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Livre I : Chapitre 44
Lym arriva dans les bois qui bordaient la maison des Alley et grimaça immédiatement lorsque des feuilles s'emmêlèrent à ses cheveux. En tirant sur les mèches pour se défaire des branchages qui les agrippaient comme des mains crochues, elle fila en dehors de la forêt et son regard tomba sur la maisonnette qui leur servait de foyer ; le toit couvert de mousse, la vieille boîte aux lettres en ferraille cabossée, le jardin plein de mauvaises herbes et d'orties.
Elle s'avança jusqu'à la porte, qui grinça désagréablement sur ses gonds lorsqu'elle la fit pivoter, lui rappelant avec un air de reproche qu'elle n'en avait pas huilé les jointures rouillées depuis des millénaires. Dans la cuisine, Mar mordillait son stylo avec un air concentré, une tasse de café bien noir, comme elle l'aimait, à côté des fiches bristol recouvertes de notes écrites en patte de mouche et éparpillées sur le bar craquelé. Une mèche coupée court lui tombait devant les yeux et, bien qu'elle eût l'air fatigué, son visage s'illumina dès qu'elle la vit entrer.
- Merry !
- Lym, rectifia celle-ci en s'avançant vers sa sœur pour la serrer affectueusement dans ses bras. Tu m'as manqué, Mar !
La jeune femme de dix-sept ans, comme d'habitude, était apprêtée et toujours aussi jolie ; certes, Lym vit des traces de cernes sous ses yeux – sa sœur passait sa vie à travailler, contrairement à elle – mais elle restait l'une des adolescentes caecus les plus belles qu'elle ait connues. Si elle n'avait pas voulu être architecte un jour, elle l'aurait bien vue mannequin.
- Je voulais te parler d'un truc... commença la cadette, gênée, en jetant avec désinvolture son sac sur le canapé défoncé, écopant d'une œillade sévère de sa sœur.
- Oui, quoi ? Tu as besoin de conseils avec un garçon ? C'est lequel ? Larrow ? Shay ?
- Non, Mar, je n'ai pas besoin de conseils, bon sang...
Elle leva les yeux au ciel. Sa sœur était pire avec elle que Sofy, cherchant à la tirer du célibat avec la discrétion d'une bombe atomique. Bon, en même temps, elle n'était peut-être pas vraiment celle à blâmer ; elle-même aurait vendu son âme pour voir certains de ses personnages préférés de séries s'embrasser. Sans vouloir être dramatique, la relation entre ses « ships » lui importait un millier de fois plus que sa propre vie amoureuse.
- En fait, reprit elle en allant vers le frigo, qu'elle ouvrit, mon lycée organise une... euh... sortie la semaine prochaine.
Elle grogna de mécontentement en voyant le contenu du frigidaire. Yaourts nature trop acides, céleri et autres légumes insipides, un petit tas de pommes, quelques steaks végétariens, un vieux paquet de céréales sans sucre et des haricots verts surgelés. Avec sa sœur qui s'essayait au régime et essayait de la contaminer au passage, elle avait toujours été en manque de sodas et autres « cochonneries ». Mais maintenant qu'elle habitait à Eleuth durant toute la semaine, Mar reprenait ses droits alimentaires dans le frigo et les placards.
Lym fouilla dans le tas de pommes rouges pour y dénicher l'unique pomme verte qui s'y trouvait et croqua dedans en faisant claquer la porte plastifiée. Il faudrait qu'elle pense à y laisser traîner des biscuits au chocolat ou quelque chose qui lui permettrait de réaffirmer son territoire.
- Une sortie ? répéta Mar en fronçant les sourcils.
- Oui. On va partir durant à peu près une semaine, alors peut-être que je ne serais pas de retour samedi.
- Je vois... Et vous partez où ?
« Ben, à St Petersburg, en Russie, bien sûr. On va traquer des Anges et des dragons rebelles. Ça va être trop fun ! »
- Pas loin. On va visiter des musées, tout ça. Bien ennuyeux, quoi.
- D'accord, soupira sa sœur, mais où ?
Lym baissa nerveusement les yeux vers sa pomme en se demandant pourquoi la bouchée qu'elle en avait prise n'avait pas la forme parfaitement arrondie du logo d'Apple. Puis elle se demanda pourquoi les cerises n'étaient pas le logo d'Apple, et, enfin, se souvint que si les cerises étaient le logo d'Apple, Apple devrait s'appeler Cherry et pas Apple. Très fière de sa petite conclusion, elle releva la tête pour en faire part à Mar puis remarqua qu'elle attendait une réponse et paniqua totalement.
- Vers le... sud... de... l'Afrique. Je veux dire l'Angleterre. Espagne. Russie. Écosse.
Le regard que lui lança sa sœur était celui qu'elle lui aurait adressé si elle avait affirmé être en fait originaire d'une dimension parallèle où elle était le maire du Groenland.
Lym eut un petit rire nerveux. Si elle n'avait pas trop de mal avec les mensonges, elle n'avait jamais réussi à mentir à sa sœur et paniquait dès qu'elle était censée le faire. Qu'elle soit parvenue à lui cacher sa nature de videntis aussi longtemps était un vrai miracle.
- Ouais. Ça.
- En Écosse, répéta Mar, l'air sceptique. D'accord... Et on doit payer combien ? Il te faut des papiers ? Je peux voir le mot de ton professeur ?
- Alors... Non.
Elle commençait à paniquer. Comment convaincre sa sœur qu'elle allait vraiment faire un voyage avec sa classe alors qu'elle n'avait absolument pas la moindre fiche d'information de la part de son prétendu lycée d'art ?
Pour tout dire, elle n'y avait pas réfléchi. C'était sa spécialité, ça. Ne pas réfléchir. Sérieusement, pourquoi Cave n'avait-il pas prévu cette situation ? Le système d'organisation Dragomir laissait à désirer. Enfin, il était sans doute trop occuper à éviter un massacre du camp ennemi pour se soucier de lui imprimer de faux formulaires.
Et puis, elle n'avait pas vraiment le droit de critiquer le système d'organisation de qui que ce soit, étant donné le sien qui était des plus douteux.
Mar eut un long soupir.
- Écoute, Lym, si tu veux juste partir faire du camping ou des pyjamas parties avec tes nouveaux amis... Tu peux me le dire, tu sais. Tu n'as jamais su me mentir.
Elle sentit une infinie vague de soulagement la submerger et profita de cette solution qu'elle lui tendait sur un plateau d'argent.
- Oui... désolée, je savais pas comment tu réagirais...
- Tu as quinze ans, répondit Mar. À cet âge-là, je te fais confiance pour aller chez des amis. Mais dis-le-moi la prochaine fois au lieu d'inventer des histoires farfelues, d'accord ?
- D'accord.
- Alors, tu vas chez qui ?
- Euh... Elyra.
Elle hocha la tête, tandis que Lym se mettait à jongler avec sa pomme.
- Et vous allez faire quoi ?
- Oh... tu sais, euh... sa maquiller... euh... parler des garçons et filles qui l'intéressent... et... tricoter... ?
Pour sa défense, elle n'avait jamais participé à aucune pyjama party. Sauf avec Sofy, avec qui elle avait des habitudes sortant de la moyenne, comme se préparer des potions avec du poivre et du sirop de menthe et se défier de les boire.
Mar haussa les sourcils comme si elle ne la croyait pas mais ne fit aucun commentaire.
- Compris. Ne faites pas de bêtises, c'est tout.
Ne pouvant pas croire qu'elle ait réussi à la convaincre de la laisser faire ce qu'elle voulait de son temps la semaine prochaine, elle fila ventre à terre jusqu'à sa chambre où elle se réfugia avec soulagement. Sans même réfléchir, elle se laissa tomber sur son lit et s'endormit pour ne se réveiller que le lendemain, alors que le soleil venait timidement poindre à l'horizon.
Un peu plus tard, elle avait rendez-vous dans la clairière qui se trouvait à l'arrière de St Exupéry avec Sofy, qu'elle n'avait pas vue depuis une semaine malgré leurs conversations téléphoniques et qui lui manquait donc horriblement. Elle essaya de mettre un peu d'ordre dans sa chambre, mais, évidemment, ce ne fut absolument pas un succès et c'était encore pire après le rangement qu'avant.
Elle sortit finalement de chez elle un peu abattue, mais toute trace de tristesse s'envola lorsqu'elle arriva dans la petite clairière et y trouva son amie, assise sur une souche d'arbre, son vélo adossé à un tronc écorcé un peu plus loin. Étant le petit ange innocent qu'elle était, elle était occupée à mettre des marguerites dans ses cheveux avec un sourire immense ; ses deux tresses blondes ressemblaient plus à un énorme bouquet de fleurs blanches qu'à de véritables nattes. Lorsqu'elle la vit, elle en laissa tomber les marguerites qu'elle tenait dans ses mains et son visage s'illumina.
