu'à te dépêcher avec nos crêpes, Lake.
Il eut un soupir, mais finit par suivre Kosh et Elyra à l'intérieur en marmonnant vaguement quelque chose d'inintelligible. Levant les yeux au ciel, elle prit Larrow par le bras.
- On va où ? demanda-t-elle en jetant un coup d'œil alentours.
- On peut aller au parc, proposa-t-il. C'est juste devant, on pourra les y attendre.
- Ça marche pour moi.
Ils évitèrent les voitures en traversant la rue et se dirigèrent vers la petite place semée de parterres de fleurs et d'arbres à l'écorce qui semblait centenaire. Ils finirent par se laisser tomber sur un banc, coincés entre deux chênes.
Des passants se pressaient dans les rues, et des conducteurs de voitures s'apostrophaient de temps à autres, mais elle entendait au loin la sonnerie des cloches d'une église. Des bateaux paressaient sur la Seine qui semblait bouillonner, et si la tour Eiffel n'était pas visible alentours, elle repéra les flèches de Notre Dame, brisant la ligne plus ou moins uniforme de l'horizon des toits percés de cheminées.
Devant le parc, de l'autre côté de la rue, ils pouvaient voir la boutique où s'étaient réfugiés Shay, Kosh et Elyra, et comme tous les trois s'étaient assis juste devant la vitrine, ils pouvaient parfois les discerner. Kosh semblait finalement bien aimer la situation, car il applaudissait poliment et complimentait Elyra, si on en croyait les grands sourires qu'ils s'adressaient. Shay, à chaque fois que la foule des passants s'éclaircissait et que Lym pouvait le voir, avait la tête posée contre le verre de la vitrine et disait silencieusement « à l'aide » en fixant Lym d'un ton suppliant. Lym, avec un petit sourire suffisant, lui tira la langue. Pas question de voler à sa rescousse. Il allait devoir tenir la chandelle entre Elyra et Kosh, pour une fois.
Le plus amusant, c'était que Shay s'entendait très bien avec Kosh, et tout aussi bien avec Elyra.
Lym repensa à Elyra qui brossait les cheveux de Shay pour essayer vainement de les aplatir tandis que ce dernier protestait à grands cris. Aux conseils que lui donnait Shay, l'expert en musique, pour choisir le morceau sur lequel elle ferait sa chorégraphie de danse. À leurs batailles de boule de neige lorsque Shay bombardait la chambre des filles avec de la poudreuse. De tous ces petits éléments qui faisaient de leur amitié une relation parfaite.
Ils passaient toujours d'excellents moments ensemble. Et avec Kosh aussi, car il était comme un frère pour Shay.
Seulement, lorsqu'ils étaient tous les trois, Kosh et Elyra se retrouvaient enfermés dans leur propre petite bulle, et Shay devait assister à leurs échanges avec un air vaincu. Lym avait assez connu cette situation pour savoir le calvaire qu'endurait Shay, à voir Kosh et Elyra se faire des yeux doux.
Elle serait bien allée s'acheter un seau de pop corn et s'asseoir pour regarder Shay paniquer et s'ennuyer pendant des heures, mais elle avait des questions pour Larrow. Elle n'avait pas demandé à Shay de tenir la chandelle seulement pour l'embêter ; elle voulait aussi parler un peu avec son ami.
- Alors, commença Lym en suivant des yeux un chiot qui traînait son maître derrière lui en jappant joyeusement. Raconte tout. Pas d'exceptions.
- Quoi ?
- Ton voyage. Raconte.
- Je l'ai déjà fait. Quoi, tu veux réécouter l'anecdote du steak de kangourou ?
- Nan, merci. Sérieusement, Larrow – tu es doué pour les mensonges, je te l'accorde, et tu as des talents d'acteur dignes d'Hollywood, mais bon sang ! Tu sais que ça ne marche pas aussi bien avec moi.
Elle sut qu'elle avait touché au but lorsqu'elle vit un très vague sourire s'épanouir sur le visage de son ami.
- Et puis, tu as parlé de l'Australie, de l'Espagne, et même de la Chine. Etla Sibérie, alors ?
- Comment tu sais ça ? C'est Joy qui t'en a parlé ?
Cette fois, il semblait sincèrement surpris.
- Non, Lukas. Il a dit qu'Ash lui avait dit que vous étiez en Sibérie. Je suppose que Joy lui a envoyé un message.
- C'est... Possible. Pourtant Cave nous avait déconseillé d'en parler à qui que ce soit...
Comme il semblait sur le point de replonger dans ses pensées, elle lui tapota l'épaule pour attirer son attention.
- Eh ! Alors, la Sibérie ? Il s'est passé quoi ? Et pourquoi n'en as-tu pas parlé devant les autres ?
- J'allais te le raconter, à toi.
- Mon œil, oui.
- Non, vraiment. Ça te concerne. Et je pensais que je devrais d'abord avoir ton autorisation avant de divulguer des informations sur toi et tes... talents.
Il avait failli lâcher le mot « pouvoirs » juste au moment où un caecus passait devant eux en tirant son chien derrière lui. Même s'il n'aurait sans doute pas été particulièrement intrigué par leur conversation même s'il avait laissé échapper ce mot, autant être prudents.
- D'accord, fit lentement Lym, que les derniers mots de Larrow avaient surprise. D'accord. Alors raconte-moi, je suis toute ouïe.
- Attends, attends. Tout d'abord, tu dois être sûre. Tu me dis sans arrêt que j'ai tendance à te surprotéger, et c'est peut-être le cas, mais je n'ai pas envie de te parler de quelque chose qui pourrait te blesser...
- Si ça me concerne, tu m'en parles. C'est comme ça, Larrow. Tu ne vas pas me cacher quelque chose qui a à voir avec mes pouvoirs. Allez, raconte, bon sang !
Il donna un petit coup de pied pour renvoyer un ballon de foot à deux petits garçons qui se le passaient en criant.
- On est tous les trois arrivés à l'endroit que nous avait signalé Cave. Cette fois, il était sûr de lui – il était persuadé qu'il s'agissait de l'emplacement du Temple. L'aura de cet endroit était... C'est indescriptible. Tu pouvais sentir la magie dans l'air, tu sais, comme quand tu es sur le point de...
Lui que ses origines Strygéennes rendaient si beau parleur ne trouva pas les mots pour définir ce que faisait Lym. Lorsqu'elle était sur le point d'exploser ? de se vider ? de tuer ? Elle savait ce qu'il voulait dire. C'était cette sensation palpable, presque tangible, qu'elle sentait autour d'elle, lorsqu'elle allait déchaîner ses pouvoirs. Cette impression étrange d'être au milieu d'une bulle gorgée d'électricité statique. Elle ne savait pas jusqu'à présent que les autres le ressentaient aussi ; elle pensait être la seule à le percevoir. Que sentaient-ils, au juste, lorsqu'elle était sur le point de se déchaîner ?
Ces doigts la démangeaient. Se souvenir de cette sensation n'était pas une bonne idée, même si elle s'était délestée de ses pouvoirs la veille au soir. Elle pouvait presque sentir le bourdonnement dans ses oreilles et le voile devant ses yeux, le feu dans ses veines et l'électricité dans ses mains, l'incandescence de ses yeux rouges comme le sang qu'elle s'apprêtait à faire couler...
Elle secoua énergiquement la tête pour chasser ces pensées. Ce fut tout ce dont elle eut besoin pour embourber ses pouvoirs profondément au fond d'elle. Se déchaîner de temps à autres était une tactique très utile, en réalité. Elle parvenait beaucoup plus facilement à se maîtriser. Reprenant son souffle, elle hocha la tête pour faire signe à Larrow de continuer.
- Je disais donc que l'aura de magie était incroyablement puissante. On est arrivés devant le bâtiment que nous avait indiqué Cave. Il neigeait tellement, si tu savais ! C'était beau.
- Tu adores la neige, murmura-t-elle en se souvenant de ce qu'il lui avait dit durant leur mission pour espionner Hyther Lorn, lorsqu'il avait collecté des flocons au creux de sa paume avec fascination.
Il sembla un peu surpris qu'elle s'en souvienne, mais il hocha la tête avec un léger sourire qu'elle trouva presque nostalgique.
- C'est vrai. En tout cas, on s'est infiltrés à l'intérieur, c'était un sous-sol glacial illuminé de blanc, comme dans les films. Joyce a alors remarqué que certaines portes étaient marquées du symbole de l'Empire de Drake... À ce stade, on savait que le Temple n'était pas là, mais on devait tout de même vérifier ce qui nous avait attirés ici. On a suivi la provenance de l'aura, et on est tombé sur une salle du style classe de chimie... Il y avait des éprouvettes, des béchers et des rapports militaires, bref, la totale. On a trouvé un conteneur plein d'un liquide violet, et c'était apparemment ce qui avait provoqué les soupçons de Cave, car il avait aussi une aura incroyablement forte. On a cru qu'il s'agissait de concentré de Toxine, pour pouvoir la transmettre en la faisant boire aux victimes au lieu de les vaporiser avec. Malheureusement, on n'a pas pu en prendre un échantillon ; des gardes sont arrivés avant, et on a dû fuir en catastrophe. Tout ce qu'on a pu récupérer, c'est un petit paquet de dossiers...
- Je peux les voir ?
- Non, Cave les a récupérés dès qu'on est rentrés.
Elle hocha la tête, pas particulièrement surprise. Cave ne leur aurait jamais laissé l'occasion d'en savoir plus s'il n'avait pas décortiqué les informations d'abord. Seulement, si Larrow n'avait pas pu garder les dossiers, pourquoi agissait-il comme si cette intrusion était importante ?
- Si tu n'as pas pu les lire, je ne vois pas vraiment pourquoi tu dis que ça me concerne, tu...
- Qui dit que je n'ai pas pu les lire ?
- Quoi, Cave ne t'a pas interdit de regarder le contenu des dossiers ?
- ... si.
Lym le fixa avec des yeux ronds. Venait-il d'insinuer ce qu'elle pensait qu'il venait d'insinuer ? Lorsqu'il baissa la tête avec un air gêné et se passa la main sur la nuque, elle sut qu'elle avait vu juste.
- Donc tu as quand même lu les dossiers. Dans son dos.
- Ouais.
- Par Ladon et les Trois Sphinxg, Larrow ! C'était pas toi qui pétais un plomb dès qu'on voulait enfreindre même légèrement le règlement ?
- Eh ! Je te rappelle que j'ai été un voleur, et que j'ai tué tellement de soldats de Drake que je dois être recherché dans une vingtaine de pays !
Elle savait que Cave lui avait très souvent donné ce type de missions – aller exécuter l'un des larbins de Drake, détruire des centrales nucléaires abandonnées dans lesquelles il y avait des agglutinements de créatures dangereuses, bref, un tas d'actions assez peu légales. Elle savait aussi qu'il avait probablement tué des dizaines d'hommes dans sa vie. Mais il avait toujours tout fait sous les ordres de Cave.
- Peut-être, mais désobéir à Cave, Row ? Alors là, ça ne te ressemble pas !
- Tu as une mauvaise influence sur moi, on dirait.
Elle eut du mal à combattre un sourire.
- Navrée si je viens défaire ton attitude modèle de petit soldat docile. Alors, il y avait quoi dans ces dossiers ?
- Vois par toi-même.
Il prit son téléphone dans sa poche et lui montra une photographie d'une liasse de photocopies attachées par un trombone. L'écriture était lisible malgré la faible luminosité.
- La vache ! Tu as carrément pris une photo ! Je suis fière de toi, mon grand. Tu as beaucoup appris de moi.
N'écoutant pas ses protestations, elle zooma sur la première phrase et se mit à lire.
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