Chapitre 87
Le retour à La Nouvelle Orléans s'est fait dans un silence des plus troublants.
Isaac n'a pas dit un mot de tout le trajet. Je n'ai pas osé de mon côté lui poser des questions, restant parallèlement toujours sous le choc de la situation, et tourmentée sur ce qu'il s'est dit à mon sujet.
Même si Isaac n'a pas parlé sur la route, son langage non verbal disait lui beaucoup de chose. Ses muscles étaient tendus, ses mains serrées au volant si fortement que ses veines devenaient apparente. Dans son regard logeait beaucoup de choses. D'abord une immense tristesse, une colère évidente mais plus difficile à percevoir car mieux dissimulée, une culpabilité profonde.
Une culpabilité de n'avoir rien pu faire pour empêcher le drame. Une culpabilité d'avoir abandonné tout ce temps sa meute et de se rendre compte qu'il en faisait plus vraiment partie, malgré l'affection que continuait de lui porter son entourage.
Il y a quelque chose qui a changé dans son regard. Quelque chose de moins humain en lui, de plus loup-garou. Ces meurtres avaient sûrement été le déclic de quelque chose. Il était possible qu'après ce grave événement, qu'Isaac se remette totalement en question, identitairement parlant.
Sa meute avait quand même été violemment attaquée. Tuer des enfants est une mise en garde réelle qu'il est impossible de prendre à la légère. Il n'est pas incohérent que cela le pousse à vouloir se rapprocher de sa meute. C'est l'instinct de protection. Et, Dieu sait qu'Isaac en est pourvu.
Mais, on fond, ce n'était que des suppositions avancées par ma part, après l'avoir longuement observé sur le trajet. Il ne m'avait à aucun moment communiqué ses ressentis. Il est resté fermé à tout dialogue, replié sur lui, les yeux brillants de tristesse et de haine.
Je ressentais d'une puissance phénoménale sa peine et sa douleur.
Isaac m'a déposé chez Vildred, toujours sans un mot. Il m'a juste dit au revoir, après que j'ai récupéré mon sac, et que je suis descendue du véhicule. Il est reparti alors, me laissant le cœur lourd et se sentiment amer désagréable au fond de la gorge.
Ce grave incident m'avait en réalité profondément choquée. J'avais jusque-là occupé mon esprit pour ne pas y faire face, mais quand je me suis retrouvée seule dans l'appartement de Vildred, tout est remonté à la surface. Les images d'horreur se sont imposées à moi, tournant en boucle dans mon esprit. Il y avait aussi cette odeur. Cette odeur du sang, de la mort, qui m'est revenu brutalement et qui ne m'as pas quitté de la soirée.
J'ai voulu me servir un verre d'eau, mais au moment où je l'ai porté à ma bouche, des tremblements se sont emparés de moi. J'ai lâché mon verre qui s'est explosé brutalement sur mes pieds nus. les entaillant légèrement. Du sang s'est mis à coulé de la zone, intensifiant le sentiment de trouble que je ressentais jusqu'alors. Tout s'est alors mélangé. Mon sang, celui des très jeunes victimes...Tout s'est bousculé dans ma tête, tout semblait se confondre. Et puis, j'ai entendu des cris, plutôt je me les suis remémorée.
Des cris déchirants, des cris désemparés, des cris de désespoir. Et puis tout ces mouvements de foule, ces hurlements d'effroi, ses visages martelés par l'incompréhension. Et puis ces parents. Ces parents qui n'avaient rien demandé et qui ne souhaitaient que fonder leur famille.
Je ne parvenais plus à faire la différence entre les événements passés et l'instant actuel.
J'ai alors éclaté en sanglot.
Malgré moi.
Je me suis laissée tomber au sol, là où mon verre s'était éclaté en mille morceau. Et j'ai pleuré. J'ai laissé toutes mes larmes se vider.
Vildred est rentré au même moment.
Il m'a vue assise par terre, le dos contre le plan de travail, dans un état pitoyable.
Je n'ai pas essayé de me cacher. J'ai continuer à laisser mes larmes couler sans prendre le temps de les essuyer, épuisée par ces souvenirs frais et traumatisants qui ne faisaient que de revenir en boucle.
Vildred n'a rien dit. Il s'est accroupi près de moi et à ramassé les morceaux de verres. Je n'ai pas cherché de réconfort auprès de lui parce que je savais qu'il n'était pas capable de ressentir ma peine.
Mais sa présence m'a étrangement apaisée au bout d'un certain temps.
Il est allé cherché de quoi désinfecter la plaie, l'a nettoyée, et y a appliqué un bandage. Tout cela dans le silence le plus pur. Il m'a aidée à me relever, et je me suis assise sur le canapé du salon. Mes larmes ont continué à coulé, mais les sanglots se sont atténué. Je ressentais juste une immense tristesse pour ces enfants, pour leur famille, pour Isaac.
Vildred s'est assis à l'autre extrémité du canapé, m'observant silencieusement de son regard mécanique et analyseur.
La douleur était trop forte. Beaucoup trop forte.
Je me suis enfin tournée vers lui.
— Comment tu fais ? Comment tu fais pour ne pas ressentir la douleur ? Je suis parvenu à articuler.
Je le savais pourtant. Je savais que c'était dans sa nature la plus profonde qu'il ne pouvait rien ressentir. J'aurais aimé le temps d'un instant être comme lui. Ne plus rien ressentir. Qu'il m'apprenne.
— Un décès, a-t-il suggéré à voix haute.
Vildred avait touché juste. Il avait deviné sans que je lui dise l'objet de ma peine immense et de mes tourments.
J'ai hoché la tête, ne prenant plus la peine d'essuyer mes larmes.
— Je n'y arriverai pas, Vildred...Je n'y arriverai pas...Ces images...
J'ai emprisonné mon visage entre mes mains poussant un hurlement de détresse, face à ces images traumatisantes qui ne voulaient pas s'en aller de mon esprit. Elles étaient omniprésentes. Plus j'essayais de les contourner, plus elles revenaient en force.
Vildred n'a rien dit. Il est resté dans le silence le plus total, mais a fini par se lever pour se rapprocher de moi. Il m'a pris les mains, et les as serrées fortement dans les siennes. J'ai alors senti son énergie se mêler à la mienne. Je ne saurais expliquer comment, mais, j'ai eu l'impression qu'il venait de créer comme un lien. Un lien temporaire qui pendant le temps de quelques instants m'a permise de me calmer, et de reprendre mon souffle.
Il ne s'est rien passé d'autre. Je savais de toute façon qu'il n'avait pas le pouvoir d'effacer ma peine et de faire disparaître le traumatisme qui avait pris part en moi. Mais, le fait de ne pas être seul me permettait de ne pas me sentir complètement noyée, et surtout de me sentir en sécurité.
Un sentiment que je n'avais plus ressenti du tout depuis ce matin.
Sans surprise, j'ai eu du mal à m'endormir. Je savais que ça prendrait du temps avant d'oublier ces images effroyables. Je savais que je devrais travailler avec acharnement sur moi pour surmonter cet événement.
Et surtout je savais qu'avec le temps, le sentiment intense de tristesse et de désespoir vis à vis de ses jeunes enfants, se remplacerait par un sentiment vif de colère. Et j'avais besoin de cette colère pour agir. J'avais besoin de cette colère pour continuer à me battre. Pour continuer ce que j'avais commencé.
Il restait encore énormément de choses en suspens. Je savais aussi que ces enfants seraient que les premiers sur une longue et sombre liste.
Et pour lutter contre ce Mal qui avait commencé à s'abattre, j'allais avoir besoin d'énergie. Une énergie ardente qui pourrait me rendre inarrêtable.
Mais, cet instant n'était pas encore venu.
Je devais pour le moment me reposer, et surtout faire le vide en moi, loin de toute chose qui pourrait me rappeler ce que j'avais pu voir.
Ce n'était pas gagné.
Je ne m'en sentais à ce moment-là pas capable.
Je me suis demandé si j'avais véritablement ma place ici. Si mes émotions n'étaient pas trop handicapantes pour être maîtrisées. Je me suis sentie noyée. Noyée dans un immense océan de trouble et de douleur. Un océan où la surface ne faisait que de fatalement s'éloigner.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro