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Je te pensais pas aussi cochonne, Pauline !
Reçu à 02 : 15
Je sens mon visage s'embraser d'un coup, et suis bien heureuse que Charlie ne soit pas là pour me voir dans cet état.
En répondant à son message aussi tard, je ne m'attendais pas à ce qu'il soit encore réveillé et me fasse la conversation. Voilà bientôt deux heures que nous nous écrivons, et je pourrais continuer jusqu'à l'aube.
Mais non ! Comme j'étais au chaud dans mon bain, et que tu travaillais sûrement sous la neige, je pensais à toi par compassion...
Envoyé à 02 : 17
Si tu le dis...
Bon, tu dois être fatiguée, je te laisse dormir.
Reçu à 02 : 23.
Non, c'est bon :)
Envoyé à 02 : 24
OK, en fait c'est moi qui suis crevé, j'espérais juste que tu le sois aussi.
Reçu à 02 : 30
Désolée, je te laisse alors...
Envoyé à 02 : 31
T'inquiète, si je travaillais pas demain, j'aurais pu t'embêter toute la nuit.
Reçu à 02 : 33
Mais non, tu m'embêtes pas !
Envoyé à 02:33
Parfois, tu me désespères... :p
Reçu à 02:35
Ah bon ? Pourquoi ?
Envoyé à 02:35
Laisse tomber, c'est rien.
Reçu à 02 : 37
OK... Bonne nuit et bon courage pour le travail !
Envoyé à 02 : 37.
Bonne nuit Pauline. Pense à moi demain, dans ton bain ou dans ton lit, si tu préfères.
Reçu à 02 : 39
Chaque fois que j'ouvre un classeur de cours ou prends une fiche de révision, le marchand de sable vient me jeter des poignées de poudre magique dans les yeux. Je ne sais pas si cela est dû à de la mauvaise volonté ou à un pouvoir soporifique surpuissant...
Sans oublier mon manque de concentration. Au final, je passe plus de temps à compter tout ce que je peux et à regarder la neige tomber dans mon jardin qu'à réviser.
En début de soirée, ma mère m'appelle pour l'aider à éplucher les carottes et les patates pour le pot-au-feu, et les pommes pour la tarte Tatin qu'elle a prévu de faire pour le dessert.
— Ça serait bien que tu quittes ta chambre de temps en temps... On ne te voit pas beaucoup en dehors des repas, fait-elle remarquer en rinçant la planche à découper dans l'évier.
Pour faire plaisir, je me résigne donc à passer la soirée avec mes parents, devant une série américaine. Je ne tiens que trente minutes avant de finir sur mon portable.
Ce dernier vibre à la réception d'un message, alors que je suis en plein match de calcul mental contre « Kshatriya974 ». Mais à la vue du nom de mon correspondant, je quitte immédiatement l'application.
Salut jeune fille, bonne journée ?
Reçu à 21 : 56
Coucou :) Oui, j'ai pas fait grand-chose à part réviser... Et toi, t'as fini le travail ? C'est quand même nul de bosser un samedi.
Envoyé à 20 : 57
C'était exceptionnel aujourd'hui, et je commençais qu'à 13h. Y'a pire.
Reçu à 20 : 59
C'est vrai.
Sinon tu fais quoi là ?
Envoyé à 21:01
Je rejoins des amis en ville.
Reçu à 21:02
L'enthousiasme est de courte durée et laisse vite place au scepticisme, voire à la jalousie. J'envie les amis de Charlie qui vont pouvoir profiter de lui, tandis que je suis bloquée ici, devant NCIS : Los Angeles. En plus, ça signifie que nous ne pourrons pas passer la nuit à échanger des messages.
C'est cool ! Amuse-toi bien alors.
Envoyé à 21 : 03
Ça aurait été mieux que tu sois là... T'es vraiment obligée de rentrer qu'à la fin des vacances ?
Reçu à 21 : 05
Oui, on part lundi en Provence pour passer le Nouvel An chez ma tante...
Envoyé à 21 : 06
Dommage. Mais au moins, tu verras la mer. C'est sympa.
Reçu à 21 : 11
Je commence à écrire que j'aurais préféré le voir, lui, avant de tout effacer. La faute à ma pudeur et à ma mère, qui ne cesse de jeter des coups d'œil à l'écran de mon portable. Je change donc de position et m'adosse contre l'accoudoir, jambes repliées, pour l'empêcher de lire mes conversations très privées.
Moui. On y va tous les hivers et tous les étés... Je commence à connaitre, à force...
Envoyé à 21 : 13
T'as pas l'air très emballée... D'ailleurs, j'ai oublié de te dire que je pars à Dubaï juste quand tu rentres.
Reçu à 21 : 21
Voilà comment me dégouter encore plus que je ne le suis déjà.
Mais t'es riche en fait !
Envoyé à 21 : 23
Pas vraiment, on part à 4, ça divise les frais. Ça fait un moment qu'on économise pour ça.
Reçu à 22 : 00
Tu pars longtemps ?
Envoyé à 22:01
Un peu moins de deux semaines.
Reçu à 22 : 13
Cette nouvelle m'affecte le moral sûrement plus que nécessaire, ce que ma mère ne manque pas de constater lors du repas, le lendemain midi. Elle remarque toujours tout.
— Qu'est-ce que tu as, ma chérie ?
Je lève les yeux de mon assiette de purée aux brocolis et de blanc de poulet.
— Rien, ça va, m'efforcé-je de répondre avec un sourire.
— Tu sembles soucieuse.
Comment lui avouer que je suis déprimée à l'idée de ne pas voir un garçon pendant trois semaines, car il va aller draguer des filles en maillot sur une plage artificielle ? Comment lui dire que je suis jalouse de lui, qui part en vacances dans une ville coulée dans l'or et le béton, quand je suis condamnée à passer les miennes à la campagne chez mes parents, qui me trainent à des repas de famille trop chiants ?
— C'est à cause de mes partiels, finis-je par répondre.
— Ne t'en fais pas. Je sais que tu vas réussir, comme toujours.
À l'entendre, je suis une élève modèle, première de la classe, alors que je n'ai jamais dépassé le douze de moyenne générale au lycée.
Pour le plus grand malheur de mon père qui tente d'écouter le journal télévisé, ma mère s'indigne et entame un monologue sur les méfaits de l'élevage de poulets en batterie. Dès que j'en ai l'occasion, je m'esquive dans ma chambre.
Le soir même, en rentrant des courses à l'hypermarché de la ville voisine, je découvre un nouveau message de Charlie sur mon portable. S'il en vient à m'écrire trois jours d'affilés, c'est que je dois quand même lui manquer un peu ! Ou alors, il s'ennuie...
Toujours pas de retour prévu avant la fin des vacances ?
Reçu à 19 : 02
Non... En plus ma mère m'en voudrait pour l'éternité si je partais plus tôt que prévu.
Envoyé à 19 : 51.
Rien ne t'oblige à suivre tes parents, t'es assez grande pour vivre ta vie.
Reçu à 19 : 58
Oui, mais on va me prendre la tête...
Envoyé à 19 : 59
Ça sera juste un mauvais moment. Tu les écoutes pleurer puis tu pars. Ta mère pourra pas t'enchainer.
Reçu à 20 : 00
Je sais pas :(
Envoyé à 20 : 00
:(
Reçu à 20 : 01
Je dois sans doute passer une gamine trop peureuse pour imposer sa volonté, mais s'il y a bien une chose que je suis incapable de gérer, c'est le conflit. Surtout avec ma mère, qui est assez rancunière. D'après une anecdote de mon père, elle lui aurait fait la gueule pendant une semaine suite à un faux plan qu'il lui aurait fait pour leur deuxième rendez-vous. Pourtant, je trouvais son excuse tout à fait valable...
La vibration de mon portable entre mes mains me tire de mes pensées.
Au fait, je t'ai acheté un cadeau pour ton Noël-anniversaire.
Reçu à 20 : 03
C'est vrai ? C'est quoi ?
Envoyé à 20 : 02
L'intérêt d'un cadeau c'est de savoir de quoi il s'agit quand tu l'ouvriras, non ?
Reçu à 20 : 03
Ça sera dans super longtemps...
Envoyé à 20 : 04
Libre à toi de réduire ce délai !
Reçu à 20 : 04
Alors que je suis en plein débat intérieur, ma mère me hèle depuis le rez-de-chaussée.
Je l'aide à laver les légumes du jardin, les découpes en cubes comme elle aime, mets la table, l'écoute parler pendant le repas, fais la vaisselle à toute vitesse, puis remonte dans ma chambre.
Une fois là-haut, j'ouvre le navigateur Internet de mon ordinateur pour aller sur le site de réservation de train. Modifier mon billet de retour me coute 44 euros de plus, par rapport au prix que j'avais initialement payé. Mais avec tout l'argent que j'ai récolté à Noël, ce n'est pas très grave. Après un court instant de réflexion supplémentaire, je valide la transaction. Ne manque plus que de l'annoncer à Charlie et à mes parents.
— Pauline... Tu n'es pas sérieuse ?
Ma mère s'empare de la télécommande posée sur la table basse pour baisser le son de télévision. Mon père ne râle même pas.
— Si... Je rentre demain... Alex m'a invitée à passer le Nouvel An avec elle.
— Mais ça fait à peine une semaine que t'es là, et tu repars déjà ?
Je hausse les épaules, ne sachant quoi lui répondre pour me justifier plus.
S'ensuit une série de remontrances et de reproches sur mon abandon précipité, sur mon irrespect vis-à-vis de ma tante Catherine, qui a tout réservé et prévu pour notre venue dans le Sud, sur sa déception quant à mon absence.
À ma grande surprise, mon père intervient tout de même pour prendre ma défense, ou plutôt pour dire que ce n'est pas si grave et qu'ils devraient me laisser m'amuser. Maman n'est pas de cet avis, et me fait la tête jusqu'à me ramener à la gare, le lendemain matin.
Lorsque le train arrive sur le quai, elle me lance un dernier regard contrarié avant de craquer et de me serrer dans ses bras. Elle ne me lâche qu'à l'annonce de la fermeture des portes.
Une fois installée à la place 59, je salue mes parents par la fenêtre puis sors mon portable quand le train se met en route.
Un message de Charlie affiché à l'écran m'indique l'heure et le lieu de notre rendez-vous de cet après-midi.
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