18 - Plus proche que jamais
Seonghwa regardait l'infini de l'horizon par les fenêtres de la cabine du capitaine. Ses doigts se déplaçaient sur les codes de son violon pendant que l'archet caressait celles-ci. La mélodie pleine de nostalgie et de douleur de la Plainte de la Déesse Byeol s'élevait jusque dans les voiles du Dangereux. Le prince aimait particulièrement cet air, celui de la déesse protectrice du Nouveau Monde. Il lui rappelait ce qu'il vivait au quotidien, ce pourquoi il se battait chaque jour. Ce morceau était aussi vieux que la mémoire des habitants des îles volantes. Il racontait comment la Déesse, au prix de sa vie, avait créée la Mer de Nuage pour que les Hommes soient en sécurité face à la destruction de l'Ancien Monde. Byeol leur avait façonné une carapace qui était désormais leur prison. Seonghwa la haïssait pour cela en même temps qu'il l'admirait.
Il leva son archet et la dernière note résonna quelques secondes dans la pièce. La virée du Dangereux commençait à s'éterniser, sans toujours aucune trace de l'Ateez où de ses occupants. Seonghwa refusait de ses répéter les énièmes mots de son père qui prédisait son échec avant même qu'il ne largue les amarres. Il n'avait définitivement pas envie d'y penser. Il préférait réfléchir au plan des pirates. Son père l'avait mis au courant par courrier du casse de la bibliothèque impériale, du vol du second tome du livre de Tanian ainsi que de l'échec de la garde de Shonga. Il remerciait les étoiles de ne pas avoir été au palais à ce moment-là. Seuls l'emplacement de trois des six tomes étaient connus. Logiquement, leur prochaine action allait avoir lieu à l'académie militaire. Le prince avait déjà fait prévenir le directeur de l'école en lui disant de s'attendre à tout.
Les forbans de l'Ateez n'étaient pas les premiers d'entre eux à tenter leur chance pour trouver le trésor mais c'était les premiers depuis quarante ans à réussir à faire trembler l'empire. Ce n'était pas rien. La famille Park n'avait pas connu pareille humiliation depuis le casse du trésor de la couronne. Son père n'était qu'un enfant mais cela avait multiplié démentiellement sa haine envers les pirates, les Territoires Libres, qu'il soupçonnait être derrière le vol, et surtout les mages qui avaient causé la déroute de l'armée impériale. La dynastie des Park voulait anéantir toute trace de rébellion du Nouveau Monde mais cet événement avait tout accéléré. Un monde en paix était un monde sous leur contrôle mais surtout sans mage. La haine envers les semblables de Seonghwa animait tous les empereurs et impératrices depuis deux cent ans. C'était viscéral, comme ancré dans leur gène. Seonghwa savait que tout cela remontait avant même la Fracture, le besoin de se sentir en sécurité et plus jamais soumit aux pouvoirs capricieux de mages oppresseurs.
Son père ne lui avait confié qu'une tâche, rechercher le trésor, l'origine de la magie. Seonghwa avait épluché la légende de Tanian durant toute sa vie, passant des heures et des heures à lire des manuscrits mieux gardés que la salle du trône. Ceux qui regroupaient des connaissances que l'empire ne voulait pas ébruiter, à commencé par la naissance de celui-ci dans un bain de sang qui avait réduit à néant les derniers Façonneurs de la surface de la planète. Un temps aujourd'hui mythique où ces mages régnaient sans partage sur le Nouveau Monde sans distinction entre mages et non-mages. Un temps oublié, effacé, détruit. Chaque mention des Façonneurs avait soigneusement été éliminée ou transformée au bon vouloir des desseins de l'empire. De rois bons et justes, ils étaient devenus des mages sanguinaires et anéantisseurs de pauvres hommes et femmes sans pouvoirs. Seules restaient les histoires qui se transmettaient de générations en générations, surtout auprès des mages. Eux n'avaient pas oublié leurs anciens rois, même s'ils peinaient à les imaginer avoir vécu dans ce monde un jour.
Deux cents ans que sa famille transformait cette vérité pour entretenir la haine à l'égard des mages. Tous les enfants de nobles de l'empire et ceux qui avaient la chance de rejoindre les bancs de l'école apprenaient que les Park avaient sauvé les hommes de la tyrannie des mages. Les Façonneurs avaient disparu des histoires, ils étaient devenus des légendes pour enfants à propos de l'Ancien Mondes. Des épouvantails brandits pour justifier toujours plus de haine et de répression. La dynastie de Seonghwa ne pouvait pas se faire opposer à leur écrasante domination l'image fantomatique d'anciens rois plus légitimes qu'eux à gouverner.
Seonghwa se sentait coupable que sa famille ait été responsable de l'extinction d'une lignée entière. Il savait aussi que son père avait l'intention de reproduire cette action une fois que le trésor de Tanian sera entre ses mains. Il posséderait enfin un arme capable de surpasser les mages rebelles et tous ceux qui s'élevaient contre lui. Seonghwa ignorait à quel point Eunji croyait en la nécessité et la bonne foi de son projet. Détruire à jamais ceux qui les avaient écrasés pendant tant de siècles, avant même l'explosion du monde.
S'il pouvait suivre le fil de ses pensées, son père lui dirait qu'il avait des doutes uniquement parce qu'il était un mage. Seongwha ne pouvait pas comprendre l'envie de vengeance et la terreur d'être à nouveau soumis. Pourtant, c'était une des choses qu'il comprenait le plus. Il avait grandi dans la peur, exilé sur l'île de Skywe le temps que ses parents trouvent une explication à ses pouvoirs et veuille bien le pardonner. Il avait vu tous ces mages se faire exécuter, fuir pour leur vie. Ils criaient vengeance tout autant que Eunji. Seonghwa savait que son sort ne dépendait que des humeurs de son père.
Deux coups à la porte le ramenèrent sur le Dangereux. Seonghwa posa son violon sur un des fauteuils de cuir et invita la personne à entrer. L'amiral Bang s'inclina face à lui.
— Quelles sont les nouvelles, amiral ?
S'il était là, c'est qu'il avait reçu des informations importantes. Seonghwa ne souhaitant entendre qu'une seule chose, que les marins aient enfin retrouvé la trace de Yunho. Plus les semaines filaient et plus les chances de le retrouver en vie étaient minces.
— Nous avons reçu un autre courrier du bureau de l'empereur. Nous ne sommes pas les seuls à poursuivre l'Ateez, votre Altesse.
La déception tordit ses entrailles mais il se secoua mentalement. Son père avait un plan et il fallait qu'il sache lequel. Seonghwa avait amèrement compris qu'Eunji n'en avait que faire de Yunho. Depuis le casse de Solas, il ne souhaitait qu'envoyer les pirates par le fond, peu importe si son ami était à bord de l'Ateez et il le lui avait bien fait comprendre dans sa première lettre.
— Quel navire mon père a-t-il pu envoyer ?
— Les chasseurs de mages de l'Oural. Ils ont quitté Kiroko juste après que nous ayons quitté Solas.
Seonghwa connaissait leur triste réputation et son inquiétude grandit encore dans sa poitrine. Ils allaient faire disparaître l'Ateez sans chercher à distinguer les innocents des pirates. Si Seonghwa trouvait les pirates avant eux, il avait encore une chance de sauver Yunho. Les commandants de l'Oural avaient été formés à l'académie militaire et étaient de loin les meilleurs dans leur domaine. L'empereur faisait appel à leurs services quand il n'avait plus d'autres options.
— Ils cherchent l'Ombre, comprit-il.
Entre l'attaque de la prison et la course poursuite échouée à Shonga, le mage avait humilié l'empire par deux fois. L'amiral Bang hocha la tête et ses inombrables médailles tressautèrent sur son uniforme blanc.
— Il est devenu l'ennemi numéro un de l'empire.
— Pourquoi se montre-t-il au grand jour ?
Tous les habitants du Nouveau Monde connaissait le sort des mages qui se rebellaient contre l'empire. Aux yeux de son père, la peine de mort était un acte de clémence. S'il était capturé, le bourreau le torturerait des heures durant avant de lui arracher le cœur, tout cela publiquement. Seonghwa, par sa traque, participait à rendre cet évènement toujours plus probable mais il n'avait aucune compassion envers ceux qui avaient enlevé Yunho. Dans d'autres circonstances, il aurait laissé l'Ombre lui filer entre les doigts.
— Parce qu'il souhaite être libre, ne plus avoir à redouter d'être mis à mort pour qui il est.
Seonghwa releva les yeux vers l'amiral. C'était la première fois qu'il prononçait un discours contraire aux prêches de l'empire. Le testait-il ?
— Amiral, ce n'est pas parce que je suis un mage que j'ai de la compassion pour mes semblables.
Le quinquagénaire secoua la tête d'un air peiné. La cicatrice sur son nez semblait onduler.
— Il ne s'agit pas d'avoir de la compassion pour un mage mais pour un être humain. Vous dansez sur une corde raide depuis votre naissance, mon prince. Un jour, vous allez devoir choisir votre camp.
— Où va votre loyauté, amiral Bang ? Vous frôlez la félonie.
— A ce qui me semble juste, répondit-il d'un ton calme.
Ils s'observèrent en silence de longues secondes. Seonghwa ne savait comment répondre, les généraux de l'armée impériale ne faisaient jamais de pas de côté. L'amiral Bang avait pris un risque qui pourrait lui coûter sa carrière et sa liberté si le prince venait à le dénoncer. Seonghwa n'en avait pas l'intention, il savait au fond de lui sans vouloir l'admettre que l'homme avait raison. Son père le méprisait et avait peur de lui car il était un mage. L'empire s'était construit sur la haine et le rejet des pouvoirs, comment pouvait-il continuer de prospérer de la même manière avec un mage à sa tête ? Eunji était effrayé à l'idée que Seonghwa détruise tout ce qu'il s'était évertué à construire d'un revers de bras une fois sur le trône. C'est pourquoi il avait l'intention de gagner cette guerre avant de mourir. Le prince n'avait jamais réfléchi à ce qu'il ferait une fois empereur. Il pouvait toujours dissimuler sa magie au yeux de son peuple et ne rien changer à ce fonctionnement de deux siècles. Asservir ceux dont la magie avait fait de lui un paria et un moins que rien, comme ce que son père espérait de lui. Ce serait si facile...
— Et qu'est-ce qui vous semble juste ?
— Votre façon de voir le monde quand vous n'essayez pas de plaire à votre père, répondit-il d'une voix douce.
Tout ce qu'il faisait, c'était pour plaire à son père. Il gardait espoir qu'un jour il ne le voit plus uniquement comme un mage mais d'abord et avant tout comme son fils. Une pointe de colère piqua son cœur, l'amiral n'avait pas le droit de remettre en cause tous ses efforts. Seonghwa était loyal à la couronne et sa famille.
— Je croyais que vous embrassiez l'idéal de l'empire.
— Cet idéal m'a fait perdre mon fils. Une telle douleur remet les choses en perspective. L'empire nous montre les chimères qu'il souhaite, les véritables monstres ne sont pas toujours ceux que l'on croit.
Sans qu'il n'ait prononcé les mots fatidiques, Seonghwa comprit que l'amiral essayait de lui faire comprendre qu'il lui était entièrement loyal, davantage qu'à son père. Le prince hocha la tête et reporta son attention sur la carte navale posée sur la table. Cette conversation était terminée.
— A votre avis, ces pirates ont-ils une chance de retrouver le trésor ? lança le militaire comme si rien ne s'était passé.
Seonghwa haussa les épaules. Avoir les livres était quelque chose, réussir à les traduire et lire entre les lignes en était une autre. Le prince les savait malins et culottés d'après leurs derniers agissements, mais résoudre ce genre d'énigme ne se faisait pas en quelque semaines. Il étudiait ces livres depuis des années sans jamais avoir trouvé le moindre indice sur l'existence du trésor, il n'était même jamais mentionné.
— Je ne saurais le dire. Pour l'instant, nous sommes certains qu'ils possèdent deux des livres, ce n'est pas suffisant pour le trouver.
Une question restait au centre de toutes ses préoccupations, les cinq livres suffisaient-ils à trouver le trésor ? Seonghwa n'était pas encore parvenu à y répondre.
— Avons nous ne serait-ce qu'une certitude que ce trésor existe ? Nous ne savons même pas à quoi ressemble l'origine de la magie.
— Non, nous n'en avons aucune. Tanian a bien camouflé ses traces avant de disparaître, mais le peu d'archives qui nous restent mentionnent que Tanian a disparu avec une relique d'une importance capitale. Il ne peut que s'agir du trésor. Après sa disparition, l'origine de la magie n'est plus mentionnée, à part en légende.
Seongwha avait découvert cela sur un vieux papier à moitié dévoré par les mites quelques années plus tôt. La seule mention de Tanian et d'une relique qui permettrait aux hommes de prendre le dessus sur les mages en cas de guerre. Le reste demeurait flou. Il n'était sûr que de deux choses, que sa famille croyait à l'existence du trésor dur comme fer pour une raison qu'il ignorait et que son père lui cachait une partie de la vérité. Le tout restait de savoir quoi.
Il fut sorti de ses pensées par l'arrivée du capitaine.
— Prince Seonghwa, nous avons retrouvé la trace de l'Ateez.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro