
✨~[II/54]~✨
Livre II : Chapitre 54
- Peut-être, répondit-elle calmement sans cesser de jouer avec l'arme à feu qui pourrait le tuer en un instant, parce que je me trouve face à Markus Luis, l'espion. Le traître.
Lym avait encore l'espoir de voir Markus rire et se moquer d'elle, disant que sa théorie était ridicule et lui donnant une preuve irréfutable de son innocence. Mais elle savait bien qu'elle avait raison. Et, effectivement, ses épaules s'affaissèrent et il soupira, l'air peiné.
- Et depuis quand le sais-tu ?
- Eh bien, j'avais déjà des doutes depuis longtemps. Déjà, il y avait cette petite rivalité entre Cave et vous. Et votre réaction étrange lorsqu'on parlait de l'Empire de Drake... Mais je n'en ai eu la confirmation que lorsque j'ai parlé avec ce dernier. Il m'a dit que l'espion était quelqu'un qu'il respectait beaucoup, et que moi aussi, sans doute ; et il a ajouté qu'il l'avait prévenu de notre départ pour la Russie... Et aussi de mon plan d'aller à ce bal pour voir l'Ange.
Elle se souvenait des paroles exactes de Drake. Chaque instant de leur confrontation puis de son évasion était clair dans son esprit, même le moment durant lequel elle avait perdu le contrôle. Ses souvenirs avaient fini par revenir au fur et à mesure.
- Or, vous étiez celui qui m'avait parlé de ce bal et de l'Ange qui s'y trouvait. Je n'en ai parlé à mes amis que le jour même. Si Drake avait simplement su qu'on allait à St Petersburg, encore, je n'aurais rien soupçonné – beaucoup de personnes étaient au courant de notre voyage. Mais l'Ange ? Non, vous étiez le seul à savoir.
- Voilà où j'ai foiré ! soupira Luis, qui avait l'air plus exaspéré par sa propre bêtise qu'autre chose. Je pensais que tu irais directement en parler à tout le monde et que tu soupçonnerais tes amis. Dommage, mon plan était bien mené...
- Votre plan pour faire tuer Sofy ? Pour faire enlever Mar ? C'est ça ?
Alors qu'elle s'était efforcée de rester impassible jusque-là, la fureur prit le dessus sur la raison et elle leva à nouveau son pistolet, visant son visage. Elle ne raterait pas sa cible, elle le savait. Une balle pourrait se loger au milieu de son front en un battement de cils.
Il leva les mains pour montrer qu'il était désarmé, laissant tomber par terre son épée. Elle tinta allègrement contre le cristal luminescent.
- Je suis désolé pour ta sœur, Lym, dit-il d'une voix douce. Et pour ton amie. Je ne voulais pas qu'il leur arrive quoi que ce soit.
- Pourquoi ? Pourquoi avoir fait une chose pareille ? lâcha Lym d'un ton furieux. C'est ça que je ne comprends pas. Tout ceci n'a aucun sens. On s'est entraînés, tous, on est devenus de meilleurs guerriers... Grâce à vous. Je suis perdue. Vous auriez pu nous apprendre des méthodes faussées, ou être un mauvais professeur, mais vous avez dressé une armée surentraînée face à l'Empire que vous serviez. Ça n'a aucun sens !
- Que ce soit bien clair, répliqua-t-il, baissant légèrement les mains, je n'ai jamais eu l'intention de tuer tes proches. Dray me l'avait promis...
- Dray ! siffla Lym. Donc Drake est clairement votre ami.
Luis grimaça en comprenant qu'il avait commis un faux pas, mais il ne nia rien.
- Oui. C'était mon élève. Baisse cette arme, que je t'explique...
- Plutôt mourir !
Elle se sentait vibrante de colère, presque sur le point d'exploser comme dans les souterrains de la forteresse d'Arcem. Il grimaça lorsqu'elle mit le doigt sur la gâchette, mais ne recula pas.
- Je sais parfaitement que tu pourrais briser tous mes os sans avoir à toucher à une arme. Je me demande d'ailleurs pourquoi tu t'encombres d'une épée ou d'un pistolet si tu peux arriver à un résultat bien meilleur rien qu'avec ton esprit.
