
✨~[II/8]~✨
Livre II : Chapitre 8
Lym ouvrit les yeux lorsqu'elle sentit la lumière aveuglante que causait la téléportation se retirer derrière ses paupières. Immédiatement, l'humidité et la fraîcheur familière de l'Angleterre automnale l'assaillirent, tandis que des branches s'emmêlaient dans ses cheveux roux sombre.
Elle se débattit pour arracher les feuilles dentelées de sa crinière indomptable et réussit à se glisser hors des fourrés et des buissons de houx pour arriver dans la petite allée au sol sablonné, coincé entre le lac, la forêt et la maisonnette des Alley. Le cœur serré, elle se mit à marcher vers la maison qu'elle avait partagée avec sa sœur, et ouvrit le portail d'un geste ; il n'était même pas fermé. La porte était elle aussi grande ouverte, ce qui n'avait rien de normal. À l'intérieur, les effluves du café noir qu'adorait Mar, de l'acrylique de Lym et des plats à emporter qu'elles commandaient l'assaillirent, l'odeur de sa maison, de son chez-soi. Or ce n'était plus vraiment son chez-soi car elle n'avait jamais, au grand jamais, imaginé une maison sans Mar dans sa vie. Elle avait hâte que l'enterrement soit passé, pour pouvoir éviter le plus possible cette maison pleine de fantômes et de souvenirs.
- Je suis rentrée, murmura-t-elle en arrivant.
C'était une habitude pour elles de lancer ces mots à la cantonade lorsqu'elles retournaient chez elles, pour avertir l'autre de leur venue. Mais cette fois, évidemment, il n'y aurait personne pour lui répondre. Cela n'empêcha pas son cœur de se serrer lorsque seul le silence lui répondit.
Elle jeta sa valise dans un coin, puis alla jusqu'à la cuisine et ouvrit le frigidaire, qui était quasiment vide ; il y avait bien quelques restes des derniers repas de Mar, mais elle n'avait pas le cœur à les finir et jeta finalement le tout à la poubelle. Elle dut aussi jeter le lait et les œufs qui avaient atteint la date de péremption depuis des semaines, ainsi que quelques clémentines pourries au parfum doucereux dans la corbeille à fruits. Tout ce qui restait de mangeable après ce petit nettoyage étaient une canette de soda fuyante à moitié bue, une tablette de chocolat fermée, la boisson préférée de Mar à l'eucalyptus et une plaquette de jambon. Pas de quoi avoir un dîner convenable, en somme. Lym sortit donc la bouteille du frigo et commanda une pizza à l'aide du petit téléphone qu'Orion avait épargné en attaquant leur maison. Elle attendit en zappant les chaînes sur la télé qu'un livreur à la casquette de travers vienne lui remettre une boîte en carton avec son repas dedans, et lui donna un billet en retour avant d'aller s'asseoir sur le canapé.
Après avoir fini sa pizza et siroté la boisson à l'eucalyptus qui sentait le chimique et le sucre à plein nez, elle regarda une série qu'elle n'avait jamais pu finir avant l'enlèvement de Mar.
Elle dut s'endormir, affalée sur le canapé et encore tout habillée, car elle se réveilla à l'aube lorsque le soleil fit pleuvoir des vagues de lumière par les fenêtres ouvertes dans le salon. Lym se redressa en s'étirant comme un chat au milieu des débris de boîte en carton qu'elle avait distraitement déchiquetée entre ses doigts. Elle savait que l'enterrement de Sofy avait lieu le lendemain au coucher de soleil, et que Kosh, Elyra, Shay et Larrow allaient arriver dès ce soir pour l'y accompagner. Être avec ses amis allait l'aider à supporter pareille épreuve ; pour être tout à fait honnête, ce qui lui faisait plus peur dans cet évènement serait la présence d'Amy et de Théo Mason, qui avaient perdu leur fille. Ils ne lui avaient jamais vraiment parlé. Occupés par le travail, ils avaient beau adorer leur fille, ils étaient rarement à ses côtés. Ils connaissaient à peine Lym alors qu'elle était son amie depuis des années. Elle était curieuse de savoir s'ils la reconnaitraient.
Elle passa donc la journée à dessiner distraitement dans ses carnets, à profiter du wifi pour discuter avec ses amis virtuels et se renseigner sur les nouveautés de ses univers fictifs préférés ou encore à liker des centaines de photos de ses idoles, ainsi qu'à lire jusqu'à avoir fini tous ses livres et à peindre sur ses vieux chevalets avec ses aquarelles. Ses amis finirent par venir toquer à sa porte avant que le soir ne tombe, et elle s'empressa d'aller leur ouvrir, dans sa vieille salopette en jean couverte de peinture, ses baskets blanches qui n'étaient plus si blanches que ça et son haut gris des plus ternes. Elle avait réussi à être elle-même à nouveau ces derniers temps, mais revoir cet endroit, sans sa sœur à l'intérieur, avait une conséquence des plus néfastes sur son moral.
- Salut, leur dit-elle en leur offrant un sourire un peu fatigué.
Les trois heures qu'elle avait passées à regarder Teen Wolf la veille ne lui avaient pas non plus fait le plus grand bien.
- Salut, Alley, sourit Shay.
- Coucou Lym, renchérirent les trois autres.
- Vous savez que l'enterrement n'est que demain ? Vous êtes assez en avance...
- On sait, répondit Larrow en lui prenant la main pour la serrer. Mais on s'est dit qu'on pourrait rester ce soir, et en profiter pour sortir un peu demain matin, avant d'y aller.
- On a pensé que ça te ferait du bien, au lieu de te morfondre chez toi, ajouta Kosh en glissant un regard vers le canapé sur lequel se trouvaient encore son ordinateur portable, les restes de la boîte à pizza et la bouteille de la boisson à l'eucalyptus. Rien que le canapé en soi était une calamité, on voyait la mousse qui ressortait par endroit. Alors avec les déchets amassés dessus, il avait une allure de mini décharge publique.
Lym se décala d'un pas pour lui cacher le désastre, même si le mal était fait. Elle haussa les épaules avec une désinvolture feinte, mais elle leur était immensément reconnaissante. Ils avaient raison ; sans eux, sans doute aurait-elle passé son temps à déprimer sur le canapé avant de se coller un sourire factice sur le visage à leur arrivée.
Larrow et Elyra sortirent chercher de quoi dîner. Kosh, lui, insista pour faire un tour à l'intérieur pendant ce temps. Il jeta la boîte en carton, mit un peu d'ordre, et même s'il ne lui adressa pas un seul reproche, Lym se sentit tellement coupable qu'elle vint l'aider, alors que le rangement était loin d'être sa passion. Shay leur apporta même un peu d'aide lui-même, et même si c'était surtout sous forme d'encouragements, c'était finalement assez utile. Lorsqu'il fut satisfait, Kosh leur tapota l'épaule en désignant la salle comme s'il s'était agit d'une œuvre d'art ; et c'était effectivement rassurant, de voir l'endroit propre et un peu plus organisé.
Après être passés chercher des plats à emporter, Larrow et Elyra rentrèrent enfin chez les Alley et ils mangèrent en regardant un vieux film. Lym ne savait pas vraiment s'ils étaient allés chercher ces boîtes de nouilles chinoises au resto du coin, où s'ils s'étaient vraiment téléportés jusqu'en Chine. En tout cas, les nouilles étaient excellentes.
C'était agréable, de regarder Retour vers le Futur en mangeant des nouilles, agroupés sur le canapé, critiquant les effets spéciaux et les décisions de Marty tandis que Larrow les faisait taire, indigné, répétant « C'est un classique ! » avec un air courroucé. Ils finirent par faire exprès de trouver des détails desquels se moquer rien que pour le voir brandir ses baguettes d'un air menaçant – comment qui que ce soit pouvait avoir l'air menaçant avec pour toute arme des baguettes chinoises d'où pendaient encore des nouilles, c'était un mystère, mais apparemment Larrow en était capable.
Même s'ils auraient pu rentrer chez eux en se téléportant, ils décidèrent de rester dormir ; ils installèrent des matelas par terre, dans le salon, et se mirent en pyjama avant de parler jusqu'à des heures insensées de sujets des plus stupides. Ils finirent par s'endormir un par un, se moquant de ceux qui n'avaient pas tenu assez longtemps – Kosh fut évidemment le premier à tomber, inerte, sur son matelas, en ronflant – mais bâillant toutes les deux minutes. Lym finit par sombrer dans le sommeil, peu après Elyra.
Elle avait souvent des cauchemars, dernièrement. Mais peut-être que cette nuit-là, ce ne serait pas le cas.
« N'essaie même pas de t'envoler, petit oiseau » siffla une voix mauvaise. « Tu mourras exactement comme eux tous. »
Lym baissa les yeux vers le sol, horrifiée. Il y avait des dizaines de corps, partout sur le sol, gisant dans des flaques de leur propre sang, leurs grands yeux ouverts dans la mort, fixant sans le voir le ciel noir et dénué d'étoiles. Elle reconnut les mèches claires de Sofy, les iris marron de Mar, le corps inerte de Shay, la pâleur maladive de Larrow, et aussi les corps d'Elyra et de Kosh, eux aussi sans vie, eux aussi morts... Elle vit même Joy et Lukas dans un coin, et l'immense corps de Laxy, qui ressemblait à une montagne noire...
Orion riait au milieu du champ de cadavres, une xiphoskia couverte de sang à la main. Il les avait tués, tous tués. Lym, furieuse, brandit Prysm devant elle en se jetant sur le général pour essayer de lui trancher la gorge, mais il rit de plus belle, la lame traversant son corps sans le blesser comme s'il avait été un écran de fumée.
« Oh, non, ce n'est pas moi qui les ai tués, Lymerya. C'est toi. »
Elle baissa de nouveau les yeux. Soudain, il n'y avait plus d'arme dans les mains d'Orion. En revanche, Prysm, entre ses doigts tremblants, était couverte d'un sang poisseux et noir. C'était elle qui les avait tous tués. L'épée de cristal tomba par terre avec un petit bruit clair, et elle fourra son visage dans ses mains pour pleurer. Ou hurler. Ou les deux, elle ne savait même plus.
Lorsqu'elle retira ses doigts de devant ses yeux, elle était en face d'une tombe, une petite tombe noire. Un homme et une femme étaient juste devant elle et la regardaient méchamment. Elle les reconnut aussitôt ; les parents de Sofy, avec un visage déformé de colère. Orion était quelque part derrière eux et admirait la scène avec un intérêt détaché.
- C'est toi, cria Théo Mason en pointant sur Lym un doigt accusateur.
Il n'avait pas sa voix habituelle, mais la voix tranchante d'Orion.
- C'est toi qui as tué Sofia, persiffla Amy Mason avec l'exacte même voix.
Lym secoua la tête, horrifiée par leurs insinuations, mais elle suivit le regard des parents de son amie et vit qu'elle tenait entre ses mains une xiphoskia plantée dans le cœur de Sofy. Prysm avait disparu, remplacé par la longue épine de pierre noire. Elle hurla en essayant de lâcher la lame, mais elle semblait avoir été soudée à sa peau.
- Non !
Comment pouvaient-ils l'accuser d'avoir tué son amie ? Mais elle l'avait fait, non ? Elle l'avait fait. Elle l'avait tuée...
- Non !
- Lym, calme-toi !
Elle prit une profonde inspiration, en donnant des coups de tous côtés et se débattant pour échapper à celui qui la serrait contre lui. Enfin, elle reconnut Larrow, qui essayait de la maintenir calme, l'air grave.
Lym jeta un coup d'œil anxieux autour d'elle. Shay, Elyra et Kosh dormaient encore paisiblement, sur les canapés et les matelas qu'ils avaient installés au milieu du salon. Larrow, lui, s'était réveillé à cause de ses cris et la tenait par les épaules, l'air inquiet ; elle n'était pas surprise qu'il soit le premier réveillé, il avait un sommeil que ses nombreuses années d'entraînement avaient rendu léger. Elle leva les yeux vers lui, et, immédiatement, ferma son visage pour ne pas laisser percevoir sa peur. Elle essaya d'étirer ses lèvres d'un sourire.
- Je vais bien, tenta-t-elle de le convaincre.
- Tu n'as pas l'air d'aller bien...
- Mais si. Retourne dormir, je... Je vais me faire un café.
C'était Mar, d'habitude, qui adorait le café.
« Bon sang, arrête. »
Elle essaya de s'écarter de Larrow pour se diriger vers la cuisine tandis qu'Elyra se retournait sous ses couvertures à côté, mais son ami la retint fermement en la tenant par le poignet.
- Lym.
- Quoi ?
- Tu ne peux pas faire comme s'il ne s'était rien passé tout le temps... Je sais ce que c'est de souffrir en silence, et c'est le pire sentiment qui soit... Tu dois décharger toute cette tristesse. Il faut forcément que tu montres ta douleur à un moment ou à un autre, tu sais...
- Je sais, répondit-elle un peu plus doucement tout en dégageant son bras de sa poigne de fer. Je sais. Retourne dormir, tu as des cernes de trois kilomètres.
Il sembla hésiter, mais elle se détourna et il finit par se laisser tomber sur son matelas. La jeune fille se dirigea vers la cuisine, mais elle ne se prépara aucun café ; elle se contenta de se glisser par l'entrebâillement de la porte qu'elle réussit à ouvrir sans trop la faire grincer. Larrow avait raison ; il fallait qu'elle montre sa douleur à un moment ou à un autre, mais pas devant ses amis, pas devant ceux face à qui elle devait plus que tout paraître forte.
À l'arrière de la maison, au milieu d'une petite clairière, se trouvait un tas de bois coupé que sa sœur et elle utilisaient pour toutes sortes de choses, réparer une poutre qui commençait à se désagréger à cause du temps, se fabriquer des baguettes magiques, faire des feux de bois le soir ou faire griller des marshmallows tout en discutant.
Lym fixa froidement le tas de bois, et, sans qu'elle ne l'ait même touché, il se réduisit très vite à un petit monticule d'échardes et de poussière brune. Immédiatement, elle se sentit un peu mieux.
La vague de haine et de fureur qui avait enflé en elle se dégonfla comme un ballon, lentement, se déversant dans la petite destruction qu'elle venait de causer et lui retirant en même temps ses préoccupations et sa colère dévorante. Elle se retourna d'un bond en sentant une présence derrière elle, mais ce n'était que Larrow. Il l'avait suivie et regardait le petit tas de poussière avec de grands yeux ronds ; ses cheveux bruns qui bouclaient sur ses tempes et qui étaient coupés si courts à leur rencontre avaient encore poussé, et même si sa peau était toujours aussi pâle, ses yeux toujours aussi clairs et ses cheveux toujours aussi bruns, on voyait qu'il avait mûri et changé, lui aussi.
- Lym... Tu viens d'exploser ces morceaux de bois.
- Ils m'avaient provoquée, plaisanta Lym.
Au moins elle était à nouveau capable de plaisanter, même si la blague sortait douloureusement d'entre ses lèvres. Elle y voyait un bon signe, mais son attitude ne sembla qu'inquiéter davantage son ami.
- Si ton pouvoir est aussi incontrôlable...
- Je le contrôle parfaitement. J'ai voulu détruire ces bûches, c'est tout.
- Non, tu ne l'as pas voulu ! Tu ne comprends pas... Si ton pouvoir prend les commandes, et non pas toi, il risque de se déchaîner à des moments peu opportuns...
- Et casser encore des brindilles ? Mmh, je crois que je peux courir ce risque immense.
- Lym, écoute-moi, pour une fois ! tempêta Larrow, l'air profondément inquiet. Imagine qu'il arrive quelque chose de grave. Que quelqu'un d'autre se fasse tuer. Imagine que ton pouvoir se manifeste à ce moment, que ta tristesse soit déchaînée et que tu commettes un acte irréparable, que...
- Je ne suis pas triste, coupa son amie.
- Bien sûr que si, tu...
- Non. Je suis en colère.
Durant un court instant, la vallée illuminée par un début de soleil matinal sembla se plonger dans l'obscurité entièrement, comme si la nuit avait dévoré les rayons de l'astre fugacement. Les gazouillements allègres des oiseaux se turent, les gargouillis de la rivière voisine aussi, et l'endroit devint menaçant, sombre, comme lors d'un soir sans lune.
Puis l'ambiance lugubre et nocturne sembla se retirer, et des rayons de soleil timides envahirent de nouveau la combe, accompagnés des chants des oiseaux et de l'eau. Larrow, surpris et intrigué, resta figé sur place sur le pas de la porte, mais Lym, comme si elle n'avait rien remarqué, passa devant lui en lui tapotant amicalement l'épaule, un sourire un peu amer aux lèvres.
- Ou je l'étais, avant de me débarrasser des bouts de bois ici présents. Allez, je vais faire du café, et vraiment, cette fois. Tu as l'air d'en avoir besoin. On a une longue journée ainsi qu'un enterrement qui nous attendent, je te rappelle !
Avant d'y aller, pourtant, ses amis avaient insisté pour qu'ils sortent, qu'ils fassent un tour. Elle avait voulu protester, mais ils avaient raison, elle avait besoin de se changer les idées.
- Alors on va où ? demanda-t-elle tandis que ses amis enfilaient leurs manteaux.
Il commençait à faire froid, avec l'automne qui refermait ses serres affamées sur la région.
- Au village, répondit Elyra. Il y a un Starbucks, pas vrai ?
- Je sais qu'on est dans un trou perdu mais quand même, soupira Lym en souriant. Oui, il y a un Starbucks. On y va ?
Tous les cinq sortirent de la maisonnette un peu lugubre des Alley et se dirigèrent d'un bon pas vers le village ; ils essayèrent de ne pas jeter des regards trop insistants vers l'appartement des Mason, mais Lym ne pouvait s'empêcher de la voir partout. Elle avait l'impression d'apercevoir son fantôme dans les rues, riant avec un milkshake à la fraise près des boutiques, discutant allègrement avec le marchand de glaces. Sa présence était éternellement imprimée dans ce petit village d'Angleterre, et Lym avait toujours son image gravée dans la rétine, indélébile et impossible à effacer.
- Lym ? murmura Kosh, l'air inquiet, lorsqu'elle s'arrêta, l'air hagard, ayant fugacement l'impression d'entrapercevoir son amie défunte devant le stand de journaux à choisir son magazine préféré dans la pile en plaisantant avec ses voisins.
- Oui ? s'empressa-t-elle de répondre en se tournant vers lui.
Elyra, Larrow et Shay avaient prit de l'avance, marchant dans la rue et pointant du doigt des détails qui attiraient leur attention. Kosh, lui, s'était arrêté pour l'attendre, et lorsque leurs amis remarquèrent leur absence, il leur fit signe de continuer. Puis il se tourna vers Lym, posant sur elle un regard doux.
- Ça va aller.
- Je sais.
Kosh posa une main sur son épaule, et elle sut qu'il voulait dire par là « non, ce n'est pas vrai. Tu ne le sais pas », mais il se contenta d'acquiescer.
- Il reste encore de belles choses, même quand les pires arrivent. C'est l'un des bons côtés de ce monde.
Voilà des mots bien philosophiques. Elle faillit le taquiner, mais lorsqu'elle essaya de parler, elle découvrit qu'elle avait une boule dans la gorge.
- J'ai – elle s'arrêta. Sa voix ne sortait pas correctement. Elle était étranglée, faible. Quelque chose n'allait pas.
- C'est bon, dit doucement Kosh. C'est bon, vas-y.
Lorsqu'il passa une main sur son visage pour chasser des larmes, elle comprit avec horreur et stupéfaction qu'elle pleurait. Apparemment, si sa colère s'était calmée après avoir fait exploser ces bouts de bois, sa tristesse, non. Car malgré ce qu'elle avait dit à Larrow, elle était triste, aussi. Surtout en colère, mais aussi triste.
Mais même triste, normalement, elle ne pleurait pas. Elle n'avait pas pleuré devant quelqu'un depuis – elle n'avait pas – elle n'était pas censée pleurer, pas elle, elle ne pleurait jamais, c'était...
Mais lorsque Kosh passa à nouveau une main sur sa joue pour se débarrasser des larmes, Lym réalisa que c'était précisément le geste que faisait sa sœur pour la consoler lorsque, petite, elle pleurait l'absence de ses parents. Le geste qu'aurait une sœur. Le geste qu'aurait un frère.
Devant sa sœur, elle n'avait jamais eu de mal à pleurer comme avec les autres. Peut-être que ce pouvait être pareil avec un frère.
- Kosh, dit-elle, et là encore ça voix était à ses oreilles étranglée, et lointaine, et anormale.
- Ça va, tout va bien, dit-il doucement.
Il passa une main à l'arrière de sa tête et l'attira à lui, et elle posa son front contre son épaule, quelques larmes s'attardant sur ses cils.
- Non, répondit-elle de la même voix perdue, qu'elle détestait. Non, ça ne va pas.
- C'est vrai. Mais ça va aller. Ça va aller, d'accord ? Lym. Ça va aller.
Il l'écarta doucement de lui pour qu'elle puisse le regarder dans les yeux, et elle hocha la tête en s'exécutant. À présent elle pouvait remarquer les paillettes d'argent et de bleu dans ses grands yeux presque noirs.
Soudain elle découvrit qu'elle allait mieux. Elle n'avait plus ce nœud qui se resserrait au creux de son ventre ; elle avait presque envie de rire. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, un sourire confiant apparut sur son visage. Elle venait de pleurer, et elle ne savait même pas pourquoi. Sofy ? Mar ? La guerre ? Son cauchemar ? Tout, probablement. Parce que c'était trop. Mais maintenant, elle se sentait mieux, et elle se surprit à se dire que peut-être qu'elle pourrait recommencer à pleurer, parfois ; seule dans sa chambre, ou devant Kosh, peut-être.
- Tu vois ? dit celui-ci en lui rendant son sourire. Je t'avais dit. Ça va déjà mieux.
Et c'était vrai. Elle allait mieux. Et bien sûr qu'elle était perplexe – pourquoi le fait de pleurer pourrait-il arranger quoi que ce soit, surtout en mieux ? Mais elle n'avait plus vraiment envie de se poser des questions, ni même de pleurer. Elle avait envie de rire, et le sourire que Kosh avait réussi à remettre sur son visage ne voulait plus disparaître à présent qu'il était là.
Elle se frotta les yeux et passa une main dans ses cheveux, jusqu'à ce que toute trace de ses pleurs ait disparu, et ils continuèrent d'avancer jusqu'au Starbucks. Leurs trois amis les attendaient devant. Ils avaient d'abord l'air inquiet, mais lorsqu'ils virent son sourire, qui avait manqué à l'appel depuis qu'elle était revenue en Angleterre, ils semblèrent soulagés. Lorsqu'Elyra lui demanda si elle avait besoin de parler, Lym découvrit qu'elle n'avait même pas à mentir lorsqu'elle répondit « non, je vais bien. »
Ils entrèrent dans le Starbucks. Devant l'employée au visage fermé qui leur demanda leurs noms pour les écrire au feutre noir sur leurs commandes, Elyra, Kosh et Larrow donnèrent leurs prénoms, mais Shay, bien évidemment, ne put s'empêcher de répondre autrement.
- C'est Czalkov.
- Comment ça s'écrit ? demanda la femme en fronçant les sourcils.
- C... Z... L... A... V...
- Pardon ?
- Je recommence. L... A... P... Z... W...
L'employée sembla confuse et barra ce qu'elle venait d'écrire pour recommencer, avant de fixer le résultat sans comprendre. Kosh avait un air désespéré de père aux enfants perturbateurs, mais les trois autres devaient se retenir de rire.
- Vous avez oublié le X et le Y, lui indiqua Shay avec un air sérieux.
- Bon, vous vous appellerez Michel, comme tout le monde ! soupira la serveuse, excédée. Et vous, là, c'est quoi votre prénom ?
- Marie-Jeanne-Claude-Jacqueline-Cassandra, répondit Lym.
La serveuse la fixa un moment, puis brandit son feutre noir.
- Je vais mettre Marie.
Ils allèrent s'asseoir à une table un peu à part, avec leurs boissons en mains. Elyra avait prit un milkshake au caramel, qu'elle sirota avec un pensif, Kosh un gigantesque chocolat chaud dont il regardait les nuages de chantilly se retirer tandis qu'il les aspirait avec la paille, Larrow un granita bleue qu'il avait tirée d'on ne sait où et Shay un thé glacé. Lym ne savait pas trop ce qu'elle avait commandé, pour être tout à fait honnête, mais ça ressemblait un peu à une sorte de limonade.
Il prit une gorgée de sa boisson distraitement, et ils discutèrent de tout et de rien, de leurs leçons de Contrôle, des progrès qu'ils avaient faits en Combat, de leurs relations avec leurs dragons. Ils allèrent ensuite se balader dans le village, et Lym insista pour aller à la librairie s'acheter des livres, puisqu'elle n'en avait plus aucun à lire. Kosh et Shay passèrent des heures à lire des bandes dessinées avec leur paquet de cookies à côtés d'eux, assis au milieu de l'une des allées de la librairie, ignorant les acheteurs qui devaient les enjamber pour passer. Elyra effectua des pas de danse sur l'escalator, et lorsqu'on vint le lui interdire elle fit remarquer aux surveillants qu'il n'y avait aucune règle qui interdisait les ballets improvisés dans les escaliers, électriques ou pas. Et lorsque Shay commença un action ou vérité avec Larrow et lui demanda de faire semblant d'être étranger, Larrow se prit au défi. Il prit un accent russe si convaincant que la caissière n'y vit que du feu. Puis ils sortirent avec leurs achats sous le bras, et s'assirent dans le parc, sous la pluie de feuilles rouge et or.
Ils avaient un enterrement dans une heure, l'enterrement de sa meilleure amie, et pourtant Lym se sentait mieux, souriait, et regardait les feuilles de feu tomber comme s'il s'était agit d'une œuvre d'art.
(chapitre corrigé ✔)
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