##9
« Qu'est-ce que tu faisais ? lui demanda Léon en fronçant les sourcils, les mains rougies d'avoir frappé le cadenas dans la chambre d'Elisa.
— Des images de chaque pièce, répondit froidement Adja. Tu filmes mal, il faut que je repasse après sinon on n'aura rien à poster.»
Après tout, pourquoi faire des efforts avec lui ? Sylvana avait récupéré sa bague et la lui avait donnée, Adja avait des dizaines d'images complètement folles à mettre en ligne, y compris une vidéo de Léon utilisant le K-II et le ouija avec succès... Il n'avait plus rien à disposition pour lui faire du chantage, à présent. Je reviendrai cette nuit et je ne l'emmènerai plus jamais avec moi. Il ne va pas voler ma voiture pour m'empêcher de venir, quand même !
« Ah ouais, je filme mal ? répliqua-t-il, vexé.
— Très mal. C'est un métier, tu sais ? Tu ferais mieux de créer ta chaîne et d'explorer un endroit rien qu'à toi pour t'entraîner.
— Je fais ce que je veux !
— Tu ne vois pas que Sylvana fait tout son possible pour que tu ne découvres rien ? Tu ne comprends toujours pas que ça ne sert à rien que tu viennes ici ? »
Léon était rouge de colère. Il ne savait visiblement plus quoi répondre.
« Sincèrement, Léon, poursuivit Adja, je crois que tu as vécu tout ce que tu cherchais. Tu ne croyais pas au paranormal et tu as vu des choses extraordinaires. Contente-toi de ça et rentre chez toi, maintenant.
— Je veux connaître le fin mot de l'histoire, comment elle est décédée ! Où est Sylvana ? Je veux parler directement à Sylvana avec ta spirit box !
— Elle ne veut pas de toi ! » lâcha Adja, beaucoup plus fort qu'elle ne l'aurait voulu.
Léon resta interdit quelques secondes avant de secouer la tête, dégoûté.
« Vous êtes un couple. Vous vous comportez comme un couple alors qu'elle est morte et que tu lui parles avec une boîte noire !
— N'essaie même pas d'aborder ce sujet..., le prévint-elle.
— J'aborde ce que je veux !
— Et alors quoi, tu es jaloux ? Parce qu'un fantôme est tombé amoureux de moi ? Parce qu'elle se sentait un peu trop seule depuis des siècles et que je lui ai plu ? Tu étais venu me draguer et elle t'a piqué la place ?
— Peut-être bien, ouais ! »
Léon n'avait même pas l'air embarrassé, juste violet de rage.
« Je ne suis en tout cas pas venu voir un macchabée qui me déteste et qui refuse que je visite sa maison !
— Alors va-t'en, qu'est-ce qui te retient ?
— Ça, Adja. Voilà, c'est ça qui me retient. » murmura Léon en lui tendant une feuille de papier qu'il avait soigneusement pliée dans sa poche.
Adja saisit le message et le lut à voix haute pour ses spectateurs. L'écriture était très laide, comme si l'auteur de la missive ne savait pas former des lettres convenablement et avait jeté un crayon contre le papier en espérant obtenir une phrase.
« Je suis parti le 16 septembre 1884. Trouve pourquoi, ou tu seras maudit comme nous tous. Je veux savoir. »
Adja écarquilla les yeux.
« Où est-ce que tu as trouvé ça ?
— Devant moi, le jour où je suis revenu à pied.
— Et... Il était juste posé là, par terre ?
— Contre mes chaussures, acquiesça Léon. C'est pour ça que je te force à rester par tous les moyens, j'ai vraiment la trouille ! Si tout ça est bien vrai, je pourrais me faire maudire ! C'est réel ! J'espère que Sylvana ne va pas me faire du mal, je suis sûr que le message vient d'elle... Je n'ai pas pu m'empêcher de la provoquer parce que vous êtes bizarres, toutes les deux, mais j'ai peur ! »
Adja resta songeuse.
« C'est écrit au masculin, donc ce n'est pas elle. Et puis, même si c'était une faute d'accord, Sylvana m'en aurait parlé au lieu de se fatiguer à écrire sur une feuille.
— Mais, si ce n'est pas elle... Ça veut dire qu'il y a quelqu'un d'autre ici. »
Adja était de plus en plus excitée à l'idée de rencontrer un deuxième fantôme, mais Léon se liquéfiait à vue d'œil. Je dois l'aider, il me fait pitié.
« On se calme, récapitulons. Tu as fait du ouija avec Sylvana. Tu ne l'as pas saluée, donc elle est restée avec toi. Tu as trouvé la bague dans l'herbe alors qu'elle te suivait, et elle n'a pas réagi... Elle n'a pas réagi ! répéta Adja en se frottant le menton, incrédule. Ensuite, tu as trouvé ce message par terre et elle n'a rien dit non plus... Répète-moi la fin de ta conversation, je ne m'en souviens plus.
— Euh... Je lui ai dit quelque chose comme... Pars, c'est flippant, va-t'en ! Envole-toi, disparais, dors, fais quelque chose !
— Tu lui as dit de dormir ! Je crois que Sylvana disparaît quelques heures quand on lui demande de dormir ou qu'elle s'épuise d'elle-même... Quelque chose a profité de son absence pour venir te donner ce morceau de papier ! »
Adja sortit le K-II de son sac.
« Bon. Puisqu'elle est partie, je vais en profiter.
— Partie ? s'étonna Léon. Je croyais qu'elle nous écoutait !
— Non, elle est épuisée.
— Pourquoi ?
— Pour rien, je ne sais pas. Êtes-vous ici ? demanda Adja en tournant sur elle-même. Y a-t-il quelqu'un d'autre que Sylvana dans cette pièce ? Un clignotement pour oui, deux pour non. »
Le K-II clignota une fois. Adja jeta un regard à Léon et hocha la tête en silence. C'est parti. Pas le temps pour la petite prière, il doit déjà me connaître.
« Faites-vous partie de la famille Dormeaux ? »
"Oui".
« Êtes-vous le père de Sylvana ? »
"Non". Ah, mince.
« Êtes-vous son grand-père ? »
"Oui". Léon eut une sorte de spasme. Adja n'était pas non plus très à l'aise à l'idée de parler à un vieil homme décédé. C'était bien plus angoissant que de discuter avec une jeune femme.
« C'est donc à vous qu'appartient la chambre où j'ai trouvé une photo de votre famille ? »
"Oui".
« D'accord, je vois. Est-ce qu'il serait possible de faire une séance de ouija avec vous pour répondre à des questions plus complexes ? »
La réponse fut positive. Adja éteignit le K-II et installa la planche sur le sol. Léon participa en posant un doigt sur la goutte, mais il tremblait presque.
« Je me suis fichu dans un de ces bordels...
— C'est trop tard, maintenant. Il faut découvrir ce qui est arrivé à cette famille, que les malédictions existent ou non.
— Tu ne vas pas me virer, alors ?
— Si tu arrêtes de faire semblant d'être une enflure pour ne pas te faire massacrer par un fantôme sur vingt générations, tu peux rester. Bon, je vais poser ma première question, maintenant... Êtes-vous ici, Monsieur Dormeaux ? »
La goutte se déplaça sur le "Oui" avec moins d'assurance que lorsque Sylvana la manipulait. Ils avaient affaire à quelqu'un de plus calme.
La séance se passa aussi bien qu'ils auraient pu l'espérer. Ils apprirent que le grand-père de Sylvana se nommait Alphonse Dormeaux et qu'il avait quatre-vingt-quatre ans, un âge très avancé pour son époque. Il était effectivement décédé le 16 septembre 1884 d'une cause inconnue, même s'il avait sa petite idée. Lorsqu'Adja et Léon eurent vérifié plusieurs informations confirmant qu'il s'agissait d'Alphonse Dormeaux, notamment en lui demandant qui se trouvait sur la photographie de lui enfant, ils l'interrogèrent sur sa situation.
« Étiez-vous caché pendant tout ce temps ? Est-ce que vous fuyiez l'esprit de Sylvana Dormeaux ? »
La goutte se rua sur le « Oui », ce qui fit très peur à Léon.
« Pourquoi ? » demanda Adja, inquiète.
Alphonse épela "PEUR". Après plusieurs questions de plus en plus précises, ils comprirent qu'Alphonse pensait que Sylvana était responsable de sa mort, et qu'elle lui ferait du mal dans l'au-delà. Adja était muette de stupeur et de déception. Sylvana, une meurtrière ? Cette jeune femme qu'elle avait voulu aider et à qui elle avait failli ouvrir son cœur... Comment quiconque pouvait faire du mal à son propre grand-père ?
Par contre... Il ne sait pas comment il est décédé, mais il sait que c'est de sa faute ?
Alphonse Dormeaux expliqua que son esprit avait hanté sa propre maison quelques secondes après sa mort et qu'il avait vu le reste de sa famille se déchirer sous ses yeux. Tout laissait croire que Sylvana était responsable de cette débâcle, par une malédiction quelconque, et qu'elle ne voulait pas du bien à Adja et Léon.
« Vous pensez qu'elle voudrait nous induire en erreur en nous laissant visiter la maison pour que nous comprenions autre chose que ce qu'il s'est vraiment passé ? »
La goutte alla sur le "Oui".
« Mince, c'est fou ça, quand même..., soupira Léon, atterré. Sylvana me fait peur, mais je pensais qu'on pouvait un minimum lui faire confiance ! Et vous avez vraiment attendu des siècles comme ça ? Comment avez-vous fait pour qu'elle ne vous trouve pas ? »
Alphonse expliqua lettre par lettre qu'il vivait dans la forêt et ne revenait prudemment que lorsqu'il entendait des bruits, dans l'espoir de trouver quelqu'un à qui raconter son histoire. Si l'origine du vacarme était Sylvana, il faisait demi-tour. Adja vit du coin de l'œil que Léon s'apprêtait à poser une question et lui coupa l'herbe sous le pied.
« Nous vous remercions, Alphonse. Nous reviendrons demain, c'est promis. Au revoir. »
Elle attendit patiemment que la goutte s'arrête sur les salutations de la planche de ouija et s'autorisa à respirer. C'est bon, il ne me suivra pas jusque dans la douche, celui-là.
« Je t'ai vu, Léon, déclara-t-elle en se tournant vers lui. Tu allais lui demander ce qu'il voyait dans l'au-delà, si Sylvana avait une enveloppe physique, ce qu'il ressentait. Ça se voit dans les yeux des gens, quand ils deviennent rêveurs.
— Eh bien...
— Je comprends, mais il ne faut pas poser de questions sur la mort aux fantômes. Tu ne serais jamais satisfait de leur réponse. C'est clair ? Moi aussi, j'imagine Alphonse Dormeaux en train d'observer sa petite-fille de loin, et j'aimerais savoir à quoi elle ressemble... Mais il ne faut pas. Il ne faut pas poser de questions sur l'avenir ni sur la mort, uniquement sur le passé des esprits. Les gens qui violent ces règles le regrettent beaucoup, tu sais ? On est assez dans la mouise comme ça ! »
Léon acquiesça et la suivit jusque dans la voiture. Adja le regarda avec culpabilité avant de mettre la clé sur le contact.
« Désolée de t'avoir haï ouvertement pendant des jours, je ne pouvais pas savoir que tu étais menacé par un fantôme. Enfin... je ne pense pas qu'il t'aurait fait grand-chose, pour être honnête, mais quand même !
— Il a réussi à écrire sur une des feuilles de papier de l'entrée alors qu'il n'a pas d'enveloppe corporelle ! protesta Léon en remontant ses lunettes. Il est surpuissant !
— Oh, c'est vrai, la feuille... D'accord, je l'admets, il est fort. »
Adja se mit à rire nerveusement en conduisant vers Toulon, incapable de réfléchir face à l'absurdité de cette journée. Plus que tout, elle avait besoin de parler.
« Tu te rends compte que Sylvana a flirté toute la nuit avec moi et qu'elle n'est peut-être qu'une psychopathe qui a massacré toute sa famille ?
— Tu devrais faire une chaîne de conseils sentimentaux, histoire que tes abonnés fassent le contraire, la railla Léon.
— Je vais passer la nuit à monter tout ça, déjà..., continua-t-elle. La vidéo de la folie totale, avec un résumé de la précédente, les extraits de ton enquête, notre visite de ce soir...
— Mets tout ça en ligne, accepta Léon, je suis fier de participer à la meilleure chasse aux fantômes du monde. »
Adja lui sourit et reporta son attention sur la route. En arrivant dans le hall de l'hôtel, elle ouvrit son sac devant Léon et lui montra l'album et la boîte qu'elle avait prises dans l'armoire d'Elisa Dormeaux.
« J'ai rassemblé tout ça derrière ton dos parce que je ne te faisais pas confiance, avoua-t-elle. On va dans ma chambre pour regarder ce que c'est ? »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro