40 - La chute
Suivre la trace de Yunho s'était révélé plus chaotique pour Seonghwa qu'il le pensait. Peu de temps après la chute de Kirizan, il avait senti l'aura de son ami à l'ouest du Nouveau Monde avant de perdre brusquement sa trace pendant plusieurs jours. Il n'avait jamais pisté de mages sur d'aussi longues distances mais l'aura de Yunho était détectable sur des kilomètres quand il usait de ses pouvoirs. Cela rassurait Seonghwa en même temps que cela l'effrayait ; il était rassuré car chaque signe de magie prouvait que son ami était en vie mais si lui pouvait suivre sa trace, n'importe quel Annihilateur le pouvait aussi.
Yunho avait disparu une nouvelle fois quelques semaines plus tôt. Pour Seonghwa, il n'y avait aucun doute, son ami portait des objets Annihilés. Toute la question était de savoir si c'était de son plein gré ou non. La dernière fois qu'il avait senti sa présence, c'était tout au nord-ouest du monde. Kerch était de loin le pire endroit pour les mages... Plus les mages étaient puissants et plus l'Annihilation de leur magie avait des effets dévastateurs sur leur psyché. Les pouvoirs de Yunho semblaient sans limites.
Retrouvez Jeong Yunho et tuez-le. Le bout de ses doigts s'engourdirent de magie en pensant aux mots de son père. Le seul moyen de retrouver grâce à ses yeux était d'assassiner son meilleur ami. Seonghwa n'arrivait plus à avancer sur la corde raide, il perdait l'équilibre.
Ses yeux se posèrent sur la carte entre ses mains. Grâce à ce qu'il imaginait être les arrêts fréquents et parfois longs de l'Ateez, Seonghwa était certain que le navire pirate n'était plus très loin. Il avait dépassé les Iles des Anciens il y avait cela quelques heures et se dirigeait vers les Myriades. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si les pirates avaient une raison de faire ainsi le tour du Nouveau Monde. Peut-être avaient-ils réussi à percer le mystère des livres ?
L'amiral posa sa main sur son épaule, le sortant de ses pensées.
— Il va falloir nous arrêter bientôt à Solas pour nous ravitailler.
Seonghwa serra les dents mais acquiesça tout de même. Rentrer à la capitale était bien la dernière chose qu'il souhaitait faire. Il ne manquerait pas d'être convoqué par l'empereur qui ne trouverait rien d'autre à faire que lui rappeler ses échecs.
— Le capitaine a envoyé une missive au palais avec notre position il y a de cela quelques jours pour informer l'empereur de notre arrivée. Il vous attend, mon prince.
— J'en suis honoré, grinça Seonghwa.
— Tout se passera bien, essaya de le rassurer l'amiral en posant sa main sur son épaule.
— Je ne lui ramène ni les livres ni Yunho, rien ne se passera bien.
Il y eut quelques secondes de silence où les deux hommes étaient plongés dans leur pensées.
— En parlant de votre ami, que comptez-vous faire ?
— Je...
Ses pouvoirs s'agitèrent. L'écho de la magie de Yunho vint le couper dans sa phrase. Il était tout près.
— Amiral, Yunho est proche de nous. Prévenez le capitaine.
☁️☁️☁️
L'Ateez était visible au loin mais assez proche pour distinguer les silhouettes des pirates déambuler sur le pont. La dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés face à face, Seonghwa avait l'avantage. Aujourd'hui, il avait prévu autre chose.
— Levez le drapeau blanc, ordonna-t-il au capitaine.
— Votre Altesse c'est inutile, le mit en garde l'amiral en comprenant son plan. Vous avez fait couler leur ancien navire et les avez fait condamner à mort. Ce n'est pas un drapeau blanc qui va empêcher de nous attaquer. Ils défendent leur vie.
— Alors je prendrai un canot. C'est un ordre amiral, trancha Seonghwa alors que le vieil homme s'apprêtait à protester.
Il détestait user ainsi de sa position mais il n'avait pas le choix dans cette situation. Les ordres de son père dansaient dans son esprit. Malgré leur opposition, les marins lui préparèrent un canot. Alors qu'il s'installait dedans et prenait les rames, quelqu'un le rejoignit à l'intérieur. Il leva la tête vers un uniforme parfaitement mis et où brillaient des dizaines de médailles.
— Amiral, restez ici, s'il vous plaît.
— J'ai honte de désobéir à vos ordres mais je ne vous laisserai pas y aller seul, Seonghwa. Je vous ai suivi depuis votre plus jeune âge. J'ai confiance en vous et, quoique vous fassiez, je vous suivrai.
— Vous êtes bien le seul à me faire confiance.
En entendant les paroles de Seonghwa, l'amiral posa ses mains sur les rames que le prince manipulait. Ils se regardèrent quelques secondes et le vieux marin lui sourit.
— Non, je suis loin d'être le seul. Vous n'avez pas idée du nombre de soldats de l'empire qui vous sont loyaux, mon prince. Vous valez bien plus à leurs yeux que votre jeune frère. Yujun se contente de donner des ordres de loin. Vous êtes un homme d'action, vous vous souciez du bien-être des soldats sous vos ordres, vous n'avez pas peur de vous salir les mains au travail et vous menez vos hommes au combat. Vous avez tout d'un chef, tout d'un empereur, ne l'oubliez pas.
— Après ce discours, je n'ai pas d'autres choix que de vous emmener avec moi, n'est-ce pas ? plaisanta Seonghwa même si une boule d'émotion obstruait sa gorge.
L'amiral Bang lui avait dit ce qu'il avait toujours espérer entendre de la bouche de son père. Le vieil homme n'était pas du genre à mentir, encore moins pour lui faire plaisir. Il pensait ce qu'il disait. Cela réchauffa le cœur de Seonghwa. Aucun autre discours n'aurait pu lui faire plus plaisir.
— Non, je viens avec vous.
Empoignant les rames avec une conviction nouvelle, Seonghwa dirigea leur embarcation vers l'Ateez. Le trajet était silencieux. Le prince fixait droit devant lui. Il voyait les pirates déambuler sur le navire et s'accouder au bastingage pour les observer. Certains avaient des fusils pointés droit sur eux. Au moins personne n'avait encore osé tirer, le capitaine avait dû donner l'ordre de ne rien faire.
Plus ils s'approchaient et plus le stress le gagnait. Que ferait-il une fois sur le navire ? Et si à peine monté, Hongjoong lui mettait une balle dans la tête sans plus de cérémonie ? Il chassa cette pensée. Il devait uniquement se concentrer sur Yunho. Au bout de quelques minutes d'efforts supplémentaires, le canot cogna presque silencieusement la coque de l'Ateez. Immédiatement, une ombre les recouvrit.
— Vous vous êtes invité sur mon navire. Donnez-moi une bonne raison de ne pas vous tailler en pièce, prince Seonghwa.
L'héritier de l'empire leva la tête vers la voix menaçante et croisa le regard noir du capitaine de l'Ateez. Hongjoong le tenait en joue, le pistolet orienté droit vers son crâne. Ses cheveux bleus étaient balayés par le vent et le khôl sous ses yeux accentuait son regard brun aiguisé. Les bijoux accrochés à ses oreilles et autour de son cou reflétaient la lumière du soleil et aveuglaient Seonghwa.
— Je ne suis pas là pour vous faire du mal.
Le pirate arma le chien du revolver avec un sourire moqueur.
— Je ne suis pas convaincu.
Seonghwa soutint son regard. Il n'avait pas oublié qu'il avait battu le pirate en duel lors de leur dernier affrontement. Il pouvait très bien recommencer. Hongjoong ne lui faisait pas peur. Ils se toisèrent de longues secondes, chacun refusant de détourner le regard.
— Hongjoong, s'il te plaît.
Seonghwa se dressa d'un bond en reconnaissant la voix de Yunho. Malgré que le canot soit plus bas que le pont, il arrivait à hauteur des yeux du capitaine. Mais ce qui attirait son regard était la haute silhouette de Yunho à quelques mètres. Ses vêtements étaient aussi noirs que ses yeux et sa cape claquait au vent. Il se tenait droit comme un piquet, entouré par San et Mingi qui lui lançaient des regards noirs. Dire qu'il n'était pas le bienvenu était un euphémisme.
Il mit les pieds sur le pont de l'Ateez en compagnie de l'amiral. Il sentait la tension des pirates. L'aura de l'Ombre crépitait davantage à chaque pas qu'il faisait. Autour d'eux, les marins serraient leurs armes autour de leurs poings. Certains visages étaient fermés, d'autres ouvertement hostiles. Certains crachaient à leurs pieds. En levant la tête vers les mâts, il croisa le regard d'un jeune homme tout vêtu de noir à la beauté semblables aux statues des temples anciens. Le laçage de son corset mettait en valeur sa taille et la forme de ses épaules. Seonghwa lança ses pouvoirs vers lui et rencontra une aura d'une rare puissance. C'était le Marcheur dont lui avait parlé Yunho.
— Pardonnez l'hostilité de mon équipage. La dernière fois que vous vous êtes trouvés en notre compagnie, nous avons tous failli mourir, railla le capitaine Hongjoong.
— Je ne suis pas là pour vous tuer.
— A la bonne heure, commenta Mingi qui aiguisait sa rapière dans une position faussement nonchalante.
Seonghwa ramena son attention vers Yunho et s'empressa de le serrer dans ses bras. Le Façonneur lui rendit son étreinte et posa sa tête contre son épaule.
— Je suis là Yunho, je suis là. Par Byeol tu n'as rien ?
Yunho secoua négativement la tête et se détacha lentement de lui. Seonghwa prit ses mains dans les siennes et les serra doucement.
— Viens avec moi, quittons ce navire de malheur.
— Hwa, je ne suis plus leur prisonnier, répondit Yunho avec un air gêné, j'ai choisi de rester avec eux.
— Quoi ? Mais... Ils t'ont protégé ?
Yunho hocha la tête. Le regard du prince coula vers Mingi, immobile à quelques mètres mais le corps tendu. Il était prêt à agir en cas de danger. Un danger que représentait Seonghwa.
— Je veux rester avec eux. Je n'ai nulle part d'autre où aller...
Seonghwa se mordit la lèvre. Yunho n'était plus le Vicomte de Skywe. A la seconde où l'empereur avait déclaré sa trahison et l'avait déchu de son titre, il avait placé une autre famille de noble à la tête de l'île volante.
— Je suis désolé pour tout, soupira le prince. Je suis navré pour le Vicomte.
— Moi aussi, souffla Yunho.
Seonghwa le serra à nouveau contre lui. Pendant les années où il avait vécu à Skywe, Jaehyung et Haneul lui étaient devenus chers. Il en voulait à Byeol de laisser ainsi Yunho seul. La dague cachée sous son manteau semblait penser une tonne. Sa main droite s'y dirigea. Retrouvez Jeong Yunho et tuez-le. Peut-être qu'après nous pourrons discuter de votre loyauté envers la couronne. S'il tuait Yunho, l'empereur allait-il enfin changer la manière dont il le voyait ? Seonghwa avait tout donné pour l'empire. Il était prêt à tout sacrifier pour lui. Le corps chaud de son meilleur ami contre lui lui rappelait qu'il n'avait pas encore tout sacrifié. Eunji savait à quel point Yunho comptait aux yeux du prince. S'il avait demandé à Seonghwa de le tuer, c'était pour tester son obéissance envers la couronne et savoir jusqu'où il pouvait aller pour elle.
Alors qu'il posait le bout de ses doigts sur sa dague, il se demanda jusqu'où il était prêt à aller pour l'empire. Ce qu'il resterait de son âme s'il enfonçait la lame dans le cœur de Yunho. Il finirait ce que sa famille avait commencé deux cents ans plus tôt, faire disparaître les Façonneur de la surface de la terre. Yunho se laissa davantage aller contre lui et Seonghwa se rappela la dernière fois qu'il l'avait tenu aussi fort dans ses bras. Il devait avoir à peine douze ans, Yunho dix. Le Façonneur avait sauvé un petit chaton de la noyade dans le bassin des jardins de la citadelle de Skywe. Malheureusement, l'animal était mort quelques jours plus tard et Yunho était inconsolable. Seonghwa lui avait expliqué du mieux qu'il pouvait ce qu'était la mort et où les défunts allaient. Au milieu de ses larmes, Yunho lui avait fait promettre qu'ils ne mourraient jamais. Seonghwa l'avait serré fort contre lui en lui promettant que tant qu'il sera aux côtés du noble, la mort ne les atteindrait pas.
Alors que sa main lâchait la dague, Songhwa sentit une présence dans son dos. Il eut à peine le temps de se retourner que sa dague était pressée contre sa gorge. Seonghwa croisa le regard de pure haine de l'Ombre. Ses cheveux fuchsia tombaient en cascade sur ses yeux jusqu'à l'arête de son nez droit. La colère maquillait ses traits.
— Assassiner quelqu'un en le tenant dans ses bras. C'est si bas que cela devient digne de l'héritier de l'empire.
— Quoi ? s'exclama Yunho.
Seonghwa essaya de tourner la tête vers Yunho mais San entailla sa gorge.
— Pas bouger. Ne touche pas à Yunho.
— Hwa... Tu... tu n'allais quand-même pas ?
Le Façonneur entra dans son champ de vision. Le choc et la détresse se lisaient sur son visage. Mingi glissa une main sur sa taille et assassina Seonghwa du regard à son tour.
— Non ! Bien sûr que non ! Yun, tu sais très bien que je ne te ferai jamais de mal !
Les yeux de Yunho s'embuèrent de larmes.
— Je ne sais plus si je peux te croire.
Il n'avait rien à répondre à cette accusation. Il avait été attrapé proche de commettre le pire. Même s'il avait changé d'avis, par Byeol, il avait hésité. Il avait à peine retrouvé Yunho qu'il brisait toute la confiance que celui-ci avait placé en lui. Des pas tranquilles s'arrêtèrent près de lui. Le visage de Mingi se ferma immédiatement alors que son corps se crispait.
— Amiral Bang, salua Mingi d'une voix glaciale.
— Votre Grâce, répondit le vieux militaire en s'inclinant. Comment se porte mon fils ?
— Je crains de ne plus être en très bon terme avec Chan.
Les regards des deux hommes se croisèrent. La haine de Mingi brillait dans ses prunelles alors que ceux de l'amiral étaient remplis d'excuses et de culpabilité.
— Je suis navré pour-
— Navré ?! gronda Mingi. A la seconde où les rumeurs de ma liaison avec Chan sont arrivées à vos oreilles, vous avez sauté dans le premier navire depuis les Myriades pour venir nous humilier. Et vous avez emmené mon père avec vous pour faire bonne mesure. En plus d'un fils non mage, il avait également un fils qui ne lui donnerait jamais d'héritier ! Vous n'avez pas idée à quel point il m'a tué ce jour-là.
Seonghwa s'interposa entre les deux hommes. Il sentait la tension monter et Byeol savait à quel point son cousin était instable. Aux yeux de Seonghwa, Mingi n'avait jamais été qu'une boule de nerfs colérique en croisade perpétuelle contre le monde. Du moins, c'était les rumeurs que colportaient les militaires, les nobles et les domestiques qui fréquentaient la cour de Solas puis de Skywe. Contrairement aux roturiers, les relations entre même sexe étaient plus que tabou dans l'aristocratie. Honnies, elles mettaient en danger des lignées et des dynasties entières. En tant que noble et venant des Myriades, Chan avait été doublement condamné.
Mingi avait les poings serrés autour de sa lame. Il fusillait l'amiral du regard, prêt à se jeter sur lui. Seonghwa avait déjà entendu cette histoire, c'était la plus grande honte et le plus grand remord de l'amiral. Le temps avait fini par faire comprendre au vieil homme son erreur mais c'était trop tard, son fils était déjà loin. Seonghwa se rappela de ses paroles, au début de sa traque de l'Ateez. L'empire lui avait fait perdre son fils par des interdictions de mœurs qu'il avait suivies aveuglément. Eunji aurait désavoué l'entièreté de la famille Bang si l'amiral avait soutenu son fils.
— Je regrette mes actes, votre Grâce. J'implore votre pardon.
— Implorez le autant que vous voulez, siffla Mingi. Vous mourrez avec cela sur la conscience. Chan vous aimait et vous estimait beaucoup, vous le savez ?
— Mingi, tais-toi, ordonna Seonghwa sur un ton glacial.
— Je ne reçois pas d'ordre venant de toi, cousin. Encore plus depuis que tu n'as pas hésité à m'envoyer sous la hache d'un bourreau.
La magie du prince s'agita dans ses veines. Le regard froid de Mingi le faisait grincer des dents. Avec sa grande taille et son air impassible, le pirate avait une aura charismatique qui déstabilisait Seonghwa. Il ne se souvenait pas que le Mingi de son enfance ressemblait à cela, plus à un petit garçon brisé et fuyant le regard des autres comme la peste. Alors que la tension montait entre eux, Yunho éloigna Mingi par le bras.
— Pars, ordonna le Façonneur à Seonghwa.
— Yunho je ne te laisserai pas-
— PARS D'ICI !
Le navire trembla sous le cri du mage.
— Yunho, je peux te protéger de mon père.
— Et comment ? répliqua le Façonneur. En me poignardant ? Tu as toujours obéi aveuglément à l'empereur, comment peux-tu rien qu'espérer me protéger de lui ? Tu aurais pu me tuer pour lui.
Seonghwa ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Yunho avait raison. L'idée de tuer son meilleur ami l'avait traversé, travaillé, il l'avait même envisagé. Qu'est-ce que son père aurait fait une fois que Seonghwa serait rentré après avoir tué Yunho ? Rien. Il le lancerait sur la piste des livres une nouvelle fois en ne manquant pas de l'humilier. Rien de ce que Seonghwa fera ne sera jamais suffisant. Il le comprenait à présent. Il était relégué à sa place de mage, un poids et une honte pour l'empereur.
— Je ne veux plus lui obéir... souffla-t-il en ayant du mal à y croire lui-même. Tu es en danger. L'empire est à tes trousses. Tous les Annihilateurs de l'armée peuvent sentir ta présence. Je veux t'aider.
— Alors je n'ai aucun endroit où me cacher.
Son ton tranchant le surprit. Ou était passé le timide noble qu'il connaissait ? Yunho le dévisageait, cherchant la vérité de ses paroles dans ses yeux. Seonghwa fit un pas vers lui mais Mingi et San l'en empêchèrent. L'Ombre jouait négligemment avec la dague qu'il lui avait volé. La dernière fois qu'il avait vu San, il semblait haïr Yunho. Était-ce sa condition de Façonneur qui avait tout changé ?
Alors que chacun se toisait, un son de cor résonna au loin.
— Tu es venu seul, hein ? cracha Mingi en pointant du doigt une dizaine de navires aux couleurs de l'empire qui venaient vers eux excessivement vite.
Les yeux de Seonghwa s'écarquillèrent de surprise. Il reconnut entre tous les bâtiments celui de son frère. Plus grand, plus luxueux, l'Audacieux se démarquait sans problème. Le prince jura sans être étonné. Si il avait besoin d'une preuve supplémentaire que son père ne lui faisait pas confiance, celle-ci était droit devant lui.
— J'ignorais que Yujun me suivait !
— Votre Altesse, il faut y aller, intervint l'amiral.
— C'est cela, abandonnez-nous, railla Mingi. Quelle preuve d'amitié envers Yunho, Seonghwa.
Le prince jeta un œil aux navires voguant vers eux puis au Dangereux à l'opposé et enfin Yunho. Il venait de lui promettre de l'aider contre son père, il ne pouvait pas changer d'avis sinon il perdait définitivement son ami. L'amiral attendait sa réponse, son regard perçant l'analysant de toute part.
— Je ne viens pas avec vous, amiral. Retournez sur le Dangereux et mettez les hommes en sécurité. Vous n'êtes pas obligé de me suivre. Vous pouvez encore rentrer à Solas avec l'équipage du Dangereux.
— Si cela est votre choix, je reste avec vous. Cela fait bien longtemps que j'ai choisi quel empereur je serai prêt à suivre jusqu'à ma mort, votre Altesse.
— Préparez-vous au combat ! hurla Hongjoong en se tournant vers ses marins.
Les hommes saisirent leurs armes tandis que d'autres couraient vers les canons. Seonghwa grimaça, ils n'allaient pas beaucoup servir. Il y avait au moins un Marcheur par navire sur la flotte de Yujun. Les attaques à distance étaient inutiles. Il y avait onze navires. Quatre se rapprochaient de l'Ateez alors que les autres restaient à une distance convenable pour les noyer de boulets. Son frère ne cherchait pas à mener une bataille de canon pour le moment.
Aux regards que se jetaient les pirates de l'Ateez, Seonghwa comprit qu'ils étaient seuls et qu'ils allaient le rester. Il n'y aurait pas de sauvetage miracle cette fois-là. Leurs chances de survie étaient risibles.
— Dansons avec la mort ! Seule elle sait où nous serons demain !
Des épées furent tirées de leurs fourreaux et des armes à feu pointées vers le ciel alors qu'une clameur résonna sur l'Ateez.
— Il n'y a pas meilleure mort que celle au combat pour un pirate, dit l'amiral près de lui. C'est ce que j'ai toujours admiré chez eux, leur rage de vaincre même en ayant perdu d'avance.
— Nous ne sommes pas encore morts, rétorqua Seonghwa.
— Un stratège ne mise pas sur l'espoir mais sur les faits. C'est la première leçon que je vous ai enseigné. Et les faits ne sont pas en notre faveur.
— Alors ne soyons pas stratèges aujourd'hui.
Il leva à son tour son épée vers le ciel.
— Que la mort suive nos pas, murmura-t-il.
Les premiers navires furent bientôt à portée de tir. Sous les ordres de Hongjoong, les canonniers tirèrent sans s'arrêter. Les premières répliques se firent rapidement voir mais le Marcheur veillait. Les boulets perdaient leur vitesse avant de toucher la coque de l'Ateez.
— Il faut les empêcher d'aborder ! hurla Mingi par-dessus le vacarme.
Une flèche effleura la joue du second, emportant avec elle une mèche de cheveux châtain. Seonghwa serra le poing sur son épée en grinçant des dents, leurs ennemis visaient les lieutenants en premier.
— MINGI !
Le cri de Yunho fendit les coques des navires tout autour d'eux dans un grondement comparable au tonnerre quand une nouvelle flèche faillit transpercer le cœur du pirate.
— Abattez le Façonneur ! hurla une voix indistincte sur un des bâtiments face à eux.
Mingi se jeta sur Yunho et l'entraîna dans sa chute juste à temps pour esquiver la salve de balles. Seonghwa dégaina son revolver en serrant les dents. Et voilà qu'il se retournait contre l'empire à qui il avait juré fidélité. L'amiral à ses côtés fit de même.
— Que les étoiles suivent vos pas, Seonghwa.
Il lui adressa un regard déterminé, prêt à se jeter dans une bataille déjà perdue d'avance. Seonghwa hocha la tête et visa le capitaine du navire le plus proche. Il le reconnut au moment où il appuya sur la gâchette. Un ami de Yujun. La balle cueillit l'homme en pleine tête qui s'effondra contre la barre. Toujours viser les chefs en premier pour créer un vent de panique. Les conseils de l'amiral Bang résonnaient dans sa tête. C'était plus qu'un vent de panique dont ils avaient besoin pour gagner, c'était une tornade.
Ils repoussèrent leurs ennemis aussi longtemps que possible. Rapidement, Seonghwa se retrouva à court de balles. Yeosang affrontait les autres Marcheurs et plus rien n'empêchait les canons de frapper et les soldats de l'empire de sauter sur le pont de l'Ateez. Le combat des mages avait fait se lever le vent et se regrouper des nuages noirs. Au beau milieu de l'été du Nouveau Monde, il se mit à neiger.
Les cris des premiers combats au corps à corps ramenèrent Seonghwa sur le pont. Ce n'était pas le moment d'être distrait. Les flocons furent de plus en plus nombreux, créant un bouillard blanc où personne ne voyait à plus de deux mètres. Il vit du coin de l'œil l'amiral Bang sauver Mingi d'une mort certaine, frappé à mort par une baïonnette alors qu'il était à terre. L'amiral tendit la main au pirate qui l'accepta après une brève hésitation.
Seonghwa aperçut les cheveux bleus en partis recouverts de neige du capitaine au milieu des soldats et il se dirigea vers lui. Certains soldats l'évitaient quand ils le reconnaissaient alors que d'autres n'hésitaient pas à venir croiser le fer. Ils avaient tous les mêmes mots qu'ils lui crachaient au visage. Mage. Imposteur. Démon. Leur haine ne faisait que renforcer la sienne. Il avait subi cette violence bien trop longtemps en silence. Si personne n'avait osé lui faire du mal, c'était uniquement car il restait l'héritier de l'empereur. Mais maintenant qu'il avait trahi son père, plus rien ne les retenait.
Alors que les coups de canons se calmaient pour permettre aux soldats d'aborder l'Ateez, les tirs assourdissants reprirent. Seonghwa pouvaient les reconnaitre entre mille. Le Dangereux se joignait à la bataille. Les tirs de canon de son équipage étaient précis et semèrent la cohue parmi les navires de l'empire. Le prince remercia silencieusement le capitaine et ses lieutenants de s'être rangés à ses côtés. Ils connaissaient les conséquences de leurs choix mais n'en avaient que faire. Les paroles de l'amiral sur la loyauté de ses soldats lui revinrent. Il n'était pas seul.
Il para un coup d'estoc, envoya son coude dans le nez d'un adversaire et repoussa une soldate en lui envoyant son pied dans les côtes. Les quatre navires qui les avaient abordés semblaient avoir craché tous leurs soldats sur le pont de l'Ateez. Le bois ne se voyait même plus tant il y avait de personnes marchant dessus. Le sang, la neige et les cadavres le recouvraient aussi en partie.
Un ambiance de fin de monde s'invita dans la bataille quand une pluie diluvienne remplaça la neige. Le combat entre les Marcheurs se faisait plus intense. Yeosang se tenait sur une vergue et manipulait le vent, la gravité et les états de l'eau avec une facilité déconcertante. Des éclairs tombaient tout autour des navires, à l'image de la colère de la nature déchaînée par les mages.
— Attention !
La voix de l'amiral retentit derrière Seonghwa. Entouré par ses ennemis, l'un d'eux avait fini par trouver une faille dans la garde du prince. Il se retourna et son monde s'effondra quand il réalisa ce qu'il se passait sous ses yeux. L'amiral se tenait entre lui et une rapière dont le bout ressortait à travers son dos. Seonghwa hurla et, d'un coup d'épée en arc de cercle autour de lui, trancha la chair de tous les soldats qui tombèrent raides morts sur le pont. Il lâcha son épée et rattrapa l'amiral qui tombait en arrière. Ils s'écrasèrent sur le pont et Seonghwa le tint contre lui.
— Non ! Restez avec moi amiral.
— J'ai vu assez de batailles pour savoir quelles blessures ne laissaient aucune chance.
— Non ! Vous ne pouvez pas dire cela. Nous... nous allons trouver un moyen. Il faut vous ramener sur le Dangereux !
Sa voix s'envolait dans les aigus à mesure qu'il voyait le sang tacher la tenue blanche immaculée du militaire. Il allait trouver une solution. Il le devait. L'amiral ne pouvait pas mourir. Cet homme était ce qu'il avait de plus cher. Il ne pouvait pas... Il ne pouvait pas. C'était inconcevable.
L'amiral posa la main sur son bras et Seonghwa croisa son regard serein. Il se rappela de leur première rencontre, de sa présence à ses côtés alors que les autres hauts gradés se détournaient de lui en découvrant ses pouvoirs, aux journées passées à étudier à ses côtés, à suivre ses conseils, à apprendre à se battre. A échouer et se relever. Toujours. Il lui sourit et le prince étouffa un sanglot quand il vit ses fossettes se creuser.
— Vous serez un grand empereur, Seonghwa. Mon cœur se gonfle de fierté de vous avoir accompagné sur une partie de votre route. Car elle... elle n'est pas terminée. Byeol a tracé un long chemin pour vous.
— Je veux vous garder à mes côtés. Je... je ne sais pas si j'aurais la force de suivre mon chemin sans vous.
— Vous y arriverez, j'ai confiance.
Le souffle de l'homme devenait de plus en plus irrégulier à mesure qu'il parlait avant de s'arrêter brusquement. Son corps se devient plus lourd entre les bras de Seonghwa. Les yeux du prince restaient figés sur le torse immobile où le sang continuait de s'échapper de la blessure.
— Amiral ?
Seuls les bruits assourdissants de la bataille lui répondirent.
— Que les étoiles suivent vos pas, père.
Il ferma les yeux du militaire et ramassa son épée, serrant la garde si fort que ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau. La colère envahissait chaque fibre de son être. Ils allaient payer. Il se remit sur ses pieds et se jeta dans la mêlée en hurlant de rage. Chaque tenue impériale qui passait sous son nez finissait sous le tranchant de son épée. Il ne voyait que lui, n'avait en tête que sa propre rage. Le monde avait disparu autour de lui. Tout semblait si loin, comme dans un rêve. La main qui frappait sans relâche ses propres concitoyens ne semblait pas être la sienne. Pourquoi l'amiral ? Pourquoi maintenant ? Les batailles étaient cruelles mais jamais Seonghwa n'avait connu la perte. Et quelle perte...
— Non ! Attention ! Yunho !
Le cri de panique de Mingi le ramena brutalement sur terre alors que la terreur fit s'affoler les battements de son cœur. Il tourna la tête vers la droite, au bord du pont où se trouvaient Yunho et Mingi se battant chacun contre leur adversaire. L'homme qui affrontait Yunho était un géant, dépassant au moins d'une tête le Façonneur qui reculait vers le bastingage à chaque fois que la hache tombait contre son épée.
La bouche du prince s'ouvrit mais le cri mourut sur sa langue. L'homme venait de désarmer Yunho qui recula encore, un masque de terreur sur le visage. Seonghwa n'eut même pas le temps de faire un pas. L'arme du soldat trancha le torse de Yunho de haut en bas, laissant échapper une gerbe de sang au passage. Le Façonneur recula sous le choc mais il était déjà au bord du pont et le bastingage était arraché. Seonghwa hurla, Mingi essaya de le rattraper mais c'était trop tard. Yunho tomba. Le temps arrêta sa course autour de Seonghwa. Il en oublia de respirer. Il vit son ami basculer en arrière en essayant désespérément d'attraper les mains de Mingi tendues vers lui, le visage tordu par la terreur. Leurs doigts se frôlèrent, juste assez pour qu'ils se touchent une dernière fois mais pas assez pour que Mingi ne puisse le rattraper.
— YUNHO !
Son ami disparut dans les nuages.
La mort reprit son cours autour de lui aussi vite qu'elle avait cessé. Les cris des marins et le tonnerre des canons fracassa à nouveau ses oreilles. Pourtant il restait figé. Mingi aussi, accroupi au bord du pont, le regard fixé sur le vide infini en dessous de lui. San le sauva du géant prêt à décoller sa tête de ses épaules et le força à s'éloigner du bord. Mingi se laissait faire, trop hébété pour agir par lui-même. Seonghwa n'eut d'autre choix que de réagir quand une lame effleura sa gorge. Il recula d'un pas, para le coup suivant et trancha le cou de son adversaire.
Il ne savait même plus pourquoi il était là à se battre. Il s'était retourné contre son père, contre son empire pour protéger Yunho. Il avait perdu l'homme qu'il considérait comme son père. Et maintenant... Son regard se posa brièvement sur le vide. Une salve de boulets le sortit de ses pensées. Rien ne l'attendait à présent à part la mort. On ne se dressait pas aisément contre Eunji. Depuis quand l'empereur soupçonnait-il sa faiblesse face à son meilleur ami au point de le faire pister par la flotte de son propre frère ?
Les boulets brisèrent un des mâts qui tomba en travers du pont et s'écrasa sur la dunette, juste à côté du capitaine. Celui-ci ne cilla pas et garda les yeux sur le cap. Rapidement, son expression se fit inquiète en manipulant le gouvernail. Il baissa la tête vers le sol puis hurla en direction de ses lieutenants.
— La roue de gouvernail est cassée ! On ne peut plus piloter !
Hongjoong s'accrochait aux mancherons du gouvernail bien que cela était inutile. La peur se lisait dans ses yeux noisette. Il n'y avait plus rien à faire. Sans moyen de contrôler l'Ateez, leurs ennemis ne feraient qu'une seule bouchée d'eux. Le capitaine fixait droit devant lui et Seonghwa suivit son regard. Une pierre tomba dans son estomac. Deux navires ennemis se dirigeaient vers eux, à bâbord et à tribord de l'Ateez. Seonghwa vit la mort arriver devant ses yeux. Frappé de chaque côté de la carène, le navire perdra toute magie et tombera à pic. Son attention tomba sur le Marcheur. Il se battait en compagnie des pirates, un fouet d'eau entre chaque main. Il était le seul à pouvoir les sauver en éloignant l'Ateez du combat grâce à sa magie. Seonghwa se précipitait déjà vers lui quand un cri perça la bataille.
— A couvert !
Sans réfléchir davantage, le prince se jeta face contre terre. Quand la vague de boulets frappa le navire, il se recroquevilla sur lui-même et protégea sa tête avec ses bras. Chaque seconde pouvait être la dernière et il en avait bien conscience. Des débris tombèrent sur lui et il se redressa une fois l'attaque passée. Il jeta des regards frénétiques autour de lui avant de jurer. Il avait perdu la trace du Marcheur au milieu du chaos. Il n'eut pas le temps de le chercher davantage, un cor résonna par-dessus les bruits de la bataille. Le Dangereux venait de se placer à leurs côtés pour une opération de sauvetage. Les deux navires de la flotte de Yujun étaient presque arrivés à leur hauteur.
— ON ABANDONNE LE NAVIRE ! hurla Hongjoong. ALLER ALLER !
Les premiers pirates se jetèrent sur le pont du Dangereux grâce à des bouts. Seonghwa croisa le regard du capitaine de sa flotte qui hocha la tête d'un air grave. Ils étaient tous des renégats à présent. La coque du Dangereux était criblée de trous de canon mais il tenait bon malgré tout.
Il ne fallut que quelques secondes à Seonghwa pour comprendre que tous les pirates ne pourraient pas se mettre en sécurité sur le Dangereux avant la destruction de l'Ateez. Et de plus, son navire allait être pris en chasse par la flotte s'il restait trop longtemps sur le champ de bataille. Sauver certains pirates n'aurait servi à rien. Son regard tomba sur le capitaine. Au vu de sa mine inquiète, il avait l'air d'être arrivé aux mêmes conclusions que lui.
— Yeosang, éloigne le Dangereux de l'Ateez. Maintenant, ordonna Hongjoong.
Les premiers coups de canon se mirent à détruire la proue de l'Ateez. Le navire pencha dangereusement vers l'avant et les derniers pirates sautèrent sur le Dangereux. Le Marcheur hocha la tête et ses yeux prirent une teinte d'azur alors qu'il puisait dans son aura. Le vent se leva avec force et se mit à pousser les voiles du Dangereux le plus loin possible. Les pirates restés sur l'Ateez le regardaient partir avec l'expression de condamnés à mort.
— Il faut éloigner l'Ateez des navires ! hurla Seonghwa.
— Je ne peux pas ! rétorqua Yeosang. Le navire est trop abîmé, si j'essaie de le déplacer, il pourrait tout simplement tomber. Il ne peut plus supporter la force du vent.
Quoi qu'ils fassent ils étaient condamnés.
C'était terminé.
Chaque coup de canon faisait concurrence au tonnerre. Les boulets perçaient le bois en dessous des pieds de Seonghwa comme s'il s'agissait de papier et faisaient trembler le navire. Il cédait sous leurs pieds. Les salves de boulets ne leur laissaient aucune chance d'en réchapper. Le bruit des explosions était assourdissant. Seonghwa se baissa juste à temps pour ne pas finir empalé par un morceau de bois du mât d'artimon. Partout où il posait ses yeux, il ne voyait que des cadavres. Une secousse suivie de craquements sourds le fit tomber à genoux. Il ne savait pas qui allait céder en premier, la magie des Marcheurs ou les planches du navire. Seonghwa releva la tête et aperçut le corps inconscient -ou était-il mort ?- d'un des lieutenants étendu face contre terre. Une tache de sang grandissait autour de sa tête. C'était le pirate tatoué, le cartographe.
Il était trop sous le choc pour avoir peur. Les hurlements de douleur, de terreur et les prières envers Byeol sortaient de la bouche des survivants. Les derniers coups de canon eurent raison du navire pirate. Seonghwa ferma les yeux alors que la gravité reprit son droit sur la magie des Marcheurs. Il s'accrocha au reste d'un mât, s'imaginant malgré lui le sourire satisfait de son frère depuis son navire amiral. Il n'aurait pas pu être plus satisfait, il allait devenir le seul héritier de l'empire. Les craquements d'agonie insupportable du bois firent remonter son cœur au bord de ses lèvres. Que les étoiles suivent mes pas.
Et l'Ateez sombra.
Fin
Ne me tuez pas c'est une blague 😆
La suite arrivera la semaine prochaine !
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