- Donc vous saviez que j'étais une Irisa !
- Bien sûr. J'étais au courant depuis que tu es arrivée sur Eleuth. Baisse cette arme, je te dis. Je sais que toute tentative de meurtre serait un suicide, je ne t'attaquerai pas. Ce serait bête.
Elle hésita, mais il avait bien raison. Il serait stupide d'essayer de s'en prendre à elle ; elle aurait tôt fait de le réduire en poussière. Surtout dans un état de colère aussi avancé, où elle sentait déjà le fourmillement au bout de ses doigts qui précédait ses éclats de colère dévastateurs.
D'un geste lent, sans cesser de le foudroyer du regard, elle rangea son pistolet, et il baissa les bras avec un soupir. Il n'avait pas l'air apeuré, en fait, seulement fatigué, ce qui la surprit. Il n'était pourtant pas dans une situation très favorable à sa survie. Il prit une profonde inspiration, son épée toujours à ses pieds, puis commença ;
- S'il faut que je t'explique, il faut que je reprenne au début. Les cours d'Histoire ne sont pas vraiment ma spécialité, c'est plutôt le domaine de Myllan, alors je te conseillerai de t'asseoir, histoire de ne pas t'endormir d'ennui...
Comme elle restait debout et tendue comme un ressort, il haussa les épaules et se laissa tomber sur un gros bloc de roche fluorescente.
- Comme tu dois sans doute le savoir, l'Académie des Dragomirs a été fondée par trois auctors appelés Erik, Malik et Alik. Je ne pense pas qu'il s'agisse de leurs vrais noms, soit dit en passant. Mais bref, ces trois Dragomirs ont fondé l'Académie : ils étaient intelligents, déterminés, mais surtout impartiaux et justes. Maryann, Marynna, Maryus, Myllan et moi nous occupions du professorat ; eux n'enseignaient pas, ils s'occupaient seulement du règlement et de l'administration tandis que nous cinq servions de professeurs.
Elle fronça les sourcils, toujours sur le qui-vive. En quoi une explication sur la fondation de l'Académie allait-elle l'aider à comprendre sa trahison ? Comme il l'avait souligné, il n'était même pas professeur d'Histoire. Mais elle le laissa parler, sans défroncer les sourcils pour autant.
- Un jour, ce petit garçon tout juste âge de onze ans est arrivé ; j'en avais dix-sept, à l'époque. Et j'étais déjà professeur... ! Drakön Lorn était si enthousiaste, si avide de savoir, si ouvert et amical, et pourtant il ne s'entendait pas avec les autres enfants de son âge, alors il s'est très vite tourné vers nous, ses professeurs... Marynna, Maryann et moi nous entendions à merveille avec lui, en particulier, et je crois que j'étais ce qui s'approchait le plus pour lui de son meilleur ami ; il ne m'a jamais appelé professeur Luis. Pour lui, j'ai toujours été Markus ou Mark. C'est moi qui lui ai enseigné à magner les armes.
« Je m'en souviens encore de ce jour, lorsqu'il avait treize ans, et déjà si malin, où il a étudié les propriétés des écailles d'une variété spéciale de Noxis, et en a découvert les effets. Cette Toxine permettait d'asservir n'importe quel être vivant, mais lui l'a principalement expérimentée sur des dragons. Il est immédiatement venu nous en parler, à nous, les professeurs. Je me souviens encore de ses mots, il était tellement heureux, tellement fier de sa découverte, si sûr de lui ! « Avec ça, on pourra apporter les dragons à Eleuth sans avoir à les brusquer, on pourra nourrir ceux qui refusent de manger sans devoir les y obliger, durant les batailles les guerriers seront un millier de fois plus efficaces et se battront comme un seul homme, ce sera tellement plus simple, tellement mieux ! » Mais Maryus voyait ça d'un autre œil, et il l'a congédié pour avoir une réunion avec les autres professeurs. À l'époque, nous ne savions pas qu'il était caché derrière la porte, à nous écouter. Nous aurions dû nous en douter ; il avait toujours été trop curieux.
