
✨~[II/47]~✨
Livre II : Chapitre 47
Ash sentit l'écorce rugueuse d'un arbre heurter son dos, et serra les poings à s'en faire mal, ses doigts toujours crispés autour de son fouet. Ils étaient acculés dans un coin de la plage, près des premiers arbres de la forêt ; les ennemis étaient incroyablement nombreux. De nouveaux soldats sortaient des bois sans arrêt, un flux ininterrompu de chair à canon. En tuer un était des plus inutiles ; pour chaque perte, deux venaient remplacer le défunt. Pourtant, il ne s'arrêtait pas. Pas question de faire une chose pareille – s'il lui fallait mourir, il mourrait en se battant, comme tous ses frères Dragomirs qui se défendaient et périssaient aussi sur cette île.
L'un de ses opposants lui donna un coup d'épée qui traça une estafilade dans son bras. D'un grand geste, il enroula le fouet autour de son bras, l'obligeant à lâcher son arme, et il le poussa pour le déséquilibrer. Mais aucun de ses gestes ne lui était d'un grand secours ; il ployait sous leurs attaques, et des sillons de sang coulaient dans le sable détrempé. Des dizaines de blessures, plus ou moins graves, couraient sur sa peau brune. Si la morsure du Stryge, quelques minutes – ou heures ? Il ne savait même plus – plus tôt, l'avait déjà affaibli, il se demandait comment son sang pouvait continuer à couler sans s'épuiser. Il sentit ses genoux fléchir, mais s'efforça de rester solidement campé devant les soldats qui grouillaient devant lui. Pas question de mourir à genoux.
Le visage de Sofy passa devant ses yeux. Il ne l'avait pas connue longtemps, pourtant sa mort l'avait blessé autant que s'il s'était agit de sa propre sœur, il n'osait donc pas imaginer ce qu'avait dû subir Lym, qui la côtoyait depuis si longtemps. Le visage juvénile et innocent de son amie décédée lui redonna un élan de force et de rage. Des balles claquaient autour de lui, se fichant parfois dans des arbres, mais, heureusement pour lui, la mêlée de ses adversaires était trop compacte pour qu'une balle puisse l'atteindre au milieu de la cohue. Il enchaînait les coups, essayant de ne pas se concentrer sur les visages de ses opposants. Leurs yeux étaient entièrement noirs, vides comme des puits sombres, et il savait pourquoi : Lym lui avait expliqué l'usage qu'avait trouvé Drake à la Toxine. Toutes ces personnes qu'il tuait, ou en tout cas la plupart d'entre elles, agissaient contre leur gré. Mais il chassa immédiatement ces pensées, sachant qu'elles ne feraient que l'affaiblir, lui faire remettre en doute cette bataille tout entière. Il était acculé contre un arbre, et ses attaques commençaient à faiblir de nouveau, son élan d'énergie s'épuisant trop tôt, comme une petite flamme que la pluie venait éteindre...
- Lukas ! hurla quelqu'un plus loin.
Il reconnut la voix de Joy. Parant d'un geste l'attaque d'un garçon caparaçonné de fer, il chercha autour de lui le Dragomir aux cheveux noirs, mais il ne voyait que des soldats qui l'acculaient. Où était-il ?
- Tiens bon, Lukas ! hurla-t-il par-dessus la mêlée.
Il ne pouvait pas être mort. Il ne pouvait pas être mort, si ? Ses grands yeux pétillants de malice, ses pommettes hautes et ses cheveux en bataille réapparurent devant ses yeux. Ses talents d'archer, son arc avec lequel il décochait des flèches plus vite que des balles, ses plaisanteries stupides, rien de tout cela ne pouvait être mort. Un vide immense se creusa en lui à cette idée. Il baissa soudain les yeux, et vit, dans la main crispée d'un mort, une petite arme semi automatique, à moitié enfoncée dans la boue sanglante. D'un grand coup de fouet horizontal, il envoya valdinguer une bonne dizaine de soldats, et tâtonna au sol pour essayer de se saisir du pistolet. Sa main, dont les jointures des doigts avaient blanchi tant elle était crispée, se referma autour de la crosse, et il l'arracha des mains du mort sans faire attention au visage blafard du cadavre. Levant le pistolet devant lui, il pressa la détente une, deux, trois fois, encore et encore, impitoyablement, sans regarder ceux qu'il abattait. Une balle effleura son épaule, et il s'accroupit pour éviter de donner trop de lieux où viser à l'ennemi. Les genoux dans les mélanges de sable, de boue et de sang, le dos contre l'arbre, il continua à tirer jusqu'à pouvoir regarder autour de lui en voyant autre chose que des ennemis de toutes parts. Autant pour « pas question de mourir à genoux »... Bien qu'à terre, il savait que c'était préférable pour être une cible moins exposée, et il continua à tirer, inlassablement.
