Mingi ouvrit les yeux. Tout son corps était en bouilli, comme si quelqu'un l'avait jeté par-dessus bord. Il lui fallut plusieurs minutes pour comprendre qu'il était dans l'infirmerie. La petite pièce était baignée de la lumière orangée de la fin de journée.

En tournant la tête, il vit Yunho endormi profondément sur le lit d'à côté. Encore à moitié dans les vapes, Mingi prit le temps d'étudier son visage paisible. Ses paupières bougeaient de manière quasi imperceptible et ses pommettes hautes étaient caressées par les rayons du soleil couchant. Sa beauté l'éblouissait. 

— Tu es réveillé.

Confus et un peu honteux de s'être fait prendre ainsi à admirer Yunho, Mingi rougit. Il tourna la tête vers Yeosang qui se tenait au bout du lit, un plateau remplis de trucs médicaux ésotériques aux yeux du second et un sourire en coin aux lèvres. Des plantes flottaient dans des petits bocaux à côté de poudres aux couleurs de l'arc en ciel.

— Tu vas m'empoisonner ? demanda-t-il d'une voix pâteuse.

Malgré la fatigue visible sur ses traits, le mage sourit à pleines dents. Il déposa son plateau sur la table de chevet et se mit à mélanger différents ingrédients dans un verre d'eau.

— Te laisser mourir aurait été plus facile.

Les doigts de Mingi tâtèrent avec prudence le bandage large et épais autour de sa taille. Ses souvenirs flous refusaient de gagner en netteté. Même la douleur se manifestait au loin.

— C'était si grave que ça ?

— Tu avais une balle dans l'estomac. Si Yunho n'avait pas été là, tu serais mort.

Mingi se fit violence pour ne pas tourner la tête vers le petit noble. Yunho lui sauver la vie ? Il aurait aimé voir ça. Il regardait Yeosang finir de préparer sa mixture en silence. Le peu de temps éveillé le fatiguait déjà énormément.

— Tiens, avale ça.

La couleur grisâtre et l'odeur de rat crevé ne lui donna étrangement pas envie d'obéir mais en voyant les menaces dans les yeux de Yeosang, il attrapa le verre entre ses mains.

— J'aurais préféré mourir, maugréa-t-il.

— Ça peut toujours s'arranger.

Yeosang lui tint la tête et Mingi avala la mixture d'une traite en luttant pour ne pas tout recracher. En plus d'avoir l'odeur, cela avait aussi le goût de rat crevé.

— Je sais que ce n'est pas très bon mais c'est très efficace. Repose toi maintenant, tu en as besoin.

Mingi ferma les yeux, incapable de les garder ouverts. Il écoutait Yeosang ranger ses petits bocaux dans l'armoire, les tintements du verre agissaient comme une berceuse. Le pirate laissa son esprit dériver hors du navire et flotter au-dessus de la Mer de Nuages. Il se sentait bien à observer le déplacement sans fin des moutons blancs qui reflétaient la lumière vespérale. Le sommeil l'emporta au crépuscule.

***

Mingi ouvrit les yeux au beau milieu de la nuit, sa respiration encore affolée. La chaleur des flammes lui léchait toujours le visage. Il essaya de se redresser mais la soudaine douleur qui lui vrilla l'estomac le fit retomber aussi sec sur le matelas. Il cracha toutes les insultes qu'il connaissait. 

— Il vaut mieux ne pas bouger, ordre de Yeosang. 

— J'emmerde Yeosang… soupira Mingi en se couvrant les yeux avec ses bras.

Puis il se rendit compte qui était la personne avec qui il discutait. Il tourna la tête vers la voix et haussa un sourcil.

— Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je suis garde malade.

— Tu veilles sur moi même en pleine nuit ? Je suis flatté, ricana Mingi.

Yunho glissa sa main dans ses cheveux, mal à l'aise. Les billes de ses yeux aspiraient la lumière comme des trous noirs, rien ne s'échappait d'eux, même pas les émotions. Ils étaient comme des miroirs sans tain qui renvoyaient à Mingi ses propres démons, sans laisser apercevoir qui était Yunho. 

— C'est que… tu avais l'air de faire un cauchemar. Ça m'a réveillé.

Leurs rires résonnèrent dans le silence de l'infirmerie, ses cris à Chan et lui. Il secoua la tête, la nuit n'était pas le bon moment pour s'épancher dans ses souvenirs. S'il ne leur accordait qu'une brève seconde, il serait toujours là le lendemain, à fixer le plafond, les yeux dans le vague et la vague à l'âme.

— Tu as déjà bien dormi après avoir pris une balle dans le ventre ?

Le petit noble grimaça, ramena ses jambes contre son torse et posa sa tête sur ses genoux. Mingi lui trouva un air enfantin à se tenir comme cela. Les jeunes aristocrates non mariés étaient des oisillons qui n'avaient pas encore quitté le nid, choyés et surprotégés par leurs parents. Cela ne l'étonnerait pas que Yunho n'ait jamais quitté son île, voire même la citadelle de Skywe. Ses propres parents ne l'avaient jamais traité comme tel.

— Non.

— C'est bien ce que je pensais, sourit-il.

— Vu comme tu semble n'en avoir rien à faire de ta blessure, cela ne doit pas être la première n'est-ce pas ?

Un sourire espiègle caressa ses lèvres. Le petit noble était curieux ?

— En effet.

Depuis tout petit, il avait connu son lot de blessures en tout genre, plus ou moins graves. Ce n'était la première fois qu'il sentait la mort penchée si près sur son épaule. Yunho balança ses jambes au bord du lit et se pencha vers lui. Ses yeux noirs croisèrent et s'ancrèrent dans les siens. Un frisson remonta l'échine de Mingi. 

— C'est tout ?

— Parce que tu penses que je vais tout te raconter ?

Avec une grimace de douleur, il se redressa sur le lit, calant son dos avec l'oreiller. La nouvelle position calma légèrement sa douleur. Il serrait les dents depuis qu'il était réveillé, la concoction du Marcheur était de moins en moins efficace. Jamais il ne l'avouera à Yeosang mais il donnerait tout pour avoir un autre cocktail goût rat crevé.

— Tu ne m'as pas l'air capable de me dire non, sourit Yunho, joueur. 

— Même dans cet état je t'arrache la tête sans difficulté. 

— Bien sûr.

Ils se jaugèrent en silence quelques secondes. Mingi voulait que cet échange dure jusqu'aux premiers rayons du soleil, le petit noble était mignon quand il lui tenait tête. Finalement, le second esquissa un sourire.

— La dernière fois que j'ai cru mourir, c'était il y a six ans. J'étais dans la pire école que ce monde ait jamais créé et les élèves étaient les pires rejetons de l'empire. Des vrais vautours, toujours prêts à bouffer le premier qui tombait pour avancer.

Quand il pensait à cette époque, Mingi ne voyait que les flammes. Elles avaient détruit tout le reste. Yunho se pencha un peu plus en avant, pendu à ses lèvres.

— Ils ont fini par me prendre pour cible avec un de mes amis. Nous étions différents face à eux, marginaux.

Mingi ne savait pas pourquoi il racontait tout cela, sa langue devançait son esprit.

— Cela a duré plusieurs années mais un jour, je ne pouvais plus le supporter. Je leur ai tenu tête. Ils n'ont pas aimé, pas du tout. Après m'avoir passé à tabac, ils m'ont jeté dans le vide. Je me suis raccroché à une branche et j'ai tenu une éternité jusqu'à ce que mon ami ne me trouve. J'ai failli lâcher tellement de fois mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas leur donner raison. Plus je la regardais, plus la Mer de Nuage m'appelait. En remontant à terre, j'ai compris que je ne voulais plus jamais y remettre les pieds. Je pense que la suite, tu peux la deviner.

Yunho hocha la tête.

— Les gens peuvent-être vraiment cruels parfois. Mes parents ont refusé de m'envoyer dans un pensionnat pour éviter tout ça. Avec la maladie de mes yeux, beaucoup des domestiques me prenaient pour un monstre. Je devais porter un bandeau en permanence.

Un monstre avec un visage d'ange. Mingi jeta un regard par le hublot. Le ciel commençait à se teinter d'un camaïeu de violet et de bleu plus clair. Le soleil fera bientôt son apparition, ramenant la vie sur le bateau. Il se demandait souvent comment aurait été sa vie si ses parents ne l'avaient pas jeté dans cette école. Jamais aussi bien que celle qu'il avait aujourd'hui. Même s'il ne pourrait jamais le vérifier, il en avait la certitude. Tomber par hasard sur Hongjoong et Jongho avait été la première chance de sa vie et il l'avait saisit à bras le corps.

Mingi était prêt à tout pour protéger ceux qui, pour la première fois, lui avaient fait prendre conscience qu'il valait quelque chose.

— Tu n'as jamais quitté la citadelle, je me trompe ?

— Non en effet. Mère disait que c'était plus prudent. Elle m'a fait découvrir le monde à travers les livres.

Un sourire nostalgique se forma sur ses lèvres mais Mingi perçut sa tristesse. Il comprit soudain pourquoi Yunho était obsédé par la couleur blanche depuis son arrivée. Il était encore en deuil. Chez l'aristocratie, cela pouvait durer plusieurs mois.

— Est-elle morte il y a longtemps ?

Une larme noire roula sur la joue du petit noble. Mingi eut un pincement au cœur. La mort de son père n'avait été qu'anecdotique pour lui, même s'il savait qu'il s'était passé la corde au cou par sa faute.

— Cela va bientôt faire un mois et demi.

— Je suis désolé.

— Ce n'est pas la peine de faire semblant. 

S'il avait eu plus de force, Mingi l'aurait jeté par-dessus bord. Yunho se leva et se planta devant le hublot, les timides premiers rayons du soleil caressaient son visage.

— Je ne fais pas semblant. Je sais ce que c'est de perdre quelqu'un. Ici, tout le monde le sait.

Il croisa le regard de Yunho dans le reflet de la vitre. Le jeune homme essuya les larmes sur ses joues avant de sourire, hésitant.

— Père me manque. Il venait à peine de perdre mère…

— Tu le retrouvera bientôt. Hongjoong tient toujours ses promesses. 

Yunho semblait vouloir dire quelque chose, mais la porte s'ouvrit sur Yeosang et Wooyoung. 

— Ah Mingi ! Tu es réveillé ? Tu te sens mieux ? demanda le mage. 

— Oui ça va Yeosang, merci.

Mingi le regarda d'un œil critique sortir ses bocaux de l'armoire. Au bout de quelques minutes de travail, la mixture de Yeosang avait déjà une meilleure couleur que la veille. L'estomac de Mingi gronda devant la forte odeur de menthe. Il n'avait pas mangé depuis la veille mais il doutait pouvoir le faire avec sa blessure. Wooyoung emmena Yunho avec lui et referma la porte derrière eux.

— Avale ça, ordonna Yeosang en lui tendant le verre et il s'exécuta sans broncher.

Le mage changea ensuite son bandage et s'étonna en voyant l'état de la blessure. La peau commençait déjà à cicatriser. C'était bien la seule chose qu'il avait hérité de ses parents, une cicatrisation rapide de ses blessures.

— Tu vas rester au lit encore quelques jours et c'est non négociable, dit Yeosang pour couvrir les protestations de Mingi.

— S'il te plaît Yeosang.

La tête de chien battu de Mingi ne lui fit aucun effet. Le second soupira et se rallongea en fixant le plafond, il allait mourir d'ennui.

— Yunho restera avec toi la plupart du temps au cas où tu as besoin d'aide.

Un sourire fleurit sur les lèvres de Mingi, cela allait peut-être être plus intéressant qu'il ne le pensait au final. Il allait adorer embêter le capricieux petit noble pour un rien.