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Tome I : Chapitre 12
Cléandra eut un rire sifflant, et elle profita se son inattention pour lui donner un coup de pied en plein ventre, avec une brusquerie qui lui coupa le souffle ; l'autre n'eut pas le temps de répliquer qu'elle s'était déjà faufilée derrière elle pour lui donner un coup de poing dans la nuque avant de lui faire un croche-pattes qui la fit tomber à genoux.
Tous les élèves de la cafétéria s'étaient réunis autour des deux adolescentes, et elle vit du coin de l'œil trois personnes empêcher la bande de Cléandra de s'attaquer à elle.
Elle n'était pas aussi massive ou forte qu'elle, mais au moins, elle était vive et impulsive, rapide et svelte. Lym lui avait déjà porté trois coups avant qu'elle n'ait eu le temps d'amorcer un geste pour se redresser : Cléandra lui donna soudain un coup sec au pied qui l'envoya voler à plusieurs mètres d'elle, et la rousse retomba sur le sol de bois sec en se cognant le crâne, une douleur aiguë lui vrillant la tête. N'y avait-il donc pas de professeurs pour intervenir dans cet arbre ? Le bouledogue était déjà à côté d'elle et allait lui donner un dernier coup, mais elle reprit ses esprit, pleine d'adrénaline et de spontanéité, et évita son attaque pour se glisser sous son bras, passer derrière elle et la frapper brusquement dans le dos, la faisant s'écraser par terre comme un rhinocéros anesthésié par une fléchette paralysante.
La mâchoire et la cheville toujours douloureuses, Lym se redressa et toisa froidement Cléandra, qui se redressa avec un grognement d'ours avec l'aide de deux de ses acolytes gigantesques. Il y avait une haine sans nom dans ses yeux sombres, et Lym sut qu'elle allait chercher à se venger, mais elle n'avait pas peur : l'adrénaline n'était pas encore retombée en elle et elle se sentait toujours chargée comme une pile électrique.
- Je parie que c'est la première fois qu'on te tient tête, pas vrai ? Il fallait bien que ça arrive à un moment, Cléandra. Et tu vas devoir t'y habituer si tu as pour intention de martyriser les nouveaux venus. Si ça te fait plaisir, retourne jouer avec tes admirateurs, mais fous-moi la paix ou je te renvoie ton égo à la figure. Vue sa taille, ça risque de te faire mal, ma pauvre.
Cléandra serra les poings si fort qu'elle crut qu'ils allaient éclater, et elle s'avança comme si elle allait la frapper une nouvelle fois, mais quelqu'un jaillit de la foule pour s'interposer. C'était une fille à la peau sombre, aux épais et frisés cheveux bruns, mais elle lui tournait le dos, de façon à ce qu'elle ne puisse pas voir son visage.
- Ça suffit, lâcha l'inconnue.
Elle se tenait droite, le menton levé, et malgré son air un peu crispé et hésitant, sa voix, elle, était ferme.
- Vous vous êtes assez tapées dessus, tu penses pas, Coff ? Laisse cette fille tranquille, tu connais même pas son nom...
- Lym Alley, l'interrompit celle-ci avec un ton de défi. Mon nom est Lym Alley.
La fille brune se tourna vers elle et elle put voir son visage, ses yeux noirs, la finesse de ses traits, avant d'être interrompue par un cri derrière elle.
- Cave et Luis arrivent ! cria l'un des élèves.
Elle supposa que Luis était un auctor, l'un des trois directeurs de l'Académie, comme Cave, et elle comprit immédiatement qu'elle risquait d'avoir des ennuis s'ils les voyaient se battre : elle vit Shay et Kosh lui faire signe de les suivre, devant l'un des tunnels creusés à même l'arbre titanesque où ils se trouvaient. Elle se précipita à leur suite, boitillant un peu à cause de sa blessure à la cheville, mais toujours capable de courir de manière à peu près normale : au passage, elle attrapa sa valise et la tira derrière elle. Les galeries aux murs d'écorce et de bois blanchâtre étaient sombres, et elle n'y aurait rien vu sans la présence des fréquentes fenêtres rondes qui laissaient entrer des flots de lumière du soleil de midi. Quelques bulles de lumière continuaient de flotter un peu partout pour égayer les coins les plus obscurs.
Les trois videntis coururent dans les couloirs jusqu'à arriver devant une échelle qui permettait de grimper dans le tronc : n'ayant pas trop le choix, en soufflant à cause du poids de leurs bagages, ils grimpèrent en s'agrippant aux barreaux jusqu'à arriver dans un étage supérieur. Jetant un coup d'œil à l'endroit où ils étaient arrivés, elle vit un long couloir affublé d'une rangée de portes. Ils continuèrent à grimper, arrivèrent devant un autre couloir identique puis au dernier étage, celui, apparemment, qui menait aux branches du chêne. Effectivement, elle vit une trappe au-dessus d'elle et leur fit signe de passer à travers, et ils se retrouvèrent sur une branche, au beau milieu de la ramure verdoyante de l'arbre qui était maintenant leur foyer.
Shay referma prestement la trappe et Lym se laissa tomber sur la grosse branche, faisant attention à ne pas glisser ; elle était à une hauteur vertigineuse et le sol couvert d'herbe verte lui paraissait effroyablement lointain. Kosh s'agrippa à un tas confus de feuilles et de bois, l'air nauséeux, et s'assit à côté d'elle (apparemment, il avait le vertige) tandis que Shay, sans sembler le moins du monde gêné par la hauteur, détaillait Lym pour vérifier qu'elle n'était pas gravement blessée, assis de l'autre côté de la jeune fille.
- Pourquoi tu as fait ça ? demanda Kosh. Elle aurait pu te faire très mal, Lym ! J'ai eu peur, moi !
- C'était GÉNIAL, s'écria le garçon blond en interrompant son ami.
- NON, Shay, c'est pas génial, c'était dangereux ! Elle aurait pu se blesser !
- On se connait depuis trente minutes, fit remarquer la jeune fille en essayant d'empêcher les mèches de cheveux désordonnées et flamboyantes de lui tomber dans la figure, surprise par l'attitude du videntis aux cheveux bruns et aux yeux bleu foncé.
- C'est un papa poule, tu sais, rit Shay. Dès qu'il s'attache à quelqu'un, bam, il devient sa responsabilité à tout jamais. Il veut toujours protéger tout le monde...
- Ce qui est difficile quand on a un idiot de tête brûlée pour meilleur ami, soupira Kosh en indiquant l'autre garçon d'un geste. Si toi aussi tu t'y mets, je ne vais pas survivre.
- Désolée. C'est elle qui m'a frappée d'abord – j'allais pas la laisser s'en sortir comme ça !
- Cette fille est mon ÂME SŒUR ! s'écria Shay. C'est quoi, ton fruit préféré ?
- Quel rapport ?
- Lymie !
- Tu viens sérieusement de m'appeler Lymie ?
- Oui ?
- Les cerises, répondit-elle.
- Ta couleur préférée ?
- C'est quoi ces questions ?
Il s'inventa une moue boudeuse qui lui arracha un sourire
- Le vert...
- Le rouge est mieux, répliqua Shay. Sinon, tu aimes les feux d'artifice ?
- J'en ai fait exploser dans le casier de ma meilleure amie, une fois.
- C'est bien ce que je pensais. Toi et moi sommes destinés à semer la pagaille dans ce brocoli géant. C'est notre voie toute tracée.
- C'est pas vrai, j'y crois pas ! soupira Kosh. Si vous commencez à faire exploser des trucs de partout, je vous jure que je vous décapite !
Lym ne put s'empêcher de rire ; ces deux-là devaient avoir du mal à se supporter, étant donné leurs caractères assez contraires, et elle en vint à se demander comment ils étaient devenus amis avec aussi peu de points communs ; mais l'amitié était une étrangeté qui ne frappait pas toujours de manière logique.
Ils recommencèrent à discuter de tout et n'importe quoi durant un moment, car Kosh, qui avait eu le temps de voir le panneau d'affichage avant d'être entraîné dans la bagarre contre Cléandra Coff, leur expliqua qu'ils avaient droit à un jour de repos pour s'installer à l'Académie, et qu'ils auraient leurs premiers cours le lendemain, dès le matin. Lym, se souvenant du paquet plein de cerises que lui avait donné Mar au matin, le sortit de son sac, surprise que les petits fruits rouge sang ne soient pas réduits en compote par sa course dans les couloirs, et en mit une sur sa langue, ravie de retrouver la familière acidité sucrée de ses fruits préférés.
Shay commença à essayer de lui en piquer quelques-uns par-dessus son épaule, et elle dut passer le paquet à Kosh pour l'en empêcher.
- Pas juste, protesta le blond en passant une main dans ses mèches désordonnées, les décoiffant de plus belle, l'air offusqué. Kosh, tu m'en passes une ?
- Non, répondit le garçon sans l'ombre d'une hésitation.
- Même pas à ton meilleur ami qui tu adores ?
- J'adore mon meilleur ami ? Grande nouvelle.
- Tu vas pas dire que tu me détestes ! s'écria Shay.
- Si, tu es totalement insupportable et...
- Merci, Koshy.
Il en avait profité pour lui prendre discrètement des mains le paquet de cerises et en mordit une avec un grand sourire moqueur.
- Eh ! s'écria Lym en essayant de les reprendre.
Shay leva le paquet en l'air et le tint à bout de bras : étant plus grand qu'elle, il le maintenait hors de portée. Et lorsqu'elle essaya de se lever pour le lui arracher, elle glissa de la branche (toujours aussi maladroite) et serait sans doute tombée de l'arbre si ses deux nouveaux amis ne l'avaient pas saisie par les poignets pour la retenir. Elle râla en tentant de récupérer ses cerises, et Shay rit face à ses essais avant de mettre le paquet dans sa poche, lui adressant un clin d'œil provocateur.
Elle jeta un coup d'œil exaspéré à Kosh.
- Il est toujours comme ça ?
- Pire. Là, il essaie de faire bonne impression.
Shay eut un sourire amusé.
- On peut reparler de ce qui s'est passé avec Coff ? J'ai trouvé ça incroyable, quand même...
- En tout cas, merci d'avoir retenu les membres de sa bande...
- Il n'y a pas de quoi, répondit Kosh, on n'allait pas les laisser se joindre à la baston.
- Oui, ils étaient énormes, commenta Shay. De vrais gardes du corps, en fait. Enfin, tu sais, on n'était pas les seuls à les empêcher de se battre ; l'un d'entre eux était de notre côté.
- L'un d'entre eux ? répéta Lym, surprise.
- Un membre de la bande de Coff était contre toute cette agitation. Il a retenu les autres, et, comme apparemment c'est le lieutenant de Coff ou un truc comme ça, ils lui ont obéi. Je ne sais pas si on aurait pu les retenir sans en venir aux mains, s'il ne nous avait pas aidés.
Lym fronça les sourcils, troublée ; pourquoi le bras droit de Cléandra l'aurait-il secourue ? Pourquoi aurait-il laissé la tête de leur groupe se faire tabasser sous ses yeux sans réagir et en empêchant ses camarades de participer au combat ? Elle n'arrivait pas à comprendre ce qui l'avait poussé à faire ça, mais elle n'allait quand même pas aller rejoindre la bande de Cléandra rien que pour essayer de s'informer ; elle mit ces questions dans un coin de son esprit puis recommença à parler avec ses nouveaux amis.
Les deux garçons et elle discutèrent de tout et de rien jusqu'à l'heure du déjeuner, où ils descendirent à la cafétéria chercher de quoi se mettre sous la dent : Lym, toujours fascinée par le système qui faisait apparaître sa nourriture, prit un sandwich et retourna avec Shay et Kosh vers le sommet de l'arbre, où ils pouvaient être un peu seuls. La cafétéria était vraiment bondée. Dans la salle d'écorce, elle sentait les regards des autres élèves, qui la reconnaissaient pour l'avoir vue se battre contre Cléandra : on lisait une sorte de reconnaissance dans leurs yeux. La jeune fille au visage de bouledogue devait vraiment être un tyran à l'Académie pour que tout le monde soit heureux de l'avoir vue se prendre une leçon, mais Lym était gênée par tous ces regards.
Dans la ramure du chêne, assis sur une branche plus épaisse que le tronc d'un arbre normal, balançant leurs pieds dans le vide, ils mangèrent leur repas en regardant le soleil amorcer sa descente dans le ciel, avançant inexorablement vers la mer miroitante et turquoise. Lorsqu'ils eurent fini, Shay rendit à Lym son paquet de cerises en lui souriant. Elle eut avalé son contenu en deux instants.
- Tu peux pas... Je sais pas... Respirer entre chaque bouchée ? soupira Shay en levant les yeux au ciel. Parce que si tu respires pas... Ben... Tu meurs, en fait.
- La ferme, répliqua-t-elle. Au fait, c'est quoi ton nom de famille ?
Il sembla hésiter un instant, ce qui la surprit. Qui, sur Terre, hésitait lorsque l'on leur demandait leur nom de famille ?
- Lake, pourquoi ?
- La ferme, Lake.
Il sourit, amusé.
- Je suis incapable de la fermer, Alley. Kosh a essayé de me faire taire pendant deux ans et il n'a toujours pas réussi.
- Tu sais, j'ai une sœur, commença-t-elle calmement en essayant de débarrasser ses mains du jus de cerise qui les entachait. Et, de nous deux, j'étais la plus bavarde. Du coup, autant dire qu'elle n'hésitait pas à me mettre du Scotch sur la bouche – j'ai appris de ça et j'ai toujours du ruban adhésif dans mon sac. Alors si tu ne la fermes pas, Lake, j'hésiterais pas non plus à m'en servir.
- Elle sort les griffes, dites, s'esclaffa Shay.
- Elles sont toujours sorties.
- Je vois ça.
Elle sourit. Dans son ancien lycée, elle ne pouvait pas échanger deux mots avec un garçon sans avoir envie de lui donner des baffes tant ils étaient immatures et grossiers : mais apparemment, il y en avait aussi, comme Kosh ou Shay, qui pouvaient se montrer sympathiques.
Kosh, d'ailleurs, se sentait un peu exclu de la conversation.
- Vous savez que je suis là, quand même ?
- Ah bon, lâcha Shay. Tu es tellement discret, aussi...
Le videntis brun leva les yeux au ciel
- C'est sûr que la discrétion ne fait pas partie de tes qualités, argua Lym en offrant un sourire moqueur à Shay.
- Et toi, il te manque probablement la politesse. Et l'adresse, et le calme, et la ponctualité.
- Comment tu sais ça ? protesta-t-elle. Je suis arrivée à l'heure aujourd'hui et j'ai quasiment rien cassé. Pour une fois.
- Je suis doué pour cerner les gens, sourit-il. Je connaissais déjà Kosh par cœur deux jours après notre rencontre...
- Tu veux dire, le jour où tu es arrivé chez moi en m'envoyant des bombes à eau à la face ? soupira celui-ci.
Voilà une anecdote de choix... Shay eut un sourire narquois comme si ces bombes à eau avaient été l'une de ses grandes fiertés. Ce qui était probablement le cas, en fait.
- Cependant, je dois avouer, Lym, que tu es assez compliquée à lire en dehors de ça.
- Je ne suis pas un livre ouvert, Shay. Navrée si ça te déçoit.
Tous trois discutèrent jusqu'au soir venu, où la chaleur étouffante qui régnait sur l'île d'Eleuth retomba et une agréable fraicheur envahit l'arbre gigantesque ; la vallée et la plage, qui auraient dû être plongées dans le noir, étaient éclairées par les petites balles de lumière qu'elle avait aussi vues dans le bureau de Cave, et flottaient dans un trajet aléatoire en rebondissant sur le sol lorsqu'elles s'en approchaient trop. Quelques-unes se perdirent dans la mer, sans jamais frôler les vagues, éclairant l'étendue noire et mouvante comme si elles avaient été des lucioles parcourant l'écume.
(chapitre corrigé ✔)
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