##1
« Salut à tous, c'est Adja Hunting ! Aujourd'hui, on se retrouve pour une nouvelle vidéo dans un hôpital désaffecté... »
Sa voix assurée résonnait dans le petit appartement dunkerquois. Adja visionnait sa dernière vidéo de la première à la dernière seconde, étape indispensable avant de la poster sur internet. Elle avait toujours peur de rater quelque chose au montage, de laisser un artéfact qui la ferait passer pour un imposteur. Adja chassait les fantômes armée de sa caméra depuis maintenant deux ans et ne risquait pas de tricher – bien au contraire !
La jeune femme n'avait jamais immortalisé le moindre événement paranormal durant ses nombreuses escapades, et cette nouvelle vidéo ne faisait pas exception. Elle ne truquait pas les images ni le son et misait tout sur la qualité et le dynamisme de son montage. Par chance, ses abonnés appréciaient ses vidéos pour leur ambiance et critiquaient rarement le manque de contenu surnaturel.
Les visiteurs occasionnels, quant à eux, ne se gênaient pas pour exprimer leur mécontentement. Adja ne comptait plus les remarques désobligeantes sur son comportement à l'image. Elle parlait trop doucement, trop fort, ne passait pas assez de temps dans chaque pièce, n'en changeait pas assez souvent... Les critiques étaient sans fin et sans logique.
Adja arriva enfin au terme de sa vidéo d'une heure et la posta sur deux sites différents. Elle annonça sa nouvelle production sur plusieurs réseaux sociaux et soupira avec inquiétude. J'espère que celle-là va leur plaire... Ils n'ont pas beaucoup aimé celle avec la clinique, alors l'hôpital... on ne sait jamais. Elle se leva pour aller chercher un pot de nouilles instantanées et coder quelques lignes pour la soirée – son véritable métier. Adja était développeuse de logiciels et créatrice de sites pour des clients qui la payaient assez pour survivre. Ses vidéos lui apportaient un maigre revenu lui permettant d'acheter son matériel de chasseuse de fantômes, pas plus.
Après avoir codé jusqu'à minuit, Adja daigna regarder ses notifications en sifflant un verre de jus d'orange. Le plus difficile était de s'y mettre... Les commentaires étaient très variés, comme d'habitude.
"Sympa l'orbe à 14:38... ou alors c'était juste la diffraction de la lumière sur un grain de poussière ?"
"Encore pas grand-chose, mais bon, c'est bien filmé et ça raconte une histoire..."
"Super, Adja ! Tu devrais te montrer plus souvent comme dans l'intro, tu es super belle ;-)"
"Aussi lourd que d'habitude, faut laisser le boulot aux pros hein ! MarkGhost fait largement mieux"
"Cet hôpital est trop creepy, j'adore ! Tu connais celui désaffecté de Marseille ? C'est à tester !"
"Fais plutôt des tutos beauté"
"Cool !"
"Non seulement c'est pourri, mais en plus t'as un sale accent donc c'est bien ridicule à écouter"
Deux personnes avaient protesté sous ce dernier commentaire en l'accusant d'être raciste. Adja décida d'ignorer l'énergumène dont se chargeaient déjà ses fans. On lui faisait très rarement remarquer sa couleur de peau en-dehors d'internet, et il fallait énormément l'écouter pour déceler son accent... à moins d'être mal intentionné. Le père d'Adja, un Breton, ne lui avait pas transmis le moindre accent. Parfois, elle ne pouvait s'empêcher de prononcer certains mots à la manière de sa mère sénégalaise.
Adja lut encore quelques commentaires et se perdit jusqu'au bout de la nuit devant des vidéos de chiots et autres animaux mignons. Elle adorait travailler sur son logiciel de montage et enquêter dans des lieux supposément hantés, mais les réactions de son public l'angoissaient au plus haut point. Elles n'étaient pourtant pas si négatives ! Le regard des autres lui faisait peur, sans doute. Beaucoup plus peur que les esprits qu'elle ne croisait jamais dans ses vidéos.
D'ailleurs, où pouvaient-ils bien aller, ces esprits ? Adja avait visité la même maison abandonnée que deux équipes américaines et n'avait absolument rien vu. Pas un seul bruit étrange. Rien du tout. Il y avait pourtant pléthore de choses à voir et à entendre ! Adja avait dépensé au moins quatre cents euros de matériel de chasse, et jusqu'à présent seuls sa caméra et son micro lui avaient été utiles...
Adja s'endormit la gorge sèche, stressée d'avoir posté une vidéo et lu des commentaires, pestant contre le manque de fantômes. Peut-être qu'elle était maudite... ou pas assez.
~
Le lendemain, vers une heure de l'après-midi, Adja s'attela à nouveau à la lecture de ses critiques pour y trouver des recommandations de lieux à visiter. Pour ne pas être comparée à d'autres chasseurs plus fructueux, elle ne voulait plus aller dans des endroits déjà exposés sur internet. Son regard s'arrêta sur un message plutôt alléchant :
"Je t'ai envoyé un endroit peu connu par MP, ce serait cool d'avoir une exclu pour ma chasseuse préférée ;-)"
Adja ouvrit ses Messages Privés et lut un nom de localité qu'elle n'avait jamais eu le plaisir de voir.
"Salut, je t'ai mis un commentaire, au cas où tu ne l'aurais pas vu ! J'ai fait un voyage dans le Var et j'ai entendu parler d'une maison hantée. Deux vieux en parlaient et disaient que personne n'y va plus depuis des lustres. Ça s'appelle la Maison Dormeaux, juste à côté de Toulon ! Toute la famille Dormeaux y est morte, apparemment. Ils m'ont montré l'endroit sur une carte, voilà un lien avec les coordonnées GPS. Tchuss !"
Adja remercia chaleureusement son fan et chercha immédiatement des informations sur cette famille décimée. Rien ! Pas un mot sur cette maison ! C'est vraiment bon signe, je serai la première ! Entre-temps, son sauveur lui avait envoyé un autre message.
"Super ! Et fais attention, personne n'ose y aller parce que c'est apparemment TRÈS hanté. Tout est dans un état impeccable ou presque parce que ça a été rénové, mais personne n'a jamais réclamé ce terrain. Un maire a envisagé d'en faire une attraction locale, c'est pour ça que c'est un peu refait, mais les visiteurs étaient terrorisés. C'était avant internet, alors c'est très peu connu ! Fais-toi plaisir !"
Adja coda plus vite que jamais pour terminer tous ses projets avant de réserver un hôtel à Toulon. Dans un jour, j'y serai ! Elle prépara sa valise et trépigna d'impatience. Il y avait dix bonnes heures de route entre Dunkerque et Toulon. J'ai de quoi rester deux semaines, récapitula-t-elle en rangeant la facture dans son sac-à-dos. C'est largement suffisant pour filmer un maximum de scènes ! Au pire, j'aurai un beau voyage à montrer à mes abonnés.
Adja tourna une courte vidéo pour prévenir ses fans de son absence.
« Bonjour à tous, c'est Adja Hunting ! Je vais partir deux semaines dans une ville que je garde secrète pour le moment. J'espère que la maison sera hantée comme il le faut, croisez les doigts pour moi ! À plus pour la vidéo du siècle !»
Adja mit fin à l'enregistrement en espérant qu'elle n'aurait pas à regretter ses paroles. Si jamais c'est complètement nul et qu'il n'y a absolument rien... je vais devoir me reconvertir dans les Top 10.
Adja fit une petite sieste avant de prendre le volant, tout son matériel entassé sur la banquette arrière. Tout était prêt : ses appareils permettant de capter les champs électromagnétiques, la température et les sons spéciaux, ses caméras filmant même dans le noir, sa planche de ouija...
En conduisant, Adja songea qu'elle n'aurait plus la patience infinie dont elle faisait preuve dans ses toutes premières vidéos. Ces heures passées devant ma planche de ouija pour rien... Jamais la goutte en bois n'avait bougé d'un demi-millimètre, même pas par un réflexe de son doigt. Adja ne s'était jamais demandée si les esprits existaient ou non : elle était plutôt convaincue qu'ils l'évitaient. Peut-être que quelqu'un avait lancé un sort de bénédiction sur sa famille !
Lorsqu'elle avait demandé à sa mère si un sorcier sénégalais avait pu la protéger, elle n'avait reçu que des injures et l'ordre de mettre le couvert en silence. Sa mère trouvait sa passion dangereuse et presque insultante envers les véritables traditions liées à l'au-delà. Le paranormal d'Adja était une croyance de cinéma, selon elle, rien de plus, et elle ne devait pas le comparer à des cultures africaines millénaires.
Adja se disait qu'elle n'avait pas tort... mais pas tout-à-fait raison non plus. Il y avait des choses qui ne s'expliquaient pas en Occident, et l'étude des champs électromagnétiques apportait quelques réponses à ces mystères ! De toute façon, je sais très bien que maman regarde mes vidéos et qu'elle en fait la publicité autour d'elle...Adja ne pouvait pas changer sa mère, après tout. Elle voulait sans doute vérifier qu'elle ne se mettait pas en danger.
Adja s'arrêta plusieurs fois sur des aires d'autoroute avant d'arriver à Toulon. Elle s'installa dans sa chambre d'hôtel et sortit son ordinateur portable. Bon, il n'est que dix heures du matin et j'ai roulé toute la nuit... est-ce que je devrais dormir ou sortir un peu ? Elle n'eut pas le temps de choisir et s'effondra sur son lit, éreintée. Les draps avaient une légère odeur de pomme qui l'assomma.
Lorsqu'elle s'éveilla vers six heures du soir, son estomac était si vide qu'elle peina à se redresser. Adja s'empiffra de chips pour calmer ses crampes et dîna au restaurant de l'hôtel, maudissant l'inanité de sa première journée à Toulon. C'est trop dommage..., pensa-t-elle en remontant dans sa chambre. Elle déballa ses affaires et posa sa planche de ouija sur ses genoux, songeuse. Allez... ce n'est qu'à vingt minutes, si ça roule bien...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro