Hongjoong se figea dans son geste quand il vit le torse de Yunho se soulever une fois, puis deux pour ne plus s’arrêter. Il n’en croyait pas ses yeux. Il y avait à peine quelques secondes, Yunho était mort. Mingi tremblait, trop choqué pour articuler le moindre mot. Accomplir ce miracle l’avait vidé de ses forces. Il serrait Yunho tout contre lui sans cesser de pleurer. Hongjoong retira doucement la couronne de sa main crispée. Il pensa à sa mère, à sa maladie qu’il serait si aisé de soigner. Cet objet était vraiment capable de tout. Il ne préférait plus l’imaginer entre de mauvaises mains.
Un cri s’échappa des lèvres de Wooyoung quand un tremblement violent secoua l’île entière. Ils tombèrent à genoux contre le sol. Une sensation de fourmillement dérangeant remonta du ventre de Hongjoong jusque dans sa gorge. Cela ne dura qu’un bref instant mais il avait eu l’impression de… tomber.

— Putain ! paniqua-t-il. Skywe va tomber !

— La magie de Yunho a trop profondément fragilisé le cœur de l’île, comprit Yeosang. Donne-moi la couronne !

Une nouvelle secousse encore plus violente fit trembler tout le corps du capitaine. La sensation d'apesanteur dura cette fois plus longtemps alors que l’île tombait de plusieurs mètres vers la Mer de Nuages. Sans perdre de temps, il lança l’objet à Yeosang qui le rattrapa au vol. Le mage plaça la couronne sur sa tête et utilisa son pouvoir. Ses yeux prirent une teinte d’azur alors qu’il posait ses mains à plat contre le sol de la coupole.

Les regards inquiets des pirates se posèrent sur le Marcheur. Lui seul pouvait sauver l’île de la destruction. Yeonsang ferma les yeux. Ses sourcils froncés créaient des rides sur son front. Hongjoong attendait avec appréhension le prochain tremblement mais rien ne se passa. Grâce aux pouvoirs de la couronne, Yeosang avait réussi à stabiliser l’île et sauver ses habitants -et eux aussi par la même occasion- d’une chute mortelle dans l’Ancien Monde. Hongjoong se demanda soudain où Kirizan avait bien pû s'abîmer. Yeosang se remit sur ses pieds mais perdit bien vite l’équilibre. Jongho le rattrapa contre lui et l’allongea sur ses cuisses.

— Je… Je crois que j’ai un peu abusé de ma magie aujourd’hui.

Il perdit conscience juste après et Jongho retira doucement la couronne de sa tête. Ils étaient sains et saufs et tous réunis. Après le début de journée qu’ils avaient passée, Hongjoong doutait qu’il puisse leur arriver quelque chose de pire. Il était à peine quatorze heures mais Hongjoong avait l’impression de ne pas avoir dormi depuis des jours. Il se laissa tomber sur le sol en soupirant. Tout le reste du groupe le suivit. Seul San restait debout, le regard rivé vers l’entrée de la coupole. Il pencha la tête sur le côté et Hongjoong fronça les sourcils.

— San ? Qui a-t-il ?

— Quelqu’un vient.

Hongjoong se redressa comme un ressort. Cela pouvait être n’importe qui, ami ou ennemi. Même le capitaine du Dangereux lui semblait sympathique en cet instant. Il jura en voyant par-dessus l’épaule de San la silhouette de l’empereur se découper en haut des escaliers. Il pouvait définitivement leur arriver quelque chose de pire. Les pirates se levèrent d’un bond. La ressemblance entre l'empereur et Seonghwa était perturbante. Ils avaient les mêmes sourcils fournis, le nez droit et la même stature. Mais ce qui frappa le plus Hongjoong était l’air princier et digne qui se dégageait des deux hommes. Derrière lui, plusieurs soldats les tenaient en joue avec des fusils.

Il leur arrivait définitivement quelque chose de pire. Pour la cinquième fois de la journée, Hongjoong se dit qu’ils n’allaient pas s’en sortir. L’empereur voulait leur mort depuis des mois, il n’allait pas rater une occasion pareille.

— Vous avez quelque chose qui m'appartient, capitaine Hongjoong.

La voix grave et sarcastique de l’empereur résonna dans la coupole. Son regard froid était vissé sur la couronne entre les mains de Jongho. Le capitaine serra les dents.

— Je ne vous la donnerai pas.

Hongjoong tendit la main en arrière et Jongho déposa l’objet à l’intérieur.

— C’est un échange des plus honnête, capitaine Hongjoong. La vie de vos hommes ici et sur l'Île Abandonnée en échange de la source de la magie. Regardez-vous, vous n’êtes pas en état de refuser.

Ses yeux perçants se posèrent sur son fils, sur Yeosang qui s'était surmené et sur Yunho inconscient entre les bras de Mingi qui n’en menait pas large non plus. L’empereur fit un pas vers le couple mais Hongjoong s’interposa dans la seconde.

— Donnez-la moi.

Hongjoong jeta un œil aux pirates autour de lui. Ils étaient tous épuisés par l'enchaînement des événements. San était le seul mage aux pouvoirs offensifs encore capable de se battre. Les hommes de l’empereur les écraseraient comme des mouches. Il n’avait pas le choix. La vie de ses amis et de ses marins comptait plus que cette couronne qui avait failli tuer deux des siens et dont la quête avait signée la fin de tant d’autres. Ce n’était que partie remise, il remettra la main dessus, pour sa mère. 

Le pirate tendit l’objet à Eunji qui lui adressa un sourire teinté de condescendance en le saisissant entre ses mains.

— Je vous remercie, capitaine Hongjoong.

Le pirate regarda partir l’empereur et ses hommes, complètement abattus. Ils avaient risqué leur vie pour récupérer la couronne et déjà elle n’était plus à eux. Cela avait de quoi le rendre fou. Il se laissa tomber par terre, la tête entre les mains.

— Au moins nous sommes en vie, soupira Seonghwa.

— Pour combien de temps encore ? rétorqua San. L’empire ne fera pas de meilleures choses avec la couronne que les mages de Kimgyo, mais tu le sais n’est-ce pas ? Il faut le poursuivre et la récupérer.

Hongjoong tourna son regard vers Seonghwa. La culpabilité du prince se lisait sur son visage. Il recherchait cette couronne depuis bien avant qu’Hongjoong ne connaisse son existence.

— Tu ferais mieux de nous dire tout de suite ce que l'empereur compte faire avec la couronne, que nous soyons fixés sur le sort qui nous attend, continua San en croisant les bras sur son torse.

— Il veut s’en servir pour détruire les îles des Territoires Libres et rendre la traque des mages plus efficace. Il veut supprimer les mages du Nouveau Monde.

Jusque là rien n’était nouveau. Un frisson parcoura tout de même Hongjoong quand il regarda tous ses amis. La moitié d’entre eux étaient des mages, ils étaient directement visés par cette menace. Le fils même de l’empereur faisait partie des gens à éliminer. Comment avait-il pu pendant toutes ces années obéir aux plans de son père qui le menaient à sa propre perte ? Les mages, bien que de moins en moins nombreux, restaient un nombre important de la population du Nouveau Monde. L’empereur allait tuer des milliers et des milliers d'innocents.

— Il veut aussi détruire la Mer de Nuages et retourner dans l’Ancien Monde, avoua Seonghwa en baissant la tête vers ses chaussures. 

Hongjoong avait rarement vu le prince perdre son air sûr de lui. Seonghwa se mordait les lèvres, l'air penaud. Le capitaine posa la main sur son bras pour le rassurer.

— S’il nous débarrasse des mages de Kimgyo, nous n’allons pas nous plaindre, dit Wooyoung en haussant les épaules.

— Je suis certain que tous les mages de cette ville ne partagent pas les idées de leur dirigeant, tempéra Hongjoong. Et il y a encore tous les mages comme Seoyeon, Hajoon et Minseo.

— L’Ancien Monde est vaste et ne se résume pas au peu que l'on a vu. Il y a sûrement d’autres survivants de la Fracture quelque part, des mages peut-être.

Le silence se prolongea à la suite de l’intervention de Seonghwa. Hongjoong comprit pourquoi l’empereur les avait laissés en vie, il voulait qu’ils assistent à tout cela. Ils devaient voir leur échec de leurs propres yeux. Il serra les poings. La seule raison qui l’avait poussé à chercher cette couronne était pour sauver sa mère, pas condamner l’entièreté des mages du Nouveau Monde. Il réalisa que sans eux, sans tout ce qu’ils avaient dû traverser pour récupérer cet objet, l’empereur ne l’aurait sans doute jamais eu entre ses mains.

— Il faut le poursuivre ! reprit San.

— Tu nous as vu ? lança soudain Mingi en se relevant, Yunho toujours inconscient dans ses bras. Nous ne tiendrons pas deux minutes face à lui.  Personne n’est en état d’aller affronter cette maudite couronne.

Hongjoong hocha la tête. A quoi bon se jeter dans la gueule du loup ? Le poids du monde tomba sur ses épaules. Bien sûr qu’il avait envie de partir à la poursuite de l’empereur, mais à quoi cela servirait-il ? Avec la couronne entre ses mains, il était invincible. Eunbi n’avait fait qu’une bouchée d’eux quand elle l’avait posée sur sa tête. Son regard coula vers Yunho et il se rappela de sa discussion avec Seonghwa.

— L’aura des Façonneurs est-elle dans la couronne à présent ?

Mingi secoua négativement la tête.

— Je l’ai enlevé juste à temps, j’ai senti clairement le lien se briser entre la couronne et Yunho. Son aura est toujours là, bien que très faible.

— Mais cela l’empereur l’ignore sûrement, sourit Hongjoong. Il doit penser que l’origine de la magie contient tous les pouvoirs de tous les mages. Il ne peut pas faire tomber les îles des Territoires Libres sans la magie des Façonneurs.

Ils avaient encore du temps devant eux pour essayer de déjouer ses plans. Sauf qu’il y avait un mais.

— Dès qu’il s’en rendra compte, mon père reviendra chercher Yunho, réalisa Seonghwa avant qu’il n’ait le temps de parler.

Mingi se crispa. Hongjoong hocha la tête aux paroles du prince. Ils devaient agir avant que l’empereur ne se rende compte de la faille de la couronne. Cela leur laissait peu de marge de manœuvre. Le capitaine essayait de garder la tête froide. C’était de sa faute si l’empereur avait mis la main sur la couronne, il ferait tout pour la récupérer. Il était hors de question que des innocents meurent à cause de ses erreurs.

— Je vais demander au capitaine du Dangereux de filer le navire de mon père. Nous devons savoir où il se rend. Nous ne pouvons pas rester ici trop longtemps, nous devons partir avant ce soir.

Personne ne contesta les ordres de Seonghwa. Avant de partir au port, le prince expliqua à Mingi et Jongho où se trouvaient les appartements de Yunho et des invités pour que les mages puissent reprendre des forces. Hongjoong quitta en dernier la coupole. Il admira longuement la Mer de Nuages sous leurs pieds. Il essayait de s’imaginer des kilomètres et des kilomètres de terre à la place des reflets orangés du soleil sur les moutons cotonneux. Au loin, l’est de l’île de Solas était bien visible. Un orage s’annonçait.

☁️☁️☁️

Hongjoong se laissa tomber sur le canapé du salon réservé à la famille régente. Il sentait le regard pensant de Jaehyung sur sa nuque. Le tableau était miraculeusement resté accroché au mur malgré les secousses qui avaient fait trembler Skywe. Malgré la solennité du tableau, Hongjoong ne pouvait s’empêcher de voir une pointe de douceur briller dans les pupilles brunes du régent. Le pirate n’avait discuté qu’une fois avec lui mais il avait été gentil et généreux.

— Pardonnez-moi d’avoir enlevé votre fils. Rien de tout cela ne serait arrivé si Yunho était resté auprès de vous à Skywe.

Si Yunho n’avait pas été à bord de l’Ateez pour déchiffrer les livres de Tanian et résoudre un des mystères du journal de Jiho, les pirates seraient peut-être toujours en train de chercher vainement le trésor. Si ils n'avaient pas enlevé Yunho, ses pouvoirs ne se seraient peut-être jamais réveillés. Jaehyung serait sûrement même toujours en vie. Une décision si infime avait tout changé. Il était co-responsable de la chute de la famille Jeong.

Le visage doux et souriant de la régente lui noua la gorge. Haneul était vraiment magnifique. Une main posée sur celle de son mari et la seconde tenant la taille de son fils sur ses genoux, elle avait une allure royale. Tout chez elle respirait l’amour mais aussi la force. Yunho lui ressemblait tant. Le mensonge le frappa. Les jolis yeux bruns de Yunho semblaient encore plus morts que les vrais. Il souriait à pleines dents et Hongjoong sourit tristement. Ce petit enfant semblait si loin désormais.

— Que les étoiles suivent vos pas, murmura-t-il en direction des deux défunts.

Il appuya sa nuque contre le dossier et regarda le plafond. Un rire nerveux le traversa quand il vit une frise de diamants et d’onyx le traverser de part en part. Il n’y avait aucun doute, il était bien dans une demeure de Façonneur. Le régent et sa famille avaient eu beaucoup d’audace pour ainsi afficher devant tous les dignitaires de l’empire leur appartenance à la famille ennemi de l’empereur. Même un plafond lui rappelait son échec. C’était entièrement de sa faute si la couronne était tombée entre les mains de l’empereur. Il avait mis en danger de morts ses amis maintes fois depuis le début de leur périple et tout cela pour quoi ? Il avait seulement voulu sauver sa mère de la maladie et il condamnait à présent des milliers de mages à un sort terrible. Sa mère qui était peut-être morte depuis des années sans même qu’il ne le sache.

Peut-être que son beau-père avait toujours eu raison finalement. Hongjoong rêvait trop grand. Que pensait-il avoir de plus que les autres pour réussir à ramener la magie dans le Nouveau Monde ? Rien, rien du tout. Il s’était cru plus malin que tout le monde et voilà où il en était. Il voulait réparer ses erreurs mais il doutait de réussir. L’empereur avait la couronne à disposition, tout était perdu d’avance. Hongjoong n’avait jamais été un grand optimiste mais il n’avait malgré tout rien lâché. C’était Jongho qui le prenait par la main et lui montrait à chaque échec que rien n’était perdu. Il avait bien besoin de lui en ce moment.

— Hongjoong ? Pourquoi pleurez-vous ? Vous êtes blessé ?

Le pirate redressa la tête et essuya les larmes sur ses joues. Il n’avait même pas remarqué qu’il pleurait. Seonghwa se tenait à l’entrée de la pièce et son regard inquiet frappa Hongjoong.

— Non, je n’ai rien. Ou du moins aucune blessure physique.

— Pour ce qui est de ce type de blessure, je peux entièrement vous comprendre.

Le canapé s'affaissa légèrement quand le prince s’assit à côté de lui. Hongjoong n’osait pas croiser son regard.

— Je me répète sans cesse que tout est de ma faute, soupira Seonghwa après quelques minutes de silence. J’ai accepté de suivre les plans de mon père en sachant ce qu’il ferait une fois que la magie serait en sa possession. J’ai traduit années après années ces livres de malheur, je vous ai poursuivi pendant des semaines. J’ai… j’ai causé la mort du père de Yunho.

— Les torts sont partagés dans ce cas. Je ne vais pas vous juger sur votre obéissance à votre père. Après tout, chacun a ses raisons.

A sa plus grande surprise, il vit une larme, puis deux, puis toute une flopée rouler sur les joues de Seonghwa.

— Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me sens stupide. Toute mon existence a tourné autour de ces livres et n’a été qu’un chemin sans fin pour essayer de camoufler une tare qui ne partira jamais. Je me disais que si enfin je parvenais à trouver l’origine de la magie après des centaines d’années de recherche infructueuse, mon père me verrait enfin. Je lui ai indirectement donné la couronne, qu’ai-je reçu ?

Rien du tout. L’empereur ne lui avait adressé qu’un regard froid, comme si Seonghwa n’avait jamais rien été pour lui.

— Je me suis si souvent dit que je devais mériter l’amour de mes parents. Je n’étais qu’un mage, je devais faire des efforts, je devais renier mes pouvoirs pour enfin être digne d’être l’héritier de ce trône. Je voulais leur amour. J’avais regardé pendant si longtemps Yujun être couvert d’éloges et de cadeaux sans rien faire de tout ce que moi j’avais fais. Je voulais être comme lui. Je voulais qu’enfin ils me voient comme leur fils. Je voulais qu’ils m’aiment, qu’ils soient fiers de moi.

La voix du prince se brisa à la fin de sa phrase. Même s’il n’avait jamais vraiment été à l’aise avec les démonstrations affectives, Hongjoong serra le prince tremblant dans ses bras.

— Il n’y a pas une seconde de ma vie que je n’ai pas consacré au fait de leur plaire. Je n’avais pas réalisé que jamais ils ne seraient capables de m’aimer, moi, un mage. Je ne suis rien pour eux, seulement une erreur.

— Ils ont tort, vous le savez.

— Et que suis-je alors ? Dites-le moi ? Un prince déchu. Un imbécile qui essaye de garder la face, qui fait croire aux autres qu’il sait ce qu’il fait. Je suis terrorisé, Hongjoong. J’ai perdu ma raison de vivre. J’ai perdu qui je suis. Je n’ai jamais été rien d’autre que le fils qui obéit à son père sans se poser de question. Je n’ai plus aucune place dans ce monde.

Hongjoong saisit le visage du prince entre ses mains. Les yeux débordant de larmes de Seonghwa croisa les siens. Il n’avait jamais vu le visage du prince si expressif. La douleur se lisait sur chacun de ses traits mais ses yeux… La peine infinie qu’il voyait à l’intérieur lui donna lui-même envie de pleurer.

— Seonghwa… vous êtes bien plus que l’ombre de votre père. Vous êtes un prince, le véritable prince de cet empire. Vous vous battez pour ceux que vous aimez sans jamais ployer, même si vous savez que cela ne sert à rien. Vous êtes intelligent, vous êtes fort et votre honneur vous porte partout où vous allez. Vous êtes prêts à affronter votre père alors que vous savez que les chances que nous nous en sortions sont infimes. Bordel Seonghwa, tu es le prince dont cet empire a besoin depuis sa naissance. Et j’ai besoin de toi, de ta lumière, maintenant.

Ses lèvres effleurèrent celles du prince dans un geste presque anodin. Seonghwa ne vit pas les choses de la même manière. Il attira Hongjoong sur ses genoux et l’embrassa farouchement. Le capitaine écarquilla les yeux de surprise un bref instant avant de se laisser aller. Il enroula ses bras autour des épaules de Seonghwa et intensifia l’échange. Les mains du prince enlevèrent sa chemise toute déchirée de son pantalon et se glissèrent sa peau pâle. La fraîcheur des doigts de Seonghwa lui arracha un frisson. Ils remontaient le long de sa taille pour se stopper au milieu de son dos.

— Je vous promets que je n'essaierai plus jamais de vous tuer, chuchota malicieusement le prince à l’oreille de Hongjoong.

— En voilà une promesse difficile à tenir.

Seonghwa mordilla son oreille et le capitaine rit. Il rit moins quand les lèvres du prince se mirent à descendre le long de sa peau et laisser des marques sur sa nuque. Hongjoong s’accrochait à Seonghwa, soupirant doucement sous les morsures. Il avait menti à Mingi, il n’avait jamais rien fait de sa vie avec un homme, ni une femme d’ailleurs. A vingt-quatre ans, il se sentait comme un adolescent qui découvrait son corps. Il ferma les yeux et profita de ce moment. Peut-être cet instant de bonheur sera-t-il le dernier ?

D’un geste sûr, Seonghwa le fit basculer sur le canapé. Le dos du capitaine heurta la surface moelleuse et il observa avec une joie mêlée d'anxiété le prince se glisser au-dessus de lui. Dans la vie, Hongjoong savait qu’il fallait oser faire le grand saut. Il se redressa légèrement et s’empara des lèvres de Seonghwa. Il fit descendre ses doigts cernés de bague sur le col de la chemise du prince. Malgré tout ce que le tissu avait vécu, il était encore en parfait état.

— Je suis censé attendre le mariage pour faire ce genre de choses, rit Seonghwa.

— Je suis un pirate, je ne suis pas les règles. 

Alors qu’il s’apprêtait à embrasser à nouveau le prince, un cri perçant lui fit lever la tête vers la fenêtre. Un aigle volait en rond au-dessus de la citadelle. Malgré le dérangement plus qu’inopportun, Hongjoong sourit. Chan était de retour.

☁️☁️☁️

Yunho ouvrit les yeux dans sa chambre. Il se redressa sur le lit et resta quelques secondes interdit en observant le ciel bleu et nuageux par la fenêtre. Avait-il rêvé ? Quand des bras fermes se glissèrent autour de sa taille, il eut la réponse à sa question.

— Ne bouge pas, reste près de moi, soupira Mingi en l’attirant contre son torse.

Le mage se sentait cotonneux, comme s’il émergeait d’un long sommeil. Il avait la sensation qu’il ne devait pas oublier quelque chose mais qu’il était déjà trop tard. Il ne se rappelait rien après l’attaque de l’Annihilateur en plein combat dans l’Ancien Monde. Yunho bondit comme un ressort et Mingi râla. Qu’est-ce qu’ils faisaient ici ? 

— Suis-je mort ? demanda-t-il bêtement.

Le pirate le plaqua avec force contre le matelas et l’emprisonna dans ses bras. Yunho se laissa faire, perdu face à la réaction de Mingi. Certes la blague n’était pas très drôle mais tout de même.

— Ne prononce plus jamais ce mot.

Il y avait dans son ton de voix une détresse que Yunho ne sût comment interpréter. Il releva la tête et croisa le regard du pirate. L’inquiétude voilait ses yeux et il déposa tout doucement ses lèvres sur celle de Mingi.

— Mingi, qui a-t-il ?

— Tu… tu étais mort Yunho.

— Pa-Pardon ?

Il resta plusieurs secondes interdit, se disant qu’il avait mal entendu. Mingi se pelotonna entre ses bras et appuya sa tête contre son cœur. Yunho glissait par automatisme ses mains dans ses cheveux et sur sa nuque, l'esprit en ébullition face à la révélation de son amant. Il ne se souvenait de rien, même pas du moment où il était mort.

— Mes pouvoirs de Guérisseur et la couronne t'ont ramené. J'ai cru te perdre pour toujours.

— Je suis désolé.

— Ce n'est pas de ta faute. C'est de la faute de ces mages, de celle de l'empire et des Territoires Libres. Tout le monde veut t'utiliser pour réaliser leurs souhaits ou te tuer.

Mingi lui raconta tout ce qui s’était passé depuis qu’il avait été enlevé par les mages. La culpabilité rongeait ses entrailles. Il avait failli condamner tout le Nouveau Monde à chuter dans la Mer de Nuages.

— Trésor, ce n’est pas de ta faute.

— Mes pouvoirs sont trop dangereux… Peut-être que les Façonneurs ont disparu pour une bonne raison. Je-

— Yunho, Mingi prit son visage en coupe et le força à le regarder droit dans les yeux, ne penses plus jamais à cela, d’accord. Tes pouvoirs sont ce qu’ils sont et il n’y aura jamais une meilleure personne que toi pour les utiliser. Je sais que tu ne t’en sers que pour le bien et rien d’autre.

Comment Mingi arrivait-il toujours à trouver les mots qu’il fallait pour apaiser ses peurs ? Il hocha la tête et se réfugia dans les bras de son amant. Que Mingi soit ainsi dans ses appartements était une sensation très particulière. Il se prit à rêver d’une vie où ils auraient grandi ensemble, loin de la violence et des problèmes du monde.

— Avant de mourir, Yunho eut du mal à prononcer le mot, mon père m’a dit d’aller dans son bureau et de trouver son journal. Il m’a dit qu’en le lisant je comprendrais tout.

Mingi hocha la tête et ils quittèrent la chambre en direction du bureau du régent. La citadelle était vide. Ne pas voir les domestiques déambuler en tous sens était étrange pour Yunho. Il avait toujours connu l’endroit débordant de vie. En passant devant les appartements de sa mère, Yunho serra la main de Mingi dans la sienne. Le pirate la pressa en retour sans dire un mot. Heureusement pour le noble, le bureau de son père n’était pas dans ses appartements, il n’aurait jamais pu y entrer sans s'effondrer en larmes. Il n'avait pas remis les pieds sur Skywe depuis sa mort.

La pièce n’était pas bien grande mais chaque coin avait été rendu utile. Un grand bureau trônait près de la fenêtre et n’avait pas été touché depuis la mort de Jaehyung. Les papiers, encriers et la lampe à huile posée dessus prenaient la poussière. La gorge de Yunho se serra quand il vit une peinture de sa mère et lui dans un cadre près de la lampe. Il glissa le petit objet dans la poche de sa cape. Mingi observait les bibliothèques et la commode. A côté, devant ou entre les livres étaient posés des reliques Préfracturiennes et d’autres objets de collection.

— Ton père avait de bons goûts en matière de vieux objets, dit doucement le pirate en portant à ses yeux une dague dont la lame était faite de verre.

— C’était leur passion à lui et ma mère. Avant ma naissance, ils ont beaucoup voyagé dans tout le Nouveau Monde pour chercher des reliques. J’ai pleuré pendant des semaines quand maman m’a dit que je ne pourrais jamais sortir de la citadelle.

Tout cela lui semblait si loin désormais. Avec l’équipage de l’Ateez, il avait fait le tour du Nouveau Monde et avait même défier l’impossible en se rendant dans l’Ancien. Il fit glisser son doigt sur un vieux livre de contes pour enfants et les larmes lui montèrent aux yeux. Trop de souvenirs étaient enfermés dans cette pièce. Yunho n’avait pas le droit d’y aller mais à force de persuasion, son père avait accepté de le laisser jouer sur la banquette près de son bureau pendant qu’il travaillait. Il avait passé des heures assis sur le tissus noir à s’amuser avec ses petits jouets en bois où à lire.

— Yun, j'ai trouvé quelque chose.

Le mage se tourna vers Mingi qui était penché sur ce qu'ils étaient venus chercher. Le journal de son père. La respiration de Yunho se fit plus erratique. Il ne savait pas s’il était prêt à lire ce qui se trouvait à l’intérieur. Mingi le sentit et le prit par la main. Ils s’assirent sur la banquette et le pirate posa le journal ouvert sur leurs cuisses. Yunho tourna la première page, les mains tremblantes.

— Tout ira bien, trésor.

— Est-ce… est-ce que tu peux le lire s’il te plait ? demanda le Façonneur d’une voix tremblante.

Mingi acquiesça et lut à haute voix les pages. Rapidement, les larmes montèrent aux yeux de Yunho. Son père avait consigné toutes ses pensées depuis son mariage avec sa mère. Ses joies, ses peines, ses inquiétudes, tout était à l’intérieur. Il entendit le sourire dans la voix de Mingi quand il arriva proche de la date de naissance de Yunho.

— Haneul vient de m’annoncer qu’elle était enceinte. Elle m’assure que c’est un garçon. Je ne l’ai jamais vu aussi sérieuse de sa vie, je préfère ne pas la contrarier, qui sait ce dont une femme enceinte est rééllement capable ? Malgré le fait que je lui ai révélé le secret de ma lignée, je m’inquiète. Certes, cela fait deux cents ans qu’aucun Façonneur n’est né dans la famille Jeong mais je ne peux pas m’empêcher de me question. Que ferions-nous si c’était le cas ? Ma chère et tendre m’a dit sérieusement qu’elle savait que notre futur bébé serait un Façonneur. Encore une fois, je ne l’ai pas contredit. Mingi sauta quelques pages jusqu’au 23 mars. Il n’y avait que quelques mots sur la page. Yunho est né, ma lignée renaît en lui. Je l’aime déjà tant.

Yunho plaqua sa main sur sa bouche pour retenir un sanglot. Mingi le prit doucement dans ses bras et il hoqueta contre son hanbok doré. Le pirate s’arrêta brusquement dans sa lecture. C’était quelques jours à peine après sa naissance.

— Tu as été Annihilé à ta naissance pour cacher ton aura et tes pouvoirs, lui dit Mingi. L’Annihilateur qui a accepté de faire cela était le plus puissant de l’empire mais il avait prévenu tes parents. Un jour où l’autre, ta magie finira par refaire surface.

Voyant que Yunho ne semblait plus l’écouter, Mingi se leva et prit sa main dans la sienne.

— Viens avec moi, tu as besoin d’air.

☁️☁️☁️

Sans même y avoir réfléchi, les pas de Yunho l’avaient mené jusqu’au bout du jardin de la citadelle. Le calme régnait en maître dans cette partie du domaine. La tombe de sa mère n’était qu’à quelques mètres. Des lanternes étaient accrochées à un vieux saul pleureur. Chaque soir, les domestiques venaient les allumer pour que jamais Haneul ne soit dans le noir. Depuis que le nom des Jeong avait sombré dans la traitrise, les lanternes restaient désespérément éteintes. Le vent se faufilait entre les branches qui caressaient le sol. Yunho pouvait presque entendre le rire de la régente se déplacer autour de lui au rythme de la brise. Les premières semaines de la mort de sa mère, il avait passé ses nuits devant la sépulture jusqu’à tomber de sommeil dans l’herbe à cause de ses pleurs. Il avait cessé de compter le nombre de fois où il s’était réveillé le lendemain au même endroit entre les bras de son père qui le serrait tout contre lui, retenant ses larmes.

Aujourd’hui, il était seul.

Sa gorge se serra quand il posa des fleurs sur la tombe. Le nom de Haneul était gravé finement dans la pierre blanche. Il s’inclina.

— Bonjour mère.

Il attrapa le bras de son amant et le tira à ses côtés devant la tombe.

— Je te présente Mingi.

Le pirate s’inclina bien bas pendant de longues secondes pour montrer son respect. Le geste toucha Yunho plus qu’il ne l’aurait cru.

— Je-je l’aime, continua Yunho alors que les larmes avaient pris possession de son visage. Je sais que tu l’aurais aimé aussi. Tu me manques maman.

Il s’effondra en larmes et Mingi le serra fort dans ses bras. Yunho se laissa aller contre lui.

— Je suis sûr que tu l’aurais aimé aussi papa… rajouta-t-il tout bas.

— J’espère être digne de votre fils, rajouta Mingi sur un ton doux.

Yunho était convaincu qu’il l’était. Mingi le guida jusqu’au tronc du saul pleureur et s’assit contre. Yunho le rejoignit, le dos collé à son torse. Calé dans les bras de son amant et épuisé par toutes ses émotions, il ne lui fallut pas longtemps pour s’endormir.

☁️☁️☁️

Le hall de la citadelle de Skywe était vide. Les domestiques avaient été renvoyés chez eux pour une journée entière. Le régent et la régente de l’île étaient seuls dans leur immense demeure. Le plafond semblait les écraser par sa grandeur mais ils n’avaient d’yeux que pour le minuscule bébé emmitouflé dans d’épaisses et chaudes couvertures entre les bras de son père. Ses yeux de néants trop grands pour son visage observaient les alentours avec fascination.

— Est-ce une bonne idée ? demanda Haneul en caressant la joue chaude et ronde de son fils.

— C’est la seule j’en ai bien peur, répondit Jaehyung. Son aura est unique et si l’empereur découvre ce qu’il est, il le tuera sans hésiter. Deux-cent ans, jamais je n’aurais pensé que je verrai la lignée de mes ancêtres renaître de mon vivant. Mais il est trop dangereux pour lui de le laisser vivre avec ses pouvoirs.

Yunho rit et essaya d’attraper les doigts de sa mère avec ses petites mains potelées. Haneul sourit tendrement et prit à son tour son bébé dans ses bras. Yunho gazouilla en agitant ses bras, quelques mèches de cheveux noirs en bazard sur le haut de sa tête.

— Je t’aime, murmura la jeune mère en embrassant le front de son fils.  

Un porte s’ouvrit, brisant le moment simple entre la petite famille. Un vieil homme, petit et large, s’avançait rapidement vers eux. Il était encore rapide malgré sa canne qui claquait contre le marbre à chaque pas. Dès que l'Annihilateur aperçut Yunho, ses yeux s’écarquillèrent.

— Par Byeol, murmura-t-il, un roi est né.

Après son instant de surprise, il salua les régents qui le remercièrent de sa venue.

— Vous comprenez à présent pourquoi je ne pouvais pas vous expliquer tout cela par lettre, sourit Jaehyung alors que le vieil homme hocha la tête.

Il expliqua sans détours au mage ce qu’il souhaitait faire. Yunho ne pouvait pas garder ses pouvoirs tant que l’empire existerait. Il serait bien trop en danger.

— Le processus est quasiment irréversible, leur dit l’Annihilateur. Seul un choc émotionnel d’une extrême violence pourrait faire advenir sa magie.

— De quel genre ?

— Assister à des drames, la mort d’un proche. Même être témoin d’un accident pourrait faire revenir sa magie. Aucun Annihilateur ne pourrait enfouir définitivement ses pouvoirs, ils sont trop puissants. C’est le premier Façonneur depuis deux-cent ans, toute l’essence magique de cette lignée circule dans ses veines.

Haneul et Jaehyung échangèrent un regard inquiet.

— Et qu’est-ce que ses pouvoirs pourraient faire concrètement ? demanda la régente.

— J’ai bien peur qu’ils ne puissent détruire le Nouveau Monde tout entier.

— C’est une raison de plus pour cacher sa magie, soupira Jaehyung. Nous le garderons en sécurité dans la citadelle et empêcherons tout contact avec l’extérieur, pour son propre bien. 

☁️☁️☁️

Quand Yunho se réveilla à l’ombre du saul pleureur, quelqu’un le tenait dans ses bras. Le mage bâtit des cils et aperçut Mingi qui caressait ses cheveux, le regard perdu vers le lointain. Le Façonneur en profita pour l’admirer. Le vent jouait avec ses mèches châtains qui balayaient doucement ses joues comme une caresse. Ses yeux comme deux fentes scrutaient l’horizon. Par-delà le jardin de la citadelle s’étendait à l’infini la Mer de Nuages. Les lèvres charnues de Mingi étaient entrouvertes alors qu’il chantonnait une mélodie triste que Yunho ne connaissait pas. Elle parlait d’amour, de pirate et de l’Air. Il se laissait bercer par la voix profonde et rauque de Mingi. Il ne l’avait encore jamais entendu chanter. Finalement, les yeux de Mingi croisèrent les siens.

— Tu m’admires en secret ? se moqua gentiment le second.

— Seulement en secret ?

— C’est vrai que tu es incapable de détourner le regard de mon splendide visage.

Yunho pouffa et embrassa chastement Mingi.

— Je pourrais te regarder pendant des heures, mon pirate.

Le second glissa sa main à l’arrière de la nuque de Yunho et approfondit leur baiser. Quand ils se séparèrent, le regard de Mingi était plus grave. D’un geste doux, il posa les doigts sur le menton de Yunho et lui fit tourner la tête vers la sépulture de sa mère. Une seconde tombe était à côté de celle de Haneul, gravée au nom de Jaehyung. La pierre était taillée grossièrement et gardait un aspect brut mais Yunho s’en fichait. Les larmes montèrent toutes seules à ses yeux.

— Min…

— J’avais peur que cela ne soit pas assez, avoua le second.

— Merci. Merci pour tout. Je…

Il n’avait pas les mots. Mingi le comprit très bien et déposa un baiser sur ses lèvres humides de larmes.

— Je t’aime Mingi, murmura Yunho.

— Je t’aime Yunho.

Il enroula ses bras autour du cou de Mingi et laissa reposer sa tête contre sa gorge. Les larmes brouillaient sa vue mais l’image des pierres tombales côte à côte étaient gravées dans son cœur. Son père avait enfin retrouvé sa mère.