— J'ai besoin de deux copies de ce dossier, m'interpelle Vildred, qui continue de pianoter à une main sur son clavier.

Je me lève, récupère le petit paquet de feuilles agrafées et jette un coup d'œil à l'imprimante.

— Où est-ce que je peux aller ? Je crois que celle-ci est en panne.

— Il y en a une en salle commune.

Je hoche la tête, et vais de ce pas, telle la stagiaire docile que je suis, exécuter la demande de mon chef de service, qui reste plongé dans son ordinateur.

Dans le couloir, mon regard se pose au loin sur la porte du bureau fermé d'Isaac.

Il n'est pas là aujourd'hui. Ça ne m'étonne qu'à moitié. Il a dû prendre des congés pour repartir dans sa meute quelques jours.

À vrai dire, j'aurais aimé le croiser ce matin. On s'est quitté hier, sans un mot, dans une atmosphère plutôt pesante. Isaac était resté fermé et silencieux, sans que je puisse savoir véritablement ce qu'il pensait de toute cette situation. Et, ce qui reste étrange, c'est qu'il ne m'a pas répondu à mes message depuis qu'on s'est quitté. Alors, le connaissant lui et sa tendance à être toujours très occupé et à faire passer ses messages non professionnels après les autres, je ne devrais peut-être pas m'inquiéter. Mais, mon côté anxieux me pousse à me demander malgré tout si j'aurais quelque chose à voir avec sa distance. Mais, en soit, je n'ai rien fait de mal. Je reste optimiste. Il est sans doute encore très affecté par ce qu'il s'est passé hier matin, et doit être très occupé. Il me répondra quand il aura trouvé le temps.

Forcément, la nuit dernière n'a pas été réparatrice. J'ai passé des heures à essayer d'imaginer qui aurait pu assassiner ces enfants. Impossible que ce soient des vampires comme cela s'est passé le jour. Est-ce que ce pourrait être Bella ? Aurait-elle pris le risque de venir jusqu'au village de la meute d'Isaac ? Et puis, pour quelle raison ? Isaac m'avait expliqué aussi que les loups-garous avaient beaucoup d'ennemis dans le monde du Surnaturel. Ce pourrait être n'importe qui.

Je décide d'enlever Isaac et ce tragique événement de mes pensées et de me concentrer sur ma journée de travail. Depuis ce matin, je ne suis pas productive et Vildred l'a rapidement remarqué. J'ai la tête ailleurs et je me laisse aller à mes étourderies. Et savant qu'il n'est pas d'un naturel très patient, je devrais vite me reconcentrer.

A cette heure-ci, il n'y a personne dans la salle commune. Ce n'est pas encore l'heure de pose, donc les employés travaillent d'arrache pied dans les bureaux. Et d'ailleurs, d'autant plus le retour d'Ingrid Olsen et de son Conseil de Direction. Je sens qu'un cadre de pression s'est instauré depuis. Je ressens pleinement cette atmosphère pesante. Mon but est donc de longer le plus possible les couloirs pour ne pas avoir à faire à chacun d'entre eux. Mais, comme j'occupe un des postes les plus en bas de l'échelle, je sais que je suis en quelque sorte protégée. Je n'aurai normalement jamais à faire à eux. C'est Vildred mon supérieur, c'est donc son rôle. Et, je sais aussi qu'il leur a mis un coup de pression me concernant, en s'imposant. Il leur a fait comprendre que j'étais sous sa surveillance, et qu'il n'apprécierait pas qu'on remette en question cette prise de liberté dont il a fait part. Et comme Vildred est un élément crucial de l'Enclave, et qu'il ne vaut mieux pas le froisser, Ingrid Olsen l'avait finalement autorisé à continuer de me former. Mais, j'avais lu sur son visage qu'elle n'en était pas enchantée. Et puis, j'avais perçu, lors des longs interrogatoires qu'ils m'avaient fait passer, leur réticence et leurs doutes à mon égard.

Mais, je n'étais pas la principale intéressée du moment. Ils avaient mis sur le pont des moyens considérables pour retrouver Bella. En soit, étant majeure, c'était en réalité dans ses droits de partir et de collaborer avec les vampires. Mais, le principal problème restait qu'elle était suspectée d'être impliquée dans la disparition d'Hastein Sans Œil, son coéquipier de patrouille. Mais, pour le moment, les vampires refusent de coopérer, et continuent de prétendre qu'ils ne détiennent plus Bella. L'Enclave a fait des descentes dans le bar de Stan, le Sanglant, mais n'avait rien trouvé de concluant. Bella était nulle part. Après tout, je ne comprenais pas pourquoi ils s'acharnaient. à cantonner leurs recherche à La Nouvelle Orléans, alors qu'elle aurait très bien pu s'enfuir hors de la ville. Ce qui aurait été la meilleure des solutions pour elle. A moins que quelque chose ne la retienne ici...Mais quoi ?

Le problème de l'Enclave, c'est qu'ils n'ont pas beaucoup de moyens à mettre dans leurs recherches. Ils sont surtout focalisés sur la protection des humains, et finalement peu sur les disparitions de Surnaturels. C'est plutôt le travail des Chasseurs d'Ombre. Et d'après ce que je perçois, Vildred ne semble pas avancer en apparence. Hors je sais qu'il est le meilleur de tous les Chasseurs de la région, ce qui reste assez étonnant et incohérent. C'est pour cela que mon intuition me pousse à croire qu'il est en réalité sur une piste, mais qu'il garde secret ses recherches, et je ne sais pas pourquoi. Le soir, il rentre de plus en plus tard et semble très absorbé par ses pensées. Je pense qu'il trame quelque chose, et qu'il garde cette chose pour lui. Mais, faire parler Vildred sur ce qu'il garde secret est mission impossible. S'il fait penser à tout le monde qu'il stagne, c'est bien pour une raison. Cependant je sens en réalité ce n'est pas le cas, et je ne saurais l'expliquer pourquoi. Des petits indices me font croire qu'il avance même très bien. Un homme aussi compétant et impitoyable que lui ne peut pas ne pas avancer, c'est impossible. Et cela, tout le monde semble ne pas l'avoir remarqué.

J'ouvre le capot de la photocopieuse, enlève avec mes ongles (douloureusement) l'agrafe qui reliait les feuilles du dossier et commence à en faire la copie. Je suis tellement absorbée par ma tâche que je n'entends pas un collègue arriver.

— On a passé un agréable week-end, Linda Prior ? Lance une voix masculine hautement désagréable.

Ulrich.

Qui d'autre de toute façon...

Je décide de lui accorder aucun regard, continuant à photocopier machinalement le dossier de Vildred.

— Pourquoi cette question ?

— Je sais de source sûre que tu as séjourné près des marrais. Une petite excursion chez les loups-garous ? Comme c'est étonnant.

Je me fige subitement. Je pose finalement brièvement et froidement mes yeux sur lui.

— L'Enclave me piste, à ce que je vois.

Et ce n'est pas étonnant. J'ai rapidement compris que je serai épiée. Dommage que cela apporte à Ulrich un moyen supplémentaire de se réjouir de ma situation.

— Comment va Isaac ? Il a poursuivi son petit week-end ? Il n'était pas à l'Enclave aujourd'hui.

Son air méprisant et condescendant fait bouillir mon sang dans mes veines. D'autant plus après ce qu'il s'est passé. J'imagine qu'Isaac a mis l'Enclave au courant pour justifier son absence. Ulrich est un fouineur, il s'est forcément débrouiller pour obtenir l'information.

— Ferme-la, Ulrich, je tonne sèchement.

Il fait quelques pas autour, avant de s'assoir nonchalamment sur une table juste derrière moi, m'épiant de son regard de vipère.

— Dis-donc, tu dois t'y prendre plutôt bien au lit pour attirer autant son attention.

Je me retourne alors vers lui, fait un pas pour m'approcher davantage, et plante mes yeux dans les siens, tout en gardant un calme absolu.

— Tu sais ce qui est pathétique chez toi ? Je réplique plus bas.

— Dis-moi, me murmure-t-il sur un ton rempli de provocation

— Tu t'obstines désespérément et sans succès à vouloir mettre des bâtons dans les roues d'Isaac, alors que lui ne t'accordes même pas une seconde d'attention.

Ulrich laisse échapper un petit rire jaune. Il se relève, fait un pas vers moi pour se retrouver encore plus près, continuant de me transpercer de son regard acerbe.

— Tout vient à point à qui sait attendre, me murmure-t-il désagréablement.

Je croise les bras de ma poitrine, prenant sur moi pour ne pas céder à mon envie de faire un pas en arrière.

— C'est donc ça que tu veux ? Prendre sa place ?

Ulrich laisse s'écouler un petit silence avant de répondre, sans détacher une seule fois ses yeux des miens.

— Ce que je veux c'est remettre de l'ordre là où il en manque.

Je lève un sourcil, et le toise du regard.

— Et c'est Isaac qui trouble l'ordre ?

Ulrich me pointe alors du doigt,

— Tu troubles l'ordre. Et comme apparemment tu as très bien compris comment t'immiscer rapidement dans les affaires de l'Enclave par son biais, sans qu'il ne se pose aucune question, cela fait de lui un élément qu'il faudra bien assez tôt écarter.

Je laisse échapper un petit rire jaune et récupère mes photocopies après les avoir agrafées.

Je ne sais pas lequel nage le plus en plein délire entre lui et Parker. Parker lui, au moins, à l'honneur de le faire pour le bien de sa meute. Ulrich me monte contre tout le monde pour ses propres intérêts professionnels, ce qui fait de lui le numéro 1 sur la liste des Surnaturels les plus insupportables.

Je sors alors de la salle commune, décidant qu'il est inutile de poursuivre cette conversation. Il aura toujours le dernier mot de toute façon.

Alors que je marche en direction du bureau de Vildred, mon regard croise celui d'un homme que j'avais aperçu avec Ingrid Olsen et qui était présent à certaines phases de mon interrogatoire. Il était resté parfaitement silencieux, à m'observer, mais je me souviens avoir été perturbé par ce qu'il dégage. Il est plutôt grand, les cheveux très très clairs, longs, presque blancs argenté et rabattu en arrière. Il porte un costume intégralement noir. Ses yeux sont très clair, presque transparent.

Il y a quelque chose qui me met mal à l'aise dans son regard. Il reste inexpressif, à me fixer avec froideur et mystère. Je maintiens mon regard dans le sien pour lui faire comprendre que je n'apprécie pas cette façon de faire insistante. Un grand frisson parcours mon échine, ressentant une lourdeur soudaine. Je continue de défier l'homme du regard et regagne le bureau de Vildred.