Chapitre 93
Dimanche.
C'est le seul jour où l'Enclave est fermé.
Et je dois dire, que vu les péripéties des derniers jours, être loin de l'institution et de ses membres me fait un bien fou.
Quoique, je ne suis jamais très loin de l'un de ces derniers.
Vildred m'emmène prendre le petit déjeuner chez Cafe Beignet, sur Canal Street. Étant devenue une fan inconditionnelle des beignets depuis mon arrivée à La Nouvelle Orléans, sa proposition m'enthousiasme fortement.
Mais, on ne peut jamais véritablement passer un moment avec Vildred sans travailler. Il a amené avec lui une pile de dossier à trier. Parfois je me demande s'il s'en occupe la nuit. Il ne les quitte jamais. Mais bon. Si je dois trier des dossiers en compagnie des meilleurs beignets de la ville, ça ne se refuse pas pour autant.
D'ailleurs, en ce moment, Vildred me donne pas mal de boulot. Je n'ai même plus le temps de continuer mes recherches sur Bella et moi. À contre cœur. Mais, dès que j'ai du temps, il faut que je me replonge dedans. Mais, on ne contrecarre pas les plans de Vildred. Il passe avant tout, y compris le travail qu'il vous demande.
Le Cafe Beignet de Royal Street est un lieu assez apaisant et convivial. Une grande arche donne accès directement sur la rue, attirant par la même occasion les passants gourmands. Une partie du café s'établit toute en longueur. Les commandes se prennent tout au bout. Sans suspens, je commande un panier de beignet et Vildred un southern breakfast. Une fois prête, nous récupérons notre commande et allons dans la cour extérieure située à gauche du long et large couloir par lequel on est entré. Il y a déjà pas mal de monde, et une bonne partie sont des touristes. On s'assoit à une table bien à l'écart, et je commence déjà à me jeter sur mes beignets.
Vildred, quant à lui, pose sa commande sur le côté pour se concentrer d'abord sur ses dossiers et par la même occasion ne pas les tacher.
Je profite pleinement de ce rendez-vous avec mes incroyables beignets, quand ce délicieux et idyllique moment est interrompu par une arrivée indésirable.
Isaac avec Nina.
Au secours.
Achevez-moi.
Sur quatre Cafe Beignet dans toute la Nouvelle Orléans et toutes les autres enseignes, il faut qu'ils se pointent tous les deux ici-même. Pas si étonnant quand même étant donné qu'Isaac habite pas très loin.
C'est d'ailleurs lui qui porte la commande de Nina, commande qu'il a sans doute payé, connaissant sa prévenance avec les femmes. Elle semble d'ailleurs toute contente de se faire aider. Il lui tient la porte en lui adressant le plus magnifique des sourires, et lui fait signe de s'installer à la table la plus proche du bâtiment. Heureusement, ils restent loin de nous.
Ce sourire est le même que celui qu'il m'adressait, le soir où on a passé la nuit ensemble. Et, ça me rend folle.
Ce petit déjeuner s'annonçait pourtant bien. Moi qui cherche justement à sortir Isaac de ma tête...
Vildred perçoit aisément mon changement soudain d'attitude. Il se tourne vers l'endroit où je maintiens mon regard et esquisse un très léger sourire, mystérieux et insupportable à la fois quand il aperçoit Isaac.
— Tiens tiens...Tu ne perds pas une seconde pour mater, Sosie.
— Je ne mate pas, je grommelle alors sèchement en maintenant un regard mauvais en direction du couple modèle.
— Allons les saluer, réplique-t-il en se levant subitement.
Je me jette sur lui pour le faire asseoir.
— Arrête ! Si tu te t'assois pas tout de suite, je mets fin à notre alliance ! Je m'exclame en chuchotant et en essayant de rester la plus discrète possible, même si c'est difficile.
Je ne veux pas m'afficher devant eux.
Mais, de toute façon, ils nagent tellement en plein bonheur, que rien ne semble attirer leur attention.
— Tiens...tiens...Qu'a fait notre cher Isaac pour se prendre un regard aussi désapprobateur ? Susurre-t-il sur le ton de la provocation.
— Rien, je tranche sèchement, pour stopper cette conversation qui m'irrite fortement.
Vildred ne renchérit pas, mais, je vois qu'il prend un malin plaisir à analyser mes réactions face à Isaac. Je sais qu'il n'est pas dupe.
Il se replonge dans ses dossiers alors que je continue d'observer les deux protagonistes, un goût amer coincé au fond de ma gorge.
Nina semble avoir pris une omelette végétarienne et commence à la déguster très délicatement. La manière dont elle tient ses couverts est très raffinée. Je fixe alors mes mains et mon teeshirt plein de sucre. J'en ai mis partout. Je ne peux pas m'empêcher de me comparer à elle : je me trouve déplorable à côté. La différence est flagrante. Je n'ai même plus faim pour terminer mes beignets.
Nina rit beaucoup. Un rire mignon et raffiné, qui pourrait faire craquer n'importe quel homme. C'est vrai qu'elle a un sourire magnifique, de grands yeux bleus hypnotisants, des lèvres parfaitement bien dessinées. Isaac a bon goût, c'est évident.
Je n'aime pas cette partie de moi. Cette jalousie, cette obsession de devoir se comparer. Ce n'est pas moi d'habitude. Mais, cette fois-ci, c'est différent. C'est différent parce que je ressens quelque chose pour Isaac. Et le voir filer me met dans une position qui n'est vraiment pas flatteuse pour moi.
La frustration est immense. C'est peut-être le sentiment le plus insupportable pour moi. Celui de ne pas pouvoir agir. D'en être incapable. Qu'est-ce que je pourrais faire ? Essayer de m'interposer entre les deux ? Non, je ne suis pas comme ça. Mais, on n'a jamais rien sans rien.
Est-ce que je veux toujours Isaac ?
Je commence à ressentir de la déception à son égard. Je comprends petit à petit pourquoi il avait pris ses distances avec moi. On m'avait souvent dit que quand un homme s'éloigne, c'est qu'il se rapproche d'une autre. Et j'ai le léger sentiment que c'est le cas ici.
A quoi je m'attendais ? On m'avait pourtant plusieurs fois mise en garde. Isaac ne s'engagera qu'avec une louve. Et je n'en suis pas une, donc ce que j'avais espéré ne restera qu'un rêve amer. Mais, je lui en veux d'avoir profiter de moi. S'il savait très bien qu'il ne s'engagerait pas avec moi dans une relation à long terme, il n'aurait pas dû répondre favorablement à mes avances. Il a passé la nuit avec moi, tout en sachant très bien qu'il ne se passerait rien de plus. Je me sens stupide.
Mais, ça m'apprendra. Je dois me servir de ça comme une leçon.
*
Je décide de sortir de ma tête Nina et Isaac pour me concentrer sur mes entraînements et ma formation. C'est le plus important.
Sauf que même ici, ils ne sont jamais très loin.
Alors que comme d'habitude, on avait prévu de s'entraîner lundi soir avec Vildred dans un des dojos de l'Enclave, tout ne se passe pas comme prévu.
Vildred ayant été obligé de prendre un appel téléphonique d'urgence, il m'a dit qu'il me rejoindrait après. Je me dirige donc vers les dojos qui se situent dans les sous-sols de l'Enclave.
Mais, quand j'arrive devant celui qu'on utilise d'habitude, Nina est là. Elle revêt un legging noir mettant parfaitement en valeur ses courbes et une brassière assortie et décolletée qui laisse entrevoir le joli tatouage qu'elle a entre les seins.
— Excuse-moi, mais, Vildred et moi avions réservés ce dojo, je lui explique alors calmement.
En effet, c'est le cas. Sur les heures du soir, il y a souvent du monde et c'est conseillé de s'inscrire sur le planning affiché sur la porte de chacun d'entre eux.
— Il n'y avait pas de planning de réservation. Donc quand c'est comme ça, c'est premier arrivé, premier servi, réplique-t-elle en m'adressant un de ses sourires parfaits qui m'insupportent tout de suite.
Pourtant, je sais que c'est faux. Vildred me met tellement la pression pour que je pense à réserver la salle que je sais très bien qu'il y a un planning près de la porte, et que j'ai réservé ce créneaux.
Je ressors alors pour le récupérer et le lui montrer, voyant qu'elle ne semble pas vouloir aller dans mon sens.
Sauf qu'il n'est plus là.
Je re-rentre dans le dojo, étonnée et suspicieuse qu'il ait disparu.
— Il y a toujours un planning de réservation pour les dojos. Quelqu'un a dû le décrocher.
Nina hausse nonchalamment les épaules, n'étant visiblement peu intéressée par ce que je lui raconte. Elle ne me regarde même pas. Elle sort des affaires, sa serviette, sa bouteille d'eau, et les poses sur un des bancs dans l'alignement le plus parfait.
— Planning ou pas, il n'y avait personne. La place était libre et elle ne l'est plus, maintenant.
Je me crispe. Je sens un sentiment brûlant d'indignation monter en moi. Depuis le début, je m'efforce d'essayer de ne pas lui diriger ma colère, mais là, elle abuse. Je n'arrive plus à me retenir.
— J'ai réservé ce dojo pour dix-neuf heures, depuis des semaines déjà. Si tu voulais t'entraîner, il fallait réserver, je rétorque froidement.
Nina se redresse et vient de planter devant moi, me fixant de ses grands yeux bleus, remplis d'une innocence largement hypocrite.
— Tu as un problème avec moi, Linda ?
— Moi ? C'est toi qui a visiblement un problème. Je t'ai dit que j'avais réservé ce dojo. Alors, prends tes affaires, et tire-toi avant que mon vocabulaire ne devienne un peu plus cru, je m'exclame sèchement.
— Y a un problème, Nina ? S'élève une voix masculine derrière moi, qui me fait sursauter.
Je me retourne.
Isaac.
Forcément.
Elle a dû lui demander de venir s'entraîner avec elle.
Personnellement, je n'ai jamais eu le privilège. Isaac ne s'est pas intéressé une seule fois à mes entraînements, laissant à Vildred l'intégralité de ma formation.
Je plante mes yeux dans ceux du loup-garou. Il est hors de question que je m'efface et que je me laisse marcher dessus.
— Oui, y a un problème. J'avais réservé ce dojo et ta copine refuse de me le laisser, je réplique froidement.
— Tu es obligée d'être aussi désagréable avec elle ?
Je lève un sourcil, surprise. Et pas dans le bon terme.
— Excuse-moi ? J'articule.
J'ai dû mal comprendre.
— Le « tire-toi » n'était pas une formule de politesse, rétorque Isaac.
Je vais exploser. Mon sang se met à bouillir dans mes veines. Le fait qu'il prenne à ce point sa défense devant moi, me met hors de moi. C'en est insupportable.
— Je ne comprends pas, Isaac...Le dojo était libre et je me suis fait agressée par cette stagiaire...déplore la jeune femme, en prenant un air effarouché et d'incompréhension.
Oh la garce.
Je suis peut-être en bas de la pyramide mais je ne suis pas stagiaire.
Ses manières de petite princesse en détresse sont insupportables. Et Isaac semble visiblement tomber dans le panneau.
Il fronce les sourcils et me transperce d'un regard accusateur et autoritaire.
— Je peux savoir à quoi tu joues, Linda ?
— A quoi je joue ? T'es sérieux, Isaac ? Je t'ai dit que j'avais réservé ce dojo.
— C'est vrai, Nina ?
— Je ne sais pas pourquoi on parle de réservation. Il n'y avait aucun planning de renseigné. Comme c'était libre, j'y suis allée, comme c'est autorisé, réplique la jeune femme d'une voix douce et cristalline et en prenant un air innocent.
Isaac jette à son tour un coup d'œil à la porte du dojo, ne trouvant lui non plus la fameuse feuille manquante.
— Il n'y a pas de planning, Linda. Tu peux être tolérante.
J'ai envie de hurler. Mais comme elle est restée très calme, forcément, je passe pour une hystérique et donc pour la méchante.
— Ah oui ? Et pourquoi ça ? Si ça se trouve, c'est elle qui l'a retiré pour pouvoir s'approprier le dojo, je rétorque sèchement.
Isaac secoue la tête et fronce ses sourcils en m'adressant un regard réprobateur.
— Ne dis pas n'importe quoi. Il a dû se décrocher et quelqu'un a dû le ramasser, peut-être un agent d'entretien.
— Quoiqu'il en soit, j'avais réservé, donc ce dojo me revient, je continue d'insister froidement.
Je ne veux pas renoncer. J'ai trop de fierté pour ça et je sais que j'ai raison.
— Que se passe-t-il ? S'élève une nouvelle voix derrière nous.
Vildred.
Un sentiment de soulagement me détend alors quand je comprends que je ne suis plus seule. Vildred sait très bien que j'ai réservé, et il sait se montrer persuasif. Je n'ai jamais été aussi contente de le voir.
— Nina a pris le dojo qu'on avait réservé.
— Elle ne savait pas qu'il était réservé. Elle est nouvelle ici, tu peux être tolérante avec elle, rétorque froidement Isaac.
Le fait qu'il prenne sa défense face à moi me met hors de moi. Je trouve cela injuste. J'ai l'impression de passer pour une abominable personne alors que ne veux que ne pas me laisser marcher dessus. Et elle, a côté, continue d'arborer un sentiment d'incompréhension et de désorientation sur son visage, qui sonnent faux.
Mais, étrangement, Vildred ne semble pas vouloir prendre ma défense, et j'ignore pourquoi.
— Le planning n'était pas affiché c'est ça ? Demande-t-il, en quête de précision.
— C'est ça. C'est pour ça que je me suis permise de poser mes affaires. Le dojo était libre, se défend Nina, en continuant d'afficher sur son visage une expression insupportable de brebis égarée et d'effarouchement.
Ce n'est qu'une comédienne. Je vois clair dans son jeu.
— Dans ce cas, s'il n'y a pas de planning et que vous étiez là avant nous, il me semble juste de vous laisser le dojo, réplique le Chasseur.
Mon cœur se soulève. Je m'attendais à tout sauf à ça. Je me retourne subitement vers lui pour lui faire part de mon incompréhension face à sa réaction complètement inattendue.
— T'es sérieux, Vildred ?
Le Chasseur excuse mon comportement, et me pousse vers la sortie.
J'ai envie de hurler.
— Pourquoi tu leur as dit ça ? Tu m'as humiliée devant eux en lui donnant raison ! Je m'indigne, une fois sortie.
Il reste à son habitude impassible.
— Non, je t'ai sortie d'affaire, je t'ai sortie du trou que tu étais en train de creuser et dans lequel tu t'enterrais. Ce n'est pas comme ça, qu'on se fait justice, Linda. Pas sous le coup de l'émotion.
— Mais, j'étais dans mes droits ! J'avais réservé ce dojo ! Fuir comme ça c'est pitoyable ! Je m'exclame complètement indignée par la situation.
Vildred m'attrape les poignets pour me calmer.
— Tu veux savoir ? Tu as raison. J'ai vu Nina décrocher le planning, tout à l'heure. Alors, tu te vengeras de cette fille quand le moment sera venu, mais pas en montrant à Isaac que tu es capable d'insulter une fille dont il pense qu'elle est complètement innocente.
Je déglutis.
Ce qu'il dit n'est pas dépourvu de sens. Je me suis laissée aller à mon impulsivité. Mais, qui aurait fait différemment, à part lui ?
J'ai envie de tout casser. La colère que j'ai emmagasiné depuis quelques jours s'apprête à refaire surface, et Vildred s'en rend compte.
— Qui a dit qu'on pouvait s'entraîner uniquement dans un dojo ? Suis-moi.
Le Chasseur m'emmène alors au niveau -2, le niveau qui renferme tous les locaux des directeurs et chefs de service. Il déverrouille l'un d'en entre dont je comprends rapidement qu'il lui appartient, et referme la porte derrière nous après avoir allumé la lumière.
Nous voilà tous les deux, seuls, dans une salle large et vide. Vildred me laisse l'attaquer, adoptant une position de défense. Cette fois-ci, je ne retiens plus aucun coup. Je suis déchaînée, je ne me contrôle plus. Toute la colère et la haine que je ressentais jusqu'alors, je la transmets sur lui. Je décharge toutes mes émotions, et je crois que ça me fait du bien.
Quand je m'arrête, je vois dans ses yeux quelques choses.
Une satisfaction.
Une profonde satisfaction.
Une satisfaction que j'aurais appelé fierté, s'il avait été encore en possession de ses émotions.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro