Chapitre 91
Isaac ne m'a pas adressé la parole depuis qu'on est rentré. Je commence à intérioriser qu'il est définitivement distant avec moi.
La situation me dérange. D'autant plus que les fois où je lui avais proposé de s'expliquer, il avait prétexté qu'il était trop occupé par le travail pour pouvoir m'octroyer ne serait-ce que quelques minutes de discussion. Et quand j'arrive à trouver un instant pour lui demander s'il m'évite, il me répond aussi qu'il est juste très occupé. Il sort cette excuse à chaque fois. Alors, au début, j'y croyais naïvement, mais, ça commence à faire beaucoup.
Alors, par fierté, et comprenant qu'il se moque sûrement de moi, j'ai décidé d'arrêter d'aller vers lui et de lui envoyer de message.
Le pire dans cette histoire, même s'il prétend le contraire, c'est que je ne connais pas l'objet de son désir de prise de distance. Et, cela m'empêche de passer à autre chose. Même si j'essaie de me concentrer sur autre chose, mes pensées sont d'autant plus attirées par lui. J'éprouve beaucoup d'incompréhension, d'indignation et de frustration à son égard. Une frustration immense mêlée à une impuissance déconcertante. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce revirement de situation. Et surtout, je n'ai pas envie de mettre Isaac dans le panier des hommes qui deviennent distant après vous avoir eu dans leur lit. Je n'ai pas envie d'entacher la haute estime que je m'étais construite de lui jusqu'alors. Peut-être à tord.
Je m'en veux de m'être laissée aller. Et cela même si je sais que c'était agrémenté par des sentiments que j'éprouvais pour lui. Je me sens tellement bête. Idiote. Et le pire dans tout cela c'est qu'une partie de moi attend toujours qu'il revienne. C'est pour cela que je m'empêche de surgir chez lui pour lui transmettre toute la colère que j'éprouve pour lui, mais qui, à ce moment là, est dissimulée par un fort sentiment d'incompréhension et de frustration.
Je repense souvent à cette nuit. Tous les jours, même. Je suis obnubilée par l'idée de revivre à l'identique tout ce qui s'était passé. Je m'en veux d'être aussi faible, de me laisser guider par mes sentiments. Je sais que je devrais passer à autre chose, mais je n'y arrive pas. Du moins pas pour l'instant.
Mais heureusement, ce matin, Vildred nous a donné tellement de travail à Laura et à moi, que j'en oublie pendant quelques heures le loup-garou. Et ça me fait du bien. On pianote tous les trois dans le bureau du Chasseur, en remplissant des papiers administratifs. Vildred imprime au bout d'un certain temps un dossier qu'il me tend.
— Va me faire valider ça par Isaac. J'ai besoin de sa signature.
Génial.
J'aurais espéré n'importe quelle mission, combattre des dragons ou éliminer des vampires, mais pas celle-là.
Isaac regagne mon esprit alors que je ne pensais plus à lui. En réalité, je ne suis pas du tout enchantée de devoir aller le voir, et encore moins lui parler, même si c'est pour lui demander une simple signature. Va-t-il me répondre qu'il est trop occupé pour ça ?
Au moins cela serait drôle d'en avoir le cœur net.
Quoiqu'il en soit, je n'ai définitivement pas envie d'y aller. Et je sais aussi qu'il est impossible que je réponde à Vildred d'y aller à ma place, connaissant l'amertume qu'il témoigne quand on lui refuse ses ordres. Et puis, comment lui expliquer que je n'ai pas envie de le faire ? Non, je ne suis pas une fille capricieuse. Le travail c'est le travail, donc je prends mon courage à deux mains et lève mes fesses de mon siège, les mains sur ce précieux document que je juge démoniaque par ce qu'il m'amène à faire.
C'est à reculons que je me dirige vers le bureau du directeur administratif. J'essaie d'apprendre dans ma tête ce que je vais lui dire. « Est-ce que tu peux signer ça, s'il te plaît ?»
« S'il te plaît » ?
C'est pas un peu trop poli pour toute l'ignorance dont il me fait part depuis quelques jours ?
Ou alors, « Vildred aurait besoin que tu signes ça. »
Oui, voilà, c'est bien ça. Et puis cela sous-entend que je n'ai pas décidé d'y aller de moi-même et que c'est Vildred qui me l'a demandé.
Je pousse un soupire d'ennui, et toque à sa porte, une fois arrivée devant.
Pas de réponse.
Ça m'aurait étonné.
Il arrive souvent qu'il soit quand même à l'intérieur et comme il est occupé, il ne daigne pas répondre. Est-ce que je repasse un peu plus tard ?
Ah non !
J'ai déjà pris énormément sur moi pour arriver jusqu'ici. Je n'ai pas envie de faire demi-tour bredouille.
Sentant un brusque sentiment d'énervement s'éveiller en moi, me prends soudainement l'envie de le confronter une dernière fois. Mais, cette fois-ci de façon plus virulente. Voyant au niveau du mince espace entre l'encadrement et la porte que cette dernière n'est pas verrouillée, j'appuie brusquement sur la poignée pour l'ouvrir.
Ce n'est pas face à Isaac que je tombe, mais face à une petite brune au carré.
Une petite brune vraiment très jolie. Ce serait hypocrite de ma part de ne pas le reconnaître.
Elle doit avoir à peu près mon âge. Le bleu perçant de ses yeux maquillés d'un parfait trait d'eye-liner contraste avec le noir intense de ses cheveux lisses et brillants. Ses lèvres plutôt pulpeuses sont colorées d'un rouge à lèvres pourpre foncé qui rehausse son teint pourtant déjà légèrement hâlé. Le haut qu'elle porte est noir, court, à manche longue, et laisse apparaître dans le creux de sa poitrine généreuse, entre ses deux seins, un joli tatouage en longueur avec un croissant de Lune.
Je ne suis généralement pas jalouse des filles, mais, la voir installée tranquillement dans le bureau d'Isaac, me fait légèrement bouillir. Je n'aime pas cette version de moi, et j'essaie de la faire taire.
— Isaac n'est pas là, me lance-t-elle en continuant de pianoter avec ses longs ongles sur SON ordinateur, assise à SON bureau.
— J'ai vu, en effet, Je vais l'attendre ici.
J'entre alors davantage dans le bureau et me pose sur le côté.
— Ça ne sert à rien. Il est parti en réunion, rétorque-t-elle.
Je n'aime pas trop sa manière de me répondre. Un peu trop sure d'elle, comme si elle travaillait ici depuis des années. Or, je sais que ce n'est pas le cas. Je ne l'ai jamais vu ici, avant aujourd'hui.
— Il n'y a pas de réunion le mercredi à l'Enclave, je réplique.
— Celle de demain à été décalée à ce matin. Donc, si tu dois lui dire un truc, tu vas attendre longtemps. Dans le cas où tu te déciderai à ne pas rester ici pendant une heure, ce que je te conseille, je peux lui transmettre un message, si ce n'est pas trop long et si j'y pense.
Ses airs de secrétaire parfaite me titillent un peu.
Je décide néanmoins de rester courtoise, et de ne pas projeter sur elle la colère que j'éprouve pour Isaac.
— Non merci, ça ira. Je dois lui faire signer un document important en main propre et je ne pense pas que mon chef de service accepte que je le laisse dans les mains d'une inconnue.
La fille hausse les épaules avec nonchalance, et continue de pianoter sur l'ordinateur d'Isaac sans faire attention à moi.
— Comme tu veux. Tu peux fermer la porte quand tu sors ? Ça fait des courants d'air sinon. Et je n'aime pas ça.
Sans répliquer je m'exécute, après avoir hausser un sourcil.
Son attitude m'énerve un peu, mais je me dis que mon jugement est faussé à cause de la colère que je ressens pour Isaac.
Je retourne, mon document vide à la main, dans le bureau de Vildred, n'arrêtant plus de penser cette fois-ci non pas à Isaac, mais à cette mystérieuse inconnue.
*
L'heure du déjeuner est arrivé.
Vildred et Laura ont fermé leurs ordinateurs à l'heure pile de la pause, alors que de mon coté, je n'ai pas envie de manger.
Ma faim est absente. Je suis trop préoccupée pour la ressentir.
On se dirige alors dans la salle commune, là où tous les salariés se retrouvent par petits groupes pour manger. On se place à notre table habituelle. On déjeune souvent tous les trois, quand on est à l'Enclave. Et puis, je crois que les autres n'ont pas très envie de se mêler à Vildred. Ou même à moi. Ou peut-être les deux en fin de compte.
Mon regard est happé directement vers la table très privée des VIP. Isaac est là, et préside comme à son habitude cette table si convoitée, entouré de son fan club. Mon regard se pose un peu trop longtemps sur lui. J'espère quelque part comme une idiote un regard de sa part, même évité, mais ce n'est pas le cas. Il n'est même plus au stade où il m'évite, maintenant, il oublie définitivement mon existence.
Génial.
Un bruits rythmés de talon attire mon attention. C'est la fameuse brune que j'ai aperçu dans son bureau qui traverse alors la salle commune, pour regagner la table des privilégiées. Elle contourne cette dernière pour se retrouver à côté d'Isaac qui enlève ses affaires de la chaise à sa droite pour la laisser s'asseoir. Elle lui accorde un sourire très lumineux, et que je dois reconnaître très beau, et s'assoit à coté de lui, commençant à engager la conversation.
D'accord, il lui a laissé une place.
J'essaie alors de me souvenir quand est-ce qu'il m'a gardé aussi une place à côté de lui, à cette table de privilégiés.
Mmmh...Quand ça, déjà ?
Ah oui.
JAMAIS.
Un sentiment de jalousie me pique alors le ventre, me coupant davantage l'appétit, qui était d'ailleurs autant absent que l'attention d'Isaac jusque-là à mon égard.
J'analyse les deux protagonistes. Ils ont l'air complices, ce qui me déplaît, il faut se l'avouer.
Je me tourne vers mes deux collèges qui entament à toute vitesse leur plat.
— C'est qui la fille à coté d'Isaac ?
Vildred jette un coup d'œil furtif vers la table.
— Tu parles de la petite bombe ?
Oui Vildred, je te parle de la fille qui a fait retourner tous les garçons sur son passage quand elle a traversé la salle.
— Vous la connaissez ? Je demande.
— Nina Campbell. Elle vient de la meute d'Isaac. Elle vient tout juste de rentrer d'Europe apparemment et elle cherchait un job à l'Enclave, m'explique Laura.
Je fronce légèrement les sourcils.
— Je croyais que les loups-garous ne pouvaient pas travailler à l'Enclave ? Je rétorque.
— Ceux qui n'ont pas enclenché leur malédiction, si. Et c'est son cas, réplique la jeune femme.
Je hoche légèrement la tête en maintenant mon regard sur la demoiselle.
— Et, elle fait quoi ici ?
— Secrétaire d'Isaac. Il avait besoin de se décharger, m'explique la vampire.
Forcément.
Donc, il passe donc toutes ses journées avec elle.
Génial.
J'essaie néanmoins de taire ma jalousie qui me titille. Je n'aime pas être ce genre de fille. Nina n'y est pour rien dans ce que je reproche à Isaac. Je n'ai pas à avoir de sentiments hostiles à son égard.
Mais la voir si proche d'Isaac, juste à côté de lui, rire à ce qu'il lui dit et être autant tactile avec lui, me mets forcément dans une position désagréable. Je me sens si impuissante. J'ai la terrible sensation de me faire remplacer par une autre fille, même si ce n'est peut-être le cas. Quand je la vois à côté de lui, je ne peux m'imaginer à sa place, cette fameuse nuit. Je regrette amèrement ses moments-là. Isaac est en train de me filer des doigts et je ne sais pas quoi faire.
— Un problème, Sosie ? Tonne le Chasseur, en scrutant méticuleusement la réaction, et me tirant subitement de mes pensées.
— C'est juste que je m'interroge. Pourquoi elle est a cette table des privilégiés, alors que nous on ne l'est pas ?
— Vildred pourrait l'être, lui. Mais, il ne veut pas, sourit Laura, l'air espiègle.
— Qu'est-ce que c'est ennuyeux de devoir manger avec des gens avec qui tu travailles tous les jours, rétorque le Chasseur sur un ton dédaigneux, en enfournant une bouchée.
Je laisse échapper un petit rire d'incompréhension.
— Tu manges avec nous pourtant.
— Estimez-vous heureuses.
Laura lève les yeux au ciel.
— Et toi ? Pourquoi tu ne vas pas à cette table ? Je lui demande alors.
— Isaac et mon ami, mais depuis qu'il a été promu directeur administratif, on se côtoie moins. Je ne connais pas trop les gens avec qui ils traînent, donc je ne me vois pas m'imposer à leur table.
Je hoche la tête face à ses explications, avant de reposer à nouveau mes yeux sur Nina, un amas de questions en tête.
— Qu'est-ce que vous savez d'autre sur elle ?
— Tu prévois quelque chose contre elle ou bien, Sosie ? Rétorque Vildred, prenant un malin plaisir de relever mes réactions peu anodines.
Je reste alors le plus neutre possible, essayant de faire transparaître aucune émotion sur mon visage.
— Non rien. Je m'efforce juste de connaître les gens avec qui je travaille.
— Elle vient d'une famille de loups-garous assez influente. De prime abord c'est plutôt une gentille fille. Un peu la fille parfaite. Mais, de ce que j'ai cru comprendre, ça ne passait pas du tout avec Bella, m'explique Laura.
Je fronce légèrement les sourcils, surprise.
— Pourquoi ?
— Nina tournait autour d'Isaac quand ils étaient adolescents. Ça ne plaisait pas à Bella donc elle lui a fait la misère. Mais bon, Bella a fait la misère à beaucoup de filles. Nina est très studieuse. Elle est partie faire ses études dans une brillante université des Pays-Bas, après ça. Mais, bon. Maintenant que Bella n'est plus là, elle est tranquille concernant Isaac.
Cette dernière phrase ne me fait pas plaisir.
— Pas d'ombre au tableau visiblement, je déclare.
— Aucune même. Loup-garou, très jolie, intelligente, avenante. Je lui donne même pas un an avant qu'Isaac lui passe la bague au doigt, déclare Vildred, en posant les yeux sur moi.
Je me crispe subitement. Il le fait exprès. Il me titille. Il sait ce que j'éprouve pour Isaac, même si je continue de le nier. Il s'en amuse donc.
Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Que je pique ma crise de jalousie ? Isaac ne m'a rien promis en réalité. Et je comprends rapidement pourquoi il ne l'a pas fait. Sûrement parce que je ne suis pas loup-garou.
Je reste pensive le reste du déjeuner, à me laisser aller dans une onde négative d'apitoiement. Cette journée est définitivement pas terrible. Comme les dernières, d'ailleurs. Il faut que je me ressaisisse rapidement. Je ne veux pas être ce genre de fille, à avoir des émotions qui dépendent du comportement du garçon par qui elle est intéressée. J'ai donc deux options.
La première : passer à autre chose et oublier Isaac.
La deuxième : rivaliser avec Nina et reprendre ma place.
Je n'ai pas encore choisi laquelle.
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