17
Après une semaine de cours tout aussi monotone que les précédentes, quelques résultats de partiels et de TD viennent bousculer nos vies d'étudiants.
Rien de bien légendaire me concernant : un 8 en droit civil, un 10,5 pour ma dissertation contre la suppression du Premier ministre et un 10 en droit social.
En revanche, Alexandra, dont la plus mauvaise note est un 15, tente de ne pas trop exposer sa joie et sa réussite. J'apprécie son geste et m'efforce en retour de ne pas trop tirer la gueule pour le reste de la journée. Je dois mal m'y prendre, car elle me propose de diner chez elle après les cours pour me changer les idées. Et comme d'habitude, ma mère choisit les rares soirées où je suis occupée pour m'appeler.
Son instinct de maman repère bien vite le dépit et le manque d'enthousiasme dans ma voix, et je me trouve obligée de l'informer de mes résultats médiocres.
Bien que déçue, elle me rassure avec d'hypothétiques bonnes notes à venir. De mon côté, je me console avec l'idée de voir Charlie ce week-end.
À la sortie du métro, samedi après-midi, le vent souffle si fort qu'il me transperce comme de petites aiguilles de glace. Les espaces verts de la place Carnot sont encore recouverts de la neige tombée ces derniers jours et qui ne fondra pas de sitôt.
J'arrive près du kebab, au niveau de l'immeuble de Charlie, quand la porte d'entrée en bois massif s'ouvre pour laisser surgir Anne-Sophie. Dans sa frénésie, elle ne me remarque pas et manque de me percuter avant de s'arrêter net devant moi.
Son regard froid et dur s'adoucit lorsqu'elle me reconnait, et tout signe de colère s'évapore. Ses yeux sont tout rouges et bouffis.
Il ne doit s'écouler que quelques secondes, mais j'ai l'impression que nous nous dévisageons une éternité avant qu'elle ne me contourne et ne file vers la place.
Je l'observe s'éloigner, avec son sac à main en cuir rouge pendu à son bras. Exactement le même que celui de la fille venue pleurer à la porte de Charlie, la semaine dernière.
J'essaie de rester calme, de ne pas surcharger mon esprit avec des conclusions tirées hâtivement, sans savoir. Mais voir cette fille sortir d'ici, aussi furieuse que bouleversée, ne m'aide pas. Surtout quand je réalise que mon copain m'a menti sur l'identité de la « chieuse » censée le harceler, depuis qu'il l'aurait rencontrée à une soirée. Il aurait pu me dire qu'il s'agissait d'Anne-Sophie, la trop jolie blonde qui s'est blottie contre lui dans un bus et qui le dévore des yeux d'une manière que je ne m'autoriserais même pas. Mais s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il doit avoir ses raisons. Et ce sont ces raisons qui commencent à m'angoisser.
Sans parler du fait qu'il ne me répond pas, alors que je sonne à son interphone pour la troisième fois.
Aujourd'hui est l'un des jours les plus froids de la semaine, mais la température de mon corps ne cesse d'augmenter au même rythme que les battements de mon cœur, au fur et à mesure que l'attente s'éternise.
Après cinq minutes passées à poireauter en bas de chez lui, je comprends que Charlie fait le mort. Et à partir de ce moment-là, il m'est impossible de ne pas me faire de films.
De retour au métro, je passe ma carte d'abonnement contre la borne et les portiques s'ouvrent.
L'esprit toujours confus, il me faut un certain temps pour repérer Anne-Sophie, à l'autre bout du quai, en compagnie de Lydia.
Aucune des deux filles ne parle. La blonde fixe juste les rails de manière pensive, et la métisse pianote sur son portable.
Faute de courage, ma détresse me pousse à m'approcher d'elles. Je compte le nombre de pas nécessaires tandis que mes mains moites se resserrent sur les bretelles de mon sac à dos.
Quand j'arrive à leur niveau, Anne-Sophie m'adresse un furtif regard du coin de l'œil, et Lydia me salue d'un sourire mal assuré.
Maintenant que je me retrouve là, les mots restent bloqués dans ma gorge et je dois me faire violence pour qu'ils viennent rompre le silence qui s'étire entre nous.
— Que... qu'est-ce qu'il se passe avec Charlie ?
Lydia secoue la tête et se tourne vers sa copine, comme s'il lui appartenait de me répondre.
— Rien. Une embrouille, comme d'habitude.
Ce sont les premiers mots que m'adresse Anne-Sophie depuis que je la connais, en dehors des conventionnels « bonjour ». Après quoi, elle sort son portable et consulte des messages imaginaires.
Ma présence semble les mettre toutes les deux mal à l'aise, alors je n'insiste pas et me tais.
— Si l'autre con t'ignore, c'est juste qu'il est pas d'humeur, me lance Lydia sur un ton détaché en levant les yeux au ciel. Ça lui arrive souvent de faire ça. Une vraie tête à claques.
Elle s'efforce de me rassurer, de me dire que tout est normal, mais je devine un certain malaise dans sa voix.
Tandis que le métro file dans un interminable tunnel, un blanc s'est définitivement installé entre nous. Anne-Sophie balade son regard partout dans le wagon, sauf sur moi, et quand nos yeux se croisent, cela ne dure jamais plus d'une seconde avant qu'elle ne les détourne. À l'inverse, Lydia m'a déjà adressé une dizaine de sourires depuis que nous sommes montées.
La blonde finit par descendre deux stations plus tard, en ville, et me laisse en compagnie de Lydia.
— T'as des trucs de prévus ? demande-t-elle quand le métro repart.
— Non... Je vais rentrer.
— Je vais faire les boutiques au centre commercial de la gare. Tu peux m'accompagner, si ça te dit.
L'envie me fait défaut, mais papillonner à l'extérieur m'éviterait au moins de broyer du noir dans mon 11 m².
— Pourquoi pas.
Je suis Lydia partout où ses jambes la portent. Elle me montre le magasin Sephora où elle travaille à mi-temps, dépense des centaines d'euros dans des habits qu'elle n'essaie même pas, sous prétexte de revenir se faire rembourser s'ils ne lui vont pas, et me traine dans des boutiques de produits cosmétiques naturels. Après m'avoir vanté les mérites d'un masque à l'argile verte, elle me convainc de l'acheter, ainsi que les autres soins de la gamme.
Alors que l'après-midi touche à sa fin, Lydia me propose d'aller se poser dans un salon de thé avant de rentrer. Je me demande ce qui lui plait tant dans ma compagnie pour vouloir me garder encore un peu avec elle. Deux heures que nous sommes ensemble, et je me suis contentée de l'écouter parler et de lui sourire pour exprimer ma réceptivité.
Nos boissons à la main, nous nous dirigeons vers une table collée à la baie vitrée qui donne sur les galeries du centre commercial. Comme le débit de ma camarade a ralenti, sa bouche étant occupée à siroter son café frappé, je me perds de nouveau dans mes pensées, angoisses et questionnements.
J'ai le sentiment que Lydia pourrait m'apporter quelques réponses. Je n'ai pas envie de l'ennuyer avec mes histoires de cœur, mais comme elle ne se prive pas de me parler des siennes, je suppose qu'elle comprendrait mes craintes.
Le ticket de caisse que je triture entre mes doigts ne ressemble plus à rien depuis que j'ai commencé à en déchirer les contours dans l'attente du moment opportun. À l'occasion d'un silence un peu trop prolongé, j'ose me lancer.
— Dis... Est-ce qu'il s'est déjà passé un truc entre Charlie et Anne-Sophie, avant ?
Surprise par ma soudaine question, Lydia prend quelques secondes pour réfléchir à sa réponse.
— Euh... non, pas vraiment... Mais entre eux, c'est une longue histoire, chiante et compliquée, qui s'éternise depuis le lycée. Il y a eu tellement d'épisodes, qu'on pourrait en faire une série ou un roman.
— Ah, oui ? Raconte ?
— Oh... Je n'ai pas tous les détails... J'ai pas envie de te dire n'importe quoi et foutre le bordel pour rien... Demande plutôt à Charles.
Impossible de dissimuler ma déception. Moi qui comptais éclaircir la situation grâce à elle et son animosité contre Charlie, toujours prête à le descendre, je me retrouve avec encore plus de questions et de zones d'ombre.
— Mais je peux te garantir qu'ils ne sont jamais sortis ensemble, reprend Lydia, et que ça n'arrivera jamais. Anne-Sophie n'est pas assez conne pour espérer avoir une relation sérieuse avec lui ou pour...
Elle s'interrompt, et son expression change brutalement.
— Attends, je suis pas du tout en train de dire que t'es conne, hein ! s'exclame-t-elle. C'est juste qu'après tous les sales coups qu'il lui a faits, elle ne pourrait pas se mettre avec lui sans passer pour une énorme cruche...
— Il lui a fait quoi ?
Elle se rend compte qu'elle en a trop raconté pour prétendre ne rien savoir, et je suis presque contente de l'air embarrassé qu'elle affiche.
— Oh... Des mesquineries de gamin... Comme je t'ai dit, ça remonte à plusieurs années... J'imagine qu'à 26 ans, Charles est plus mature qu'à l'époque.
Le ticket de caisse entre mes mains est désormais réduit en petits morceaux de papier.
Même si j'avais des doutes quand il m'avait annoncé avoir 21 ans, réaliser que Charlie m'a pipeauté dès notre première rencontre ne fait que me décevoir davantage. S'il ment sur une chose aussi futile que son âge, sur quoi d'autre l'a-t-il fait ?
S'il faut, il ne travaille même pas comme livreur de colis. Peut-être même qu'il est dealer de drogue, ou qu'il a une femme cachée et un gosse, ce qui expliquerait pourquoi il n'a jamais de temps pour moi en semaine.
— Bref, conclut Lydia. T'as faim, tu veux manger un truc ?
Je secoue la tête.
Une fois de retour à la maison, je me jette devant la télé et regarde en replay les épisodes manqués de mes émissions débiles quotidiennes.
Marc-Antoine, alias Marco, est en train de se faire épiler le torse à la cire par les filles, quand mon portable se met à vibrer contre le verre de ma table basse. Le nom de Charlie s'affiche, et pour la première fois, j'attends qu'il disparaisse de l'écran pour laisser place à une notification d'appel en absence.
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