33 - La princesse Mieyon
Yunho prit une profonde inspiration et sortit de la cabine de Mingi. Il aurait préféré rester à l'intérieur jusqu'à l'arrivée du Combattant à La Tanière mais Yeosang lui avait ordonné de prendre l'air régulièrement. A peine dans le couloir, les regards hostiles des marins se posèrent sur lui, le mettant mal à l'aise. Ils n'osaient plus le frapper depuis qu'il n'était plus un prisonnier mais la haine était restée. Une sensation de malaise le saisit tout entier quand il passa devant son ancienne prison. La porte fermée n'attendait que son retour. A la moindre erreur... Un frisson remonta le long de son dos. Il entendait encore la voix de sa mère derrière le pan de bois et ses murmures cauchemardesques.
Son regard tomba sur ses mains et ses poignets bandés. Le geste qui l'avait mené au bord de la mort était flou dans son esprit, comme s'il ne l'avait pas commis lui-même. Seul le désespoir de l'instant était encore frais. Il ne voulait plus vivre, noyé sous la culpabilité.
— Tu contemples les moments noirs de ta vie ?
La voix de San le ramena au présent. L'Ombre était également sur le chemin du pont. Yunho se mordit la lèvre. Il avait failli tuer San pendant leur combat, déjà que leur relation était catastrophique cela n'avait rien arrangé.
— Je suis désolé pour hier, s'excusa Yunho en s'inclinant. Je n'aurais pas dû perdre mon sang froid.
Le regard ennuyé de San le rendait mal à l'aise. Finalement le pirate haussa les épaules.
— La colère est l'une des émotions les plus liées à la magie. Si tu la contrôle quand tu es énervé, tu contrôles tes pouvoirs. Je n'ai pas menti à Yeosang quand je lui ai promis de t'aider et de t'entraîner.
Le Façonneur n'aurait pas qualifié leur dispute de la veille d'un entraînement.
— Mais ce que je t'ai dit tiens toujours. Ce n'est pas parce que tu as des pouvoirs immenses que tu es fort. Ta peur et ta culpabilité sont tes faiblesses, tu dois apprendre à les gérer de la même manière que ta magie. On ne te demande pas de ne rien ressentir, seulement de maîtriser tes émotions.
San continua son chemin sans attendre de répondre et Yunho resta planté en plein milieu du chemin. La porte devant lui l'appelait mais il tourna les talons. L'Ombre avait raison, il était temps pour lui d'arrêter de pleurnicher et se plaindre. Tant de personnes comptaient sur lui désormais, il ne pouvait pas se permettre de faillir. Son père n'aurait jamais voulu le voir comme cela, lui qui s'était sacrifié pour lui sauver la vie. Yunho devait lui faire honneur et réaliser ses dernières volontés. Deviens leur roi. Depuis que sa magie était apparue, tout le monde n'avait plus que ce mot à la bouche.
Ses pensées se perdirent vers Seonghwa alors que le vent chatouilla son visage quand il sortit du château arrière. Lui aussi n'accomplissait que son devoir. Lui aussi se préparait à régner. Yunho ne voulait pas de ce rôle mais il l'endossait malgré tout, il ne pouvait plus reculer. Il repensa amèrement à son arrivée sur l'Ateez, aux premiers sentiments de liberté qui l'avaient étreint à mesure que l'équipage et son capitaine se mettaient à lui faire confiance. Il courait aujourd'hui vers ce qu'il avait toujours fui : une vie toute tracée, des responsabilités, un titre. Mais les choses avaient changé, il n'était plus seulement le fils d'un Vicomte et un peuple entier comptait sur lui. Son père et sa mère comptaient sur lui. Si l'empire n'était pas défait, les mages, les Hassetiens et lui-même allaient à leur propre perte.
Il s'accouda au bastingage. Il connaissait son devoir mais malgré tout, la tempête d'émotion dans son esprit refusait de se calmer. Plus le Combattant s'approchait de La Tanière, plus la peur, insidieuse, se taillait une place dans son cœur. Il ferma les yeux et s'imagina ses parents à ses côtés, le regard doux de sa mère et sa main caressant sa joue. Yunho avait hérité d'elle ses traits harmonieux, ses cheveux ébènes raides et brillants mais surtout la forme de ses yeux.
— Yunho, n'oublie pas que tu nous as tué, dit Jaehyung dont les vêtements blancs étaient soudain tachés de sang.
Le mage ouvrit les yeux, le souffle coupé et la culpabilité lui serrant la poitrine. La magie s'agita dans ses veines et Yunho serra ses mains autour du bastingage. Le bois se fissura sous ses doigts. Une vague de panique le traversa alors que plusieurs regards mauvais ou baignés de terreur se posaient sur lui.
Monstre.
J'avais ma famille à Kirizan.
Alors qu'il sentait sa respiration se faire erratique et ses pouvoirs lutter pour prendre le contrôle, de larges mains se posèrent sur sa taille. Le torse de Mingi se pressa contre son dos et Yunho se reposa contre lui, laissant échapper un soupir tremblant. A chaque fois que le second le touchait, sa magie se calmait immédiatement.
— Respire, tout va bien, lui chuchota Mingi.
— J'ai peur, avoua Yunho.
— C'est normal.
Il se força à respirer et, petit à petit, sa magie cessa de bourdonner dans son crâne. Yunho savait qu'elle attendait son prochain moment de faiblesse pour agir. Il ne croyait pas Yeosang quand il lui disait que sa magie ne lui voulait pas de mal.
— Tu as le droit d'avoir peur mais tu ne dois pas laisser ta peur te dominer, encore plus à cause de ta magie.
— C'est plus facile à dire qu'à faire, soupira Yunho. J'ai l'impression qu'on me regarde comme si j'allais causer une catastrophe d'une minute à l'autre.
— Quand ma mère pensait que j'étais un petit mage en devenir, elle m'avait appris des techniques pour s'ancrer dans le moment présent et faire le point sur ses émotions. Cela ne m'a pas beaucoup servi mais je pourrais te les apprendre si tu le souhaite.
Yunho hocha la tête.
— Mais... continua Mingi avec un sourire mutin, j'ai remarqué que j'étais un moyen très efficace pour calmer ta magie.
Yunho rougit et baissa la tête sur ses mains. Mingi éclata de rire derrière lui.
— Inutile de cacher ton visage, tes oreilles rougissent autant que tes joues, se moqua le second.
— Je ne rougis pas ! protesta Yunho en posant ses paumes sur ses oreilles aussi chaudes que de la lave en fusion.
— Et moi je suis Byeol, Mingi attrapa le menton de Yunho et le tourna vers lui pour faire se croiser leur regard. Si tu as besoin de moi comme ancrage, je serai là pour toi. Ne l'oublie pas.
Incapable d'articuler le moindre mot tellement son corps et son esprit l'abandonnait, Yunho hocha simplement la tête. Des frissons le traversait de toute part et des papillons dansaient dans son estomac. En quelques mots, Mingi pouvait lui faire perdre la tête.
— Me-merci, Mingi.
— Je suis certain que l'on peut faire chauffer un thé sur tes joues, se moqua doucement le second.
Sans un mot, il attira Yunho dans ses bras et celui-ci se laissa fondre dans l'éteinte.
— Navires en vue ! hurla un gabier du haut de la hune.
— La Tanière n'est plus qu'à quelques nœuds d'air, annonça Chan derrière la barre.
Le regard de Yunho se porta vers l'horizon. Plusieurs bâtiments étaient amarrés sur l'île et portaient le blason des Territoires Libres, deux épées croisées derrière une main éclairée par la magie. L'île principale était entourée d'une dizaine de petits îlots de toutes formes. A l'origine, la Tanière et les rochers autour d'elle ne formait qu'une seule île mais au fur et à mesure du temps, le sol s'est délité et séparé de sa base. Une épaisse forêt recouvrait le sud de La Tanière et cachait les villages qui s'étaient construits à l'intérieur, à même les troncs d'arbres. Le dessous de l'île était si grand qu'il disparaissait dans la Mer de Nuages en plusieurs piques aussi longues que larges.
— Il est temps pour son Altesse de rencontrer ses sujets, se moqua Chan en regardant Yunho.
Et malgré les bras de Mingi serrés autour de lui, la peur enserra sa gorge.
☁️☁️☁️
Le tunnel creusé dans la terre puis dans la roche s'enfonçait vers les profondeurs des fondations de l'île. De nombreuses personnes l'empruntait dans les deux sens mais Yunho sentait leurs regards se poser sur les pirates. Hongjoong et Chan guidaient le petit groupe, ils avaient l'air de connaître l'endroit puisqu'ils avançaient sans chercher leur chemin.
La descente était longue et le sentier tortueux. Yunho s'arrêta net quand la roche s'ouvrit sur une caverne aux proportions insensée. Il n'avait jamais entendu parler d'îles creuses. Il y avait une ville sous terre. Construite sur un lac, les maisons sur pilotis côtoyaient d'immenses navires qui semblaient avoir connu la guerre entre Jiho et l'empire. Abandonnés, ils servaient à présent de lieux de vies. La plupart des mats étaient tombés et des cabanes avaient poussé comme des champignons sur les ponts. Un cimetière de navires. Des maisons étaient accrochées aux parois rocheuses, construites dans d'anciennes coques de bateaux. Des échelles de cordes et des planches de bois reliaient les étages de la grotte entre eux.
— Surpris ? lui demanda Mingi en s'arrêtant à ses côtés.
— C'est magnifique, souffla-t-il. Qui vit ici ?
— Des mages, des anciens pirates et leur famille, d'anciens prisonnier de l'empire. Les mal aimés du Nouveau Monde.
Yunho hocha la tête et reprit sa route. Le chemin large était adossé à la roche et serpentait jusqu'au sol, une trentaine de mètres plus bas. Plus il avançait et plus il voyait les petits silhouettes d'hommes et de femmes déambuler au fond de la caverne.
— Où allons-nous ? demanda-t-il à Mingi qui lui désigna un endroit au bord du lac entouré de cabanes.
La place grouillait de curieux, Yunho ne voyait même plus le sol. Que se passerait-il si on lui demandait de faire une démonstration de ses pouvoirs ? Il serra la main de Mingi, caché derrière les pans de sa longue cape, à la recherche de réconfort.
— Tout ira bien, chuchota Mingi d'une voix rassurante.
Le second l'entraîna à sa suite jusqu'à toucher le fond de la grotte. Les pirates de l'Ateez et des Stray Kids restaient groupés à mesure qu'ils avançaient vers le point de rendez-vous. La foule qui s'épaississait à mesure qu'ils s'approchaient de la place se scindait en deux pour les laisser passer. Chan et Hongjoong avançaient la tête haute.
— Maman, il est où le Façonneur ?
— Où est notre sauveur ?
Yunho tira encore davantage sa capuche sur sa tête. Mingi marchait derrière lui et gardait la main contre son dos. Ces gens l'adoraient déjà alors qu'ils ignoraient tout de lui, jusqu'à son nom. Pire, ils l'idolâtraient pour avoir détruit Kirizan et condamné ses milliers d'habitants. La foule se refermait déjà derrière eux. Yunho se sentait prisonnier de la masse grouillante.
Ils s'arrêtèrent au milieu de la place, face un groupe richement vêtu entouré de gardes armés jusqu'aux dents. Leur livré noire et bleue leur donnait des airs d'assassins, en plus de tissu couleur charbon enroulé sur leur visage. Au milieu des soldats se tenait la princesse Mieyon, héritière des Territoires Libres. Minho était à sa droite, proche de tous les conseillers. Des hommes et femmes de toute la région mais aussi des soldats de Hasset les suivaient. La robe blanche de Mieyon tombait jusqu'au sol et faisait tache au milieu des habitants sales et en haillons. Elle était si fine qu'une bourrasque aurait pu la faire s'envoler. Un diadème en or sertie de rubis brillait sur sa tête en forme de cœur d'une pâleur extrême. Seules ses lèvres rouges et pulpeuses donnaient de la vie à son visage. Ses yeux ternes et délavés parcouraient frénétiquement l'assemblée de pirates.
— Où est notre roi ? demanda-elle d'une voix forte et assurée.
Mingi poussa Yunho en avant pour lui donner du courage. Il déglutit et s'avança jusqu'à se placer entre Chan et Hongjoong.
— C'est moi, dit-il sans trembler.
S'il montrait sa peur, les Territoires Libres auront l'ascendant sur lui. Il n'avait pas suivi beaucoup de cours militaire mais c'était un des enseignements que son père lui avait transmis. Il était Vicomte, il était roi, les gens qui quémandaient s'inclinaient devant lui, pas l'inverse. Yunho retira sa capuche. Un air révérencieux apparut sur les visages de la délégation des Territoires Libres et tous s'inclinèrent. Le Façonneur gardait un visage neutre pour contenir sa surprise.
— Altesse, elle rayonnait de bonheur. Je suis la princesse Mieyon de Hasset et voici les conseillers de la reine et du roi.
Les mots de son père lui revinrent en tête : deviens leur roi.
— Princesse, dit-il en s'inclinant à son tour. Je suis Jeong Yunho.
— Nous avions hâte de rencontrer le dernier Façonneur. Nous devons tout à votre lignée. J'aurais aimé que cette rencontre se fasse dans des circonstances plus joyeuses mais le temps joue contre nous.
☁️☁️☁️
Le bruit des pas dans la coursive de l'imposant navire rendait le silence moins étouffant. Yunho était reconnaissant d'avoir Hongjoong, Chan et Minho à ses côtés. Il se sentait moins intimidé que seul face à la délégation de Hasset. Les autres lieutenants, qu'ils soient de l'Ateez ou des Stray Kids, avaient été congédiés d'un simple geste du menton. Yunho n'avait jamais vu Hongjoong aussi tendu. Les batailles navales lui réussissaient plus que les discussions entre nobles. Les gardes de la princesse s'arrêtèrent devant une porte vitrée qui rappela au Façonneur celle de la cabine de Seonghwa puis l'ouvrirent.
La pièce était poussiéreuse et sentait le renfermé. Certaines des vitres peintes dans les tons nuit manquaient et laissaient le vent se faufiler à l'intérieur. Celui-ci caressait les joues de Yunho qui frissonna. Les murs étaient sculptés à l'effigie des mages Guérisseurs et narrait leurs origines. De quel lignage Mingi est-il le descendant ? se demanda le Façonneur. Des trous de termite dévoraient le bois. Le navire avait-dû être beau autrefois.
Le petit groupe s'installa autour de la table ronde. Les fauteuils grincèrent quand ils y prirent place. Yunho gardait le menton haut et le dos droit, comme projeté plusieurs années en arrière. Quelques mois au côté des pirates n'avaient pas effacé une vie de respect de l'étiquette. Même Hongjoong à sa droite se tenait mieux que d'habitude. Il prit le temps d'analyser tous ses interlocuteurs. La princesse lui souriait ainsi que l'homme assis près d'elle. Il était entre deux âges et Yunho s'en méfia immédiatement. Il avait le physique d'un combattant et la prestance tranquille d'un homme habitué à être écouté. Un général peut-être. Ses vêtements militaires étaient impeccables et des médailles brillaient sur sa poitrine. Minho et Chan étaient tendus comme des arcs mais gardaient un air neutre. Les autres, les conseillers de la reine, ne lui inspiraient pas confiance. Leurs regards étaient durs sous leurs sourcils grisonnants. C'étaient eux qui détenaient le pouvoir, Mieyon n'était là que pour la décoration.
— Votre Altesse, commença la princesse en posant sa main sur le bras du militaire, je vous présente le maréchal Moon qui va conduire les opérations militaires au nom de la reine ainsi que les cinq principaux conseillers de la reine.
Elle les présenta un par un et Yunho les salua poliment. Minho les toisait, ses yeux en parti cachés par ses mèches grises, mais aucun d'entre-eux ne faisait attention à lui. Ils fixaient tous Yunho. Se voir ainsi déshabillé du regard le mettait mal à l'aise mais il ne laissa rien paraître. Au bout de plusieurs secondes de silence qui s'étirèrent à l'infini, le conseiller Hwan, leur chef prit la parole. Ils étaient face à face et Yunho pouvait sentir l'animosité qui transpirait des rides autour de sa bouche. Ses yeux bruns aux reflets d'or étaient perçants. Yuhno avait l'impression qu'ils pouvaient lire son âme.
— Notre princesse s'étant déjà chargée des présentations et des politesses, je vais aller droit au but. La reine Lee vous accorde sa protection pleine et entière en tant qu'héritier du titre de roi des Territoires Libres et de tous les mages.
— Quelles sont les conditions ? rétorqua immédiatement Chan. Il n'y a jamais de belles offres sans contrepartie, même pour un Façonneur.
Les conseillers se renfrognèrent alors que le maréchal esquissa un sourire. Yunho était d'accord avec Chan. Hongjoong restait silencieux pour l'instant, sûrement impressionné de se retrouver face à ceux qui gouvernaient son île d'origine. Son cœur appartenait toujours à Hasset.
— En tant que futur roi, le conseil réclame que vous fassiez vos preuves.
Le piège était là. Yunho jeta un œil à la princesse, elle n'avait pas l'air contrariée pour quelqu'un qui s'était fait voler son trône par un inconnu. Au contraire, un sourire doux caressait ses lèvres.
— Quel genre de preuve ? demanda-t-il avec méfiance.
— Notre flotte de guerre n'attaquera les vaisseaux du pirate Yoojin qu'en échange de vous voir vous battre dans cette bataille.
— Quoi ? Il en est hors de question ! s'emporta Hongjoong. Yunho n'est pas un combattant et ses pouvoirs sont trop dangereux.
— Eh bien alors vous vous battrez seul.
Chan et Hongjoong échangèrent un regard. Avec les huit navires des Stray Kids, ils n'étaient pas suffisamment nombreux. Le livre s'éloignait d'eux.
— Et que faîtes-vous des mages prisonniers prêts à être vendus ? demanda Minho avec un léger sourire.
La princesse porta la main à sa bouche.
— Il y a des mages ? Comment avez-vous osé me le cacher ? siffla-t-elle envers les conseillers. Il n'y a pas de temps à perdre !
Yunho suivait le balancement de ses cheveux de jais à chaque mouvement de tête qu'elle effectuait. Minho connaissait bien sa cousine, il savait sur quel corde appuyer pour la faire réagir.
— Si le prince Yunho n'est pas capable d'affronter un pirate, il ne pourra jamais nous aider à défaire l'empire. Il n'y a pas seulement ces mages prisonniers princesse, argumenta le conseiller Hwan, il y a tous ceux de l'empire. En refusant de se battre, le prince Yunho les condamne tous à la mort.
— Que voulez-vous de moi ? demanda le Façonneur.
Les conseillers échangèrent un regard et sourirent.
— Avec votre aide, nous détruirons l'empire, reprit le conseiller Hwan.
Il eut un très mauvais pressentiment.
— De quelle manière ? s'inquiéta Yunho.
— L'attaque contre Yoojin n'est qu'un début. Nous priverons l'empereur des trafiquants qui travaillent avec lui puis nous rayerons Solas de la carte et ferons disparaître la famille Park de la surface du Nouveau Monde.
— Nous ? Questionna froidement Yunho. C'est mon pouvoir qui rayera Solas de la carte. Je ne détruirais pas des îles où vivent des milliers d'innocents !
Ils ne voulaient pas qu'il fasse ses preuves, ils voulaient juste une arme.
— Mais vous l'avez pourtant déjà fait. Nous vous en sommes d'ailleurs très reconnaissant. Kirizan avait le plus grand chantier naval de tout le Nouveau Monde.
La colère de Yunho fit trembler le navire. Quelques conseillers reculèrent sur leurs chaises. Mais pas le chef du conseil. Il bougea les doigts sur le bois de la table et Yunho sentit une douleur atroce lui brûler la poitrine. Il serra les poings et se força à respirer lentement malgré son souffle erratique. Cette magie ressemblait à celle de Mingi mais sa puissance était tout autre. Les Guérisseurs ne faisaient pas que guérir. Hongjoong posa sa main sur son épaule et fronça les sourcils.
— Vous êtes notre prince, le futur roi. Il est de votre devoir d'aider votre peuple. L'empire nous écrase depuis des siècles, cela ne serait que justice. À moins que vous refusiez de protéger les vôtres ?
A chaque mot que le conseiller prononçait, la douleur augmentait d'un cran. Un voile noir tomba sur ses yeux quand il eut l'impression qu'une lame s'enfonça dans son cœur.
— Tout va bien, votre Altesse ? demanda le maréchal.
Yunho s'accrocha à la table. Il secoua la tête pour chasser le malaise et se redressa, plantant son regard dans celui du conseiller Hwan.
— Il n'y a aucune justice dans la vengeance aveugle et le meurtre d'innocents. Inverser les rôles et devenir aussi violent que l'empire ne sera jamais la solution.
Il vit Hongjoong sourire du coin de l'œil. Ce n'était pas la rencontre que Yunho avait espéré. Ce n'était pas un état d'esprit qu'il pouvait cautionner. Il respectait la vie d'autrui, mage ou non mage, la chute de Kirizan était déjà bien trop lourde à porter. Cela n'avait été qu'un accident... jamais il n'aurait tué consciemment des innocents. Ce que suggérait le conseiller était inhumain, il voulait le transformer en monstre de la trempe de Eunji.
Tout lui sembla d'un coup très clair. Les dirigeants des Territoires Libres avaient hâte de le rencontrer non pas pour son statut de Façonneur mais pour les pouvoirs destructeurs qui l'accompagnait. Il pouvait détruire Solas seul et sans avoir besoin de mettre la vie des Hassetiens en péril. Il était l'arme qu'ils attendaient pour gagner la guerre. Le maréchal Moon sourit.
— Voilà qui nous met d'accord dans ce cas. La reine n'a jamais souhaité que vous soyez une machine de guerre, votre Altesse. La seule chose qu'elle exige est que vous vous battiez au côté des soldats face à Yoojin. Un futur roi doit connaître les champs de bataille. Pardonnez les conseillers, ils aiment exagérer les choses.
Les cinq vieux hommes se crispèrent mais ne dirent rien. Yunho hocha la tête. Il fallait bien qu'un jour où l'autre il ait à se battre. Mais il ne pourra jamais porter le coup fatal. Il n'avait pas le choix. S'il n'acceptait pas, les mages restaient prisonniers et ils ne récupèreront pas le livre. Cette quête, il voulait la mener à bien à présent. Découvrir les secrets du monde, c'était ce dont il avait toujours rêvé...
— Très bien, j'accepte. Mais je ne ferai rien de plus que participer à l'attaque sur les pirates.
La princesse inclina la tête vers lui et il fit de même. Les voix s'étaient tu dans la pièce, seuls des bruissements indistincts traversaient les vitres et montaient en puissance de secondes en secondes. Yunho échangea un regard inquiet avec Hongjoong. Ils restèrent silencieux à écouter les cris jusqu'à ce qu'une phrase fit bondir Yunho sur ses pieds et courir vers la place, le cœur au bord des lèvres.
Il s'arrêta sur le pont, les mains fermement agrippées au bastingage. Sous ses yeux impuissants, la foule s'agitait et brandissait des armes de fortunes en direction des lieutenants de l'Ateez mais un en particulier. Ils scandaient les deux même mots sans s'arrêter.
— A mort ! A mort !
— Mingi... souffla Yunho.
— Mort au fils de l'amiral Song et aux nobles de l'empire !
Yunho dévala la planche de bois qui reliait le navire au sol. Si personne ne faisait rien, Mingi allait se faire massacrer. Les habitants de l'île avait dû le reconnaître par sa ressemblance avec son père.
— C'est de sa faute si on est sur cette île ! hurla une vieille femme en brandissant un bâton vers le second de l'Ateez. L'amiral a massacré nos villages pour faire peur aux mages et aux pirates ! Il a tué des centaines d'innocents !
— À mort !
Les soldats des Territoires Libres ne faisaient aucun geste. Les pirates étaient coincés derrière la foule compacte qui se refermait sur eux de secondes en secondes.
Yunho s'avança à travers les Hassetiens qui s'écartaient de son chemin à la seconde où ils le reconnaissaient. Il se plaça devant Mingi et le mouvement des villageois s'arrêta.
— Votre Altesse, éloignez-vous de lui, il est dangereux, demanda la vieille femme armée de sa fourche.
— Non, depuis quand accablez-vous les fils pour les actes de leur père ?
— L'amiral n'a jamais payé pour ses crimes. Son fils ne peut être que comme lui, un traître à son sang adorateur de l'empire.
Mingi attrapa son manteau et se colla contre son dos. Yunho devinait son stress grâce aux tressautements de ses doigts sur sa hanche et son souffle irrégulier. Il lui avait caché à quel point il avait peur du fantôme de son père. Les soldats le toisaient d'un air mauvais. Yunho comprenaient la lourde rancœur qu'ils portaient à l'amiral Song mais la bataille s'était produite quarante ans plus tôt, alors qu'il avait l'âge actuel de Mingi. Le second n'y était pour rien.
— Est-il au moins un Guérisseur ?
— Grâce à Jigu, non, cracha Mingi. Au moins je ne trahis pas mon sang.
Certains mages se hérissèrent. Yunho sentit l'odeur métallique de la magie d'Annihilation dans l'air.
— Il doit payer !
Tout était en train de déraper.
— Yunho... murmura Mingi contre son oreille.
— N'ai pas peur, je te protège. Ils ne te toucheront pas.
Un cercle se forma autour d'eux. Yunho gardait un œil sur chacun des hommes qui menaçaient Mingi, au moindre faux pas de leur part il n'hésitera pas à agir.
— Il est sûrement aussi cruel que son père.
Quand ils avancèrent collectivement, Yunho serra les poings et le sol se fissura entre lui et les Hassetiens.
— Un pas de plus et je vous réduis en miette, tonna-t-il.
Sa voix d'outre-tombe et sa magie firent reculer les hommes. La chaleur de ses pouvoirs courrait dans ses veines, c'était presque douloureux de n'en utiliser qu'une infime partie. La magie voulait toujours se déchaîner, il avait l'impression de partager son corps et son esprit avec une autre personne. Mingi tressaillit derrière lui et la prise de ses doigts se raffermit autour de sa taille. Yunho se calma. La princesse se faufila entre les soldats pour lui faire face.
— Votre Altesse, nous ne sommes pas votre ennemi.
— Vous l'êtes si vous vous attaquez à l'équipage de l'Ateez.
Elle leva la main et, malgré la haine qui maquillait toujours leur visage, les îlotiens reculèrent. Hongjoong et ses lieutenants se placèrent devant Mingi et Yunho.
— Le Façonneur est notre ennemi s'il collabore avec l'empire ! rétorqua un villageois.
— Je suis un noble de l'empire ! s'exclama Yunho. Je suis un Vicomte ! Je suis un de ceux dont vous voulez la mort !
Le silence tomba sur les îlotiens. Mingi entoura la taille de Yunho de ses bras quand des secousses firent trembler le sol. La princesse recula d'un pas.
— Calme toi, chuchota Mingi.
— Princesse, Yunho et Mingi ne sont plus des nobles, déclara Hongjoong. Ils sont considérés comme des traîtres par l'empire, ils sont vos plus précieux alliés. Le passé ne compte plus quand on devient un pirate.
Mieyon échangea un regard avec le maréchal Moon derrière elle qui hocha la tête.
— Peu importe, lança le conseiller Hwan, les Territoires Libres n'acceptent pas de se battre en la compagnie d'un Song. Nous nous allierons à vous pour détruire Yoojin seulement s'il n'est pas là.
Hongjoong et ses lieutenants serrèrent les poings. Ils ne pouvaient pas faire cavalier seul contre Yoojin, ils avaient besoin de l'armée des Territoires Libres. Yunho jeta un coup d'œil vers Mingi. Son visage était fermé et sa jambe tressautait de colère. La princesse sembla vouloir protester mais le maréchal lui fit un discret signe de tête pour l'en empêcher.
— Très bien, soupira Hongjoong. Nous acceptons.
— Il serait imprudent de mener une attaque frontale sans évaluer au préalable les forces de nos ennemis, dit le maréchal Moon en changeant de sujet. Il faut envoyer des éclaireurs, les meilleurs.
Hongjoong échangea un regard avec San qui hocha la tête. L'Ombre était le meilleur éclaireur qu'ils pouvaient avoir. Avec ou sans ses Ombres, il savait se faufiler partout. San s'avança vers le maréchal et leva le menton. Yunho ne l'avait jamais vu obéir et se soumettre à personne d'autre que Hongjoong et Mingi.
— Je me porte volontaire, déclara-t-il avec son habituelle voix sans émotion.
— Que pouvez-vous nous apporter ? demanda la princesse en étudiant San sous toutes ses coutures.
San disparut dans les Ombres. Le même sourire satisfait apparut sur les visages des conseillers proches de la princesse. Un frisson désagréable remonta l'échine de Yunho, quelque chose le dérangeait chez eux. San réapparut quelques secondes plus tard.
— Acceptez-vous de servir d'éclaireur ? Votre magie nous serait précieuse, demanda le maréchal.
L'Ombre hocha la tête.
— Parfait, des soldats de la garde de la princesse peuvent vous accompagner.
— J'emmène qui je veux avec moi, rétorqua San.
Le maréchal haussa un sourcil, ce qui créa des rides sur son front tanné par le soleil. Il ne devait pas avoir l'habitude d'être contesté dans ses ordres mais il ne connaissait pas San. L'Ombre n'allait pas gentiment lui obéir. Finalement l'amiral sourit, amusé. Yunho se mordit la lèvre, ce n'était pas une alliance viable qu'ils créaient mais une entente de circonstance et il était le pont qui reliait les pirates aux Territoires Libres.
— Nous devons faire des concessions comme ils en ont fait pour nous, trancha la princesse. Nous vous faisons confiance pour mener l'opération d'éclaireur.
Elle s'inclina légèrement devant San qui hocha la tête. La délégation se retira ensuite vers les navires et les pirates se retrouvèrent seuls. Minho s'approcha de Chan et soupira.
— Cela s'est mieux passé que prévu, dit Minho.
— Un vrai fiasco oui, soupira Hongjoong. Ces gens nous méprisent et pire, ils méprisent Yunho. On ne comptera pas sur eux après s'être occupé de Yoojin. Allons-y, plus vite on sera prêt et plus vite on se séparera d'eux.
— Ce sont des conseillers qu'il faut se séparer, rectifia Yunho. La princesse et le maréchal semblent être de notre côté.
Chan hocha la tête et Hongjoong expliqua dans les grandes lignes ce qu'il s'était passé sur le navire aux lieutenants puis rejoignirent le Combattant. Yeosang bouillonnait de colère.
— Je me demande si ces vieux croûtons vont aller se battre eux, grommela-t-il et fit rire tout le groupe.
Seul Mingi restait en retrait. Il n'avait pas dit un mot depuis son exclusion de l'opération. Il rongeait son frein en silence. Devoir regarder la bataille depuis un navire au loin allait être une torture pour lui. Yunho attendit qu'il arrive à sa hauteur et le prit dans ses bras. Il grimaça quand le poids de son torse appuya sur son cœur. La douleur causé par la magie de Guérison ne s'était pas encore estompée.
— Je déteste l'idée que tu partes te battre sans moi, soupira Mingi. Cette guerre ne te concerne pas.
— Je suis un Façonneur maintenant, elle ne peut pas plus me concerner.
Le second enroula ses bras autour de sa taille. Yunho frissonna en sentant le souffle de son amant sur la peau de sa gorge. Mingi enfouit son visage dans sa nuque.
— Reviens moi.
— Je te le promets.
Il déposa un baiser dans ses cheveux châtains puis se détacha de lui, non sans difficulté. Mingi saisit son poignet alors qu'il était prêt à partir.
— Merci de m'avoir protégé, dit Mingi.
— Pour le nombre de fois où tu m'as protégé, ce n'était pas grand-chose.
— Ça l'est pour moi. Quand tu feras face aux pirates, ne laisse pas tes pouvoirs te dépasser. Tu es capable de les contrôler.
Ils se lâchèrent et rejoignirent les chefs de l'Ateez qui les attendaient un peu plus loin et qui n'avaient rien perdu à la scène entre les amants. Hongjoong haussa un sourcil dans leur direction et Yunho hocha la tête.
— Allons-y, déclara le capitaine, la bataille nous attend.
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