« Maryus, Myllan et Marynna voyaient en cette Toxine une tentative de transformer les dragons en esclaves ; ils ont décidé d'aller en parler aux trois fondateurs. Maryann et moi étions contre, nous souhaitions si ardemment que Drake puisse profiter de sa découverte, de cette petite victoire ! Il était comme un petit frère pour moi. Je ne pouvais pas imaginer qu'il se serve de cette Toxine à de mauvaises fins. Mais les trois auctors ont approuvé ce que disait Maryus. Ils ont renvoyé Drake. Le pauvre en a été effondré, brisé, il ne pouvait pas croire que nous, ses amis, puissions ne serait-ce que penser à le chasser de l'Académie, son foyer, sa maison, où il s'était trouvé une famille. Comme tu le sais sans doute, il avait toujours eu des relations difficiles avec son père, Eleuth était donc comme une deuxième maison pour lui. J'étais révolté par leur initiative, tout comme Maryann, mais on n'a rien pu faire. Il est parti et nous ne l'avons plus vu pendant deux ans. Lorsqu'il en a eu quinze, il est revenu.
« Il a survolé Eleuth, seul, sur son dragon noir, qui cachait le ciel comme si on avait été en pleine nuit tant il était imposant. Il s'est posé, est entré dans l'arbre, a retrouvé les trois auctors, et les a massacrés, un par un. Je m'en souviens très bien. Il a d'abord embroché Malik, puis décapité Erik, et il s'est enfin trouvé face à Alik, qui l'a supplié de l'épargner ; je l'ai vu hésiter, mais Alik n'était vite plus qu'un cadavre. Il a ensuite traqué Maryus et Myllan, mais n'a pas pu les trouver. Il a épargné Maryann, mais a découpé le visage de Marynna, qui en a hérité sa large cicatrice d'aujourd'hui, et il s'est retrouvé devant moi ; j'ai cru qu'il allait me tuer. J'ai vraiment cru que mon petit frère allait me transpercer de son arme. Mais il m'a seulement proposé de partir avec lui, loin de cet endroit. J'ai refusé, craignant son courroux, mais il ne m'a rien fait face à cette réponse. Il s'est contenté de me dire au revoir, poliment, de plus, debout sur le tas de cadavre qui avaient été ses anciens auctors.
« Puis il est parti.
« Nous cinq avons élu trois auctors au milieu d'entre nous, mais nous avons décidé de nous occuper aussi de l'enseignement. Drake m'a manqué à chaque instant de ma vie d'auctor.
Sans baisser ses gardes, elle l'écoutait patiemment, les sourcils toujours froncés. Elle ignorait que Drake et Luis s'étaient autrefois entendus si bien, et elle ne savait pas non plus qu'il y avait une pareille haine entre Cave et lui. Le professeur s'interrompit un moment pour toussoter, la voix rauque, puis reprit d'un ton sérieux et triste, les yeux dans le vague comme s'il revoyait les évènements qu'il narrait ;
- Je pensais qu'il m'avait mis dans la catégorie de ses ennemis lorsque, il y a plusieurs mois, il m'a envoyé un message qui me demandait de devenir un espion pour leur compte. Il avait appris, va savoir comment, que j'enseignais toujours à Eleuth. Et que je pourrais être un atout de taille... J'ai tout d'abord refusé, mais il m'a expliqué ses raisons et j'ai fini par me dire qu'il n'avait pas tout-à-fait tort.
- Vraiment ? s'écria Lym, qui n'arrivait plus à se taire. Donc vous avez juste, comme ça, décidé de nous laisser tomber, nous tous ?
- Si tu prenais la peine d'écouter ses arguments, tu le rejoindrais aussi, crois-moi. Si seulement on l'avait laissé s'en servir au lieu de le chasser, il aurait pu utiliser la Toxine à des fins honorables, qui pourraient améliorer notre quotidien. Un dragon qui dévasterait des villages n'aurait pas à être tué ou endormi pour être transporté autre part. On pourrait simplement le lui demander, et il laisserait la désolation qu'il causait derrière lui. De plus, il pense que Cave est un menteur et un tyran et, soyons honnêtes, sur ce point, il a raison. Il envoie des enfants se battre...
- Mais au moins, ces enfants sont d'accord. Ils acceptent leur tâche. Drake, lui, les transforme en zombies sous ses ordres...
- Faux. Tous les soldats de Drake l'ont rejoint de leur propre chef. Ceux qu'il soumet à la Toxine sont les prisonniers de guerre qu'il capture dans les camps des Dragomirs ; franchement, Lym, ce sort est bien plus clément que celui que leur réserve Cave. Tu crois vraiment qu'il n'a jamais réussi à emprisonner l'un des soldats d'Arcem ? Et où sont-ils, ces prisonniers ? Sans doute morts, jetés à la mer lorsque les élèves dorment encore.
- C'est faux, marmonna Lym, mais ses bras s'étaient couverts de chair de poule.
Il ne pouvait pas dire la vérité – si ? Certes, elle ne faisait pas confiance à Cave, mais tout de même !
Cave, qui lui avait tout d'abord paru gentil et conciliant, s'était vite révélé manipulateur et colérique, et elle avait cessé de l'admirer pour le haïr. Elle le verrait volontiers détrôné. Mais elle savait qu'il était la tête de leurs forces. Si elle arrêtait de croire en lui pour se fier aux balivernes de Luis, un espion et un traître, autant rejoindre tout de suite Drake !
Luis leva les bras, ce qui la fit réagir d'instinct et elle porta une main à la poignée de son épée, mais il montrait seulement la grotte gigantesque d'un geste.
- Sais-tu pourquoi j'ai choisi cet endroit pour me cacher ? Parce que Cave, même s'il comprenait que j'étais le traître, ne viendrait jamais m'y chercher. C'est ici qu'il a enfermé ce pauvre Glacyés. Les conditions dans lesquelles il vivait étaient exécrables, et tu continues à idolâtrer cette créature qui se dit un homme ?
- Ça suffit ! cracha-t-elle, furieuse, car il réussissait à la faire douter. Je n'idolâtre pas Cave, mais lui, au moins, ne plie pas à sa volonté ceux qui refusent de lui obéir. Et il n'a pas commis les mêmes atrocités que Drake. Il n'a pas tué ma meilleure amie et ma sœur !
Elle revit soudain le laboratoire Feathercrown, ses couloirs sombres, les cellules dans lesquelles se trouvaient les sujets d'expérimentation. Elles lui avaient rappelé les cages d'un zoo, comme les vivariums dans lesquels on enfermait des serpents pour attirer du public curieux. C'était là qu'on voulait la mettre, et c'était là qu'étaient emprisonnés d'autres gamins comme elle.
Elle ne faisait pas confiance à Cave, certes. Mais, aussi agaçant soit-il, il n'aurait pas fait des expériences pareilles sur des enfants, elle le savait.
Mais elle voyait bien que Luis essayait seulement de la mettre en colère, de la sortir de ses gonds. Elle redirigea donc la conversation vers celle qu'elle avait débutée.
- Mais malgré les belles paroles de Drake, il y a des choses que je ne comprends pas. Pourquoi nous avoir formés pour le combattre, si vous étiez dans son camp ? Vous auriez pu nous enseigner des bêtises, ou bien nous tuer à la tâche, et pourtant non, vous nous avez appris à nous battre...
- Je veux seulement que Cave soit renversé. Et que Drake réussisse à prendre le pouvoir, peut-être. Mais je ne veux pas que vous, qui n'êtes après tout que des enfants, vous fassiez massacrer car vous avec aveuglément cru les mensonges de Cave. Alors j'ai fait jurer à Drake de vous épargner, de vous préserver le plus possible, et je vous ai enseigné tout ce que je savais...
- Quoi, vous pensiez vraiment que Drake nous laisserait vivre ?
- C'est ce qu'il a fait, allons. Il a tenu sa promesse.
- Pardon ?
- Tu n'es pas consciente du pouvoir qu'il a, voilà tout. Il aurait pu vous décimer, tous, et pourtant tous tes amis, ou presque, sont en vie, non ? Il aurait pu envoyer ses dragons et vous ensevelir sous des nuages de Toxine, et vous asservir tous. Pourtant il s'est battu justement, au corps à corps, pour honorer sa promesse. Vous vous en êtes finalement bien tirés. Et lorsqu'il vous a capturés... Crois-tu vraiment qu'il vous aurait gardés en vie en temps normal ? Non ! Il t'aurait enfermé dans ses laboratoires, oui, mais il aurait massacré tous tes amis sans aucune retenue.
Elle secoua la tête, abasourdie. Donc tous les efforts qu'ils avaient employés durant la bataille ne s'étaient jamais heurtés à la véritable puissance de Drake.
Comment pourraient-ils le vaincre ?
- Donc, après la guerre, vous vous êtes réfugié ici.
- Je savais que quelqu'un finirait par comprendre que j'étais louche. Cave s'en doutait déjà.
- Et maintenant, vous allez m'enlever et me mener à Drake ?
Il y avait un tel défi dans sa voix vibrante de colère qu'elle-même vacilla. S'il essayait de l'emmener jusqu'aux cellules de leur laboratoire tordu, elle lui briserait tous les os du corps, un par un, rien qu'en ouvrant et fermant les poings à plusieurs mètres de lui. Elle était tellement en colère contre lui ! Elle lui avait fait confiance, elle avait cru à ses mensonges, avait suivi son entraînement pour découvrir qu'elle avait bêtement fait partie de sa traîtrise...
Mais Luis se contenta d'éclater de rire, l'air amusé par son ton furieux.
- Oh, non ! Non, Drake sait que je n'arriverais jamais à t'emprisonner. Il a assez côtoyé des Irisas pour connaître leur pouvoir. Et même si j'étais en mesure de te vaincre, il ne me l'ordonnerait pas – il pense que tu iras le rejoindre de toi-même. Je lui ai dit qu'il se trompait. Mais il a foi en ta haine pour Cave. Il pense que tu laisseras Eleuth pour aller intégrer les rangs d'Arcem. Bah ! Je n'ai pas osé le ramener sur terre. Tu lui rappelles son frère, tu sais...
- Pardon ?!
- Oui, Hyther Lorn. Je ne peux pas lui donner tort. Autrefois, avant d'avoir ce fâcheux... Malentendu avec son père, Hyther était pareil que toi ; enthousiaste, sarcastique et souriant. Mais nous ne sommes pas ici pour parler des différends de Drake avec sa famille, n'est-ce-pas ?
- Pourquoi, alors ?
- Toi, je ne sais pas. Moi, je dois partir. Quitter Eleuth. Maintenant que tu m'as trouvé, pas question de rester ici une minute de plus. Si tu veux bien m'excuser.
Il se leva et se dirigea d'un pas un peu boitillant, ce qui rappelait sa blessure à la jambe, vers un sac de voyage jeté nonchalamment par terre. Le ramassant d'un geste calme, il le mit à son épaule, puis ramassa son épée et l'agita en l'air comme une baguette magique. Elle s'accourcit, s'arrondit et devint d'un brun chaleureux, se transformant en canne de marche en bois dotée d'un délicat pommeau plaqué d'argent. Il jeta un coup d'œil satisfait à sa canne, puis sauta au bas du rocher couvert de cristaux sur lequel il était perché et se dirigea vers la sortie, s'engageant dans le long couloir de pierre sombre.
Lym le regarda faire, l'air impassible, mais, lorsqu'il arriva dans le couloir, il sembla se heurter à un mur et fit un bond en arrière, chancelant. Il refit une tentative mais fut violemment projeté en arrière et retomba piteusement à terre. Avec un grognement, il s'appuya sur sa canne pour se redresser sans blesser davantage sa jambe et adressa un regard de reproche à Lym, sachant que c'était elle qui avait dressé ce mur invisible.
- Quoi ? As-tu autre chose à me dire ?
- Pas question de vous laisser vous enfuir !
- Ah, oui, c'est vrai...
Il soupira et se tourna vers elle en grimaçant.
- Tu m'en veux encore. C'est compréhensible, je suppose. Mais, si je peux me permettre, tous tes amis seraient morts si je n'avais pas révélé la vérité à Drake...
- Quoi ? Il n'aurait jamais su l'emplacement d'Eleuth et il ne se serait pas attaqué à nous !
- Tu penses que j'étais la seule façon qu'il aurait trouvée de collecter ces informations ? Tu as entendu parler de la facilité avec laquelle il a détruit la moitié du Conseil, qui se constitue pourtant des Dragomirs les mieux entraînés et protégés du monde. Si je n'avais rien dit, il les aurait torturés, tous, jusqu'au dernier, pour avoir des renseignements. En fait, j'ai sauvé la vie de beaucoup de personnes, quand on y réfléchit...
Elle serra les poings. D'un côté, il n'avait pas tort – il avait peut-être bien préservé tous ces Conseillers, dont le père de Shay, même si sa perte n'aurait pas forcément été un mal quand on voyait toutes les horreurs qu'il faisait subir à son fils. Mais comment laisser partir Luis ? Elle était en colère, très en colère, et elle voulait déchaîner sa rage sur quelqu'un, sinon ses pouvoirs finiraient par prendre le contrôle. Or il était une cible parfaite. Il les avait trahis, après tout, causé la mort de Sofy et de Mar...
- Je sais que tu m'en veux, dit-il précipitamment. Normal. Mais un jour, Lymerya Alley, tu comprendras que mes gestes ont sauvé des vies, et tu me remercieras.
- Ça m'étonnerait, marmonna-t-elle.
- Écoute, laisse-moi partir. Je te donnerai un conseil pour contrôler tes crises d'Irisa – oui, je suis au courant. Drake m'en a parlé.
- Premièrement, je n'ai aucune raison de vous libérer. Et ensuite, pourquoi devrais-je vous faire confiance ?
Il lui adressa un regard sérieux, loin des sourires moqueurs qu'il lançait habituellement à la ronde.
- Parce que tous les Irisas que Drake a observés et qui n'ont pas laissé se déchaîner leurs pouvoirs après la deuxième injection sont devenus un danger immense. Et pas seulement pour leurs ennemis. Par exemple, un garçon appelé Matthias Wilton s'est révélé être un Irisa. Il était un caecus, ou du moins c'est ce qu'il pensait, alors il a été fasciné par ses pouvoirs, tout d'abord ; il s'en servait pour repousser et ridiculiser ses rivaux, faire échouer ses ennemis lorsqu'ils devaient tirer un but décisif au foot, ce genre de bêtises. Mais très vite, sa fascination a cédé la place à la peur. Faire trébucher une brute ou renverser leur verre d'eau sur leurs vêtements, c'est loin d'être assez pour quelqu'un qui possède un pouvoir pareil, et ses capacités réclamaient plus, toujours plus...
Elle aurait peut-être dû le faire taire, mais la vérité, peu flatteuse, c'était qu'elle avait peur. Lorsqu'elle était arrivée ici, dans le monde des Dragomirs, elle avait été immensément soulagée, parce qu'il y avait d'autres personnes comme elle ; et voilà qu'elle découvrait que non, il n'y en avait pas. Du moins pas d'autres qui n'étaient pas aussi perdus qu'elle et qui pourraient la conseiller. Elle avait vu ce qu'elle était capable de faire, et elle en avait peur.
- Ce Matt, poursuivit Luis d'un ton sombre, a fini par craquer. Un jour, il s'est énervé contre l'un de ses amis. Celui-ci a été réduit en poussière. Il a eu peur, bien sûr, mais ce n'était rien comparé à ce qui l'attendait – très vite, il n'eut plus besoin d'être vraiment énervé pour causer des catastrophes. Il explosait des maisons, réduisait des gens en cendres...
- Je parie qu'il venait de regarder Infinity War, marmonna Lym dans sa barbe malgré la chair de poule sur ses bras.
- Eh bien... Peut-être. En tout cas, ses pouvoirs devenaient bien trop puissants ; les caecus, aussi aveugles que d'habitude, l'ont traité de pyromane et l'ont enfermé. Lorsqu'ils sont venus le chercher dans sa cellule, un jour, ils n'ont trouvé qu'un monticule de poussière. La puissance ne consume pas seulement ton entourage, mais toi aussi, Lym. Alors voici mon conseil ; de temps à autres, à toi de définir l'horaire parfait, vas dans un endroit totalement désert. Il y a des dizaines de rochers et îlots désertés aux alentours d'Eleuth. Va sur l'un d'entre eux et laisse-toi aller. Déchaîne tous tes pouvoirs jusqu'à ne plus les sentir te déranger, et éventuellement, tes crises de colère ne feront pas déborder tes capacités.
- Je n'y crois pas trop, répondit-elle, les sourcils toujours froncés.
- Tu devrais. La deuxième dose d'enzymes n'a rien à voir avec la première que l'on t'a inoculée lorsque tu étais un bébé. Le pouvoir en toi te réclamera dorénavant la destruction, et si tu la lui donne de manière régulière en détruisant des îlots, cela t'empêchera de faire la même chose à l'un de tes amis. Alors, c'est bon ? J'ai rempli ma part du marché ?
Malgré l'air sceptique de Lym, lorsqu'il essaya à nouveau de partir, il ne se heurta à aucun mur. Il s'éloigna d'un pas légèrement boitillant mais énergique, s'appuyant sur sa canne, tandis que Lym le regardait partir en se demandant si elle avait bien fait de le laisser aller. Mais aurait-elle, de toute façon, eu le cran de se débarrasser de lui ?
- Ne me faites pas regretter de vous avoir épargné ! lui cria-t-elle alors qu'il arrivait sur la plage et commençait à tracer des symboles de téléportation avec un enchanteur.
- C'est promis ! lui lança-t-il en retour, sur le même ton, sa voix se répercutant sur les parois de la caverne.
Il disparut dans une lueur d'or, et elle le fixa avec suspicion jusqu'à ce qu'il s'évapore, de peur de le voir faire un coup bas au dernier moment. Mais non, pour une fois.
Restée seule avec ses pensées, le clapotis de l'eau qui gouttait des stalactites et les gémissements de la mer, elle ferma les yeux avec un soupir et sortit de la grotte. Avait-elle fait le bon choix, ou avait-elle, encore une fois, fait preuve de faiblesse en le laissant partir ?
La technique qu'il lui avait donnée pourrait-elle marcher ?
Elle était encore en colère après lui, et se sentait sur le point d'exploser. Autant tester tout de suite les conseils de Luis.
Fermant les yeux, elle se tourna vers l'entrée béante de la caverne, et se concentra, accumulant sa colère envers son ancien professeur favori. Un bourdonnement étouffa les sons autour d'elle, et ses doigts s'engourdirent, la démangeant.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la grotte avait disparu sous les décombres, et à la place se dressait un mur de pierres. Ainsi, plus personne n'y enfermerait personne et aucun traître ne s'y réfugierait. Elle baissa les yeux vers ses mains, qui brillaient, enveloppées de volutes rouges.
Sa colère avait disparu, tout comme le nœud au creux de son estomac qui réclamait qu'elle utilise ses pouvoirs. Elle prit une profonde inspiration. Peut-être ne serait-elle pas un danger pour l'île, ses amis et elle-même, finalement.
Ok, tout d'abord ;
JE SUIS TELLEMENT DESOLEE, j'avais promis un chapitre hier et je n'ai finalement pas eu le temps ! Du coup je le poste plutôt tôt aujourd'hui au lieu des habituelles 16/17h. J'ai également reçu des MASSES de messages privés et de commentaires. Je vais trouver le temps de répondre à tout, sachez juste que si je mets un peu de temps, je ne vous ignore pas !
Sinon, vous avez trouvé que l'explication de Markus tenait la route? J'ai dû la réécrire plein de fois pour qu'elle ait un minimum de consistance et ne soit pas décousue.
Ensuite, vous êtes contents ou pas de savoir que Markus s'est échappé en vie? (@Yell-AaA, JE CONNAIS TA REPONSE. JE SAIS, TU ES RAVIE 😂)
Vous pensez qu'il causera des problèmes plus tard? Vous faites confiance à sa technique anti-crise d'Infinity War? Dites-moi tout dans les commentaires, j'adore voir vos avis et vos théories ! 😉
Plus qu'un chapitre pour terminer le tome IV! Wow!
(chapitre corrigé ✔)
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