✨~[I/53]~✨
Livre I : Chapitre 53 (fin)
Lym se détourna de l'Ange et adressa un regard paniqué à ses amis. Elle était livide. Si la Prophétie qu'avait proférée Wingel était vraie et son interprétation correcte, alors Mar courrait en ce moment même un immense danger ; Drake viendrait la chercher pour l'enlever sur Arcem et essayer d'empêcher la lycéenne de détruire la tour d'améthyste. La fille Alley aux pouvoirs insoupçonnés, piégée sous l'emprise de Drakön le damné...
Elle sentit une panique horrible croître en elle et engourdir ses sens ; sa sœur était le seul membre de sa famille qu'il lui restait, et elle ne voulait pas la perdre. Tout sauf ça.
Elle arracha son téléphone de sa poche et composa d'une main tremblante le numéro de Mar, le cœur battant à cent à l'heure.
« Bonjour, vous êtes sur la messagerie de Mar, laissez un message et... »
Ses doigts étaient tellement serrés autour du téléphone qu'il risquait d'éclater en morceaux. Elle le fourra dans sa poche, tremblante.
- Calme-toi, Lym, lui intima Larrow, sérieux et ferme. Peut-être que la Prophétie ne parle pas de ta sœur, peut-être que c'est toi, ou bien quelqu'un d'autre qui s'appelle Alley...
- Il faut que je rentre chez moi, souffla-t-elle en le regardant d'un air suppliant. Peut-être que tu as raison, mais on ne sait jamais. S'il te plaît, je sais que la mission pour trouver le Glacyés est immensément importante pour toi, mais il faut que j'y aille, au moins... au moins pour vérifier qu'elle va bien...
Shay, Kosh et Wingel observaient la scène, sur le côté, attendant le verdict du garçon aux origines Strygiennes. Puisqu'il était, ainsi que Lukas qui n'était pas ici, celui en charge de leur groupe durant leur escapade à St Petersburg, il était celui qui devait déterminer si la mission se poursuivait ou si elle s'arrêtait ici.
Larrow laissa échapper un soupir.
- Elyra, Joy, Shay, Kosh et Lukas s'occuperont de ramener le dragon à Eleuth. Je viens avec toi. Sortons d'ici, que je puisse faire un enchantement pour nous ramener en Angleterre...
Lym sentit un vague de soulagement repousser légèrement toute la panique qu'il y avait en elle ; s'il avait refusé, elle aurait eu l'interdiction formelle de quitter la mission. Elle l'aurait fait quand même, bien évidemment, mais elle préférait quand même s'y prendre en ayant l'assurance de ne pas être punie pour ses actes une fois de retour à Eleuth.
Shay et Kosh, en revanche, semblaient d'un autre avis.
- Attends, tu plaisantes ? Non, les trois autres peuvent s'occuper de tout ça, mais nous, on vient avec Lym.
- Oui, qui sait de quoi elle serait capable sans nous, approuva Shay.
- Vous ne pouvez pas venir, contra Larrow en fronçant les sourcils. Il faut que certains videntis restent ici pour s'occuper de mener à bien la mission, et on ne va pas tout abandonner sur un coup de tête...
- On perd du temps ! s'écria Lym, énervée. Et si Drake s'en prenait à Mar en se moment même ? Peut-être qu'il a appris que je m'absentais plusieurs jours et qu'il veut en profiter.
- Ou peut-être qu'elle n'est pas celle que désigne la Prophétie ! s'écria Larrow. Ne serait-ce pas plus logique ? Ta sœur n'a jamais dévoilé de quelconques aptitudes... Et puis, comment saurait-il que nous sommes venus à St Petersburg précisément ces jours-ci ?
L'Ange Wingel les observait dans son coin avec un intérêt détaché, et Lym n'aurait pas été étonnée de le voir sortir un paquet de popcorn pour pouvoir profiter davantage de leurs disputes.
- Tant pis. Moi, j'y vais, et ceux qui le veulent me suivent.
- Tout de suite ? s'étrangla Larrow. Mais tu es en robe de bal, tu n'es même pas armée, et si...
Lym s'empressa de retirer sa robe en la déchirant très probablement de tous côtés pour la jeter dans un coin et dévoiler la tenue de Dragomir qu'elle arborait en-dessous. Puis elle tira de son sac à main le pistolet qu'elle avait tenu à apporter et arracha de son cou son pendentif pour faire apparaître dans sa main Prysm, l'épée resplendissante. Et elle détacha d'un geste ces cheveux coiffés en couronne complexe pour laisser tomber la masse flamboyante de mèches rousses dans son dos.
En moins d'un instant, elle était passée de jeune fille raffinée apprêtée pour une fête à une guerrière meurtrière prête à découper le premier venu en morceaux, une épée dans une main et un pistolet dans l'autre.
Larrow prit un air hébété, et Shay eut l'un de ses éternels sourires en coin.
- Ne jamais sous-estimer Lymie Alley, sourit-il. J'ai l'impression de dire ça beaucoup trop souvent...
Lym n'adressa même pas un regard à l'Ange qu'elle avait pourtant trouvé si beau et envoûtant à première vue, et elle se dirigea d'un pas ferme vers la porte qu'elle ouvrit d'un geste. Sans réfléchir, elle dévala les escaliers dans le noir et arriva rapidement devant la porte entravée qu'ils avaient en partie brûlée pour passer. Des morceaux de bois calcinés pendouillaient encore sur leurs gonds. En arrivant au bas des marches, elle songea qu'elle avait vraiment bien fait de mettre des baskets
Lorsqu'elle s'en approcha, sans qu'elle n'y réfléchisse, sa panique fit exploser en copeaux noircis les restes de la porte pour lui libérer le passage. Elle revoyait sans arrêt le visage de sa sœur. Mar, Mar, Mar... Certains convives prirent un air indigné lorsque des échardes vinrent rebondir sur leurs épaules ou tomber avec un petit bruit triste dans leurs coupes de champagne, mais lorsqu'ils se tournèrent vers Lym, à cause de leur nature de caecus, ils ne semblèrent pas voir la porte en morceaux. En revanche, ils virent bien la jeune fille rousse et débraillée habillée en combinaison noire et la fixèrent avec dédain et, même s'ils ne devaient pas le remarquer, elle préféra tout de même cacher le pistolet noir dans son sac pour éviter tout risque. Mais elle garda le poing solidement crispé autour de la poignée de son étincelante épée de cristal ; aucun caecus, aussi imaginatif soit-il, ne verrait une arme aussi irréelle.
Talonnée par ses trois amis, elle quitta au pas de course la cathédrale en bousculant au passage tous les convives qui lui obstruaient le passage, renversant vin chaud et flûtes de champagne sur les tenues soignées. Elle entendait vaguement Kosh s'excuser à sa place, distribuant des balbutiements désolés sur son sillage, mais n'y fit pas attention. Lorsqu'elle fut enfin sortie du bâtiment ancien, elle commença à tracer avec son enchanteur un cercle puis l'œil des Dragomirs et attendit en tapant du pied avec anxiété l'arrivée des autres. Lorsqu'ils furent enfin dehors, ils entrèrent sans un mot dans le cercle ; Lym se pencha pour tracer les derniers symboles, puis se releva tandis que la lumière dorée commençait à émaner des inscriptions.
Juste avant d'être aveuglée par la lueur d'or, elle releva la tête vers les tourelles et les gargouilles de la cathédrale. Penché à une fenêtre, ses grandes ailes blanches déployées dans la nuit, découpant une silhouette d'ombre contre la lumière qui émanait de la salle derrière lui, l'Ange Wingel souriait. Sans l'éclat de ses ailes immaculées, il aurait été difficile de différencier l'Être Céleste immobile de toutes les gargouilles qui grimaçaient avec moquerie.
Lym, Kosh, Shay et Larrow arrivèrent en plein cœur des bois qui bordaient la maisonnette des Alley. Lym se serait bien téléportée au milieu du jardin ou de l'allée pour aller plus vite, mais, de un, elle avait déjà oublié les runes nécessaires, et, de deux, elle avait peur d'alerter des caecus en faisant pareille chose. Le ciel était d'un noir d'encre par endroit, zébré de rouge à d'autres. Le soleil s'était presque couché. La voûte céleste semblait avoir été éclaboussée de sang frais.
Tous les quatre eurent un peu de mal à s'extraire aux ronces de la forêt, et Lym fut la première à y parvenir. Elle se précipita d'un pas énergique vers le portillon du jardin, qu'elle ouvrit d'un grand geste, et elle se mit à courir à toute allure vers la porte de la maison. En arrivant devant, elle sentit son cœur faire un bond gigantesque. La porte était grande ouverte, et pendouillait sur ses gonds.
Elle entra d'un pas tremblant dans la maison en essayant de se rassurer. Peut-être que la Prophétie la concernait et pas sa sœur. Peut-être que Mar avait seulement oublié de refermer la porte. C'était possible. Ça arrivait tous les jours aux imprudents.
Mais ce n'était pas ça.
Le salon, d'habitude si propre et bien rangé grâce à la propreté exagérée qu'exigeait sa sœur, était sans dessus-dessous. Des tables et des chaises étaient renversées, une tasse de café avait éclaté sur le tapis en projetant des gouttelettes d'un brun noirâtre à peu près partout. Le canapé était en partie éventré par ce qui semblait être d'énormes crocs de serpent.
Lym entra d'un pas tremblant dans le salon.
- Mar ?
Bien évidemment, personne ne lui répondit. Elle chercha alentours un corps ou des traces de sang, mais apparemment, il n'y en avait pas. Les paroles de la Prophétie Angélique lui revinrent. Piégée sous l'emprise de Drakön le damné.
Sa sœur avait été enlevée par Drake. Lym se raccrocha aussi fort que possible au mince espoir de s'être trompée ; peut-être que la Prophétie la concernait, elle, et pas sa sœur, et que la maison avait été mise sans dessus-dessous car Drake la cherchait, elle ? Oui, Drake devait la chercher, et non pas sa sœur... Peut-être qu'il l'avait épargnée. Assommée. Oui, ce devait être ça... Elle devait être inconsciente. Inconsciente, et par conséquent vivante. Ce devait être pourquoi elle ne répondait pas. Ce devait être ça... N'est-ce-pas ? N'est-ce-pas ?
- Mar ! Mar !
Elle dut rapidement se rendre à l'évidence ; il n'y avait personne chez elle. Shay, Larrow et Kosh étaient entrés derrière elle et la regardaient avec impuissance appeler vainement sa sœur, courant désespérément d'un coin à l'autre de la maison.
Lym sentit son cœur se faire comprimer jusqu'à en avoir mal, et elle se plia en deux, en retenant de toutes ses forces ses larmes. Elle n'avait pas pleuré en public depuis une éternité. Ça ne changerait pas aujourd'hui. Elle était déchirée, évidemment, elle avait terriblement mal d'avoir perdu sa sœur aux griffes de l'ennemi principal du monde Dragomir ; mais, plus que tout au monde, elle était en colère.
Quand sa sœur avait eu besoin d'elle, elle n'était pas là. C'était de sa faute si elle avait disparu. Sans même qu'elle ne puisse réfléchir, elle donna un grand coup de pied dans une chaise voisine, dont les pieds se brisèrent sur le coup pour éclater en milliers de copeaux de bois. Ses amis sursautèrent.
- Lym, elle n'est pas morte, essaya de la calmer Kosh d'une voix désespérée. Elle a seulement été enlevée, et elle est trop précieuse, en temps qu'Irisa, pour que Drake n'ose la blesser...
Lym hocha la tête avec une horrible impression d'impuissance. Puis elle remarqua du coin de l'œil que tous les cadres contenant des photos et des diplômes qui étaient affichés dans les escaliers s'étaient écrasés au sol et que leurs vitres avaient été brisées en milliers de morceaux.
Sa sœur, de toute évidence, était à l'étage lorsqu'elle avait été enlevée, et on l'avait traînée jusqu'en bas des escaliers de force. Pas de sang sur les marches, cependant. Kosh avait raison ; si Mar était une Irisa, elle était trop précieuse pour que l'on ne la blesse.
Espérant trouver un nouvel indice en haut, elle ignora les avertissements de Kosh et grimpa les marches quatre à quatre. Dans la chambre d'habitude si soignée de sa sœur, le lit était défait, le bureau désorganisé, et les parfums, maquillages, cahiers et stylos empilés sur les étagères étaient pour la plupart brisés ou déchirés au sol. Mar s'était débattue.
Le placard était grand ouvert, comme si elle était en train d'y remettre de l'ordre lorsqu'elle avait été surprise par les forces d'Orion. Il y avait une tasse de café noir à moitié bu sur la table, qu'elle prit d'une main un peu tremblante. Lym remarqua une écharpe rouge qui traînait par terre, et elle la ramassa de sa main libre pour la porter à son visage. Elle sentait exactement comme sa sœur, un mélange de café très noir, de shampooing à la vanille, de vieux papier froissé et de son parfum aux senteurs florales. Quelques larmes vinrent lui picoter les yeux en sentant cette odeur qui lui était si caractéristique, mais elle les chassa rageusement, serrant l'écharpe dans son poing. Elle glissa le tissu rouge dans sa poche lorsque son regard fut attiré par un détail. Sur le lit défait se trouver un petit morceau de papier plié en quatre. Mar avait-elle eu le temps de lui laisser un message avant de se faire enlever ?
Elle déplia le papier dans l'espoir insensé d'y trouver une missive de sa sœur, mais elle vit immédiatement que ce n'était pas son écriture. Évidemment. Les messages désespérés laissés par des prisonniers, ça n'arrivait que dans les films. Mais elle reconnaissait cependant l'écriture de cette lettre-là ; c'était la même que celle du mot que lui avait caché Cave, qui contenait les menaces du lieutenant de Drake.
- Orion, murmura-t-elle.
C'était lui qui s'était introduit chez elle pour emmener sa sœur. Elle ne l'en détesta que davantage.
Lymerya Alley,
Était-il nécessaire d'en arriver à ces conditions extrêmes ? Maintenant que votre sœur est captive à Arcem, peut-être serez-vous un peu plus encline à vous battre pour notre Empire.
N'osez pas dire que je ne vous avais pas prévenue du destin qui vous attendait si vous refusiez de vous allier à notre cause. Je vous avais dit que rejoindre l'Empire de Drake serait mille fois plus sage que de rester auprès de vos fanatiques Dragomirs, et vous avez refusé de m'écouter.
À moins que Cave n'aie refusé de vous donner ma lettre ? Si c'est le cas, je vous conseille de vous interroger sur sa position de chef, car quel dirigeant ne laisserait-il pas à ses soldats le droit de choisir leur camp ? S'il a fait une chose pareille, c'est qu'il ne vous faisait pas confiance pour rester de son côté, et c'est donc de sa faute s'il est advenu ce qui est arrivé. Voulez-vous vraiment suivre un meneur pareil ?
Mais, qu'il ait prit cette décision pour vous ou qu'elle ait été décidée de votre propre chef, vous savez maintenant que c'était le mauvais choix à prendre. Si vous voulez changer de camp, vous savez toujours où nous contacter. Dans tous les cas, nous vous avions prévenue qu'il vous faudrait souffrir si vous refusiez notre aide, et je pense que sa mort sera une punition supplémentaire qui devrait bien vous faire comprendre le prix à payer pour votre rébellion puérile.
Orion Elgar, général de l'Empire de Drake
À cet instant précis, Lym comprit qu'elle haïssait mille fois plus Orion que Drake.
Cette lettre avait tout l'air d'être une lettre de menaces des plus communes, mais plusieurs détails la dérangeaient. Il y avait bien sûr le fait qu'Orion n'ait anticipé le geste de Cave pour lui cacher la lettre, mais le détail qui la titillait le plus était une phrase qui lui faisait bien plus peur que toutes les menaces de la missive. Je pense que sa mort sera une punition supplémentaire.
De qui parlait-il ? S'il disait avoir seulement enlevé Mar et non pas l'avoir tuée, alors pourquoi disait-il que sa mort serait une punition ?
Soudain elle se figea, glacée d'effroi, et la tasse de café qu'elle tenait encore entre ses doigts lui échappa. Elle vint s'écraser au sol dans des éclats de porcelaine et des éclaboussures noirâtres de café qui vinrent piqueter le dessus de lit immaculé. En entendant le bruit fracassant, Larrow grimpa les escaliers pour la rejoindre et vérifier qu'elle allait bien.
- Lym, tout va bien ? demanda-t-il avec un air inquiet en entrant dans la chambre de Mar. J'ai entendu un bruit. Qu'est-ce que... ?
Son regard passa des restes coupants de la tasse de café à la lettre froissée que Lym tenait fermement entre ses doigts.
- C'est Drake ?
- Orion, répondit-elle d'une voix qui, à sa propre surprise, ne tremblait pas. Il faut que j'aille vérifier quelque chose.
- Quoi ?! Lym, ta sœur vient tout juste de se faire enlever et toi tu veux sortir dans les environs de l'endroit où...
- C'est urgent.
Elle dévala les escaliers à toute allure, mais, alors qu'elle arrivait devant la porte, Larrow s'interposa pour l'empêcher de passer. Comment avait-il réussi à la rattraper aussi vite alors qu'elle était partie avant ? Était-ce dû à ses origines Stryges ? Ou seulement à son entraînement acharné avec Markus ?
Kosh et Shay, qui étaient accroupis et prélevaient apparemment des échantillons ADN pour vérifier la culpabilité de Drake dans l'enlèvement de Mar (ce qui était parfaitement inutile, mais bon), se relevèrent et les regardèrent avec surprise. Lym fixa froidement Larrow, qui semblait sincèrement inquiet, voire agacé.
- Tu ne peux pas partir comme ça sans rien expliquer. On est tes amis, Lym, il faut que tu nous fasses confiance et...
- Ce n'est qu'un soupçon, mais, s'il se révèle vrai...
Elle préférait encore ne pas y penser tant cette perspective était affreuse.
- Il sait où tu habites.
- Laisse-moi passer, Larrow, demanda-t-elle d'un ton sérieux.
- C'est dangereux. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose...
- Sean Larrow, laisse-moi passer immédiatement.
Les lumières se mirent à clignoter, ce qui lui fit inévitablement penser à Stranger Things, et plusieurs verres éclatèrent dans la cuisine avec fracas, faisant pleuvoir une myriade de copeaux transparents sur le carrelage. Kosh écarquilla les yeux, choqué. Il fallut plusieurs instants à Lym pour comprendre que c'était elle qui causait tous ces évènements.
Larrow ne sembla pas réellement intimidé par ces démonstrations de magie, et elle le vit par réflexe porter une main à la poignée de son épée pour se défendre si nécessaire. Un peu blessée, elle se demanda s'il pensait vraiment qu'elle oserait lui faire du mal, avant de comprendre avec effroi qu'elle en était parfaitement capable dans sa fureur. Shay s'avança d'un pas.
- Larrow, laisse-la partir.
- Quoi ? Tu ne te soucies donc pas du tout d'elle ?
- Si, mais je la pense capable de se défendre s'il y a du danger... Et, soyons honnêtes, tu ne ferais pas le poids un instant contre une Lym Alley en colère.
Larrow sembla hésiter un instant, puis, à contrecœur, il s'écarta pour libérer le passage vers la porte. Sans réfléchir un instant, Lym sortit en faisant voler la porte contre le mur avec fracas et s'enfuit dans une tornade de cheveux roux sombres.
Le soleil avait commencé à se lever lentement à l'horizon, faisant courir des vagues de couleurs pastel sur la noirceur du ciel. De l'orange pâle, du rose nacré, mais surtout une teinte presque anormale de rouge qui transformait le ciel en marée sanglante. Lym se serait peut-être laissée aller à admirer la magnificence du ciel en d'autres circonstances, mais pas cette fois. Elle courut dans le jardin jusqu'à un amas de ronces derrière lequel, au milieu d'un massif floral, était jeté son vieux vélo à la chaîne un peu rouillée et aux freins cassés, bosselé par les années de balades dans des recoins interdits.
Avec difficulté, elle extirpa le vélo des bégonias dragon flétris par le manque de soins et le tira en se rougissant les mains jusqu'au sentier voisin. Puis elle grimpa dessus et se mit à pédaler à toute allure en cahotant sur des cailloux qui parsemaient l'allée. Derrière elle, elle entendit ses trois amis retourner la maison à la recherche d'un autre vélo. Ils tomberaient vite sur celui de sa sœur qu'elle n'utilisait presque jamais et pourraient la suivre, mais Lym ne s'attarda pas pour qu'ils puissent la rattraper ; elle pédalait à toute allure, sans faire attention aux aspérités qui faisaient parfois sursauter le vélo de manière imprévisible. Elle allait tellement vite, ses longs cheveux fouettant méchamment ses joues, qu'elle ne remarqua pas l'énorme pneu crevé jeté avec imprudence en travers de la route.
La roue avant du vélo heurta durement le pneu et il se renversa sous le coup, faisant tomber lourdement Lym par terre. Elle roula dans les galets et sentit de petites pierres s'incruster douloureusement dans sa peau ; ses paumes et ses joues se criblèrent de petites écorchures et elle sentit un filet de sang en couler, tandis que sa blessure au dos la faisait souffrir, mais elle n'y fit pas attention. Elle se releva d'un bond, saisit fermement son vélo cabossé, le redressa tant bien que mal et se hissa dessus avant de se remettre à pédaler de toutes ses forces.
Elle arriva enfin devant la porte de la maison de Sofy et jeta son vélo par terre, sur la chaussée. Une voiture pourrait en écraser le guidon déjà tordu par les chutes, mais elle n'avait pas le temps de s'en inquiéter. Elle courut jusqu'à la porte de la maison, tapa le code qu'elle connaissait par cœur, arriva sur le palier d'escalier et grimpa les marches quatre à quatre jusqu'à arriver à l'étage où se trouvait l'appartement des Mason. Ses parents, souvent occupés, devaient être en voyage pour leur travail. Lym avança avec le minuscule espoir de s'être trompée quelque part au fond de son cœur.
La porte était ouverte.
Elle dut étouffer un sanglot en entrant dans l'appartement mais, comme elle s'y attendait, il était saccagé. Des chaises étaient réduites à des tas de copeaux de bois, des meubles étaient brisés et, surtout, le tapis était maculé d'immenses taches de sang rouge noirâtre. Ses pires soupçons se confirmèrent. D'un pas vacillant comme celui d'un somnambule, elle s'avança jusqu'à la chambre de sa meilleure amie, qu'elle connaissait par cœur, et ses yeux se remplirent de larmes lorsqu'ils tombèrent sur le cadavre de Sofy.
Immobile, étendue sur le sol de sa chambre, elle avait l'air d'une petite fille innocente ou d'une princesse de contes de fées endormie par un enchantement. Lym accourut en suppliant le ciel d'entendre un battement de cœur dans la cage thoracique de son amie, mais lorsqu'elle retourna son corps, elle sut que tout espoir était vain. Sa peau était déjà glacée comme si on l'avait recouverte de givre et de toute évidence, la mort datait d'une heure au moins. Elle l'allongea sur le dos et put enfin voir son visage ; auréolé de cheveux blond pâle relevés en deux nattes à moitié défaites, il y avait une expression de surprise peinte sur ses traits. Sa bouche était remplie de sang, et une xiphoskia noire était plantée dans sa poitrine, ayant de toute évidence perforé les poumons et lui emplissant les voies respiratoires de sang. Ses yeux brun chocolat autrefois si chaleureux étaient à présent figés et vitreux, fixant sans le voir le plafond de sa chambre. Les lumières clignotantes des ampoules de reflétaient dans ses yeux comme dans deux billes de verre.
- Non, murmura Lym d'une voix suppliante en serrant son corps inerte contre elle. Non, non, non. Tu ne peux pas être morte. Je... Je t'avais dit, je t'avais juré que je ne te lâcherais pas, tu... tu ne peux pas mourir, par ma faute, Sofy, pitié, réveille-toi, ouvre les yeux ! Tu ne peux pas être morte, Sofy, pitié, ouvre les yeux !
Lym se mit à pleurer, et ses larmes salées coulèrent sur le corps ensanglanté de Sofy. Ses mains déjà couvertes de sang à cause de sa chute semblaient à présent avoir été plongées dans une poisseuse et épaisse peinture rouge sombre. Elle ferma les yeux de son amie pour ne plus avoir à regarder leur expression de mort, et serra le corps sans vie et éternellement inanimé contre elle, se balançant sur ses talons d'avant en arrière. Le parfum sucré de fleurs sauvages qu'avait d'habitude Sofy était noyé sous celui, omniprésent et métallique, du sang.
« C'est de ma faute, ma faute, ma faute ! »
Elle avait refusé les essais d'enrôlement de Drake, elle avait repoussé le courroux de ce dernier sur ceux qu'elle aimait. Elle avait cru que Mar et Sofy étaient en sécurité car elles ne faisaient pas partie du monde videntis. Elle les avait toutes les deux liées au danger de leur monde. C'était de sa faute !
- C'EST MA FAUTE ! hurla-t-elle.
Elle sentit sa vue se brouiller de rouge. Un bruit de verre brisé résonna autour d'elle tandis que les vitres des fenêtres s'étoilaient et tombaient en fracas sur le sol, pluie de larmes vitrées et aussi étincelantes que tranchantes.
Des pas résonnaient dans l'escalier, faisant craquer le bois des marches instables, et Lym essuya rageusement les larmes qui maculaient ses joues en essayant de cacher derrière ses mèches poisseuses ses yeux rougis. Elle n'allait pas pleurer devant ses amis. ELLE N'ALLAIT PAS PLEURER.
Soudain, une haine sans nom s'empara d'elle.
« Ce n'est pas seulement de ma faute, mais aussi de la faute d'Orion. »
Larrow pouvait garder l'assassinat de Drake, mais elle, elle s'occuperait d'Orion, et elle lui montrerait toute sa haine.
Elle se releva en serrant les poings. Kosh et Shay entrèrent, suivis d'un Larrow essoufflé qui avait apparemment dû courir car ils n'arrivaient pas tous à tenir sur le vélo de Mar. Ils se figèrent sur le pas de la porte de la chambre qui avait appartenu à Sofy, et leur regard alla du cadavre au sol à la xiphoskia plantée dans sa poitrine et enfin aux mains poissées de sang de Lym et à son regard rouge.
- Lymie, murmura Shay. Lym, je suis tellement désolé...
- C'est Orion, dit-elle d'une voix terrible, pleine d'une haine et d'une tristesse aussi tranchantes que les bris de verre qui recouvraient le sol. C'est Orion qui a enlevé Mar et tué Sofy. Je le retrouverai, j'en fais le serment.
Il y eut un nouveau bruit de verre brisé lorsque les dernières fenêtres volèrent en éclats.
- Je le retrouverai, et je le tuerai.
FIN DU TOME DEUUUUX
Bon, ne dites pas que je ne vous avais pas prévenus. I AM SORRY. Pauvre Sofy 😢
Après AGDV, Annie, Albe et tout le tralala, je suis plutôt habituée à vos réactions et je vais donc de ce pas m'enterrer allégrement dans une grotte en Sibérie pour éviter d'éventuelles pulsions meurtrières. ADIOS AMIGOS !
Désolée également d'avoir posté aussi tard et du manque d'enthousiasme de ce petit commentaire, loooongue journée aujourd'hui... Pardon si je manque un peu d'entrain 😖
🌻 R.I.P. SOFIA MASON 🌻
(chapitre corrigé ✔)
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