La mer se déchaînait, et Joy, qui semblait mal en point, envoyait des vagues sur ses ennemis, mais ses pouvoirs faiblissaient aussi. Elle dut rouler au sol pour éviter une rafale de balles, et eut cette fois du mal à se redresser, ses jambes menaçant de se dérober sous la fatigue.
Mais Ash, bien qu'il ait peur pour son amie, détourna précipitamment ses yeux d'elle. Il y avait tellement de corps qu'il lui fallut un moment pour trouver celui qu'il cherchait. Lukas...
Il enjamba sans leur accorder un regard les cadavres de ceux qu'il avait abattus, amoncelés à ses pieds et criblés de balles, et courut vers lui. Il distribua des coups de feu autour de lui pour empêcher ceux qui voulaient l'arrêter de s'approcher. Heureusement, avec la bravoure et la ténacité dont faisait preuve Joy, tous les Faucons étaient plus concentrés sur la menace qu'elle représentait que sur un soldat désespéré qui courait vers un corps.
Il se précipita vers Lukas, foulant le sable en trébuchant sur des bras et des racines, et arriva enfin à sa hauteur. Il avait dû se traîner au couvert des arbres, car quelques buissons le cachaient à la vue des soldats de Drake. Le souffle court, il gisait au milieu d'une flaque rouge, les yeux dans le vague ; son arc, brisé en deux, était jeté à ses côtés. Une flèche était plantée dans son genou, et la pointe d'une autre était encore visible près de son torse. Ash laissa tomber son pistolet à côté de l'arc cassé et s'agenouilla auprès de Lukas, horrifié. Il respirait, au moins. D'une respiration saccadée, certes...
- Luke, balbutia-t-il, suppliant, en se traînant auprès de lui. Luke, réveille-toi.
- Je suis éveillé, répondit-il, mais il fut interrompu par une quinte de toux.
Avec délicatesse pour ne pas le blesser davantage, Ash le hissa sur ses genoux, une main derrière sa tête pour la maintenir redressée, l'autre agrippant la sienne.
- L... Luis a dit qu'une flèche n'était que rarement mortelle, hoqueta-t-il. Il a dit que si aucun organe vital était touché, tu... Tu connais un enchantement de guérison ? Je pourrais te rétablir, je...
- Tu as un enchanteur ?
Il hocha énergiquement la tête et en sortit le sien de sa poche, puis, suivant les instructions de Lukas, il traça les symboles qu'il lui ordonna par terre, dans l'herbe noire. Lorsqu'il eut terminé, une vague dorée parcourut le corps de son ami, qui sembla déjà aller mieux, bien qu'il continuât à saigner légèrement. Ash fut plutôt rassuré en voyant les plaies se refermer un peu, mais il ne le lâcha pas pour autant. Il se sentait tellement inutile... Et si Lukas mourait par sa faute ? Cette pensée lui était insupportable.
- Ça va aller, le rassura Lukas dans ce qui ressemblait à un chuintement faible, comme le déchirant cri d'agonie d'un Pterok. Juste... Ne pars pas, s'il te plaît.
- Non, promit-il, bien qu'il s'inquiétât pour Joy aussi. Non, je reste...
Lukas respirait trop vite, et sa main était crispée autour de celle d'As. Celui-ci le cala un peu plus confortablement pour éviter de faire couler trop de sang et se pencha vers lui, posant doucement son front contre le sien. Le bout de leurs nez se frôlaient. Il sentait les mèches noires de Lukas, trempées de sueur, se coller à son front, et son souffle saccadé sur sa joue. La main de Lukas le faisait souffrir tant elle était serrée autour de la sienne – peut-être lui avait-il cassé un ou deux os – mais il ne pensait même pas à la retirer.
- Ça va aller, murmura-t-il, les yeux fermés, des larmes brûlantes coulant de ses yeux pour se déposer sur le visage de Lukas. Ça va aller, je te le promets. Tu vas t'en sortir.
- Je... J'espère, répondit-il avec un petit rire étranglé.
Il sentit son souffle s'accélérer contre sa joue lorsqu'il essaya de rire, et l'afflux de sang redoubler. Il aurait dû être heureux de savoir qu'il était encore capable de rire, mais la marre rouge qui s'élargissait était loin d'être rassurant.
- Chut, souffla Ash. Chut, ne parle plus, tu perds trop de sang.
Il essaya de produire un nouvel enchantement, mais soit il se trompait en le réalisant, soit l'enchanteur était déchargé, soit les blessures de Lukas étaient trop importantes. Laissant tomber la baguette dans l'herbe, il tourna son regard vers le garçon dans ses bras, et vit qu'il avait fermé les yeux. Se souvenant des conseils de Luis – quelqu'un qui perd du sang peut facilement s'évanouir et ne jamais se réveiller –, il sentit un nouveau vent de panique s'engouffrer en lui.
- Eh... Eh, Luke. Il faut que tu restes réveillé, d'accord ? Luke. Luke, tu dois rester réveillé.
- Je suis fatigué...
- Je sais, mais tu dois garder les yeux ouverts, OK ? Je vais te parler. Écoute-moi, concentre-toi sur ce que je te dis, ne t'endors pas, d'accord ?
- D'accord...
Posant son front contre le sien car il était trop fatigué pour parler fort ou se tenir droit, il se mit à parler sans interruption. Il débita des bêtises, des anecdotes, des conseils, quelques blagues, et même de petites supplications (« s'il te plaît, s'il te plaît, ne meurt pas... »)
Lukas faisait des efforts colossaux pour garder les paupières ouvertes, essayant de l'écouter, mais Ash pouvait bien voir qu'il ne comprenait pas un traître mot de ce qu'il lui disait. Il se contentait de se concentrer sur sa voix, seul ancrage dans ce monde de chaos.
Jusqu'à ce qu'il cligne des yeux, les paupières lourdes, mais ne les rouvre plus.
- Lukas ? Luke !?
- Ash... Je vais juste... Me reposer un peu...
- Non... Luke ! Luke, réveille-toi, non...
- Juste... Une seconde...
Aucuns de ses gestes et de ses paroles eut d'effets ; il ne rouvrit pas les yeux, épuisé, lui marmonnant que ce n'était qu'un somme de quelques secondes, qu'il ne faisait que reposer ses paupières lourdes, mais Ash savait qu'il mentait.
Il garda son front collé contre le sien et sa main dans la sienne jusqu'à ce qu'il perde complètement connaissance, et même après, il le garda dans ses bras, à l'abri.
Dans le couloir, toutes les lumières étaient éteintes. Par conséquent, Lym pouvait à peine voir ses opposants, mais elle devinait le contour d'une demi-douzaine de silhouettes dans l'obscurité, des armes en mains. Kosh et Shay, sans un mot, s'étaient postés autour d'elle comme pour la protéger, leurs armes à feu levées ; leurs adversaires étaient trop loin pour qu'ils puissent se servir de leurs armes blanches, et Shay avait déjà épuisé toutes ses flèches.
Lym leva son pistolet devant elle et lança une nouvelle rafale de balles, mais les six soldats se contentèrent de s'arrêter quelques instants puis de reprendre leur marche comme si de rien n'était. Ils étaient entrés par une autre porte que celle qu'ils avaient empruntée, et remontaient dans le couloir jusqu'à eux, lentement mais sûrement. Ils avaient essayé d'ouvrir la porte qui leur permettrait de fuir, mais elle avait été verrouillée de l'extérieur, et ils étaient à la portée des balles dès qu'ils s'en approchaient, ne leur laissant pas le temps d'en crocheter la serrure. De toute façon, c'était Elyra, l'experte pour ouvrir les portes fermées. Dire qu'elle avait été capturée, ainsi que Larrow...
Lym chassa vite ces pensées déprimantes et essaya de se concentrer pour instiller dans la douleur dans le cerveau de ces soldats, mais, mystérieusement, ça ne fonctionnait pas. Étaient-ils immunisés ? Quelque chose dans ce goût-là ? Peut-être apportaient-ils leur xiphoskias.
Le pire, c'était sans doute leur position désavantageuse. La salle dans laquelle ils se trouvaient donnait sur le couloir au travers d'une porte, et ils devaient donc glisser la tête par l'entrebâillement pour pouvoir tirer convenablement. Et cette position, en plus d'être inconfortable, les exposait aux balles. S'ils voulaient fuir, de surcroît, il leur fallait s'aventurer dans le couloir où ils étaient une cible parfaite.
Elle tâtonna dans ses poches avec espoir, mais elle avait dû perdre son enchanteur à un moment ou à un autre. Impossible de se téléporter, donc, surtout que ce n'était pas une bonne idée en intérieur. Shay leva son arme et tira plusieurs balles mais, à nouveau, leurs opposants s'arrêtèrent seulement quelques instants avant de reprendre leur avancée.
- Mais ce sont des robots, ou quoi ? rugit Shay, hors de lui. Les balles ricochent sur eux comme sur du métal !
- Mais bien sûr ! s'exclama Kosh. Ils utilisent leurs aptitudes. Leur forme originelle !
Lym comprit immédiatement. Les Stryges et certaines Nyx, par exemple, étaient insensibles aux balles. Ces soldats avaient dû se transformer grâce à l'Élémentarisme, et ne souffraient donc pas face à leurs attaques. Elle ne l'avait seulement pas remarqué parce qu'ils étaient plongés dans le noir.
Plongés dans le noir...
L'idée se forma tout de suite dans son esprit, et elle regarda vite autour d'elle à la recherche d'un interrupteur ; les créatures insensibles aux balles étaient, en revanche, incapables de supporter la lumière. Mais il n'y avait pas de bouton pour allumer les ampoules au plafond là où ils étaient. Ces soldats étaient malins ; l'interrupteur était tout au bout du couloir, derrière leurs opposants, et ils ne pourraient jamais y parvenir sans se faire cribler de balles au passage.
- Ralentissez-les ! cria-t-elle à Kosh et Shay. Quelques minutes !
Ils hochèrent la tête sans même lui poser de questions, et elle ferma les yeux. Le Partage n'avait pas fonctionné, bien sûr, car il était difficile de s'en servir contre un Être ; mais la Télékinésie, elle, devrait fonctionner, d'autant plus que c'était ce en quoi elle était le plus douée. Elle ferma les yeux, la main levée devant elle, et ferma brusquement le poing, imaginant qu'elle poussait un levier se trouvant juste en face d'elle.
L'interrupteur s'abaissa, et les lumières s'allumèrent en grésillant. Elle entendit un hurlement d'agonie dans le couloir, et se redressa d'un bond ; y jetant un coup d'œil, elle vit, au milieu du dallage blanc, six petits tas de poussière argentée, qu'un souffle d'air balaya vers le fond du couloir. Elle avait vu juste ; les Stryges et autres créatures nocturnes étaient incapables de survivre à la lumière. Les lueurs du couloir clignotaient faiblement, à présent.
- Bien joué ! s'écria Kosh, l'air impressionné.
- Ça ne suffira pas, affirma-t-elle. Ils enverront vite d'autres effectifs. Les Neuris sont aussi à l'épreuve des balles – et eux n'ont rien contre la lumière.
- Il faut sortir d'ici avant qu'ils ne se rendent compte de ce que tu as fait, en déduisit Shay.
Ils sortirent vite dans le couloir, un courant d'air collant à leurs pieds des stries de poussière argentée. Tandis qu'ils se démenaient contre la porte close, ils entendirent quelqu'un aboyer un ordre derrière eux. Une balle traça un petit trou sur la porte de métal, et ils se retournèrent pour voir plusieurs soldats qui couraient vers eux dans le couloir.
- Il faut l'exploser ! cria Kosh. À trois, utilisez vos pouvoirs !
Lym se sentait tremblante et fébrile. Elle ne savait pas où était Mar, ni ce qui était arrivé à Larrow et Elyra, et leur mission était un échec complet. Pourtant, elle s'efforça d'appeler à nouveau ses capacités.
- Un, deux, trois !
Tandis qu'une myriade de balles s'enfonçait en claquant autour d'eux, la porte explosa en monceaux de fer tordu, et ils sautèrent vite par le trou. Ils étaient dehors, au milieu de la vallée, avec une vue imprenable sur la forteresse et la mer de tous les côtés. Leurs poursuivants se mirent à courir pour les rattraper, et eux aussi, d'un pas titubant, filèrent dans la vallée couverte de poussière noire. Il n'était plus question d'être discrets, à présent, mais d'éviter de se faire capturer.
Leurs semelles claquaient contre le sable volcanique, tandis que le volcan qui en était la source grondait au loin. Ils couraient sans but, vainement, sans trop savoir où aller. Elle entendait encore des balles les poursuivre, se fichant là où ils étaient un instant plus tôt. Il lui paraissait insolite qu'elles ratent toutes leur cible, mais elle ne s'attarda pas sur l'irréalité du moment, se contentant de courir jusqu'à ce que ses poumons lui semblent remplis de cendres.
Soudain, elle entendit une exclamation étouffée, et Kosh s'affaissa par terre, la joue dans la poussière. Une balle lui avait perforé la chaussure et traversé le pied. Rien d'irréparable ni de mortel ; l'un des baumes d'Amel aurait tôt fait de le guérir. Seulement, à présent, il serait incapable de courir. Shay et Lym tournèrent aussitôt des talons et tombèrent à genoux devant lui, entendant leurs poursuivants mugir en gagnant du terrain.
- Fuyez, souffla Kosh d'une voix hachurée. Fuyez – sauvez-vous...
- Je ne te laisserai pas seul, gros benêt, le rabroua Shay. Tu es comme mon frère, tu te souviens ? Pas question de t'abandonner.
Lym savait qu'il aurait été plus logique d'abandonner Kosh. Ils auraient pu sauver leurs propres vies. Seulement, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait jamais pu détacher Shay de Kosh, et, de toute façon, elle n'avait aucune intention de perdre encore un ami. Déjà qu'elle n'était pas sûre de revoir jamais Elyra et Larrow... Son cœur se serra à cette pensée.
Shay attrapa Kosh par les deux bras, et elle les couvrit en distribuant des coups de feu dans la direction de leurs poursuivants. Il hissa son ami sur son dos et se remit à marcher, plus lentement, cette fois. Lym le suivait, s'arrêtant de temps à autres pour lancer une rafale de balles derrière eux, puis courant pour les rattraper en en profitant pour recharger son pistolet tant bien que mal, puis se postant à nouveau en position pour tirer. Seulement, elle voyait bien qu'ils allaient se faire rattraper. Ils seraient entre les griffes de Drake, d'Orion, très bientôt, et elle en avait conscience. Il n'y avait rien à faire pour leur échapper, mais cela ne l'empêcherait pas d'essayer.
Lorsque Shay trébucha et s'effondra dans la poussière avec le corps inerte de Kosh sur son dos, elle sut qu'ils étaient condamnés. Le souffle court, il leva vers elle un regard suppliant, se redressant en position assise, trop épuisé pour se lever.
- Va-t'en, Lym...
- Tu n'as pas laissé Kosh, rétorqua-t-elle. Et tu penses que je vais te laisser, Lake ? Tu peux toujours rêver.
Elle se tourna vers les nombreux soldats qui les talonnaient et arma son pistolet à nouveau. Elle tira encore, encore et encore, plissant les yeux pour mieux repérer ses cibles. Il lui paraissait anormal qu'ils s'efforcent de les attraper sans tout simplement leur tirer une balle dans le dos. Ils auraient pu lorsqu'ils couraient, et pourtant ils s'étaient contentés de blesser Kosh au pied.
Sentant un simple clic lorsqu'elle appuya une énième fois sur la gâchette, elle porta une main à son sac à dos pour le recharger.
Elle n'avait plus de balles. Son pistolet était inutile, à présent. Elle le rangea tristement dans son sac, baissant les bras. Shay avait aussi épuisé le sien. Elle aurait peut-être pu sortir Prysm, mais elle préférait garder une arme secrète sur elle, et elle était trop épuisée pour se servir de ses capacités.
Les soldats qui les poursuivaient furent rapidement à leur hauteur. Un homme se jeta sur Lym aussitôt, et elle lui donna un coup de pied dans une partie particulièrement sensible de son anatomie, avant de le pousser sur le côté ; un uppercut à la mâchoire de son adversaire suivant l'envoya bouler au sol. Mais tous les autres, comprenant vite qu'elle était une menace, se joignirent vite à la bagarre. Les coups de pieds et de poings de Lym furent parfaitement inutiles, les faisant seulement ricaner – ils étaient beaucoup trop nombreux. Un homme la força à entrer dans un enchantement, et elle sut immédiatement à quoi il servait ; c'était celui qui étouffait les pouvoirs momentanément. Elle allait être privée de sa Télépathie, de sa Télékinésie, du Partage... Elle se démena comme une diablesse, distribuant coups et insultes, mais rien n'y fit. Le rayon d'or l'envahit, lui indiquant qu'elle avait été soumise à l'enchantement.
Elle n'avait jamais subi d'enchantement pareil. Bien sûr, ses pouvoirs avaient été étouffés par la pierre aveugle des xiphoskias, mais... Ce n'était pas la même chose. À présent, elle avait l'affreuse impression d'être privée d'un membre, comme si on lui avait coupé une jambe ou une main. Comme si elle cherchait à plier les doigts alors qu'il ne lui restait qu'un moignon. Ses pouvoirs n'étaient plus là, et c'était terriblement désorientant. Elle sentit sa respiration s'accélérer, et eut un instant peur de faire une crise de panique, mais elle finit par se reprendre en main.
Ils firent la même chose pour Shay, et le forcèrent à se relever, mais, pour Kosh, ils ne le firent pas passer par un seul enchantement, mais deux. Le deuxième était un sort de guérison. Surprise et troublée, elle vit sa blessure au pied se refermer.
- Pourquoi vous faites ça ? demanda-t-elle en oubliant un instant de se débattre.
L'un des soldats ricana et retira son casque d'un geste. C'était une fille qui devait avoir la vingtaine seulement, asiatique et jolie, avec les pointes de ses cheveux noirs teintes en bleu et un sourire qu'elle aurait pu trouver sympathique en d'autres circonstances.
- À ton avis, bécasse ? Drake vous veut vivants. Et on n'a pas envie de traîner l'autre jusqu'à sa salle du trône.
Voilà donc pourquoi ils ne les avaient pas tout simplement tués d'une balle ; Drake les voulait vivants...
- Mais pourquoi voudrait-il une chose pareille ? demanda-t-elle, déboussolée. À quoi lui servirions-nous ?
La soldate aux cheveux teints haussa les épaules avec dédain.
- J'en sais rien, moi. C'est toi qu'il veut le plus – la fille rousse, qu'il a dit. Mais il voulait les autres aussi. Je suppose qu'il veut savoir comment vous êtes arrivés ici.
- Je comprends pas pourquoi il me porte une attention particulière, insista Lym.
- Matt m'a dit que tu étais une bonne guerrière. C'est peut-être pour ça.
- Matt ? répéta la Dragomire en fronçant les sourcils, et la fille leva les yeux au ciel.
- Tu le connais sans doute d'après son surnom débile – Loki, ça te dit quelque chose ?
- Aaah, lui... Passe-lui le bonjour, d'ailleurs.
La fille aux cheveux teints sembla sur le point de répliquer, mais elle se retourna à la place en remarquant que l'on l'interpelait.
- On fait quoi d'eux, Keyra ? demanda un autre Faucon qui semblait aussi jeune qu'elle et tenait son casque sous son bras.
- On les amène à Drake, non ?
Lym ouvrit de grands yeux. Elle s'y attendait, bien évidemment, mais à présent qu'il l'avait annoncé aussi crument... Elle allait voir Drake, et il allait sans doute la tuer. Ils allaient voir Drake, et il allait sans doute tous les tuer.
Un homme baraqué la souleva comme une plume, et aucun de ses coups de pieds ne parvint à la libérer. Furieuse, elle finit par abandonner, préférant conserver ses forces, et il la reposa au sol, la poussant du bout de son épée pour la forcer à avancer.
Elle échangea un regard avec Shay, et il s'efforça de lui adresser un sourire encourageant. On aurait plutôt dit une grimace inquiète, mais elle sourit en retour malgré tout.
Les poussant vers les portes de fer forgé, ils s'arrêtèrent enfin devant la forteresse. Elle était encore plus impressionnante depuis ses portes, semblant écraser ceux qui se trouvaient devant par sa grandeur et sa magnificence. Même en ce moment, Lym ne put s'empêcher de trouver la forteresse belle. Alors qu'elle se faisait cette réflexion, les portes grillagées ornementées de volutes florales de fer noir pivotèrent en grinçant, leur laissant la voie libre ; derrière un grand portique, ils voyaient une cour intérieure pavée, décorée de grenadiers et de parterres de crocus bleutés. Ils les poussèrent à l'intérieur, traversant la cour, et Lym eut la surprise de voir un ou deux adolescents occupés à lire ou à discuter dans un coin, à moitié cachés par un imposant massif de campanules. N'étaient-ils pas en pleine guerre ? Passant de nouvelles portes, plus modestes, cette fois, ils traversèrent un long couloir aux murs et au plafond d'améthyste, avec un tapis épais recouvrant le sol.
- Salut, Keyra, fit une voix de fille derrière eux, mais l'épée dans le dos de Lym l'empêchait de se retourner.
- Clem, répondit la dénommée Keyra.
C'était... étrange de voir la camaraderie, voire la routine, d'Arcem. Les Faucons étaient assez jeunes, tous, ce à quoi Lym aurait dû s'attendre car les Dragomirs avaient tendance à ne pas vivre bien vieux ou bien à se retirer de leurs fonctions tôt. Ils avaient aussi l'air de se connaître, de s'apprécier, de partager des moments de complicité et de camaraderie, et... Bon, bien sûr, tous les soldats de l'Empire n'étaient pas contrôlés par la Toxine, alors ils devaient bien développer des relations, mais c'était toujours heurtant et troublant de réaliser à quel point leurs ennemis étaient humains.
Le groupe des Faucons et de leurs prisonniers arrivèrent devant un portail immense et resplendissant, sous lequel ils passèrent, encore une fois, puis on les poussa à l'intérieur et les força soudain à s'agenouiller. Les genoux de Lym heurtèrent durement le sol de cristal mauve. En jetant un coup d'œil à sa droite, Lym vit, meurtris et eux aussi à genoux, Elyra et Larrow qui les regardaient avec effroi. À sa gauche se trouvaient Shay et Kosh. Elle était au milieu.
- Oh, allons, fit une voix joyeuse qui se répercuta dans la salle entière. Keyra, tu sais bien que je n'ai jamais eu grand goût pour tes méthodes dramatiques... fais-les se relever. Je crois être tout de même plus intéressant que le sol.
À contrecœur, ceux qui les maintenaient à genoux les autorisèrent à se lever avec des manières brusques. Lym fut la première des cinq à relever la tête, et à croiser le regard de Drakön Lorn.
HEIO
Dooonc
C'est un chapitre assez important, j'étais un peu anxieuse en le postant parce que j'étais pas sûre des réactions, il vous a plu?
Sinon je voulais m'excuser pour mon absolu pétage de plombs de la dernière fois, j'étais très très très fatiguée. J'espère que vous avez au moins compris l'histoire des Irisas, sinon je veux bien réexpliquer maintenant que je suis réveillée 😂
Anyway, merci pour tous vos retours, je vous adore :)
💕KISSES💕
(chapitre corrigé ✔)
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