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Le cœur battant, je traverse le couloir qui mène au restaurant. Ce matin, je n'avais qu'une hâte : aller travailler. Maintenant que la nouvelle m'a été annoncée, je n'ai qu'une envie : me débarrasser de ma nouvelle tenue de chef de rang et retourner chez moi pour me terrer dans ma chambre. A vrai dire, si on considère les choses telles qu'elles sont, je n'ai jamais obtenu de promotion. L'espoir de devenir chef de rang est juste passé sous mon nez, puis avant que je ne le saisisse, il m'a été enlevé par Anders et Carlton. Le cœur serré, je tente de me rassurer en me disant que je suis en semaine de test et que j'ai encore mes chances d'obtenir cette promotion.
Seigneur... A présent c'est le stress qui me prend à la gorge. J'ai absolument besoin de ce poste de chef de rang et du salaire qui va avec. Avec ma rémunération de serveuse, c'est à peine si je peux me payer ma partie de la location du studio avec mes dépenses journalières dans les repas et le carburant de ma voiture. Et avec toute la fierté et bienveillance que j'ai, je n'irai jamais demander à mes parents de m'accorder une petite aide. Ils ont déjà assez fait pour moi, en s'arrachant la peau des fesses pour m'offrir mes études à UCLA, l'université la plus populaire de Los Angeles, dont les critères de sélection ont été très coûteux. Les frais de scolarité étant déjà élevés pour eux, j'avais proposé à mes parents de payer moi-même mon logement. Au départ, ils étaient réticents face à cette idée, mais au final, j'ai bien réussi à les convaincre que j'étais capable de me débrouiller seule.
Je me remémore vaguement mes premières nuits dans mon nouveau logement avec April, lorsque je venais d'entamer ma première année. J'étais tellement surexcitée à l'idée de quitter la maison familiale à San Diego pour vivre mon indépendance à Los Angeles, que je n'avais pas anticipé qu'à tout moment, une dépression pourrait s'abattre sur moi. Le jour où je rentrais, l'air déprimé, chez moi, je me rendis compte à quel point je me sentais seule, loin de mes parents. Ma famille me manquait terriblement, et plus particulièrement la présence de mon grand-frère, Dan, qui a déménagé à Vancouver après ses études. Heureusement pour moi, la présence de ma meilleure amie, mais aussi les fréquentes visites de Finn qui loge à l'autre bout du campus, m'ont vite remonté le moral.
A présent, suite à la nouvelle, je sens encore la solitude s'abattre sur moi. Je pourrais très bien me réconforter auprès de mes meilleurs amis, et pourtant, l'envie n'y est pas. C'est toujours lorsqu'on est face à ses problèmes qu'on se sent vraiment seul et qu'on a juste envie de tout abandonner. Pourtant, je ne dois pas me laisser abattre aussi facilement. « Si tu désires quelque chose de tout ton cœur, bats-toi et tu l'obtiendras », me répétait souvent ma mère. Elle ajoutait aussi : « Il ne suffit pas que de la volonté pour acquérir ce que tu souhaites. C'est la foi, ma puce. Il faut que tu aies foi en toi et que tu sois sûre et certaine que tu réussiras. Aies confiance en toi et en tes capacités ».
Longeant cet interminable couloir, je ne cesse de me répéter ses mots en palpant mon pendentif en jade d'un air absent. Peu à peu, je me sens d'attaque pour commencer la semaine et réussir ce test.
Lorsque j'arrive enfin à l'office du restaurant, je tombe immédiatement sur la nouvelle recrue dont je suis censée m'occuper. Grand, mince, bien bâti, il me tourne le dos, ce qui me donne quelques secondes pour le détailler de la tête au pied. Bon sang, il est vraiment pas mal. Cette pensée a le don de rehausser un tout petit peu mon humeur maussade. Je l'observe en train d'examiner nos plannings affichés sur l'un des carreaux du mur. Je ne peux réprimer un sourire.
— Tu cherches déjà tes jours de repos ? lancé-je sur le ton de la plaisanterie.
Il se retourne, révélant la couleur de ses yeux que je n'avais pu voir sur son CV imprimé en noir et blanc. Ils sont vert émeraude, ma couleur préférée. Instinctivement, je tripote à nouveau mon pendentif qui est de couleur un peu plus foncée. Je pourrais me noyer dans ses yeux aussi longtemps que je le voudrais... Enfin, non. Qu'est-ce que je raconte ? Je suis sa supérieure hiérarchique et à partir d'aujourd'hui, il est mon apprenti.
J'inspire profondément. Reste normale Jade. Ne laisse pas ta folie prendre le contrôle de ton esprit.
— Vous devez être Jade Castle, je présume ? s'enquit Nicholas, sans sourire, en me tendant sa main. Je m'appelle Nicholas Golding, votre nouveau runner.
Je serre sa main, mal à l'aise. Je pensais l'amuser avec ma petite question. Malheureusement, vu sa mine, il a l'air beaucoup plus renfrogné que moi. Sa journée a dû être pire que la mienne. Et elle est loin d'être terminée...
— Enchantée. On peut se tutoyer tu sais...
— OK.
— Comment tu peux être sûr que je suis Jade ? demandé-je, perplexe, en tentant de faire un peu la conversation.
Ses yeux fixent mon collier, toujours coincé entre mes doigts.
— Tu as du jade autour du cou. Il n'y a que des filles qui s'appellent Jade qui porte ce genre de choses.
— C'est totalement absurde, répliqué-je, vexée malgré moi.
Il hausse les épaules, me lâche du regard pour se retourner de nouveau vers les plannings.
— Comme tu veux. Et pourtant, c'est la vérité : tu t'appelles Jade et tu portes du jade !
Je lève les yeux au ciel. Oh Seigneur ! Il est peut-être beau, mais il commence déjà à m'énerver. Visiblement, il n'a pas l'air d'être de bonne humeur, même si je ne sais pas vraiment à quoi correspond une bonne humeur chez lui. Si ça se trouve, il l'est déjà en ce moment même ! Si je dois me coltiner ce genre d'individu pendant toute une semaine, je pense devenir folle avant la fin. C'est ma semaine de test qui pourrait en prendre un sacré coup.
J'inspire un grand coup. Il faut que je garde mon calme. Je dois faire preuve de beaucoup de diplomatie. Me connaissant, je peux très vite m'enflammer pour quoi que ce soit, et ce ne serait vraiment pas bon pour notre relation professionnelle à tous les deux.
— OK, tu as gagné, soufflé-je, résignée. Je suis Jade et je vais devoir m'occuper de toi pendant toute cette semaine pour t'apprendre les bases de la restauration.
Il se retourne, un demi sourire sur les lèvres. C'est déjà quelque chose.
— Super, répond-il sans joie.
J'étouffe un rire de nervosité qui me prend subitement à la gorge, prêt à sortir à tout moment. Il me met vraiment mal à l'aise. Il est là, devant moi, et pourtant, je comprends rapidement qu'il n'a pas envie d'être ici. Peut-être travaille-t-il contre son gré ? Peu importe, ce n'est clairement pas une raison pour se montrer aussi froid et distant envers moi.
— Ecoute, j'aimerais vraiment qu'on parte sur de bonnes bases, donc si tu peux faire un petit effort pour...
— Pour quoi ? me coupe-t-il avec froideur. Nous avons fait les présentations, nous sommes partis sur de bonnes bases. A présent, je n'attends que tes instructions pour commencer.
Interloquée par ses propos, je peine à retrouver un semblant de contenance.
— OK, très bien, dis-je tout simplement.
Mon cerveau est en train de bouillonner. J'ai envie de débouler dans le bureau de Anders pour lui expliquer que je ne peux pas travailler avec une nouvelle recrue aussi impolie que moi lorsque je suis énervée. Cette idée traverse vaguement mon esprit sans que je ne la saisisse. Il est hors de question que j'aille me plaindre. Il est peut-être là le défi, ce foutu test. Il faut que j'arrive à faire de cet homme, un parfait runner pour les prochaines semaines. Il faut que je démontre à toute l'équipe que je peux très bien manager les nouveaux, même si ces derniers ont un caractère beaucoup plus tenace que le mien. C'est un grand défi, mais je suis prête à le réaliser.
D'une main, j'attrape deux balais et j'en tends un à Nicholas.
— Au fait, je peux t'appeler Nick ?
— Désolé, il est réservé aux intimes.
Son regard est aussi froid que de la glace. J'ai du mal à comprendre son comportement. Ai-je fait quelque chose de mal ? J'inspire profondément.
Garde ton sang-froid, Jade. Quitte à te faire rejeter mille fois.
— Très bien. On va commencer par balayer la salle, puis, au fur et à mesure, je te montrerais et t'expliquerais tout ce qu'il faudrait que tu saches.
Sans attendre sa réponse, je me dirige vers la salle.
— Je prends le côté droit, et toi, celui de gauche. On a dix minutes.
Autour de nous, des serveurs et un autre chef de rang sont en train de dresser les tables. Au moment où je m'attaque au sol, j'aperçois Anders qui se dirige vers moi, le regard étonné.
— Jade ! Mais que fais-tu ?
Je me redresse en fronçant les sourcils.
— Je... euh... je passe un coup de balai ?
— Je vois bien ça ! Tu es chef de rang pour cette semaine ! Ne l'oublie pas !
Le nouveau runner m'avait tellement irrité il y a quelques minutes, que j'ai fini par oublier que j'avais de nouvelles fonctions et que le nettoyage n'était plus de mon ressort. La honte me monte aux joues.
— Si tu veux obtenir cette promotion, ajoute Anders, tu devrais déjà commencer par savoir ce que tu dois faire, et t'y tenir !
Ses paroles me font l'effet d'une gifle. Il n'a pas tort. Confuse, je secoue la tête et baisse le regard.
— Je sais... Mes habitudes sont revenues naturellement, bredouillé-je.
Sans dire un mot de plus, le maître d'hôtel se retourne et m'abandonne avec mon balai. Bien malgré moi, je m'en veux, même si je sais pertinemment que ce n'est pas de ma faute. J'ai passé trois ans en tant que serveuse. Il est normal que j'aie du mal à modifier ma routine, non ? Enervée contre moi-même et contre Anders, j'attrape mon balai et me dirige vers Nicholas. A ma grande surprise, il a déjà terminé de nettoyer la moitié de sa partie de la salle.
— Waouh, beau travail Golding ! le félicité-je en souriant.
Il se retourne, toujours sans sourire. Je perçois à travers son regard qu'il se retient de lever les yeux au ciel. J'essaie de ne pas y prêter attention.
— Malheureusement, je ne vais pas pouvoir assurer le nettoyage de mon côté, annoncé-je d'une voix mal assurée. Tu pourrais t'en charger ? Je t'attends à l'office pour te faire une petite visite des lieux.
Il hoche la tête en marmonnant quelque chose et me laisse partir. Décidément, je suis tombée sur une personne asociale, mais qui travaille plutôt bien et qui est plutôt pas mal physiquement. En mon fort intérieur, je sens que ma semaine de test sera beaucoup plus compliquée que je ne le pensais.
Au bout d'une heure trente, la salle est de nouveau propre, toutes les mises en place ont été faites, et j'ai pu faire visiter nos locaux à Nicholas et lui expliquer de manière approfondie tout ce qu'il devait savoir sur son nouveau poste. De bon cœur, je lui ai même transmis quelques-unes de mes astuces de travail, ce qui m'a valu un simple hochement de tête et un regard totalement indifférent.
Les premiers clients franchissent les portes d'entrée, tandis que je m'assure à ce qu'il ne manque rien dans mon rang. Ce soir, je suis accompagnée de deux serveurs : Erin et Luke pour le service. Tout en remettant discrètement une fourchette à sa place, je me remémore le briefing d'il y a quelques minutes, durant lequel Anders n'a pas manqué de me rappeler en quoi consistait mon rôle. Apparemment, il m'a à l'œil et ne risque pas d'oublier de me réprimander à chacun de mes faux pas.
Je pousse un soupir. Cette semaine risque d'être interminable. Je n'ai qu'une envie : rentrer chez moi pour me coucher. Je lance rapidement un regard vers l'horloge de la salle : 19h30. Une bouffée de soulagement me submerge. Plus qu'une heure trente et je serais rentrée.
En temps normal, le service se termine aux alentours de 23 heures. Etant étudiante et ayant un emploi du temps plutôt serré, Carlton m'a permis de terminer mes services à 21 heures. J'ai donc environ cinq heures de travail par jour. Ce n'est pas énorme, que ce soit au niveau du temps et du salaire, mais ça me plaît plutôt bien. Il ne me reste plus qu'à obtenir ma promotion et avoir quelques dollars en plus dans ma rémunération pour que je sois totalement comblée par mon travail. Pour l'instant, je vais devoir faire énormément d'efforts pour pouvoir m'occuper de mon rang et de Nicholas à la fois. Cette soirée est vraiment un supplice.
Au bout de trente minutes, ayant déjà quatre personnes installées dans mon rang, j'aperçois l'un de mes clients préférés à l'accueil. Anders l'accompagne jusqu'à l'une de mes tables. Je me dirige aussitôt vers lui, le sourire aux lèvres, avant de retirer les deux chaises pour laisser passer Monsieur Montgomery, assis dans son fauteuil roulant.
A chaque fois que je le vois, je ne cesse de me ressasser notre première rencontre. C'était un samedi soir, j'en étais à mon deuxième service au restaurant Le Rivage. J'avais tellement peu d'expérience dans la restauration, et pourtant, jusqu'à ce jour, je m'en étais bien sortie. Monsieur Montgomery est arrivé et s'est dirigé vers l'une de mes tables. Agé d'une cinquantaine d'années, son visage était conservé par le temps et il était en pleine forme. A cette époque, il était déjà dans son fauteuil roulant. « Une vieille blessure de guerre », m'avait-il expliqué. Automatiquement, je lui ai proposé de s'installer. Il m'a alors regardé, avec de l'étonnement dans le regard, puis a répliqué : « Mademoiselle, cela fait déjà vingt ans que je suis installé ». Rouge écarlate, j'ai bafouillé des excuses avant qu'il ne m'ordonne de lui passer la carte. Plus tard, vers la fin du dîner, alors que je débarrassais sa table, il en profita pour me raconter quelques anecdotes de sa vie, lorsqu'il avait trente ans. Il était vraiment sympathique, et au fil du temps, il devint un habitué du restaurant, toujours prêt à s'installer à l'une de mes tables pour faire un petit brin de causette en ma compagnie.
— Bonsoir Mademoiselle Jade, me salue-t-il. Vous me paraissez différente aujourd'hui.
Ses lèvres ridées se fendent en un sourire chaleureux.
De son regard bleu, Monsieur Montgomery me détaille de la tête aux pieds tout en tapotant ses doigts sur son menton. Je lui souris.
— C'est peut-être parce que j'occupe aujourd'hui le poste de chef de rang, je réponds avec fierté.
Son visage s'éclaire, stupéfait.
— Toutes mes félicitations ! s'exclame-t-il avec joie. J'aimerais vraiment que vous m'apportiez la carte des vins pour qu'on puisse fêter ça ensemble !
D'un geste, je lui tends la carte du soir et celle des vins. Pendant qu'il examine attentivement les suggestions du jour, je relève la tête et aperçois Nicholas, au loin, qui nous observe. Je fronce les sourcils. Que fait-il ? N'a-t-il pas mieux à faire que de nous observer ? D'un mouvement de tête, j'essaie de lui faire comprendre de ne pas rester planté là et de continuer à travailler. Son regard inexpressif change aussitôt. Il fronce les sourcils à son tour et s'éclipse discrètement.
POINT DE VUE DE NICHOLAS
J'étais en train de ramener un plateau de verres sales lorsque je le vis. Je ne suis pas sûr que ce soit lui, et pourtant, assis sur une caisse au quai des livraisons, j'essaie de calmer les battements de mon cœur qui sont devenus beaucoup trop rapides. D'une main, j'extirpe mon paquet de cigarettes de ma poche arrière pour en fumer une. Je regarde le paquet en fronçant les sourcils, puis le jette aussitôt dans la poubelle à quelques mètres de moi. Je ferme les yeux.
Une vague image de mon père, lorsque j'étais plus jeune, me revient en mémoire. Il me sourit. Ses cheveux sont mal coiffés, sa barbe mal entretenue. Des cernes encerclent ses yeux et ses dents sont jaunies par les nombreuses cigarettes qu'il avait l'habitude de fumer. De lourds souvenirs m'assaillent, mon cœur bat de plus en plus vite. Voilà pourquoi j'ai cessé de fumer depuis quelques mois. Je ne veux pas ressembler à ce père que j'ai eu, ce père lâche, ivrogne, machiste et violent.
Puis, je revois cet homme que j'ai vu dans la salle, à la table de Jade, qui était justement en train de prendre sa commande. Je ne le voyais que de dos. Il était assis dans un fauteuil roulant, vêtu d'un costume plutôt chic et avait un aspect physique plutôt bien entretenu. Ses cheveux étaient légèrement grisonnants et, de derrière, il me rappelait mon père. J'avais même eu cette vague impression que c'était réellement lui.
Je secoue la tête et prends ma tête entre les mains. Ce n'est pas possible, ça ne peut pas être lui. Il est parti à l'autre bout du monde il y a vingt ans et n'est jamais revenu depuis. Pourquoi réapparaîtrait-il aujourd'hui ?
Pris d'une soudaine envie de bouger, je me lève pour faire les cent pas devant les poubelles. Je me trompe surement. Ce n'est pas lui et je m'alarme pour rien. Je ne l'ai vu que de dos, comment je peux en déduire que c'est vraiment mon père ? Après tout, il n'a jamais été dans un fauteuil roulant et n'a jamais eu le luxe de s'entretenir et d'acheter d'aussi beaux vêtements...
Je continue à marcher, en me dirigeant cette fois-ci vers la sortie du personnel. L'air frais fouette mon visage, je me sens un peu mieux. Lentement, les battements de mon cœur faiblissent et retrouvent un rythme régulier. J'inspire profondément. Je lève la tête pour regarder les étoiles, et là, je pense instinctivement à ma mère.
Maman... Elle a tellement souffert dans sa vie, mais a toujours su surmonter les épreuves et m'offrir tout ce qu'elle avait. Si mon père revenait aussi soudainement qu'il était parti, tout basculerait à nouveau... Je serre les poings. Si je te retrouve un jour, papa, tu me le paieras très cher pour tout ce que tu nous as fait.
— Bon sang, te voilà !
Je sursaute, et me retourne. J'aperçois Jade qui fait de grands pas dans ma direction, le regard flamboyant de colère. J'avale lentement ma salive. Elle ne me fait pas du tout peur, mais pour une raison que j'ignore, je ne suis pas du tout d'humeur à me faire sermonner aujourd'hui. Et surtout par ma nouvelle supérieure.
Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, elle pointe son doigt vers moi.
— Que fais-tu là ? Je te rappelle que tu as un poste et des responsabilités qui t'attendent ! s'écrie-t-elle.
Je ne réponds pas. A quoi cela sert de répondre si on sait très bien qu'on est fautif ? A la place, je l'observe en essayant de garder mon sang froid. Un peu plus petite que moi, elle m'arrive au menton. Ses yeux noisette me lancent des éclairs. Sa beauté est à couper le souffle. J'ai du mal à croire que, même en colère, elle est encore plus magnifique qu'elle ne l'est déjà.
Intérieurement, je suis heureux d'être encadré par une femme comme elle, lors de mon premier service, malgré que je me sois montré plutôt désagréable dès notre premier contact. Elle a une énergie incroyable et, dévouée à son poste, elle est prête à tout pour que tout fonctionne à merveille. Lorsqu'elle m'a transmis quelques-unes de ses astuces, j'ai vite compris qu'elle mettait toutes ses chances de mon côté, et qu'elle avait absolument besoin de mon implication dans mon travail pour atteindre ses propres objectifs. Mais dans quel but ?
— Tu vas me répondre, Nicholas ? s'énerve-t-elle face à mon silence.
Elle baisse le bras, s'éloigne de quelques pas et me toise de son regard foudroyant. Au moment où je me rends compte qu'elle serre les poings, je me demande si elle ne va pas finir par me frapper. Je comprends tout à fait sa colère. Je l'ai exaspéré pendant tout son service, et soudainement, je quitte la salle pour prendre l'air. Quoi de mieux pour énerver une femme qui investit son temps et toute son énergie dans l'apprentissage de l'une de ses nouvelles recrues, et qui, au final se retrouve déçue ?
Au fond de moi, je m'en veux. Pas tellement, mais tout de même un petit peu. J'ai un bon fond, mais surement pas autant qu'elle, surtout en cette journée aussi merdique que toutes celles que j'ai pu passer durant ces deux dernières semaines.
— Je me suis promis de me contenir face à toi, mais là, je ne peux vraiment pas.
Ses paroles fusent autour de moi, sans vraiment m'atteindre. A vrai dire, je lutte pour que ses paroles n'aient aucun effet sur moi. J'ai horreur qu'on me donne des ordres, et rien que de savoir que mes actes sont contrôlés par une femme me met hors de moi. J'ai réussi à tenir jusque-là, mais je ne suis pas sûr de pouvoir me retenir plus longtemps. Intérieurement, j'essaie de contrôler les battements de mon cœur qui pulsent dans mes oreilles. L'envie de hurler sur Jade s'éteint petit à petit. Je la laisse poursuivre dans sa lancée :
— C'est quoi ton problème exactement ? C'est ton premier service dans ce restaurant, et visiblement, tu n'as pas l'air heureux d'être ici ! remarque-t-elle, rouge de colère. Je fais énormément d'efforts pour essayer de t'intégrer, de t'apprendre les bases de ton métier, et à la place, tu me parle à peine, tu es désagréable et tu m'envoies balader la plupart du temps !
Elle s'arrête un instant pour reprendre son souffle. Des larmes scintillent au coin de ses yeux, tandis qu'une mèche indisciplinée s'échappe de son chignon sous l'effet de son emportement. Je me retiens, bien malgré moi, de ne pas la remettre à sa place.
Elle a tout à fait raison. Je ne suis pas heureux d'être ici. Au fond de moi, mon cœur est déchiré en lambeaux depuis quelques jours. Pour ce soir, je voulais juste rentrer chez moi, m'avachir sur le canapé et zapper les chaînes jusqu'à trouver un peu de réconfort dans un film ou une émission quelconque. Au lieu de ça, je me retrouve contraint de travailler dans un restaurant, qui plus est, est le lieu de rencontre de ma mère et de son conjoint actuel, mon nouveau père. Eh oui, papa, tu as été remplacé.
— Ecoute..., reprend-elle, avec une voix un peu plus calme, toutefois un peu plus menaçante. Si par ta faute, je rate ce foutu test et que je n'obtiens pas ma promotion, tu vas me le payer cher.
Sans attendre ma réponse ni ma réaction, elle tourne les talons et repart vers le restaurant en essuyant ses larmes d'un geste plein de rage. Dans sa lancée, elle me crie :
— Je veux te voir à ton poste tout de suite ! La pause est terminée !
Je l'observe s'éloigner, totalement insensible à ses paroles. Finalement, j'y suis parvenu. J'ai réussi à me retenir. Un sourire s'étire lentement sur mes lèvres. Elle m'a dévoilé son but. Si j'ai bien compris le sens de ses mots, cette semaine est un test pour évaluer ses capacités à obtenir une promotion. Laquelle ? Je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est que ce test repose sur ses capacités à me gérer et que si je veux sortir de cette situation aussi rapidement que j'y suis entré, je dois tout faire pour être le plus insupportable possible pour qu'elle le rate. De ce fait, elle déposera une plainte contre moi auprès de son supérieur. Je serais ainsi viré de mon travail et je pourrais, je l'espère, retrouver un train de vie normal.
Cette lueur d'espoir réchauffe tout à coup mon cœur. Je sais pertinemment que cela décevrait mes parents, mais pour l'instant, c'est la seule option que j'ai pour pouvoir leur prouver que je ne suis absolument pas fait pour mener une vie normale, au sein d'une communauté de personnes ordinaires.
***
PETITE NOTE DE L'AUTEUR :
Que pensez-vous de ce nouveau chapitre ? Dîtes-moi tout ! :) Des bisous !
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