Il faisait noir autour de moi. J'entendais un bruit de mes petites oreilles. Le genre de bruit qui fait sursauter, qui met mal à l'aise et qui fait extrêmement peur. Ce bruit de fusil, je m'y étais déjà habitué. L'odeur du sang. Je sentais l'odeur du sang qui se répandait comme se répand la fumée dans l'air.

    Je n'avais toujours pas conscience de là où je me trouvais alors je commençai par ouvrir légèrement les yeux. Je tendis mes bras qui étaient à même le sol pour relever mon corps de cette terre souillée de ce liquide rougeâtre. J'avais même de la chance que mon corps soit en entier. Une fois debout, je pris un bon coup d'air dans mes poumons qui agonisaient. Je regardai autour de moi les cadavres de mes compagnons de vie de tous les jours, étalés au sol comme on étale le linge sur la corde. Je n'y croyais pas: comment avais-je pu survivre à ça ? C'était une véritable boucherie où les mouches et insectes venaient se régaler du repas du soir.

   Moi aussi j'aurais aimé rentrer à la maison pour prendre un bon repas et leur annoncer que j'étais toujours en vie, que j'avais survécu.

    À ce moment précis où la réalité avait décidé de lever le voile de l'illusion, je sentis un léger mal de crâne qui s'ensuivit d'un vague souvenir. Un souvenir douloureux que j'avais dû enterrer au fond de moi. Je me suis rappelé de pourquoi j'étais là, au milieu de tout ça, de pourquoi j'étais prêt à sacrifier ma vie sans aucun remord.

   Le village s'était fait attaquer par des barbares et j'étais en première ligne pour les empêcher d'entrer sauf que ça s'était terminé en bain de sang. Léticia… Elmyr… Rodrigues ! Oh mon Dieu ! Pitié mon Dieu! Faites que ma famille soit saine et sauve.

Bouleversé, mes jambes tremblaient au point de ne plus me porter. Je tombai ainsi à genoux au sol. J'avais des frissons partout. Je sentais une fraîcheur m'envahir. Des torrents de larmes s'écoulèrent de mes yeux écarquillés avant de descendre sur mes joues tachées de sang. J'avais envie de hurler, de punir le monde pour la souffrance qu'il m'infligeait. Les dernières forces qui me restaient m'abandonnèrent. Je me recouchai au sol en espérant que la mort revienne me chercher, en espérant qu'elle revienne chercher celui qu'elle a oublié.

    Pendant un bon moment, j'avais gardé les yeux fermés. Certaines images atroces défilaient sous mes yeux. Mes proches n'avaient aucune chance de survivre. Aucune. Ces barbares reconnus pour leur sauvagerie et leur folie meurtrière se feraient un plaisir de les découper à coup de machette. Oh monde cruel ! Oh monde impitoyable ! Oh monde sans cœur ! Pourquoi moi ? Pourquoi donc ai-je survécu à ça ?

    Tout à coup, j'entendis un cri. C'était quelqu'un qui appelait à l'aide. Je reconnus cette voix si familière. C'était trop beau pour être vrai. La vie se moquait-elle de moi à m'en rendre fou ? À me donner de l'espoir pour encore me l'arracher violemment ?

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