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Tome I : Chapitre 19
Lym et Sofy continuèrent de discuter un moment, et la Dragomire essaya de lui expliquer avec précision tout ce qu'ils avaient fait en modifiant tout ce qui était magique pour le rendre plus habituel et supportable. Elle omit de préciser l'arbre géant, les Anges et les enchantements. Sofy écouta avec attention en lâchant parfois de petits commentaires, posant des questions, s'indignant des mauvais côtés et s'émerveillant des bons. Elle était particulièrement bon public.
Puis ce fut au tour de Lym de demander à son amie si elle allait bien et si le lycée avait des nouveautés. Elle ne se fit pas prier pour lui répondre.
- Pas grand-chose, à vrai dire. Hier, Elliott Franklin s'est fait coller, Katia et Marc sortent ensemble et... Et c'est tout, en fait.
- Et ils ont rebouché le trou dans la clôture ? demanda Lym, curieuse de savoir comment avaient réagi les professeurs face à cette cavité béante dans leur grillage.
- Quel trou ?
Les épaules de Lym s'affaissèrent et elle soupira. Elle avait oublié que les caecus ne voyaient que ce qui les arrangeait, et qu'ils ne remarqueraient sans aucun doute pas le fil de fer fondu qui éclaboussait le sol de leur cour ni la déchirure inexplicable dans la grille. Sofy, d'ailleurs, avait déjà totalement oublié les évènements qui s'étaient déroulés plusieurs jours plus tôt au lycée.
- Rien... Laisse tomber, marmonna Lym avant d'essayer de changer de sujet. Sinon, tout va bien ? Tu n'es pas trop seule ?
- J'ai commencé à parler à cette fille, là, Katia, mais... je sais pas. Elle est pas...
Elle pouvait presque la sentir hausser les épaules, bien qu'elles fussent à des kilomètres l'une de l'autre – elle ignorait où exactement était Eleuth, mais les plages blanches montraient qu'elle n'était pas vraiment à proximité de chez elle. Ni de l'Angleterre en général.
- Je sais pas, Lym. Tu me manques. C'est vide, sans toi. Trop calme. Personne pour faire exploser des trucs et lancer des vannes pourries en classe.
- C'est sûr, je suis irremplaçable, essaya-t-elle de plaisanter, mais le cœur n'y était pas.
Elle aussi, Sofy lui manquait, et elle aurait du mal à s'habituer à son absence ; au fond, elle savait que son amie espérait toujours qu'elle ne se plaise pas dans son école d'art et revienne à St Exupéry, mais elle ne pouvait pas comprendre. L'Académie était le seul endroit où des personnes comme elle continuaient d'exister et d'évoluer, même si, puisqu'ils descendaient tous de sept videntis originels, ils n'étaient donc pas très nombreux. Mais ils étaient toujours vivants et voyaient les mêmes choses qu'elles, ils apprenaient à différencier un Stryge d'un Neuri, ils dressaient des dragons et les protégeaient.
Puis, bien sûr, il y avait Drake et son Empire. La seule touche de noirceur dans cet univers fantastique et empli d'une perfection qui en frôlait l'irréalité ; bien qu'elle ne sache pas grand-chose sur lui, elle savait par exemple qu'il exploitait une Toxine découverte durant la dissection du corps d'un dragon et qu'il l'utilisait pour contrôler et asservir ces créatures. S'il pouvait forcer un dragon à lui obéir au doigt et à l'œil et qu'il était parvenu, des années plus tôt, à entrer à l'Académie pour massacrer ses dirigeants, mais qu'il kidnappait aussi des videntis que l'on ne revoyait jamais et qu'en plus il était caché sur une île appelée Arcem où il bâtissait peut-être une armée de dragons obéissants, Drake pouvait parfaitement être invincible. Impossible de savoir ce qu'il faisait aux videntis qu'il enlevait, comme Orion Elgar avait essayé d'enlever Lym elle-même ; des expériences, peut-être ? Ou, plus probable, il pouvait être en train de se constituer une armée. En tout cas, sa menace était pesante. Surtout qu'il était totalement introuvable... Son ombre grandissante n'en était que plus difficile à neutraliser ou éradiquer.
Malgré cette présence sinistre qui se mouvait silencieusement dans les ténèbres, elle savait qu'elle appartiendrait dorénavant et à jamais au monde des Dragomirs. Revenir dans l'univers aveugle des caecus ne lui semblait pas du tout être une bonne idée ; que l'on le veuille ou non, et bien que cela lui brise le cœur car deux des êtres qui lui étaient les plus chers en faisaient partie, ce monde-là ne serait plus jamais pleinement le sien. Peut-être, en réalité, ne l'avait-il jamais été. Elle s'était toujours sentie exclue, perdue, mise à l'écart, pas seulement par sa sœur et les autres adolescents mais par la société entière. Elle revoyait encore les mères tenir leurs enfants éloignés d'elle en primaire, lorsqu'elle dénonçait leur professeur d'avoir lu dans ses pensées ou des lutins de vivre dans les toilettes, affirmant à leur précieuse progéniture que la gamine aux cheveux roux, là-bas, n'était pas fréquentable. Elle se souvenait clairement des longues nuits qu'elle avait passées à regarder désespérément son reflet dans le miroir, ses interminables cheveux roux sombre que l'orage bouclait, ses yeux verts, sa pâleur, son insupportable acné, ses taches de rousseur qui criblaient son petit nez retroussé, la profondeur de son regard énigmatique et rêveur ; scrutant ce visage qui était le sien mais qu'elle considérait déjà comme un masque impossible à décrypter à la recherche d'une imperfection notable ou d'un trait physique qui la différencierait des autres. L'enfant qu'elle était avait passé tant de temps à chercher ce qui la rendait si étrange avant de comprendre que c'étaient ses mots et ses visions qui la mettaient à part, et que chirurgie ou maquillage ne pourraient jamais changer ça. Elle avait alors découvert les livres et, en eux, ses seuls amis d'alors, des êtres fictifs, dont la vie était mille fois plus intéressante que sa propre existence. De toute son âme, elle avait souhaité devenir le personnage d'un livre, vivre les mêmes aventures que des héros, et elle avait comprit qu'elle pouvait l'être simplement en se perdant dans la lecture et la peinture. Ses dessins et ses livres étaient devenus ses seuls amis, les seuls capables de la réconforter ; c'était comme avoir toujours un ami dans sa poche.
Et elle était toujours restée à part avec son bouquin, ses carnets et ses crayons pendant que ses camarades jouaient avec leurs cordes à sauter et leurs jeux de cartes. Jamais, depuis, elle n'avait recherché compagnie humaine, déduisant des expériences qu'elle avait vécues que le monde réel était rempli d'idiots qui ne la comprendraient jamais. Jusqu'à l'arrivée de Sofy. Qui lui avait prouvé que, peut-être, le monde réel n'était pas totalement perdu. Que, peut-être, il y avait des bijoux de bonté et d'empathie dans cet univers trop empli de problèmes stupides et d'hommes cupides.
Elle avait passé tellement d'années à souhaiter se retrouver dans l'un de ses livres de fiction, à vivre une exaltante aventure auprès de fées et de dragons. Voilà qu'une occasion en or se présentait devant elle. Son aventure à elle serait-elle aussi belle que celle des personnages qu'elle avait admirés et chéris comme de véritables amis ?
- Lym ? demanda Sofy à l'autre bout du fil, la ramenant sur Terre.
- Pardon, s'empressa-t-elle de répondre. Je suis désolée, j'étais perdue dans mes pensées.
- Tu dois être épuisée, répondit son amie d'un ton compatissant. Va donc dormir. On reparlera demain, ou après-demain, et on se voit ce week-end, d'accord ?
- D'accord.
Sans s'expliquer pourquoi, Lym revit apparaître devant ses yeux la petite fille aux grands yeux marron innocents qu'elle retrouvait chez Shay. Par-dessus son livre élimé par les relectures, elle avait découvert ce petit visage rond avec ses deux nattes blondes qui sursautaient sur ses épaules et son sourire trop pur, trop amical pour ce stupide monde. « Coucou » avait commencé la fille à la voix fluette en lui souriant, soulevant ses joues rondes et enfantines, et lui tendant la main pour l'aider à se relever. « Tu es toute seule ? Moi, c'est Sofy. »
Elles avaient huit ans.
Lym sentit son cœur se réchauffer et eut un sourire, le regard perdu vers le sud d'Eleuth où se trouvait la forêt griffue.
- Sofy... Merci.
Il y eut un court instant de silence à l'autre bout du fil, et elle crut que son amie pleurait, mais lorsqu'elle lui répondit, ce fut avec la même voix fluette et gonflée de joie avec laquelle elle s'était adressée à la petite fille rousse qui lisait son livre, assise dans un coin, dos au mur. Bien que sa voix eût mûri, c'était indéniablement la même.
- Je sais pas pourquoi tu me remercies, Lymie, mais je ne te dois rien. Tu as l'air épuisé, et, à vrai dire, moi aussi. Allez... à demain ?
- À demain. Bonne chance au lycée.
Lym raccrocha puis regarda encore un instant l'écran de son téléphone, qui illuminait son visage de lumières bleuâtres dans l'obscurité de la nuit noire. Alors qu'elle allait fermer les rideaux et aller se mettre en pyjama, elle entendit une voix à sa droite.
- Ton amie a l'air d'être quelqu'un de super. Je suis sûre qu'on s'entendra bien !
Elyra, ses cheveux frisés retombant sur ses épaules, lui souriait de la fenêtre voisine, dans un grand pyjama de soie violette et argentée. Un ruban de la même couleur essayait de retenir ses mèches folles, sans grand succès.
- Je pense aussi, approuva la jeune fille rousse, agréablement surprise de l'y trouver.
- Tu trouves que je lui ressemble ?
- Non. Personne ne ressemble à Sofy, ni à toi. Chacun à vraiment un caractère très individuel, je trouve.
Elyra haussa les épaules.
- Si tu le dis. En tout cas, comment as-tu trouvé cette première journée ?
- Incroyable. Dis, tu as déjà vu un Ange ?
- Holà ! rit son amie, amusée. Je suis ici depuis deux semaines grand max, et tu penses que j'ai déjà vu un Ange ? J'ai à peine entrevu des dragons. Heureusement que demain, on a cours à ce propos.
- Vraiment ? s'étonna Lym, enthousiaste.
- Oui. Demain on a Contrôle et Soin des Dragons, deux matières géniales, et le surlendemain, on a une journée entière de Combat.
- Combat...
Pensive, elle se remémora les armes d'Orion Elgar : le fouet enflammé à la Wonder Woman, et la longue épée de fer noir torsadée qui semblait être une version plus grande des baguettes de téléportation de Cave. Larrow avait appelé ce long cylindre énormément lourd une xiphoskia ; il avait aussi dit que ces armes étaient typiques de l'Empire de Drake.
- Avec quoi va-t-on combattre ? Des épées ? Des fouets ?
- Je vais quand même pas te gâcher la surprise ! répliqua Elyra avec malice.
- Oh, je t'en prie, protesta Lym. J'aimerais vraiment savoir. Orion avait une xiphoskia et un fouet bizarre. On ne va pas utiliser ça, si ?
- La xiphoskia est une infamie démoniaque, répondit l'autre avec un dégoût palpable. Même moi, je le sais. Essaie de ne pas t'en approcher trop. Cette chose est des plus horribles, et elle a été créée par un Egna renégat il y a des lustres et oublié à cause de ses propriétés de magie sombre. Malheureusement, cet oubli a été de courte durée. Drake l'a fait ressurgir dans les pensées en relançant sa création ; la xiphoskia est vite devenue son emblème, comme l'œil des videntis est devenu celui des Dragomirs.
- Je ne comprends pas. Pourquoi détestes-tu autant ces armes ? Tu es pacifiste ou un truc comme ça ?
Elyra dut retenir dans son poing un éclat de rire qui aurait réveillé tous leurs voisins.
- Pacifiste ? Tu ne dirais pas ça si tu m'avais vu manier mes couteaux. Mais si je déteste autant ce type d'arme, c'est parce qu'elles sont faites de roches aveugles, comme on les appelle. Ces rochers étouffent les pouvoirs jusqu'à les réduire à néant. Tant que tu es prêt d'une xiphoskia, tu es incapable de t'en servir. Tout bon Dragomir déteste cette roche aveugle qui nous retire un morceau de nous. Drake a taillé ses lames dans ces pierres qui nous brident et nous empêchent d'utiliser nos pouvoirs. Seul celui qui tient une xiphoskia est préservé de son emprise.
Lym enregistra l'information, pensive. Effectivement, ses pouvoirs ne s'étaient déchaînés durant son affrontement avec Orion Elgar que lorsqu'elle avait poussé l'épée noire loin d'elle. Et le soldat n'avait d'ailleurs jamais utilisé ses capacités sans ranger l'arme dans son fourreau d'abord.
- Quant à ce fouet... s'il était enflammé, ce doit être l'une de ces anciennes armes qu'ont fabriquées Anges et Egnas main dans la main quand ils unissaient encore leurs talents. Mais de quel Orion parles-tu ?
La jeune fille lui relata ce qui était arrivé ce soir-là, quand Orion Elgar l'avait attaquée avec son apophis, son fouet et sa xiphoskia pour essayer de la kidnapper et de la ramener à Arcem, sous le pouvoir de Drake. S'il avait réussi à accomplir son sombre dessein, peut-être personne ne l'aurait-il jamais revue ; d'après Larrow et Cave, ceux qui étaient emmenés vers l'île maléfique n'en revenaient pas.
Elyra l'écouta avec attention, et demanda à voir les plaies que le fouet avait tracées dans son dos, mais Lym préféra refuser. Si elle lui avait montré les longues cicatrices qui tigraient la peau pâle de son dos, elle lui aurait aussi montré toutes les autres balafres que lui avaient values ses petites bagarres avec les mecs de St Exupéry, et elle préférait les garder pour elles car cela aurait suscité trop de questions. Lorsqu'elle eut terminé, Elyra avait l'air impressionné.
- Je n'imaginais pas que tu aies autant traversé pour venir jusqu'ici ! Moi, un élève plus âgé prénommé Luca, je crois, ou Lucas, ou Lukas, est simplement venu me chercher pour me mener à Cave, qui m'a tout expliqué, et c'est tout.
- Apparemment, j'ai des pouvoirs trop puissants qui ont attiré Orion jusqu'à moi.
Elyra bâilla à s'en décrocher la mâchoire, et Lym sourit.
- Si je t'ennuie à ce point, tu n'avais qu'à me le dire !
- Non, c'est loin d'être ça, je suis seulement totalement crevée !
- Oui, disons ça ! sourit-elle. Et si on allait dormir ? Je crois qu'on en a besoin.
Elyra approuva en hochant énergiquement la tête puis lui adressa un sourire fatigué.
- Bonne nuit, Lym.
- Bonne nuit, Elyra !
Elle referma ses rideaux, et son amie en fit de même. Lym, songeuse, alla se changer, lut pendant qu'elle se lavait les dents, et essaya tant bien que mal de démêler sa tignasse rousse indomptable. Elle finit par abandonner et se promit de se faire un shampooing dès l'aube dans l'espoir de rendre ses cheveux moins gras et de venir à bout des multiples nœuds qui les parcouraient.
Avant d'aller dormir, il lui fallait toujours sa quotidienne séance de dessin. Elle enfila donc un pyjama avant d'aller prendre ses tubes de gouache et ses pinceaux de différentes tailles ainsi que son chevalet, puis commença à peindre tout ce qui lui passait par la tête. Elle savait déjà, en réalité, ce qu'elle voulait dessiner. Rapidement, sur le chevalet, apparut le visage parfait d'un Ange aux duveteuses ailes à l'immensité et la douceur déroutantes, la sombre perfection des Stryges et des Nyx, la fourrure foisonnante des Neuri sous transformation, le manteau lisse des Selkies, l'aile et l'œil irisés d'un Fé, et le visage à la beauté ensorcelante de l'Egna. Pourtant, elle eut beaucoup de mal à représenter le visage de ce dernier, qu'elle passa une éternité à peindre et repeindre par couches superposées et gribouiller au crayon à papier sur des feuilles froissées ; elle finit par abandonner, incapable de saisir la noirceur qui émanait des traits des Egnas. Elle dessina précautionneusement tout le reste de la créature, puis laissa une tâche floue et vague à la place du visage.
Puis elle laissa de côté les Êtres incroyables et se focalisa sur les humains qu'elle avait côtoyés à l'Académie.
La pâleur du beau visage de Larrow, sa tête posée sur ses doigts arachnéens, ses yeux bleus, vifs et clairs, ses cheveux courts et bruns qui bouclaient légèrement, son maigre sourire encourageant apparurent vite sur la toile. Puis la peau sombre aux milles teintes d'Elyra, son sourire et ses cheveux frisés qu'il lui fallut un éternité pour reproduire correctement avec toutes les teintes d'or et de bronze qui y couraient, et ensuite la chevelure noire de Kosh avec ses sombres yeux tempétueux d'une magnifique teinte bleu marine, son air gentil et empathique. Et enfin Shay, son sourire malicieux, ses grands yeux bruns de Bambi, le pli soucieux de son front, les étincelles d'or dans son iris.
Enfin, avant d'aller se coucher dans son pyjama à présent tacheté de gouache colorée, elle regarda l'heure et eut un soupir. Lorsqu'elle commençait à peindre ou à lire pour cinq minutes, c'était toujours la même chose ; le temps filait sans qu'elle ne puisse s'en apercevoir. Adieu la solide nuit de sommeil.
S'asseyant sur le lit, elle mit à charger son portable – comment fonctionnait l'électricité sur l'arbre, ça, c'était la question à se poser, mais elle était franchement trop fatiguée pour s'interroger – et mit la sonnerie pour le lendemain qui se réitérerait plusieurs fois. Sinon, elle savait qu'elle ne parviendrait pas à se lever. Ensuite, elle se laissa tomber sur son lit, regarda autour d'elle et se dit qu'il faudrait, décidément, qu'elle fasse un peu de rangement. L'étroitesse de la chambre n'arrangeait pas l'impression de désordre qui y régnait, loin de là. Laissant retomber sa tête sur son oreiller, elle leva les yeux vers le plafond et laissa un sourire gagner ses lèvres. Sa première journée de cours s'était plutôt bien passée, finalement. Pour la toute première fois, elle se sentait vraiment à sa place.
(chapitre corrigé ✔)
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