39 - Flammes
L'équipage insouciant de l'Ateez fêtait leur réussite. Wooyoung les observait, un peu perdu. Le fait que le trésor soit dans l'Ancien Monde avait refroidi sa joie d'avoir mené à bien leur mission. La suite de leur aventure pourrait bien être la dernière chose qu'ils feront de leur vie. Il sourit quand les bras de San entourèrent sa taille. Le mage colla son torse à son dos et Wooyoung se cala confortablement contre lui.
— Pourquoi es-tu dans ton coin ? Tu ne veux pas profiter de la fête ?
— Et si nous ne revenions jamais ?
La prise se raffermit autour de sa taille.
— Nous y arriverons, je le sais. J'ai confiance en nous.
Wooyoung pencha la tête pour croiser le regard de San. La détermination brillait au fond de ses pupilles. Était-il le seul à imaginer leur mort prochaine ? L'Ombre coupa court à ses pensées en déposant un baiser sur ses lèvres.
— Allons nous détendre, dit-il. Nous réfléchirons à cela tête reposée.
San l'entraîna à sa suite en le tenant par la main et Wooyoung se laissa faire, une moue amusée aux lèvres. Il n'y avait peut-être pas de cartes et de trésors dans ce navire mais il y avait mieux. Des litres et des litres d'alcool. Quelques fûts avaient été remontés de la dernière cale dans les cuisines et les marins se servaient à boire sans s'inquiéter de la quantité. Ordinairement, Hongjoong n'aimait pas que ses marins boivent trop mais il leur avait laissé la nuit pour faire ce que bon leur semblait. Ils l'avaient tous mérité. Wooyoung récupéra la pinte que Minjae lui tendait.
— A la vôtre, lieutenants ! déclara-t-il en levant son verre au-dessus de sa tête.
Le cartographe le suivit quand il but l'alcool d'une traite. San les regardait faire en riant. Wooyoung reposa la chope vide avec force contre la table et cria.
— Par Byeol j'en avais besoin.
Il tourna la tête vers le centre de la pièce et un sourire machiavélique prit place sur ses lèvres. Yunho et Mingi discutaient ensemble adossés à une table, sans rien à boire. Il demanda à Minjae de lui servir deux pintes de makgeolli et deux autres de soju et s'approcha du couple. Il soupçonnait le Façonneur de n'avoir jamais touché un verre d'alcool de sa vie et comptait bien y remédier. Chaque marin de l'Ateez se devait de s'être saoulé au moins une fois. Voir Yunho quitter son costume de noble allait le faire beaucoup rire.
— Voilà pour vous ! dit-il avec son air le plus innocent en tendant les boissons à ses amis.
Yunho fronça le nez tandis que Mingi prit la chope en le remerciant.
— Je n'ai jamais bu d'alcool...
— Alors il y a une première fois à tout ! s'exclama Wooyoung en sautillant sur place. Il faut boire tout d'un coup !
San souriait en coin derrière lui.
— C'est une tradition, rajouta l'Ombre.
Sans plus se poser de question, Yunho vida la chope d'une traite et manqua de s'étouffer. Son visage et ses oreilles prirent une teinte rouge vif alors qu'il toussait contre sa manche à faire exploser ses poumons. Mingi se moqua franchement de lui.
— Les petits nobles ne sont pas faits pour supporter l'alcool.
— Tu n'as peut-être pas tort, répondit le Façonneur entre deux quinte de toux.
Wooyoung lui donna une claque dans le dos et lui tendit un autre verre de soju.
— Goûte à celui-là pour voir !
Il capta le froncement de sourcil de Mingi et rit intérieurement. Ce soju devait être en fût depuis bien avant leur naissance. Yunho le prit avec hésitation. Ils trinquièrent et burent culs sec. Même Wooyoung grimaça au goût âpre qui lui brûla l'œsophage. Pourtant Byeol savait qu'il avait l'habitude de sortir dans les tavernes avant que le casse de Skywe ne mette fin à sa tranquillité. Il jeta un regard en coin à San qui avait discrètement fait disparaître son verre. Si l'Ombre buvait, Wooyoung le retrouverait suspendu au mât à chanter des chansons grivoises. Même s'il appréciait l'idée, il avait d'autres plans pour la nuit.
— Qui peut boire cela ? demanda Yunho avec les larmes aux yeux.
— Les gens qui n'ont plus de palais, répondit San en enlevant le verre des mains du noble. Tu as déjà beaucoup bu, je pense qu'il vaut mieux que tu arrêtes.
— Rabat joie, marmonna Wooyoung. Il faut savoir s'amuser ! Je vais chercher d'autres verres !
Mingi le suivit quand il prit le chemin des fûts.
— Tu t'amuses en faisant boire Yun ?
— Un vrai pirate est un pirate qui boit.
— Mais bien sûr, ironisa Mingi. Il n'y a que toi qui croit à cela.
Wooyoung sourit en servant une pinte généreuse, mélangeant les deux alcools. Mingi scrutait ses moindres gestes.
— Tiens ! Tu m'en diras des nouvelles !
Mingi prit la chope qu'il lui tendait, un sourcil haussé avant de boire. Wooyoung refit le même mélange en attendant l'avis du second. Mingi déglutit péniblement après la première gorgée.
— C'est dégueulasse.
— Parfait ! s'exclama Wooyoung. Yunho ! J'ai une autre pinte pour toi !
☁️☁️☁️
L'ambiance de fête était redescendue sur le navire. Beaucoup des marins étaient partis se coucher ou d'autres avaient élu domicile sur les tables de la cuisine. Depuis les coursives, Wooyoung et San entendaient encore les derniers pirates réveillés discuter et rire bruyamment. Les deux jeunes hommes s'étaient éclipsés un peu plus tôt en prétendant être fatigués. Ils préféraient être seuls. Yeosang, Jongho et Hongjoong n'étaient pas apparut dans la cuisine de toute la soirée, Wooyoung avait hâte de leur raconter les évènements qui s'y étaient déroulés.
Les mains de San traçaient leur chemin sous la chemise de Wooyoung alors que ses lèvres se perdaient dans sa nuque. La tête rejetée en arrière, le cartographe avait fermé les yeux pour profiter du moment. Alors que la bouche de San se rapprochait de la sienne, ils s'arrêtèrent, leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre. Il sentait leurs souffles se mélanger. Quelqu'un arrivait. San posa un doigt sur ses lèvres et lui fit un clin d'œil. Wooyoung sourit et hocha la tête.
— C'est promis, tu ne boiras plus après cette nuit.
— T'es pas marrant ! Et puis je fais ce que je veux !
— On dirait que mon petit noble perd toutes ses bonnes manières avec un peu d'alcool dans le sang.
Wooyoung se pencha pour voir ce qu'il se passait dans la coursive des lieutenants. Mingi soutenait Yunho qui titubait et trébuchait à chaque pas. Le second avait l'air aussi désespéré qu'amusé. Il ouvrit la porte de sa cabine.
— C'est l'heure d'aller dor-
Il ne termina pas sa phrase que les lèvres du Façonneur s'écrasèrent contre les siennes. Wooyoung pouffa, Mingi avait du mal à se libérer de l'emprise de son amant.
— Yunho, tu es ivre. La seule chose que nous ferons dans ce lit c'est dormir.
La porte claqua derrière eux une fois que Mingi eut tiré Yunho à l'intérieur. San le suivit quand Wooyoung éclata bruyamment de rire.
— Où veux-tu aller ? lui demanda le cartographe.
— Ma cabine est plus en ordre que la tienne.
Wooyoung fit la moue mais San n'avait pas tort. Même s'il avait pris possession de ses quartiers depuis à peine quelques semaines, la pièce était déjà sans dessus dessous. Il traçait de mémoire des cartes de navigation qui pourraient leur être utiles. C'était dans ce genre de moment qu'il appréciait sa mémoire visuelle. Les rouleaux de papier s'empilaient dans tous les sens dans la petite cabine, à côté des instruments de navigation qu'il fabriquait avec les moyens du bord. Il avait perdu tellement de choses avec le naufrage de l'Ateez. Il ne pensait pas s'être attaché à autant d'objets qui paraissaient insignifiants à première vue.
Il se laissa entrainé par la main de San autour de la sienne vers la cabine de l'Ombre. Cette dernière était à l'opposé de celle de Wooyoung. Impersonnelle au possible, le cartographe savait que San dormait à l'intérieur uniquement grâce aux couteaux et à la cape posés sur un petit meuble en chêne. L'éventail blanc brillait par son absence.
— Je suis désolé, dit-il sans y penser.
— A propos de quoi ?
Wooyoung eut un sourire en forme de ligne et pointa le mur de la tête.
— Pour l'éventail de ta sœur.
Le regard de San s'assombrit et le cartographe lui prit la main.
— Merci... J'ai l'impression que la colère est tout ce qu'il me reste d'eux et que si je la laissait partir, il n'y aura plus rien. Plus de souvenirs. Je les perdrait à nouveau, définitivement.
— Tu ne pourras jamais oublier ta famille, le rassura Wooyoung. Mais tu dois accepter de les laisser partir, de laisser la colère partir. Garde l'amour qu'ils avaient pour toi et que tu avais pour eux, c'est comme cela que tu ne les oublieras pas.
San traçait du doigt les tatouages sur la main de Wooyoung, le regard perdu vers son passé. Wooyoung remit une mèche de ses cheveux fuchsia en place sur le haut de la tête de l'Ombre. Finalement San releva les yeux vers ceux du cartographe. L'intensité de son regard le fit frissonner.
— Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans toi, murmura l'Ombre.
Il tira sur la main de Wooyoung et celui-ci se retrouva à quelques centimètres des lèvres de l'autre. Il ne voulait que combler l'espace entre eux. Wooyoung glissa ses mains sur les hanches de San avant de les caler sur sa taille.
— Ne pense plus à cela, pour cette nuit au moins. Soyons là l'un pour l'autre, maintenant.
San acquiesça et Wooyoung l'entraîna à sa suite vers le lit. Ils se laissèrent tomber dessus en silence, leurs regards toujours liés. Le temps s'étirait dans l'ombre de la cabine et Wooyoung sentait l'alcool arrêter de faire effet. La lumière de la lune éclairait la pièce d'une lueur pâle presque irréelle, les observant. San se blottit contre lui. Wooyoung embrassa son front et ferma les yeux, calant sa tête contre le bois froid du mur. Il écoutait leurs respirations lente, sentait la chaleur de leurs peaux l'une contre l'autre. Pour rien au monde il ne voulait briser cet instant. Il voulait serrer l'Ombre contre son cœur jusqu'à la fin de ses jours.
— Woo ?
Il se redressa et ouvrit les yeux. San l'observait intensément, ses orbes chocolat planté dans les siennes. Elles avaient une lueur différente depuis son retour de Kerch. Les fantômes les avaient quittés. Il glissa la main sur la joue de San et le rapprocha de son visage.
— Oui ?
Le souffle hésitant de l'Ombre caressait ses lèvres. Un frisson le traversa.
— Je... je t'aime, murmura San.
Il fallut quelques instants à Wooyoung pour être sûr d'avoir bien entendu. Il ne put contenir un sourire. Mais le mage n'osait pas croiser son regard, les yeux baissés sur ses mains. Wooyoung n'avait jamais trouvé San aussi fragile que lorsqu'il se livrait sur ses émotions. Il n'avait appris qu'à exprimer sa colère. Doucement, il glissa ses doigts sous le menton de San pour l'obliger à le regarder.
— Je t'aime San, je t'aime depuis longtemps déjà.
Ses yeux descendirent vers les lèvres du mage et il combla le vide entre eux. D'abord lentement puis avec tout l'amour qu'ils ressentaient l'un envers l'autre, le baiser se chargea de désir. San s'accrochait à ses épaules, ses ongles griffant sa peau à travers sa chemise. Le sang battait à ses tempes et il retint à gémissement du bout des lèvres quand San lui mordilla la langue. Wooyoung sentit de l'eau tomber sur ses joues et il se détacha de son amant. Les larmes inondaient le visage de San qui se réfugia dans ses bras.
— Je t'aime, je t'aime, je t'aime...
Wooyoung le berça dans ses bras, ses mains couraient le long de son dos et sa nuque. Ses propres larmes lui piquaient les yeux. Les hoquets de l'Ombre secouaient ses épaules et chaque plainte brisait un peu plus le cœur de Wooyoung.
— Moi aussi je t'aime. Je t'aime.
Les baisers qu'il déposait sur le front et les cheveux du mage l'aidèrent à se calmer.
— Je ne veux pas te perdre, murmura San entre deux pleurs. Ne me laisse pas, s'il te plaît.
— Jamais.
☁️☁️☁️
Yeosang rejoignait sa cabine, perdu dans ses pensées. L'Ancien Monde... Comment allaient-ils s'y rendre ? Il avait toujours rêvé de cet endroit disparut et maudit par la magie de Jigu. Peut-être n'existaient-ils plus et que leur quête était vouée à l'échec. Seule la mort devait les attendre de l'autre côté de la Mer de Nuages, étaient-ils prêts à prendre ce risque ? Hongjoong était certain de son choix de plonger sans réfléchir. Wooyoung et Yunho étaient réservés. Le cœur de Yeosang était partagé. Il touchait du doigt ses rêves, la possibilité de pouvoir retourner sur Kiroko et être enfin assez puissant pour chasser l'empire de son île. Il voulait aider les Territoires Libres à gagner la guerre, pour lui, pour San, pour Yunho et pour tous les autres mages qui souffraient en silence depuis deux-cents ans.
Il était tellement absorbé par ses interrogations qu'il remarqua Jongho au moment où il le percuta. La vigie le rattrapa contre lui avec un sourire.
— Je ne pensais pas que tu m'aimais autant au point de tomber dans mes bras, se moqua le pirate.
— Le fait que tu n'aies jamais eu de relation sérieuse vient peut-être de ce genre de phrases d'une platitude infinie, exagéra Yeosang en tirant sur la peau élastique de la joue de Jongho.
— Pourtant tu es bien tombé sous mon charme avec mes phrases d'une infinie platitude. Il n'y a pas de honte à ça.
Ils rirent et Yeosang se rendit compte de la soudaine proximité du visage du plus jeune avec le sien. Il leva les yeux pour croiser ceux de Jongho. Les flammes des lampes à huile du couloir faisaient pétiller son regard chocolat. Son cœur s'emballa à cette vue, à tout l'amour qu'il pouvait lire dans ses prunelles. C'était plus qu'il n'avait jamais cru, plus qu'il ne le méritait.
Les lèvres de Jongho l'attirèrent irrésistiblement. Le minuscule espace entre eux était de trop et chaque fibre de son être hurlait d'être aussi loin du corps du marin. Il le voulait, entièrement et sans condition. Son dos entra en contact avec la porte de sa cabine quand Jongho se saisit de ses lèvres. Yeosang ferma les yeux et s'enivra du baiser jusqu'à plus soif. Jusqu'à ce que sa tête tourne alors que son cœur réclamait davantage de cette boisson qui grisait ses sens. Il glissa ses bras autour de la taille du pirate pour le rapprocher et serra ses poings sur sa chemise.
— Et, au passage, souffla Jongho entre deux échanges passionnés, tu es ma première relation sérieuse. Je veux faire les choses parfaitement pour toi.
Yeosang vira rouge vif alors que Jongho prenait son visage en coupe. La courbe de ses lèvres tentatrices humides était un appel à l'ivresse, à s'enivrer de son corps toute la nuit durant sans le moindre regret au petit matin. Sans laisser plus de répit à leurs souffles erratiques, il embrassa Jongho avec toute la passion qu'il éprouvait. Les mains du pirate se perdirent dans ses cheveux qu'il tirait quand Yeosang prenait le dessus sur leur échange. Leurs légers gémissements de plaisir faisaient enfler le désir qui couvait dans sa poitrine.
Des pas et des éclats de voix les ramenèrent sur terre. Sans pour autant se séparer, ils entrèrent dans la cabine dans un méli-mélo de corps. Jongho referma la porte d'un coup de pied et poussa Yeosang vers le lit. Le soleil de la fin de journée illuminait la cabine spartiate de doux reflets orangés et roses. D'un mouvement adroit et sans doute pratiqué d'innombrables fois, Jongho fit sauter le fermoir de la cape de Yeosang qui tomba autour de ses chevilles.
Ce geste le ramena à la réalité. Il désirait ardemment ce qui se dessinait sous ses yeux mais il ne pouvait pas empêcher l'anxiété de grandir. C'était maintenant que les choses devenaient inévitables. Il dansait au bord du précipice, voyant la chute venir. Yeosang prit une profonde inspiration hachée par sa peur. Il glissa ses doigts sur ceux de Jongho quand la vigie libéra sa gorge du tissu noir. Le pirate les pressa pour le rassurer, Yeosang sentit son pied glisser sur le rebord de la falaise. Jongho passa dans son dos et entreprit de le déshabiller. Plus la vigie défaisait les lacets de son corset et plus les larmes lui montaient aux yeux. Bientôt, il le laissera tomber.
Il ferma les yeux, il ne voulait pas voir son regard quand il découvrira son secret. Le corset rejoignit la cape sur le sol et Yeosang se crispa complètement. Il entendit le hoquet de surprise de Jongho quand il lui retira sa chemise, dévoilant par la même occasion sa peau brûlée. Seul son visage avait échappé aux flammes cette nuit-là. Comme il s'y attendait, Jongho retira ses mains de sa taille. Yeosang sentit son cœur se briser en mille morceaux. Il serra la mâchoire et battit des cils. Il ne devait pas pleurer. Il fallait être fort.
— Je te dégoûte, n'est-ce pas ? murmura Yeosang en voyant les doigts du pirate s'éloigner de son corps.
— Quoi ? Jamais ! Je ne veux pas te faire mal, tu sais combien j'ai du mal avec la douceur.
Il fit pivoter Yeosang vers lui et glissa sa main sur sa joue, faisant rougir le teint de porcelaine du mage. Jamais il ne se serait attendu à cette réaction de Jongho devant son corps monstrueux. Il s'en voulu d'avoir uniquement pensé que le pirate serait dégoûté par lui. Jongho valait bien mieux que toutes les peurs de Yeosang.
— Je peux te demander comment s'est arrivé ?
Yeosang hocha la tête et saisit la main de Jongho entre la sienne. Le pirate le fit s'asseoir sur le petit bureau et se glissa entre ses jambes. Le Marcheur lui avait déjà raconté son enfance sur l'Archipel des Sept, mais jamais cette nuit-là.
— Quand les soldats de l'empire sont arrivés à Kiroko, je voulais rester malgré tout. Toute ma vie était là-bas, mes amis, ma famille, l'école pour les mages... Je ne voulais rien abandonner, rien. J'étais là avant eux, pourquoi était-ce à moi de m'enfuir ? sa voix se brisa à l'évocation de ses souvenirs. Ma... ma famille n'était pas d'accord avec mon choix, mes parents avaient trop peur que je me fasse capturer par les chasseurs et qu'on me fasse du mal. Je ne voulais pas les croire mais ils avaient raison. Ils avaient tellement raison...
Ses parents et son grand frère avaient dépensé une partie de leur revenus pour lui payer une place dans un navire pour Asiaré. Yeosang l'avait déchiré après leur avoir promis d'y réfléchir. S'il avait su, il aurait pris le premier navire sans même s'embêter à se payer une place.
— La réalité qu'ils craignaient a fini par me rattraper. Cela a été comme une gifle. Jusque-là, l'idée que l'on puisse s'en prendre à moi seulement parce que j'étais un mage me paraissait inconcevable. C'était stupide, mais je me sentais protégé de la cruauté du monde à Kiroko. Jamais je n'aurais pensé que des amis de ma famille me dénonceraient, des gens que je connaissais depuis ma naissance. Et puis... c'est arrivé.
Cette journée et la nuit qui avait suivi ne voulait pas sortir de sa tête. Il se rappelait des plus insignifiants détails, comme le nombre de personnes à qui il avait parlé et leurs discussions si banales qu'elles ne pouvaient rien présager du cauchemar qu'il allait vivre.
— Quand je suis rentré chez moi après ma journée de travail, des soldats m'attendaient devant chez moi. C'était l'unité de Woozin, celui qui a attaqué l'Ateez avec ses chasseurs. J'ai paniqué et... je me suis enfui. Il faisait nuit noir. Quand je suis arrivé au port, les hommes de Woozin m'ont rattrapé.
Le mage ferma les yeux et serra les lèvres. Il n'avait raconté cela à personne, lui-même essayait de faire le deuil de sa vie passée et du corps qu'il avait laissé à l'Archipel des Sept. Il aurait dû mourir ce soir-là mais sa magie l'avait sauvé malgré tout. Les mains de Jongho se glissèrent dans ses mèches ébènes et il déposa un baiser sur son front pour tenter de l'apaiser. Yeosang n'avait pas remarqué à quel point sa respiration était chaotique.
— Pour leur échapper, je... je me suis caché dans un entrepôt mais... L'un d'eux m'a trouvé, Chinhae.
Son souffle chaud aux relents de bière était encore imprimé contre sa nuque, de même que ses mains qui avaient saisi sa taille à lui en briser les os avant de descendre lentement. Il s'était débattu dans le silence de l'entrepôt avant de perdre le contrôle. Le corps de Chinhae avait été projeté contre une poutre en bois avec la vitesse d'un boulet de canon. La lampe à huile sur le poteau de bois était tombée, lançant un départ de feu alors que Yeosang ne l'avait pas vu, recroquevillé sur lui-même contre le mur. Quand il s'en était rendu compte, c'était déjà trop tard, les flammes étaient inextinguibles.
— Tout à brûlé, même moi...
Même Chinhae. Yeosang l'entendait encore hurler dans ses cauchemars. Les cris n'avaient plus rien d'humain. Le silence qui avait suivi fut plus glaçant encore.
— Quand j'ai pu échapper aux flammes, il pleuvait dehors. Cela a permis à ma magie de me soigner. J'ai erré dans le port, je ne me doutais pas à quel point j'avais été blessé. L'adrénaline me permettait de tenir et le feu avait brûlé mes nefs.
Le brasier avait été visible à des kilomètres à la ronde. Yeosang en était sorti en rampant, le corps secoué de quintes de toux à cause de la fumée toxique. Il était resté ainsi de longues minutes, étendu sur le sol, la pluie frappant sa peau comme pour le maintenir éveillé. Quand la voix de Woozin avait résonné, près de lui, Yeosang avait retrouvé ses esprits. Il s'était relevé, muscles par muscles avec une seule pensée en tête : survivre.
— Et tu es tombé sur Hongjoong, compléta Jongho.
— Oui. Dès qu'il m'a vu, il m'a proposé son aide. Il m'a emmené sur l'Ateez et à seulement pu constater les dégâts sur mon corps.
Le capitaine l'avait plongé dans un bain d'eau froide et avait retiré tous les morceaux de tissus qui avaient fondu sur sa peau sans poser aucune question. Yeosang ne pouvait que voir sa chair à jamais brûlée se dévoiler sous ses yeux. Les miroirs étaient devenus son pire cauchemar après cette nuit en même temps qu'il entendait les cris du chasseur dans sa tête. Il l'avait tué. Le Marcheur glissa ses mains sur ses bras. La peau était ridée, brunie et terriblement sèche. Jongho essuyait les larmes qui roulaient sur ses joues avec ses pouces.
— Je suis monstrueux.
Son passé était inscrit sur sa peau, littéralement. Il ne pouvait le fuir, seulement le contempler chaque jour qui passait.
— Je refuse que tu dises des choses pareilles Yeosang. Tu es sublime.
Non il ne l'était pas, à l'intérieur comme à l'extérieur.
— J'ai tué des gens Jongho, je ne suis pas beau. Je ne suis pas le gentil mage que tu crois que je suis. Je-
— C'était ta vie ou la leur. Ils n'auraient pas hésité à te tuer.
Et qu'est-ce cela changeait ? Rien n'excusait ses actions. Il aurait pu sauver Chinhae, tout comme il aurait pu épargner Woozin. Mais il ne l'avait pas fait. Il n'était rien de plus que le miroir de ceux qui voulaient sa mort.
— Jongho, je-
Le pirate le coupa en posant ses lèvres sur les siennes. Yeosang attira Jongho dans ses bras et enfouit sa tête dans sa nuque. Il se réconforta avec son odeur et ferma les yeux. Les mains du pirate couraient le long de sa colonne vertébrale et Yeosang pouvait sentir les rides de sa peau sous ses doigts calleux.
— Je comprends. Il te faudra du temps pour accepter, peut-être que ça n'arrivera jamais mais je serai là pour toi. Je te le promets.
— Merci.
C'était la seule chose qu'il arrivait à dire à cause de sa gorge serrée par l'émotion. Jongho le comprit et il le serra plus fort dans ses bras. Ils restèrent un long moment immobiles, profitant de la présence et la chaleur de l'autre. Finalement, Yeosang se détacha de l'étreinte et embrassa le pirate. Il ne voulait pas s'arrêter maintenant et glissa ses mains sous la chemise de Jongho, avide de contact. Il voulait plus.
— Tu le veux vraiment ? demanda le pirate en le regardant droit dans les yeux.
— Oui, promit-il en hochant la tête.
Sa peau semblait revivre au contact de Jongho. Il se surprit à frissonner, à prendre plaisir au toucher de son amant. Yeosang avait passé tout son temps depuis l'accident à ignorer les brûlures, ne glissant ses doigts dessus que lorsqu'il appliquait de l'onguent apaisant.
— Tu es magnifique, murmura Jongho en embrassant sa tempe.
Il s'éloigna et retira sa chemise élimée. Yeosang n'osait pas poser ses yeux sur son torse et fixait ses propres mains.
— Je... je n'ai jamais fait cela, avoua Yeosang en se mordant la lèvre.
— Ce n'est pas un problème, nous irons à ton rythme.
Les doigts de Jongho se glissèrent sous son menton et lui firent lever la tête. Leurs regards se croisèrent et il fondit face à la tendresse dans ses pupilles. Il acquiesça et se laissa porter par le moment. Sans vraiment comprendre comment, il se retrouva nu sur le lit, couvert de baisers et de mots rassurants. Les premiers rayons de la lune éclairaient leurs deux corps et Yeosang contemplait Jongho ; sa peau hâlée par le soleil, les cicatrices sur son corps tout en muscle, ses mains habiles qui exploraient sa peau. Plus ses baisers descendaient sur sa peau brûlée, plus Yeosang rejoignait les étoiles.
— Jusqu'où veux-tu aller ? demanda Jongho de sa voix la plus douce et rassurante.
Il n'avait plus peur de rien entre ses bras. Il ne désirait rien d'autre que Jongho.
— Jusqu'au bout, emmène-moi voir les étoiles.
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