- Lyyym, s'écria-t-elle en se précipitant vers elle en la serrant dans ses bras.
- Sofyyy, répliqua Lym en riant et la serrant contre elle.
Une semaine ne passait pas sans qu'elles aient des retrouvailles dignes d'une séparation de cent ans. En la serrant contre elle, elle remarqua que soit Sofy avait rapetissé, soit Lym avait grandi, ce qui était sans doute plus probable.
- Comment ça se passe, le lycée ? demanda la jeune fille rousse en s'écartant de sa meilleure amie. St Exupéry, les notes, et puis Ash, aussi ?
- Ça se passe à merveille. Depuis qu'Ash est là, j'ai plus l'impression d'être aussi seule... Même si tu me manques toujours horriblement, avoua-t-elle.
- Toi aussi, tu me manques beaucoup, tu sais...
Sofy hocha la tête avec des infinités d'étoiles dans ses grands yeux bruns, puis il sourire malicieux gagna ses lèvres.
- Il faut vraiment qu'on se voie plus souvent, ou un jour je te reverrai et tu feras deux fois ma taille.
- Pfft, n'importe quoi.
- Tu plaisantes ! T'es une géante !
- C'est toi qui es minuscule, espèce de naine !
Sofy se mit à rire, et elle la tira par la manche pour la conduire vers son vélo pour qu'elles aillent faire un tour.
Même si « faire un tour » se résumait souvent pour elle à faire trois mètres avant d'avoir à s'arrêter pour admirer avec un air béat des papillons ou bien des pétunias qu'elle trouvait sublimes, Lym ne lui aurait jamais refusé une balade. Avec le voyage à St Petersburg de la semaine prochaine pour visiter l'Ange Wingel, la Prophétie Angélique proférée par l'Ange Ewynn qui semblait la concerner, la menace de Drake, son dragon capricieux qui commençait tout juste à l'apprécier, elle devait chérir chaque instant d'une vie « normale » auxquels elle avait encore droit par intermittence.
Les deux jeunes filles firent un tour dans la forêt à vélo, passèrent effectivement devant un millier de détails que Sofy trouva fascinants, puis se dirigèrent vers le village.
- On va aller voir Ash ? demanda Lym, un peu anxieuse.
- Non, il préfère me laisser passer du temps avec toi, répondit-elle en haussant les épaules. Je le verrai lundi, de toute façon.
- Du coup on fait quoi ?
- Je sais pas, tu veux prendre une glace ?
- Encore ? rit Lym. On le fait à chaque fois !
- Mais c'est bon, les glaces ! protesta son amie en lui faisant ses yeux de chiot abandonné.
- Bon, bon, allons chercher des glaces.
Son visage s'illumina de nouveau et elle pédala de plus belle. Devant le glacier, Lym demanda un cornet aux parfums assez extravagants de citron-menthe, cerise et cassis, tandis que Sofy se contentait d'une glace à l'italienne aux goûts fraise et vanille.
Elles sortirent et allèrent faire un tour dans le parc, puis Sofy prit un air surexcité en pointant du doigt le magasin de gaufres, le visage encore couvert de glace.
- Quoi ? s'étouffa Lym.
- Quoi ?
- Une gaufre ?
- Mais j'ai faim !
- Pas question. On n'achètera pas de gaufres.
Elles achetèrent des gaufres.
Effectivement, elles étaient délicieuses. Et, de toute façon, voir une Sofy aux cheveux tressés piquetés d'avalanches de marguerites avec un visage maculé de glace à la fraise et de caramel, un énorme sourire aux lèvres, était déjà une assez grande récompense pour acheter deux gaufres assez imposantes.
Comme elles n'avaient rien d'autre à faire, elles allèrent faire un tour au travers de la ville et passèrent de nouveau devant le portillon de St Exupéry. Lym se sentit légèrement nostalgique de l'époque où elle croyait encore qu'elle n'était qu'une lycéenne un peu trop imaginative. Après avoir terminé leur longue balade, Lym et Sofy, sous la lumière rougeoyante du soleil couchant, durent se dire au revoir.
- On se revoit samedi prochain ? proposa Sofy en souriant jusqu'aux oreilles.
- Je ne sais pas si je pourrais être là samedi, avoua Lym en se rappelant de son voyage en Russie qui risquait de déborder un peu sur le week-end. En revanche, dimanche, oui.
- Génial ! Ici, alors ? Comme d'habitude ?
- Ça m'a l'air parfait, répondit-elle, le visage contaminé par le sourire contagieux de son amie. Si tu veux, tu peux même apporter Ash, d'accord ?
- Yes ! Super ! Mais cette fois, t'arrives pas en retard, comme d'habitude, hein ?!
- Mais non, rit Lym. Je te lâcherais pas.
Sofy hocha la tête avec un immense sourire et la serra dans ses bras.
- À dimanche, alors, Lymie ! Bonne chance !
Elle la salua d'un geste de la main puis grimpa sur son vélo et s'éloigna en pédalant. Lym lui rendit son geste en souriant puis elle se détourna et rentra chez elle. Le soir était tombé lorsqu'elle arriva enfin devant le portillon grinçant qu'elle poussa d'un geste ; entrant dans le salon qui donnait sur la cuisine, elle vit immédiatement Mar.
Sa sœur s'était endormie sur son étalage de feuilles bristol éparpillées, et sa joue était écrasée contre le papier. Sa tasse de café noir, froid, à présent, reposait à côté du plan de travail ; elle était encore toute habillée, affalée contre le buffet, et Lym sentit un élan de tendresse envers sa sœur la submerger. Attrapant une couverture qui traînait dans un coin, elle l'étendit sur ses épaules puis déposa un baiser sur son front et quitta discrètement la salle en gravissant les escaliers pour arriver dans sa chambre.
Elle se laissa lourdement tomber sur son lit quand soudain, une triste évidence s'imposa à elle.
Si elle voulait s'infiltrer à la soirée dansante d'Akim Aleksandrov à St Petersburg et parler à l'ange Wingel, il lui faudrait porter une robe de bal. Elle gémit de frustration.
- Noooon, marmonna-t-elle en attrapant un coussin et le regardant comme s'il était responsable de tous les malheurs du monde, mais le coussin ne semblait malheureusement pas comprendre la raison de ses états d'âme.
Les robes ne la dérangeaient pas forcément plus que ça, mais les robes de bal trop traditionnelles avec leurs froufrous et leurs volants de dentelle la dégoûtaient plus qu'autre chose. En râlant contre à peu près tous ceux qu'elle croisait, c'est-à-dire murs, vases et papier-peint, elle s'infiltra dans la chambre de Mar. Entre elles, elles s'étaient toujours prêté des vêtements, jusqu'à ce que leurs goûts vestimentaires commencent à diverger ; sa sœur ne verrait sans doute rien contre un petit emprunt.
Elle fouilla dans les robes qu'elle avait, qui étaient affreusement nombreuses, mais aucune ne lui convenait vraiment. Il y en avait des longues, des courtes, avec des cols divers, des motifs extravagants, de couleur vives ou bien noires, mais aucune à son goût. Elle finit par en choisir une verte émeraude, très longue, sombre et plutôt discrète sans cesser d'en être belle. Sur Mar, elle devait être totalement sublime, mais, sur elle, elle était persuadée de ressembler à un calamar enrhumé... Comme d'habitude.
Avec un soupir, elle la mit dans son sac qu'elle avait prévu d'emmener en Russie, avec un livre, de quoi se changer, son carnet de croquis et de l'argent de poche. Pour elle qui n'avait jamais voyagé ni vu la mer jusqu'à son arrivée à Eleuth, une mission à St Petersburg lui paraissait être une aventure incroyable.
Son plan avait prit forme dans sa tête depuis longtemps ; arriver en Russie, attendre le jour du bal, puis laisser ses amis à la recherche du dragon durant quelques heures pour s'infiltrer discrètement dans un bal hyper sécurisé réservé aux personnalités haut placées, puis trouver un Ange dont elle ne connaissait même pas le visage, pour essayer de réussir à lui parler sur un sujet qu'elle n'était pas censé connaître et dont elle n'avait des information que par illégalité totale.
Vraiment, qu'est-ce qui aurait pu mal se passer ?
OMG MERCI POUR LES 3k VOUS ÊTES LES MEILLEURS!!!
(chapitre corrigé ✔)
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